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Le « modèle » impérialiste allemand

Comme vous le constaterez dans la suite de ce texte, il n’y a ni « miracle » ni « modèle » allemand de l’impérialisme. On observe cependant des particularités historiques et sociologiques dans le développement impérialiste de l’Allemagne.

Quatre principes d’économie politique

Avant d’aborder l’étude du soi-disant « modèle » allemand de développement, nous allons présenter quatre principes qui fondent notre analyse. Selon la théorie marxiste de l’économie politique quatre principes régulent le développement capitaliste au stade impérialiste. Ces principes sont : 1) Primauté de l’instance économique sur les instances politique et idéologique de la lutte des classes. 2) Intégration systémique et interdépendance globale et mondiale des différentes économies « nationales ». 3) Collusion temporaire et concurrence permanente entre puissances. 4) Crises et guerres ponctuent le développement chaotique et anarchique de l’économie politique impérialiste. C’est la fidélité à ces principes qui oppose les économistes marxistes aux économistes opportunistes et réformistes.

Le premier principe stipule que l’humanité s’est toujours socialement organisée pour produire et distribuer les biens nécessaires à son développement. C’est ce que Marx a appelé les différents modes de production sociaux. Sur la base d’un mode de production et de distribution des moyens de production, puis des services et des biens de consommation, les hommes ont établi des rapports de production (classes sociales, superstructure politique, culturel, morale, scientifique, administrative, militaire, etc.) conséquents avec ces moyens de production et avec ces forces productives. En dernière instance, c’est le développement économique d’une société qui détermine les orientations politiques et idéologiques de cette société.

Le deuxième principe stipule qu’à l’étape de l’impérialisme, le mode de production capitaliste domine l’ensemble de l’économie globalisée, mondialisée et intégrée en un immense ensemble, non planifiée certes, mais tout de même imbriquée en un tout articulé. Ce qui implique qu’une crise financière, boursière, monétaire, une crise de surproduction, ou un déséquilibre de la balance des comptes nationaux dans un pays entraînent des répercussions sur les autres pays, partenaires et concurrents. Ainsi, quand les États-Unis essaiment leurs dollars dévalués (quantitative easing) ils perturbent le marché des changes monétaires de toute la planète et ils attaquent l’équilibre budgétaire de leurs alliés comme de leurs concurrents.

Le troisième principe stipule que les multiples alliances que nouent et que dénouent les capitalistes monopolistes internationaux sont temporaires et révèle un équilibre précaire que les transformations économiques, la division internationale du travail et le développement des moyens de production remettent constamment en question. Les États-nations sont des pions qui servent à galvaniser les différentes sections de la classe bourgeoise derrière la section monopoliste hégémonique ; à légitimer les agressions guerrières et à embrigader la classe ouvrière « nationale » en faveur d’une clique capitaliste ou d’une autre.

Le quatrième principe stipule que l’équilibre et la cohésion sont des situations fragiles et éphémères alors que les crises sont des contextes permanents et récurrents. Les situations de tensions et de crises – provoquées par la baisse tendancielle du taux de profit – entraînent des guerres impérialistes pour le partage des marchés, la conquête des bassins de ressources et l’attribution des zones d’exploitation de la force de travail. Ces guerres localisées dégénèrent éventuellement en guerres généralisées.

Le « miracle » allemand

Comme vous le constaterez dans la suite de ce texte, il n’y ni « miracle » ni « modèle » allemand de l’impérialisme. On observe cependant des particularités historiques et sociologiques dans le développement impérialiste de l’Allemagne. Suite à leur défaite complète aux mains du consortium militaire américano-soviétique les capitalistes monopolistes allemands ont choisi de jouer la carte étatsunienne. Pendant un demi-siècle, de 1945 à 1995, ils ont développé leurs moyens de production industriels et leurs forces productives modernes, leurs alliances commerciales internationales en direction de la Scandinavie et de l’Est européen et en direction de l’Europe de l’Ouest (40% de leur commerce international) ; puis, en direction de l’Asie-Pacifique, mais toujours à l’ombre des porte-avions et des forteresses nucléaires étasuniennes. Depuis 1995 environ l’impérialisme allemand se sent restreint au sein de l’Alliance Atlantique et cherche la meilleure façon de défendre ses intérêts hégémoniques en Europe.

L’impérialisme allemand s’est construit une imposante puissance économique dans le domaine de l’industrie mécanique, de la fabrication de machines-outils, dans les sphères de l’industrie chimique, de l’électronique, des appareils électriques, des moyens de transport, de l’automobile et de l’équipement militaire. Le développement impérialiste allemand est intégré à la chaîne financière internationale via son capital financier, ses banques, ses compagnies d’assurance et ses places boursières mondialisées. Le capital financier allemand est partie intégrante d’un ensemble de capitaux dont les profits sont une part de la plus-value issue du procès mondial de valorisation du capital qui participe d’une division internationale du travail salarié. Il est futile de la part de la gauche bourgeoise de réclamer une distribution plus équitable du patrimoine mondial quand l’ensemble de la structure économique et commerciale impérialiste appel une concentration croissante du capital, fondement du « miracle » allemand notamment.

Inévitablement une telle puissance industrielle (la troisième en importance dans le monde) pousse les impérialistes allemands vers l’affrontement avec leur suzerain américain, car si la collusion entre chacals internationaux est temporaire, l’affrontement est permanent pour le partage des sources de matières premières, des marchés et des forces productives à exploiter. Le carcan étasunien paraît aujourd’hui trop restreint et il contraint l’expansion allemande. Mais comment se défaire d’un compère encombrant, gourmand, décevant, qui coure à la faillite et risque d’entraîner les impérialistes allemands dans ses rixes ? Comment se défaire d’un comparse qui retient vos réserves d’or aux fins de spéculation boursière et monétaire et qui plombe ainsi la monnaie européenne commune ce qui, à terme, fera chavirer le navire européen ? Comment se défaire d’un allié qui s’emmêle dans une série de conflits militaires qu’il perd invariablement, chaque défaite préparant les conditions de la suivante, sans espoir de revanche ?

Le « syndrome » allemand

Le « syndrome » allemand dissimule le soi-disant « miracle » allemand. Analyser l’économie allemande c’est comme étudier le monde capitaliste à l’envers. En effet, la France est en crise de sous-productivité parce que le gouvernement de ce pays n’est pas parvenu à casser son mouvement ouvrier pour hausser suffisamment son niveau de productivité (d’exploitation de la main-d’œuvre). Il en est de même en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce. La France, comme bien des pays impérialistes, se désindustrialisent parce que les ouvriers français refusent d’être surexploités au-delà d’un certain niveau si bien que nombre de capitalistes français sont devenus des rentiers – des tondeurs de coupons disait Lénine – qui placent leurs capitaux dans des entreprises allemandes, étasuniennes, multinationales françaises qui délocalisent leurs usines vers des pays à la main-d’œuvre servile et affamée. Ensuite, ils rapatrient (de moins en moins cependant) leurs profits pour les réinvestir et leur faire accomplir un nouveau cycle de reproduction élargie. Les capitalistes français n’y parviennent pas, sur le sol national français du moins, car les charges fiscales, même allégées, demeurent trop élevées et le chômage endémique réduit le pouvoir d’achat social des travailleurs, des commerçants et des producteurs de biens de consommation courante. L’endettement des ménages atteint un niveau record et l’État n’a plus les revenus pour soutenir l’achat et le gaspillage des marchandises. La France est en crise de surproduction relative pour cause de sous-productivité avérée.

Les capitalistes allemands de leur côté n’ont pas délocalisé, pas autant que ceux des autres puissances impérialistes mondialisées (6,5 millions de voitures allemandes produites sur le sol « national » contre 4,8 millions produites à l’étranger). Les capitalistes allemands sont parvenus à briser presque totalement le prolétariat allemand avec la complicité des syndicats allemands et des partis de la gauche bourgeoise allemande. La main-d’œuvre allemande est assujettie et soumise à des rendements très élevés si bien que ce prolétariat s’échine au travail sous des cadences infernales. Ce « miracle » des impérialistes allemands date des années trente (1930) quand la bourgeoisie allemande a contraint la petite bourgeoisie communiste et sociale-démocrate allemande à adhérer au Corporatisme nationaliste d’État, ce que l’on appelait alors le national-socialisme dont l’idéologie s’est perpétuée jusqu’à nos jours malgré la défaite nazie (1).

En France à la même époque l’impérialisme international accoucha d’une formule alternative. La social-démocratie, en collusion avec les pseudo communistes français accouchèrent du Front populaire national, un compromis bourgeois qui conservait le capitalisme sur pied contre une réduction des heures travailler et une augmentation des heures chômées, en plus de quelques babioles que le grand capital s’empressa de récupérer par l’inflation et l’augmentation des cadences de travail. Le résultat de ces deux formules de compromis de classes (Corporatisme national allemand et Front populaire national français) fut la Seconde Guerre mondiale.

Après la Seconde Guerre mondiale les capitalistes allemands avec l’aide étatsunienne ont maintenu le « miraculeux modèle de corporatisme national allemand » et ils ont accentué le « syndrome national chauvin » du prolétariat allemand en le culpabilisant d’avoir échoué dans la guerre génocidaire contre les capitalistes européens. L’impérialisme allemand, responsable de cette boucherie mondiale, est parvenu, en collusion avec la gauche bourgeoise, à faire expier le peuple allemand pour les crimes que ces capitalistes avaient commis. La classe ouvrière allemande rachète encore aujourd’hui cette défaite. Ce prolétariat ne pourra participer adéquatement à l’insurrection mondiale tant qu’il ne reniera pas totalement l’idéologie corporatiste nazie.

Les capitalistes germaniques tondent les coupons des entreprises installées en Allemagne et ailleurs sur le continent. Cette production effrénée crée un marché national pour les matières premières, l’énergie et les produits usinés nécessaires à la fabrication des produits finis à commercialiser. Pour un temps, le capitaliste allemand réussit encore à réinvestir profitablement son argent afin de lui faire réaliser une nouvelle plus-value et lui faire accomplir un nouveau cycle de reproduction élargie. Il est exact que le capitaliste allemand réinvestit son capital chez lui, non pas par patriotisme corporatiste, mais parce qu’il ne connaît aucun autre endroit au monde où le prolétariat est aussi docile et productif. Cependant, le « succès » allemand comporte un revers important. Si le prolétariat français, italien, belge, espagnol et portugais a du temps pour consommer, il n’a pas l’argent pour se rassasier. Le prolétariat allemand est en moyenne un peu plus fortuné, mais il n’a ni le temps, ni l’énergie, ni la capacité de consommer l’immensité des marchandises que produisent ces usines performantes. L’Allemagne doit impérativement exporter ses surplus. Mais où trouver de nouveaux débouchés capables de payer ces montagnes de marchandises de qualité ?

L’Allemagne est en crise de surproduction (relative) et la nécessité de trouver de nouveaux débouchés va la mener à affronter ses concurrents américains, japonais et chinois. Dans ce contexte la faiblesse industrielle russe contient la promesse de leur rapprochement, tout comme les immenses réserves de matières premières de Sibérie contiennent l’aveu de leurs intérêts réciproques. Les Étasuniens ne s’y trompent pas eux qui déclaraient récemment « Vue des États-Unis, l’Allemagne se trouve à la conjonction de dangers potentiels ; elle est le partenaire commercial occidental privilégié de l’Iran et un pays qui entretient des relations étroites avec la Russie » (2).

Les États-Unis, et ses partenaires ouest-européens d’un côté, la Chine sur le versant asiatique de l’Oural de l’autre, constituent les deux embuches qui s’opposent à l’alliance de l’Allemagne et de la Russie. Dorénavant, il faut regarder à l’Est comme à l’Ouest de l’Oural pour comprendre le monde impérialiste en cavale. La classe ouvrière du monde entier ne peut se réjouir de ces manigances entre grandes puissances. La guerre est la voie de sortie usuelle de ces disputes pour les marchés.

L’Allemagne en chiffres

L’Allemagne compte 80 millions d’habitants (16e) et un PIB de 3 367 milliards $ (4e). La croissance du PIB ne sera que de 1,5 % en 2014. L’industrie contribue pour 30 % du PIB annuel allemand. La grande industrie embauche 8 millions de salariés, soit 33 % de la main-d’œuvre active. Les PME comptent 20 millions de salariés. L’Allemagne est le 3e producteur automobile dans le monde. L’Allemagne est l’un des cinq pays ateliers mondiaux (avec la Chine, le Japon, la Corée et Taiwan).

En 2012 les exportations ont totalisé 1 470 milliards $ (2e) et les importations 1 253 milliards $ (4e). La balance commerciale est bénéficiaire chaque année. Ceci entraîne que l’Allemagne est le banquier de l’Europe. Sa dette extérieure est de 6 905 milliards $ soit 81 % de son PIB.

Le taux de chômage officiel est de 5,5 % (peu crédible) et l’âge de la retraite est de 67 ans (contre 60 ans au Canada). Le revenu moyen d’un ménage allemand a baissé de 3 % depuis l’an 2000. La baisse a atteint 5 % pour les 10 % les plus pauvres. La pauvreté, en hausse constante, touche un enfant sur cinq. Preuve en est, les travailleurs pauvres représentaient en 2009, 20 % de la population active. Le salaire minimum a été fixé à 8,5 euros/heure et n’entrera en vigueur qu’en 2015. Pour les femmes qui travaillent à plein temps, c’est la galère. Peu ou pas de crèches, pas de cours l’après-midi dans les écoles allemandes et si les gamins ou les gamines n’aiment pas le sport, la seule alternative c’est de regarder la télé tout l’après-midi sous la surveillance de la grand-mère ou de la grand-tante – en espérant qu’elle n’habite pas trop loin. La fameuse prospérité que nos élites nous vantent ne se traduit en rien de façon concrète pour le ménage allemand. En revanche, quelle fierté légitime que de savoir que grâce à 10 ans de régression salariale et sociale, les finances du pays sont à l’équilibre et la pauvreté en Germinal ! (3)

(1) Le Corporatisme d’État est une doctrine économique et sociale basée sur le regroupement de différents corps de métier au sein d’institutions défendant leurs intérêts. Le Corporatisme prétendait mettre travailleurs et employeurs sur un pied d’égalité, les uns et les autres ayant leurs syndicats et la corporation servant de médiateurs entre les intérêts divergents. Le Corporatisme est le fondement idéologique du fascisme.

(2) http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/l-allemagne-la-superpuissance-qui-ne-veut-pas-l-etre_1559546.html#4E6xIAS5YfYtDi6y.99 et http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/l-allemagne-la-superpuissance-qui-ne-veut-pas-l-etre_1559546.html
(3) http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_l’Allemagne

Pour un complément d’analyse économique

»» http://www.les7duquebec.com/7-au-front/le-modele-imperialiste-allemand/
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