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Etats-Unis, Israël, l’impérialisme archaïque

On devrait désormais se demander s'il ne faudrait pas, carrément, à présent, parler d'impérialisme américano-israélien. En effet, la lecture classique, qui a jusqu'à présent prévalu, d'un Israël, agent des Etats Unis pour le contrôle du Moyen Orient, une sorte donc de " proxy " des Etats Unis, semble tout à fait dépassée.

Un ensemble de faits semble aller dans le sens d’une nouvelle lecture à ce sujet : Israël parait jouer un rôle bien plus important que celui qu’on lui a prêté jusqu’à présent, et semble détenir désormais une sorte de parité dans la décision politique avec les Etats-Unis sur les questions les intéressant tous les deux.

En faveur de cette nouvelle lecture, il y a l’influence profonde d’Israël dans les institutions étasuniennes, la chambre des représentants, le Sénat. Cela se voit notamment à travers l’assurance des dirigeants israéliens et même quelque peu leur arrogance dans leurs relations avec les élus étasuniens, bien sûr qu’ils sont qu’ils paieraient cher la moindre incartade ou des velléités d’indépendance de jugement par rapport aux questions ayant trait à Israël. Cela est particulièrement visible à travers les précautions extrêmes que prennent aussi bien les démocrates que les républicains dans les élections dans leurs positions par rapport à Israël.

On trouve aussi le même phénomène en France où le système politico-médiatique régnant a pris carrément position pour le premier ministre israélien et contre le président français, leur propre président, quand celui-ci a, récemment, critiqué clairement Israël dans son comportement au Liban et a réclamé un arrêt de livraisons d’armes conjointement à un cessez le feu.

Un condominium israélo-étasunien

La pénétration d’Israël dans le système médiatique étasunien et occidental, s’est développée, à un tel point, que des agents de renseignement israéliens et le Mossad, interviennent désormais directement, au vu et au su de tout le monde dans les médias audiovisuels occidentaux. Tout cela permet de dire qu’il y a une influence autonome d’Israël sur les centres de décision politique de la plupart des pays occidentaux.

Il faut y ajouter l’évolution de la situation au Moyen Orient, la coordination extrême entre les opérations militaires d’Israël et l’action des Etats unis. Elles ne permettent plus de parler uniquement, sur ce plan militaire aussi, d’impérialisme des EU.

On est en fait devant un véritable complexe israélo-étasunien militaire, médiatique, politique. Israël n’y joue plus seulement, comme naguère, un rôle important mais limité et subordonné à la puissance des Etats-Unis, mais un rôle de partenaire, à égalité dans la décision stratégique, C’est une sorte de condominium israélo-étasunien sur la région du Moyen Orient. On a pu remarquer qu’Israël a, même, souvent, l’initiative de décision, et que les Etats Unis suivent ensuite, bon gré mal gré. Israël pèse d’évidence bien plus que tous les autres alliés occidentaux des Etats Unis.

L’empire américano-israélien, une force archaïque

Une question mérite d’être posée. Comment les Etats-Unis et Israël peuvent-ils croire qu’ils peuvent gagner la guerre à Gaza, au Liban et ailleurs, c’est-à-dire soumettre tout le proche Orient ?

Ce genre de victoires est impossible aujourd’hui. Ces victoires étaient possibles dans le passé avec les empires antiques, par exemple l’empire romain, et jusqu’aux empires coloniaux, parce qu’on pouvait dominer alors les peuples dans le silence et l’isolement. Cela a donné l’esclavagisme sur la base duquel se sont construites les sociétés dominantes antiques, la Grèce, Rome. Cela a produit le génocide des Amérindiens, puis l’esclavage en Amérique, et s’est poursuivi avec le développement des empires coloniaux, qui ont été construits à une vitesse fulgurante dans le carnage généralisé.

Si l’on considère les faits, les mouvements de révolte et de résistance populaire ont pu être vaincus dans l’Histoire passée, parce qu’ils étaient isolés, parce que les empires dominaient totalement, que ce soit les empires antiques ou les empires coloniaux. Mais aujourd’hui et depuis la décolonisation et l’essor du mouvement de libération moderne, les mouvements de libération ont des appuis, des bases arrière dans le monde entier.

Vaincre un peuple en lutte contre la domination étrangère, n’est plus possible aujourd’hui. Les Etats-Unis, les occidentaux de façon générale, n’ont pas tiré les leçons du Vietnam, de la guerre d’Algérie, de l’Irak, de l’Afghanistan etc.. Les luttes de libération ont triomphé les unes après les autres malgré un rapport de forces militaires asymétrique, parce elles ont bénéficié de la solidarité gigantesque de l’ensemble des peuples, y compris dans les puissances dominantes, solidarité indirecte, morale et politique, ou solidarité directe en armes et moyens.

De l’Intifadha à Gaza

On ne peut plus ignorer la lutte d’un peuple résistant. Considéré de ce point de vue, le réflexe du peuple palestinien de Gaza, de montrer en direct au monde les images de son martyre, est une arme formidable, comme jamais vue, pacifique, mais dotée d’une puissance extraordinaire. Elle a été trouvée pour sa survie par le peuple palestinien, par son génie de la résistance. C’est le même peuple qui avait inventé l’Intifadha, cette guerre qu’il a menée, armé de simples pierres. Gaza est actuellement à l’apogée de l’internationalisation des combats libérateurs. Il est impossible à Israël et aux Etats Unis de vaincre la Palestine car il leur est impossible de cacher le génocide à Gaza, de l’étouffer. Plus ils tuent, et plus ils se condamnent historiquement. Les tentatives de récidive coloniale en Palestine, au Liban et ailleurs sont inéluctablement vouées à l’échec.

L’esprit génocidaire, l’inhumanité totale, est l’un des révélateurs de l’archaïsme des forces qui s’acharnent sur la Palestine. " Souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait", la phrase prononcée par Netanyahu en référence à une légende biblique, devant son armée, avant de la lancer dans le plus grand massacre humain de l’époque moderne, est significative de cette force archaïque que représente Israël. Netanyahu n’est pas un accident d’une démocratie qui aurait mal fonctionné, il est le visage de cette force, il la symbolise en tant que dirigeant d’Israël.

Mais il y a une deuxième raison à la défaite inéluctable de ces forces archaïques. On ne peut battre un peuple uni, unanime. Aucune force ne le peut. Toutes les entreprises coloniales dans le passé, avaient réussi du fait de la division des populations, divisions tribales, intérêts féodaux comme il en existe encore dans les monarchies arabes, chez qui précisément les Etats Unis et Israël trouvent encore des soutiens. On peut reprocher bien des choses aux républiques arabes, notamment sur le plan de la démocratie et des libertés, mais elles ne présentent pas ce genre de faille quant au sentiment national d’unité arabe.

Les assassinats ciblés de dirigeants

Les assassinats ciblés de dirigeants comme l’a fait Trump pour le général iranien Qassem Soleimani, et comme a continué Israël de le faire régulièrement avec les assassinats de Ismail Haniyeh, chef du Hamas, en pleine négociation avec celui-ci, puis de Hassan Nasrallah et d’autres, son intention exprimée au grand jour et applaudie par les grands médias occidentaux, d’assassiner Ali Khamenei, tout cela est une autre révélation de certains aspects de la culture de guerre du condominium israélo-américain.

Ce sont des mœurs archaïques, étrangères au droit international de la guerre moderne. C’est le retour aux procédés antiques du supplice et de la mise à mort des dirigeants des peuples révoltés, tel que les pratiquait l’empire romain. Les Etats Unis l’ont fait aussi avec Saddam, Kadhafi. En Occident, certains ont même pensé le faire, et l’ont même dit au grand jour avec Poutine (1) le chef de la plus grande puissance nucléaire, ce qui donne une idée de leur folie.

La plus grande source d’inquiétude

Nous avons des forces archaïques qui deviennent de plus en plus féroces, sanglantes, inhumaines, sans aucun repère, sans aucune limite, sans aucun idéal hors celui de l’appétit de richesses, du plaisir sans fin, sans aucun projet de vie de société, mais des forces qui, en même temps, sont dotées d’énormes moyens de destruction, et capables d’anéantir l’humanité, et probablement toute vie sur terre.

Le génocide de Gaza témoigne de cette inhumanité sans limites.

Autour de la guerre en Ukraine, une conflagration mondiale se dessine que les va-t’en guerre veulent cacher à leur opinion publique.

Les formes de technologie les plus modernes, la robotique, l’intelligence artificielle etc. sont détenues par des forces, déclinantes mais puissantes, encore dont la mentalité reproduit celles des forces de conquête et de domination les plus archaïques qu’a connues l’Histoire. Cela fait un mélange explosif, celui du plus haut niveau de technologie avec celui de la plus basse conscience morale et humaine.

C’est, aujourd’hui, l’une des plus grandes sources d’inquiétude.

En fait, l’un des enjeux de notre temps, que ce soit dans les rapports sociaux ou dans le rapport avec la nature, est de mettre à niveau la conscience humaine avec le progrès technologique.
"Science sans conscience n’est que ruine de l’âme", un vieux précepte qui n’a jamais était aussi vrai. Cette citation de Gargantua à son fils Pantagruel, devenue si banale, ressurgit et se révèle aujourd’hui prophétique.


(1) https://www.legrandsoir.info/quand-sur-la-chaine-d-information-lci-on-discute-de-l-elimination-du-president-vladimir-poutine.html
lien vers la video de l’émission : https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=bPF2C-Ozflg

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Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles », avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « A l’ombre des Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). Présentation de l’ouvrage Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la gauche, est qu’il est aujourd’hui entièrement dominé par ce qu’on pourrait appeler l’impératif d’ingérence. Nous sommes constamment (…)
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