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Révolution Bolivarienne N° 12- Juillet-Août 2005.


Bulletin d’informations sur l’Amérique latine, N°12, Juillet-Août 2005

*** *** ***

Pour bien juger des révolutions et des révolutionnaires, il faut les observer de très près et les juger de très loin. (Simon Bolivar).


SOMMAIRE


Extrait du N° 12.
Pour recevoir l’ intégralité du bulletin écrire à bolivarinfos@yahoo.fr.


AMERIQUE LATINE

- "En Amérique latine il ne se passe rien..." Alain Touraine et la sociologie volatile par José Steinsleger, La Jornada 15-06-05


BOLIVIE

- La Révolution en marche par Luis Bilbao, Aporrea 09-06-05


CUBA

- Un livre sauvé de la mer. Prologue à "Ernesto Che Guevara, homme et société. La pensée économique du Che" de Carlos Tablada par Celia Hart Santamaria, Rebelion Opinion/Catedra Che Guevara, 16-06-05


MEDIAS D’EMPIRE

- Médias US anti-Chavez : la Fabrication du Mensonge par Justin Delacour, CouterPunch 01-06-05

- Résister à la Confusion : Le Pontife Michael Shifter et le Venezuela par Julia Buxton, Venezuelanalysis 23-04-05

- Bombes contre Telesur par Antonio Maira/Insurgente, Rebelion.org 03-06-05

- Recensement de quelques articles sur la bataille des médias en Amérique latine


VENEZUELA

SOCIALISME DU XXIe SIECLE :

- Leçons de la Commune de Paris, par Martin Guédez, Aporrea juin 2005.

-La Nation, construction sociale du peuple par Mario Sanoja Obediente et Iraida Vargas-Arenas, Red Voltaire 09-05-05



AMERIQUE LATINE

Alain Touraine* et la sociologie volatile


"En Amérique latine il ne se passe rien..."


Par José Steinsleger, La Jornada (Mexico) du 15-06-2005.

 Lire l’ article ICI


Bolivie : la Révolution en marche


Par Luis Bilbao*, Buenos Aires, Aporrea.org 9 juin 2005.


Le mécanisme qui soutenait jusqu’au 7 juin le président démissionnaire Carlos Mesa étant brisé et irréparable, les forces de la révolution se déploient en Bolivie : ouvriers, paysans et indigènes occupent les champs pétrolifères à Santa Cruz de la Sierra et à Sisa Sica, empêchant l’acheminement du brut à destination d’Arica ; La Paz continue d’être occupée par les mineurs, les jeunes et les habitants d’El Alto ; des milliers de paysans et d’indigènes accourent pour bloquer les accès à Sucre, où cherche à se réunir le Congrès dans une tentative désespérée des classes dominantes de soutenir l’échafaudage d’un pouvoir qui s’effondre.

Le moyen pour affronter l’insurrection populaire ne réside pourtant dans le successeur de Mesa. Les disputes pour savoir s’il faut confier le mandat au président du Sénat, à celui de la Chambre des Députés ou au président de la Cour Suprême de Justice — ce dernier pourrait convoquer des élections anticipées — sont seulement des arguties pour gagner du temps. En Bolivie comme à l’étranger, le capital sait que face à la révolution, il ne subsiste que deux recours : la désagrégation territoriale du pays et l’intervention militaire de l’extérieur. En réalité le premier de ces moyens — et les conséquences immédiates qui en résulteraient — pourrait être l’excuse pour le second.

Pour cela le chef du Commandement Sud de l’armée étasunienne, le général Ben Craddock, est arrivé par surprise à Buenos Aires de manière coïncidente avec la démission de Mesa et sa demande au Brésil et à l’Argentine d’intervenir dans la résolution de la crise. Craddock a évalué sa réponse auprès des chefs des armées du Mercosur y inclus de Bolivie, pendant que les gouvernements de Nestor Kirchner et de Lula da Silva envoyaient leurs médiateurs respectifs Raul Alconada et Marco Aurelio Garcia.

Ce sont là les trois forces protagonistes d’un moment crucial pour la région : ouvriers, paysans et indigènes d’un côté ; de l’autre l’impérialisme étasunien dans son expression la plus crue de menace militaire ; et deux gouvernements-clé auxquels on propose une solution analogue à celle employée pour Haïti, à savoir envoyer des troupes sous une double excuse : "maintenir la paix, aider à la démocratie", et "empêcher que ce soient les Etats-Unis qui interviennent militairement en Bolivie".

Ces arguments, en réalité, furent d’abord ceux de Brasilia et de Buenos Aires pour justifier l’envoi de leurs propres troupes à Haïti, et ils y ajoutèrent un discours souverainiste et même anti-impérialiste. Mais si pareille tromperie a pu jusqu’à un certain point être dissimulée à la population, sa répétition au sujet de la Bolivie ne se présente pas sous les mêmes auspices et si d’aventure elle était reproduite, les deux gouvernements seraient ouvertement et immédiatement identifiés comme des instruments de la contre-révolution manipulés pour juguler le juste soulèvement d’un peuple en défense de ses richesses naturelles pillées durant cinq siècles et déterminé à prendre son destin en mains.

Il en résulte que ce qui se joue en Bolivie, outre la révolution nationale, participative et anti-impérialiste qui affronte dans les rues les entreprises multinationales et les capitalistes locaux, c’est la définition concrète de deux gouvernements qui, nés d’une volonté populaire analogue ont emprunté le chemin sinueux du double discours et de la vaine recherche d’une troisième voie entre la révolution et la contre-révolution. Pendant ce temps en Bolivie les forces insurgées cherchent à définir un programme d’action commun et à faire émerger un centre effectif de pouvoir alternatif. De l’intelligence et de l’audace déployées pour cela dépend dans une grande mesure le cours des événements immédiats.

Mais, en toute hypothèse, la révolution est en marche. Il est impératif d’agir rapidement dans le sens de l’articulation d’un bloc anti-impérialiste destiné à couper l’herbe à la stratégie étasunienne d’intervention militaire directe ou indirecte. En Bolivie les Etats-Unis vont chercher par la guerre et la désagrégation à reprendre une initiative stratégique perdue face à la dynamique de convergence sud-américaine. Il est urgent d’engager une action unitaire et énergique de dénonciation et de conscientisation dans toute l’Amérique du Sud, qui explique l’importance des enjeux. Les partis et organisations membres du Forum de Sao Paulo (qui se réunissent le 1er juillet) doivent se prononcer sans délai contre toute intervention diplomatique et/ou militaire étrangère en Bolivie. Il est nécessaire aussi de refuser de rentrer dans le système des propositions de médiations, qui en apparence supposent que les masses boliviennes sont incapables de définir elles -mêmes leur propre route, mais qui en réalité sont destinées à faire plier la volonté révolutionnaire qui les animent.

Un mouvement de la plus grande ampleur possible doit venir immédiatement signifier au sieur Craddock qu’il s’en aille de Buenos Aires et aux militaires de la région qu’ils ne doivent pas suivre la voie de l’impérialisme contre leurs peuples. La jeunesse, tous les hommes et femmes conscients de l’heure capitale que nous vivons, doivent faire savoir aux gouvernements et aux organisations politiques que le plus petit pas en direction d’une intervention étrangère en Bolivie mettra en marche une force encore plus puissante : des racines de notre histoire, de toute l’Amérique latine, des dizaines et des centaines de milliers formeront des brigades internationales prêtes à reprendre le fusil du Che.


*Luis Bilbao, journaliste argentin, est directeur de la revue Critica de Nuestro Tiempo et rédacteur d’El Diplo, édition Cône Sud du Monde Diplomatique, basée à Buenos Aires.


 Traduit du castillan par Gérard Jugant


CUBA


Un livre sauvé de la mer : La pensée économique du Che.


Par Celia Hart Santamaria, editorial Ciencias Sociales Rebelion du 16 juin 2005 (Catedra Che Guevara) .


 Lire l’ article ICI


MEDIAS D’EMPIRE


Medias US Anti-Chavez : la Fabrication du Mensonge.


Par Justin Delacour, CounterPunch, 1er juin 2005.


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Résister à la Confusion : Le Pontife Michael Shifter et le Venezuela.


Par Julia Buxton, Venezuelanalysis.com, 23 avril 2005.


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Bombes contre Telesur ?


Avant même le projet de télévision latino-américain en marche, les Etats-Unis le dénonce comme "un instrument de la propagande autoritaire du président Chavez".


Par Antonio Maira/Insurgente, Rebelion du 3 juin 2005


Il leur a manqué de temps. Telesur, un projet lancé par le Venezuela, l’Uruguay, l’Argentine et Cuba, qui entend mettre fin au monopole virtuel de CNN sur le continent américain---comme source pourvoyeuse d’informations et d’opinions, et comme chaîne continentale en langue espagnole---, déclenche l’ire de l’Empire. Le nouveau média latino-américain a procédé à ses premiers essais le mardi 24 mai. A peine quelques heures plus tard le président du Comité des Relations Extérieures du Sénat des EU, Richard Luggard, a ouvert le jeu des avertissements et menaces, auquel se joindra vraisemblablement d’ici peu l’allié fidèle : l’Union Européenne. L’indépendance des pays latino-américains ne plaît pas du tout aux Etats-Unis. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : "Pour la première fois nous allons nous voir nous-mêmes, de nos propres yeux, et montrer au monde ce que nous sommes", a expliqué dans divers interviews l’Uruguayen Aram Aharonian, le directeur de la chaîne, qui a p ar ailleurs défini Telesur comme "le premier projet contre-hégémonique à caractère massif en Amérique latine". La diffusion des cultures latino-américaines et indigènes est une autre caractéristique fondamentale du projet.

Tout projet latino-américain qui échappe à la toujours servile OEA (Organisation des Etats Américains) est immmédiatement foudroyé par les EU. A plus forte raison s’il s’agit de mettre sur pied un réseau d’informations via satellite, prioritairement consacré à des nouvelles, documentaires, reportages d’investigation et films principalement sur l’Amérique latine, comme l’a expliqué Jorge Botero, le directeur de l’information de Telesur. Telesur est une chaîne de télévision qui, avec ses ressources propres, entend concurrencer les chaînes latines transmettant depuis les EU, comme CNN en espagnol. Le "Falsimedia" (néologisme désignant, en Amérique latine lesmédias privés déversant un torrent d’ informations mensongères, ndt) latino-américain, au service des oligarchies, utilise comme fer de lance contre le projet les médias privés du Venezuela. Ils ont un discours bien huilé et l’expérience.

Pour ce qui est du discours, on se souvient qu’ils se sont opposés bec et ongle à la reconnaissance constitutionnelle du droit humain à une "information véridique" et plus tard à la loi de Responsabilité Sociale des Médias, établissant le lien entre la grande propriété privée de ceux-ci et la Liberté de l’Information. Aujourd’hui ils prétendent que Telesur n’offrirait que la vision des gouvernements qui l’ont mise en marche, en particulier celle d’Hugo Chavez.

Pour ce qui est de l’expérience, les médias vénézuéliens ont été impliqués directement dans le coup d’Etat et dans les différentes tentatives pour renverser le président démocratique du Venezuela. Ils sont allés jusqu’à construire les scénarios des coups successifs : celui du 11 avril 2002, celui du lock-out patronal/sabotage pétrolier de décembre 2002-janvier 2003, celui de la "guarimba" (action violente, de type fasciste, de l’opposition sur le territoire vénézuélien, ndt), les transformant en Ordres d’Opération, avec plus ou moins de bonheur. Dans le Golpe médiatico-militaire d’avril 2002, ils ont fabriqué une réalité sur les écrans en manipulant les faits de la rue.

L’affaire des menaces du président du Comité des Relations Extérieures du Sénat affirmant que "la chaîne est un instrument de la politique autoritaire de Chavez" n’est pas à prendre à la légère. Il y a des précédents pas si anciens sur les suites de pareilles inimitiés : souvenons-nous des bombardements contre la télévision yougoslave ou contre Al Jazeera.

La télévision latino-américaine pose une question fondamentale. "C’est une question d’optique", ont indiqué ses dirigeants Aharonian et Botero. De fait, nombre d’agences latino-américaines ont expréssement introduit le label "Optique américaine" au lieu du label occulte "Made in USA" des informations diffusées sur le continent par Falsimedia. "C’est un problème d’optique. Eux, ils voient l’Amérique latine de chez eux. Nous voulons voir notre continent de notre continent, nous voulons que nos caméras aillent là où jamais ils ne vont", a expliqué Jorge Botero, qui a aussi souligné que " nous devons garantir l’indépendance ; de l’intérieur du projet, nous sommes déterminés à nous battre pour cette indépendance".

Telesur va continuer à faire des essais jusqu’à la mi-juillet. A partir de cette date, la chaîne va commencer à diffuser quelques programmes. En septembre, elle émettra 24H/24 avec la programmation complète.

 Traduction du castillan de Max Keler.


Quelques articles en français sur les médias et le Venezuela


(accessibles sur internet)

 Vérités et mensonges sur la loi sur les télécommunications au Venezuela, par Renaud Lambert, Acrimed, 13-01-05

 Impact du monopole des médias traditionnels sur l’information au Venezuela, par Eva Golinger, OFM (Observatoire Français des Médias).Ce texte de l’avocate newyorkaise Eva Golinger contient une analyse très utile du droit de la presse aux Etats-Unis, au regard notamment du principe fondamental de liberté proclamé par le Premier Amendement et du principe d’impartialité reconnu constitutionnel par la Cour Suprème depuis une décision de 1969, ainsi que de certaines normes de droit international.

 Les médias et la réalité vénézuélienne, par Pascual Serrano, Risal, 17-05-2004.

Un discours passionné et passionnant, avec des preuves par le texte et l’image.

 Un nouveau modèle de communication en marche au Venezuela, Lionel Mesnard, Cyber-journalistes.org, 21-04-05.

 Alexandre Adler, fidèle messager de Washington, par Jérôme Métellus (PCF), La Riposte, 15-06-05.Une réplique cinglante au brûlot d’Adler "Les tentations de Chavez" (Le Figaro du 11-05-05).

 Grossier, indécent et creux... une strychnine mastiquée, ruminée, idéologique, par Franz J.T. Lee, Révolution Bolivarienne n° 11 mai-juin 2005 ; Le Grand Soir, 05-06-05.Une analyse du philosophe et universitaire du Venezuela Franz J.T. Lee face aux élucubrations du lieutenant-colonel étasunien Gordon Cucullu.

 Les enjeux du Venezuela, par Danielle Bleitrach, Le Grand Soir, 15-08-2004Cet article n’est pas consacré aux médias, mais il resitue la bataille des médias dans les enjeux globaux du Venezuela.


VENEZUELA

SOCIALISME DU XXIe SIECLE :


Leçons de la Commune de Paris


Par Martin Guédez , Aporrea juin 2005.


L’histoire est un prophète qui regarde en arrière. Oublier les leçons de ce prophétisme particulier c’est prendre un billet assuré pour la défaite de tout processus révolutionnaire. L’épisode aussi héroïque que terrible de la Commune de Paris est une page de l’histoire qui hurle aux oreilles de tous les révolutionnaires. Le peuple français a eu entre ses mains l’occasion extraordinaire de donner un tour magnifique à sa soif d’égalité, de justice, d’inclusion et de liberté. Il l’a eue, mais elle s’est perdue. D’autres peuples du monde l’ont également eue et la perdirent, l’ont et peuvent la perdre pour ne pas apprendre par quels mécanismes le succès peut tourner au désastre.

Il est arrivé à la Commune ce qui arrive à beaucoup d’autres mouvements populaires, le chemin qui s’est ouvert dans une spontanéité surprenante s’est découvert des motivations et des buts nouveaux et plus conscients. La guerre perdue par la France face à la Prusse en 1871, et les engagements pécuniaires qui suivirent, contractés par Adolphe Thiers avec le vainqueur pour obtenir le retrait des troupes prussiennes du nord de la France, l’on conduit à proposer une augmentation générale des impôts qui, jointe à la nécessité d’imposer l’ordre à Paris dans un cadre de refus de la victoire prussienne, ont constitué le déclic de la révolte.

Le peuple parisien n’accepta pas la victoire prussienne et par voie de conséquence se refusa à honorer les obligations acceptées par Thiers. Cette résistance à la défaite représenta rapidement un défi incontrôlable pour le gouvernement installé à Versailles. Le peuple, avec la garde nationale, distribua sans délai les canons abandonnés par l’armée régulière dans les quartiers parisiens. Un peuple, désormais armé, c’était ce qu’il fallait pour une révolte en bonne et due forme. Thiers déclara que la vie normale, le commerce, et les opérations financières ne reprendraient qu’une fois "les misérables anéantis, les canons et les armes récupérés". Il est intéressant de relever l’habitude qu’ont les classes privilégiées d’utiliser des termes méprisants quand ils parlent du peuple. Aujourd’hui ils l’appelle populace, plèbe ou tourbe... Ils n’ont pas changé !

C’est précisément la tentative de reprendre les armes de la Garde Nationale qui fut le détonateur de la révolution. Le peuple de Paris qui se réveillait ce samedi matin, comme une ruche effervescente, se mit à affronter les soldats. A nouveau la mémoire nous restitue des épisodes populaires remplis d’une belle et irrésistible spontanéité, comme le 27 février 1989 ou le 13 avril 2002 à Caracas [1]. Comme le peuple est grand ! Le refus de la troupe de tirer sur le peuple à Montmartre, allant même jusqu’à fusiller son propre commandant, acheva de totalement retourner la situation. Ayant perdu confiance dans la loyauté de ses soldats, Thiers abandonna Paris et procéda à l’évacuation du gouvernement et des troupes vers Versailles.

Cette nuit-là , l’édifice de l’Hôtel de Ville, siège de la municipalité, fut pris en même temps que les autres édifices publics de la capitale. Dès ce moment commença un processus dangereux, fruit du manque de consistance et de la diversité idéologique des leaders. Au milieu d’une grande confusion, la décision fut prise d’occuper le siège du gouvernement à l’initiative de Brunel et des Blanquistes, non sans la résistance dubitative de Bellevois, ce dernier n’étant rien moins que le chef du Comité de la Garde Nationale. L’absence de cohérence du commandement fit de Paris un désordre total avec un peuple agissant sans ordre ni concertation. De nouveau l’inconsistance idéologique du leadership s’avéra fatale. Alors que les révolutionnaires les plus conséquents, comme Duval, Eudes, Brunel [2] et en général tous ceux de Montmartre voyaient clairement qu’il fallait marcher sur Versailles et asséner le coup final à l’ennemi, le Comité central de la garde nati onale, aux mains de secteurs moins radicaux se préoccupait de la légalité du pouvoir que le peuple avait mis entre ses mains. Ainsi, au lieu de marcher sur Versailles [3], ils engagèrent des négociations avec le vieux corps constitutionnel pour procéder à des élections.

Aujourd’hui comme hier, un vrai révolutionnaire devrait se poser la question qu’on attribue à un Communard : Que signifie la légalité par temps de révolution ? Les faits ont donné la réponse. La ligne légaliste a affecté le corps révolutionnaire tel un doux venin destiné à tuer la radicalité nécessaire et producteur de confusion. Il a fallu que Moreau [4], une figure respectée de la littérature, persuade le Comité central, au cri de "Vive la Commune" pour qu’au moins, il n’abandonne pas l’Hôtel de Ville, car le désarroi et l’émotion produits par une situation qui le dépassait, lui suggérait d’abandonner l’édifice emblématique en courant.

Iest certain que le courant "légaliste" eut son heure de gloire. Evidemment ! Les élections furent gagnées très nettement par la classe ouvrière. La Commune s’installa, de manière très formelle, à l’Hôtel de Ville et les bataillons de la garde nationale lurent les noms des élus, lesquels vêtus de rouge firent leur entrée dans l’Hôtel de Ville pendant que les canons annonçaient la proclamation "légale" de la Commune de Paris. La scène était émouvante mais... c’était là , fatalement, l’inexorable commencement de la fin.

Les membres de la Commune, inexperts en politique, enveloppés dans cette charmeuse profusion des formes politiques bourgeoises, se plongèrent dans des débats insipides ou dans d’aigres discussions en négligeant la direction politique. Les meilleurs efforts d’hommes comme Blanqui [5] échouèrent, ce dernier étant détenu par la police, pendant que les secteurs ouvriéristes se perdaient sans organisation ni moyens de combat, laissant la voie libre aux représentants petits-bourgeois.

L’ennemi dont l’existence était autorisée par le légalisme "opportun", donna rapidement des signes de vie. La Commune s’installa le 28 mars et dès le 2 avril les troupes de Thiers commencèrent l’attaque. L’ennemi, ignoré, pardonné, et peut-être aussi sous-estimé, se payait de l’erreur. Le manque de radicalité de la législation sociale de la Commune, plus réformiste que révolutionnaire, ne lui était d’aucun secours. L’ennemi de classe ne comprenait pas, et encore moins pardonnait. C’est là une bonne donnée pour ceux qui de nos jours cherchent des mesures acceptables pour la bourgeoisie nationale, par crainte de sa colère. Ce qui se fit en ce qui concerne l’annulation des loyers durant la période du siège, sans toucher à la propriété privée, ou le délai de paiement sur trois années des échéances impayées, plutôt que de proscrire les dettes, ou l’instauration de bourses d’emplois, qui n’étaient affectées qu’aux mairies (d’arrondissement), ou la formation de coopératives ouvrières, sans toucher les importantes fabriques des grands capitalistes, fut suffisant pour provoquer la colère de la grande bourgeoisie. Les clins d’oeil n’ont pas servi à grand chose.

Thiers et la grande bourgeoisie n’avaient aucun doute... la Commune de Paris devait être écrasée, point. Cette vision était partagée par la grande bourgeoisie européenne inquiète de l’exemple de la Commune. Le gouvernement allemand menaçait d’employer ses armées si Thiers ne se dépêchait pas de détruire la Commune. La grande bourgeoisie comprit rapidement et clairement que la Commune constituait un défi socialiste inacceptable. Les doutes, la douceur complice des mesures communales ne leurra à aucun moment cette grande bourgeoisie. C’est une autre donnée à bien prendre en compte pour notre époque. Si notre révolution l’est bien, et elle doit l’être, ils ne renonceront jamais à leurs plans pour l’écraser. Les tripotages ne servent à rien.

La Commune devint une grande fête populaire. Le peuple, immergé dans son festival libérateur, excité jusqu’au paroxysme, festoyant comme dans un rêve, perdit de vue le but fondamental de sa raison d’être : l’instauration d’une société égalitaire, socialiste et libre. Un temps précieux fut perdu, et en dépit de forces populaires considérables, aucun plan ne fut établi dans l’éventualité de l’entrée des troupes dans Paris. Ce qui était le plus prévisible ne fut pas prévu dans cette ivresse de rêves et le travail de diversion de l’ennemi séculaire fut efficace. Ce fut ainsi que les forces du gouvernement entrèrent dans Paris, au milieu des plus amères et sanglantes luttes de rues sans perspective de victoire.

Ce qui devait advenir était déjà scellé, ce n’était que question de temps. Le peuple communard se préparait pour l’holocauste. Les barricades se dressèrent dans le centre de Paris. Les enfants apportaient des charrettes de terre et les prostituées des Halles aidaient à remplir les sacs. Des pierres amassées, un canon ici et une mitrailleuse là plus le Drapeau Rouge ondoyant en haut. Une scène d’une incroyable plasticité pour l’histoire du sacrifice des peuples. Un sacrifice de plus... Le peuple devait payer de son sang les erreurs de ses leaders. Et comment ! Une orgie de sang et de mort, des rues entières incendiées, Paris en flammes. Du côté de Saint Germain, à plus de 15 kilomètres de Paris, les gens se réunissaient pour voir le spectacle de Paris brûler. Le samedi dans la matinée la bataille s’arrêta, les exécutions non. Quiconque avait été en rapport avec la Commune était fusillé. Il y eu plus de morts que dans les plus sanglantes des guerres et d es milliers d’emprisonnés.

Les conséquences des erreurs commises dans la direction de la Commune, nous seulement mit fin à des milliers de vies et de rêves en France, mais aussi eut des conséquences tragiques pour tout le mouvement ouvrier français et européen. La bourgeoisie avait appris la leçon. La répression qui suivit la Commune fut désastreuse tant pour le mouvement ouvrier que pour l’Internationale. Pendant des années, la police au service de l’appareil bourgeois, disposant de pouvoirs quasi illimités, se consacra à la poursuite de tous les activistes politiques, tandis que le système judiciaire les condamnaient aux peines les plus dures pour n’importe quelle vétille. En quelques années, les meilleurs leaders du mouvement ouvrier étaient soit prisonniers soit morts.

Une leçon indispensable pour ceux qui aujourd’hui sont engagés dans notre Venezuela à la construction d’un modèle économique et social nouveau. L’ennemi bourgeois est plus habile et beaucoup plus puissant que certains voudraient le croire. Ils n’éprouvent pas la moindre miséricorde dans leurs coeurs endurcis par l’argent et l’ambition démesurée. Ils font semblant, sont de bons simulateurs, impitoyables pour faire payer la facture. Ils sont maîtres dans l’art du mal. Comme le diable..... plus ils sont vieux plus ils sont pervers.

N.d.T.

[1] Le 27 février 1989 le peuple de Caracas se soulève contre la politique néo-libérale du président Carlos Andrés Pérez. C’est le Caracazo. La répression fait plus de 3000 morts.

Le 13 avril 2002, journée mémorable, le peuple vénézuélien et les militaires loyalistes l’emportent sur les putschistes et libèrent le président Chavez

[2] Duval, Eudes, Brunel étaient blanquistes. Ces derniers étaient majoritaires dans la Commune. La minorité de la Commune était constituée de membres de l’Association Internationale des Travailleurs, qui pour la plupart étaient proudhoniens. L’influence marxiste était réduite.

[3] Marx parle à ce sujet de "faute décisive" (La Guerre civile en France)

[4] Cf. le livre de Marcel Cerf, "Edouard Moreau, l’âme du Comité central de la Commune", Paris, Spartacus, 1975. Moreau sera fusillé par les Versaillais à la caserne Lobau.

[5] Blanqui avait été arrêté la veille de l’insurrection du 18 mars et sera emprisonné tout le temps de la Commune, Thiers ayant refusé de l’échanger, notamment contre l’archevêque de Paris, sachant, comme le souligne Marx "qu’avec Blanqui il donnerait une tête à la Commune".


 Source : www.aporrea.org/damaletra.php ?docid=14800


 Traduction du castillan (Venezuela) de Max Keler.


Le socialisme du XXIe siècle et la question nationale au Venezuela


La Nation, construction sociale du peuple


Par Mario Sanoja Obediente et Iraida Vargas-Arenas*


Red Voltaire 9 mai 2005.


La Nation, plus qu’une structure, est un processus historique, une construction sociale des hommes et des femmes qui luttent pour créer par la force de leur travail les conditions matérielles et spirituelles qui garantissent leur survivance et leur continuité comme communauté sociale (Leopoldo Marmora, 1986. Le Concept Socialiste de Nation).

... Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement ... ils la font dans les conditions directement données et héritées du passé (Karl Marx. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte).


L’origine de la nation et son développement est un processus en gestation tout le long de l’histoire des peuples. En ce sens elle a aussi une définition spatiale par l’assignation à une société d’un territoire physiquement et politiquement déterminé, par une ascendance et une histoire commune et-fondamentalement-par une forme d’identité culturelle qui s’exprime dans la possession d’une langue commune et d’un mode de vie partagé permettant d’intégrer la variété des formes de vie quotidienne-privée ou publique-qui donnent sa spécificité à l’existence de ce peuple.

Pour que la nation existe avec toutes ses manifestations culturelles, sociales et politiques, il est imprescriptible qu’existe dans le peuple la conscience de l’histoire de ladite nation. S’autoproclamer Vénézuélien-ne par la simple contingence d’être né dans ce pays est un droit constitutionnel qui doit se transformer de manière concrète via la socialisation de l’individu. Apprendre des autres citoyens et accepter de partager avec eux une culture commune et des sentiments de loyauté à l’égard de son peuple et de son pays est le résultat de l’éducation tant informelle que formelle. C’est ce qui permet aux citoyens d’intérioriser et d’accepter les fondements historiques d’un peuple et d’une nation déterminée.

Se sentir Vénézuélien-ne est le résultat d’un exercice de conscience réfléchie via la connaissance et la participation active de la construction quotidienne du processus historique de la Nation. Cet exercice réfléchi doit être stimulé auprès de l’individu et des collectifs de citoyen-ne-s par les institutions éducatives formelles et informelles que sont la famille, l’école, le baccalauréat, l’université, les musées d’histoire, de science, de technologie, les musées d’art, les musées des communautés, les moyens de communication sociale et autres recours didactiques. Cela ne peut se réaliser que dans la mesure où ces institutions répondent à un projet culturel organique, à l’intérêt commun de vouloir enseigner aux citoyen-ne-s les façons de comprendre, d’apprécier et d’aimer leur pays, leur patrie. Pour comprendre le processus de formation de la nation et le communiquer au collectif des citoyen-ne-s via l’éducation formelle ou informelle il est nécessai re de faire des recherches à son sujet et de l’étudier par des critères conceptuels cohérents.

L’Histoire est le processus global qui rend compte du développement de la société et du travail humain, ainsi que des conditions matérielles et spirituelles de son existence. En ce sens, l’histoire géologique du territoire, des caractéristiques des sols, du relief, du biotope et du climat, permettent de comprendre les facteurs qui constituent le cadre où a dû se construire la vie sociale et culturelle d’un peuple. Les fouilles archéologiques, la succession de strates et de couches culturelles où s’accumulent les restes matériels des sociétés antiques, constituent les archives documentaires qui précèdent l’apparition des registres écrits.

Dans le cas vénézuélien, nous nous référons : aux communautés de cueilleurs-chasseurs et pêcheurs archaïques qui remontent à la fin de la période Pléistocène, il y a 13.000 ans ; aux premières communautés de cultivateurs-cueilleurs sédentaires apparues sur la scène historique il y a 4600 ans ; aux sociétés agro-potières, égalitaires et complexes, qui se développèrent sur le territoire vénézuélien il y a 3000 ans ; à l’expansion du système capitaliste européen à compter de la fin du XVe siècle, qui donna lieu à la domination coloniale sur les ethnies originaires, sur les noirs et sur les métisses ; enfin, suite à la lutte des peuples hispano-américains pour s’affranchir de la relation coloniale avec les empires espagnols, anglais et français au XIXe siècle, en ce XXIe siècle, commence à monter en puissance la lutte pour rompre définitivement le statut néo-colonial que nous a imposé l’empire anglo-étatsunien depuis le milieu du XIXe siècle.


Société Néo-coloniale et Révolution

Le développement de la Nation est indissolublement lié au processus historique mondial. Cependant, les conditions historiques et matérielles dans lesquelles s’engendre chaque nation sont contingentes, originales et toute société doit les traiter et les transformer conformément à ses intérêts particuliers et à son niveau de développement socio-historique. Dans le cas précis du Venezuela le développement de la nation et de l’Etat national se fit sur la base des conditions socio-historiques produites par les sociétés originaires égalitaires, par le contingent des conquérants et colonisateurs ibériques, par le contingent des noirs africains esclavagisés et vendus comme de la marchandise au Venezuela, et par la majorité de la population métisse.

Pour ces raisons, ni la nation vénézuélienne, ni l’Etat national ne reproduisirent l’Etat métropolitain espagnol, mais une réalité sociale concrète totalement différente et antagonique à la métropole coloniale. Etant donné l’hétérogénéité ethnique, culturelle, économique et sociale du Venezuela, les gouvernements de la IVe République s’efforcèrent au cours du XXe siècle de consolider les faibles institutions politiques surgies de la sanglante et longue guerre d’indépendance, et la structure socio-culturelle et l’intégrité territoriale de la nation. La bourgeoisie républicaine naissante, pour sa part, se trouvait fragmentée en divers groupes qui luttaient sans succès pour imposer leur hégémonie à la totalité de la population.

A compter du début du XXe siècle, l’importance croissante prise par le pétrole dans la vie économique et sociale vénézuélienne détermina l’établissement de nouvelles formes néo-coloniales de relations économiques et politiques avec le système capitaliste mondial. Le résultat fut la consolidation de l’hégémonie nationale du secteur de la bourgeoisie établie dans le centre-nord du Venezuela. Une conséquence importante fut la rupture définitive du système économique hérité de la société coloniale, suivie d’une pénétration substantielle du capital étranger dans la nouvelle économie vénézuélienne, la modelant pour qu’elle soit au service inconditionnel des intérêts de l’impérialisme anglo-américain.

L’objectif central de la bourgeoisie établie dans le centre-nord du Venezuela, territoire correspondant grosso modo à celui de l’ancienne Province de Caracas, était de parvenir à constituer un bloc hégémonique qui puisse prendre le contrôle politique, idéologique et économique de toute la nation vénézuélienne avec l’appui politique-principalement-des transnationales pétrolières étasuniennes. En contrepartie la bourgeoisie et postérieurement aussi les partis politiques vénézuéliens acceptèrent d’être les exécuteurs soumis des commandements politiques des transnationales et du gouvernement étasunien.

La soumission de la bourgeoisie et des partis politiques à une relation néocoloniale avec les centres de pouvoir de l’empire se traduisit par une renonciation à la souveraineté nationale et étatique. L’impact de la rente pétrolière dans la constitution d’une classe moyenne et d’une grande bourgeoisie de plus en plus inclinée à la consommation, favorisa le surgissement d’une "culture du pétrole" [1] qui les enferra dans leur imaginaire néo-colonisé.

Etant donné que "les professionnels, techniciens et gérants" qui formèrent l’appareil gouvernemental venaient pour l’essentiel de ces secteurs sociaux, l’idéologie de l’Etat vénézuélien se dénationalisa progressivement pour atteindre son expression majeure dans le projet politique puntofijiste (Le Pacte de Punto Fijo, dit de "gouvernabilité", conclu en 1958 par les partis AD, COPEI et URD, fixait les règles du jeu politique, excluant le parti communiste. Ce partage du pouvoir "démocratique", quel que soit le résultat des élections, avait été préparé au préalable au cours d’une réunion secrète à New York, ndt). La dépendance politique qui en résulta, loin de consolider internement la prétention de la bourgeoisie à se transformer en un bloc hégémonique, stimula aussi la formation de mouvements politiques multi-classistes et anti-impérialistes de différents types qui cherchèrent, dans un premier temps, à démocratiser les structures et méthodes pol itiques nationales, à obtenir la nationalisation de l’industrie pétrolière et la création d’un bloc industriel autonome.

Depuis le XIXe siècle la majorité de la société vénézuélienne avait fait du mot Révolution l’icône des luttes sociales. Bien que son contenu n’était pas encore clairement explicite, cette majorité pluri-classiste ne cachait pas son désir profond de transformer un ordre social qu’elle estimait injuste.


Culture et Question Nationale

La révolution sociale, le socialisme en particulier, ne peuvent aboutir comme produit d’une seule classe sociale, dans des sociétés aussi diversifiées que la société vénézuélienne. Le processus politique qui doit nous conduire vers la construction d’une société nouvelle doit aussi forcément nous conduire à lutter et à gagner toutes les batailles démocratiques qu’il impose. A la différence d’autres projets révolutionnaires surgis de l’expérience appelée le socialisme réel, la lutte du peuple vénézuélien pour donner à la démocratie participative son contenu de solidarité et de justice sociale doit nous rapprocher toujours plus de la société nouvelle. Le socialisme du XXIe siècle doit être conçu comme un processus destiné à mettre entre les mains des citoyen-ne-s le pouvoir de décider et de planifier leur destin et par là -même le destin de la nation.

La lutte pour consolider la démocratie sociale, comme on l’a vu au Venezuela, peut se transformer en facteur de stimulation du processus de changement historique, dans la mesure où la révolution bolivarienne consolide-via les différentes missions-l’action des collectifs contre l’idéologie d’exclusion qui anime le bloc oligarchique vénézuélien.

Les 80% de la population vénézuélienne, les collectifs populaires sempiternellement exclus, constituent des groupes ethniques qui ont une territorialité définie, qui vivent et souffrent dans des conditions matérielles et aussi écologiques différentes de celles des classes moyenne et supérieure, ont une origine sociale, une culture quotidienne publique et privée, des formes de langage oral et gestuel et une vision du futur propre. Dans le langage scientifique, les anthropologues considèrent qu’il s’agit d’une ethnicité contrastante avec les autres collectifs sociaux vénézuéliens. Le groupe ethnique des exclus n’est pas non plus culturellement homogène. La majorité de la population indigène vénézuélienne vit en zone urbaine, en particulier à Maracaibo, Puerto Ayacucho, Puerto Ordaz, Ciudad Bolivar et Tucupita. Des segments importants de population guyanaise, de culture hindi, amérindienne, ou agro-guyanaise, vivent à Puerto Ordaz et dans d’autres villes des Etats de Bolivar et du Delta Amaruco.

Dans nos principales villes, la population vénézuélienne de troisième et de quatrième génération s’est amalgamée avec les Colombien-ne-s (notamment ceux venant de la côte atlantique), les Equatorien-ne-s, Dominicain-ne-s et autres, nés dans leur pays d’origine ou Vénézuélien-ne-s de première et seconde génération.

La politique d’exclusion sociale qui a dominé durant toute la IVe République, a confiné ces populations dans des ghettos urbains, favorisant une forme sui generis d’unité de cette diversité de formes culturelles. Ces populations n’ont toutefois pas, par elles-mêmes, une caractéristique révolutionnaire. Elles n’acquerrons cette qualité que dans la mesure où leur propre culture parviendra à correspondre concrètement avec leurs intérêts en tant que classe sociale, avec son niveau de conscience historique, motivée pour agir comme classe sociale en soi, comme symbole idéologique d’une situation historique déterminée [2]. En ce sens, la résolution de la Question Nationale conçue comme normalisation des conditions nationales de production, de distribution, d’échange, de consommation et de reproduction de l’être social via les différentes missions, est fondamentale pour préparer et consolider le projet socialiste vénézuélien du XXIe siècle.

Ce n’est pas un hasard si l’objectif national principal des Présidents Chavez, Lula et Kirchner, tout comme celui de la lutte du peuple bolivien contre l’oligarchie qui les exploitent et les méprisent, est justement la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Ce n’est pas non plus un hasard si l’objectif de la politique néo-libérale et concrètement des Traités de Libre Commerce que cherche à nous imposer l’administration Bush, est d’atteindre le contraire : approfondir l’exclusion, la misère et le retard des grandes masses latino-américaines.

Ce n’est pas encore un hasard si par l’inertie du projet politique puntofijiste on continue à appliquer le concept de politique culturelle qui, au profit d’une minorité, empêche les collectifs exclus-qui forment la majorité de la population vénézuélienne-de reconnaître par la culture-action les intérêts de classe qui soutiennent leur unité politique, d’assumer la reconnaissance réciproque de leur communauté d’intérêts comme classes exploitées.

Ce n’est toujours pas un hasard si la dénommée "Culture Elitiste"-par naïveté ou ignorance-favorise et officialise particulièrement les formes culturelles qui ont été induites par le bloc social dominant. Celles-ci, qui constituent un supposé appendice de la dénommée culture occidentale, contribuent à développer la discrimination sociale des travailleurs urbains qui sont, en majorité, des mulâtres, des noirs ou des indigènes, d’origine paysanne, excluant et détruisant progressivement leurs symboles culturels. La malheureuse proposition de "leur apporter la culture" est, en ce sens, un euphémisme que cache l’assistantialisme animateur de la nomenklatura culturelle intéressée à ce que les exclus pauvres se résignent, en récompense de leur passivité, à ramasser quelques restes de la culture des classes dominantes, dégonflant ainsi la vigueur des mouvements revendicatifs populaires.


Question Nationale et Révolution Bolivarienne

La politique sociale de la révolution bolivarienne cherche, à travers les différentes missions, à résoudre la question nationale en améliorant les conditions de la production et de la reproduction matérielle, biologique et sociale des divers collectifs populaires, condition nécessaire au développement de leur conscience de classe.

Pour que les collectifs sociaux acquièrent la conscience de leur capacité à défendre leurs intérêts de classe, il est nécessaire qu’ils s’appuient sur une politique culturelle politiquement révolutionnaire qui accompagne, intelligemment et rationnellement, le processus bolivarien. Pour que ces masses populaires agissent comme le ferment progressiste du socialisme du XXIe siècle, il est également nécessaire que les organisations politiques révolutionnaires puissent les attirer et les maintenir en leur sein en tant qu’acteurs sociaux vitaux du changement qualitatif et quantitatif en cours, qui doit se réaliser dans le processus historique.

Le caractère démocratique de la construction du nouveau socialisme doit aussi considérer que la culture, et avec elle l’imaginaire construit par l’impérialisme dans les classes moyennes et supérieures à travers la politique culturelle puntofijiste, a aussi des visées politiques stratégiques. Par une campagne intense de lavage cérébral qui a commencé dans les écoles privées, l’empire et ses alliés locaux (notamment les secteurs religieux d’extrême droite) provoquent une croisade systématique de désinformation et d’induction d’une idéologie de terreur politique et de haine raciale chez les enfants des classes moyennes et supérieures. Le gouvernement bolivarien y est présenté comme une implacable machine de destruction de la société de bien-être matériel des classes moyennes et supérieures, violeur de ses droits humains, en même temps que les collectifs populaires ou "singes" sont montrés comme des bêtes nuisibles ennemies qui ne peuvent avoir d’a utres droits que celui d’être d’humbles domestiques des citoyen-ne-s souverain-e-s de la société civile (classe moyenne ou supérieure).

La campagne est complétée par la féroce action médiatique menée par les télévisions, radios et presse privés, localement et à l’étranger, afin de consolider en premier lieu chez les pères de ces enfants la même vision terroriste et déformée de la révolution bolivarienne que celle véhiculée par l’école, créant ainsi un circuit de rétro-alimentation, de feedback entre propriétaires des médias, éducateurs, parents et élèves, dont les intérêts de classe s’identifient avec le maintien de la relation coloniale entre le Venezuela et l’Empire.

De manière parallèle, le système de rétro-alimentation induit un sentiment d’admiration pour l’ "American way of life" via la publicité des télévisons par satellite ou câble, qui vend sexe, bière et racisme dans une ambiance de plages, de discothèques et de luxueux appartements à Miami et à New York. Le but final de cette campagne est d’approfondir la séparation territoriale, culturelle, sociale et politique entre les communautés vénézuéliennes de classe moyenne/supérieure et les collectifs populaires qui sympathisent avec la révolution bolivarienne, ou de favoriser des alliances avec les secteurs populaires qui identifient leurs intérêts de classe avec ceux de la classe dominante.

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Elle a été utilisée par la CIA au Nicaragua pour développer la contre-révolution, en particulier auprès des indigènes miskitos de la côte atlantique nicaraguayenne [3]. Une politique culturelle révolutionnaire ne pourra pas éviter la nécessité d’étudier culturellement la récupération de tels secteurs par la société nationale et de stimuler chez eux une pensée d’opposition constructive.


La Construction du Socialisme du XXIe siècle

Le socialisme concret est une construction qui dépend, fondamentalement, de la compréhension du processus national dans tous ses aspects. Le socialisme, comme l’on démontré les classiques, ne se construit pas dans l’abstrait. La position du penseur péruvien José Carlos Mariategui [4] est d’une importance évidente, pour être parvenu à développer, au travers de sa vision indo-américaine, une conception politique clairement différenciée tant du nationalisme anti-impérialiste de l’APRA, antécédent idéologique d’Action Démocratique, que de la ligne politique de l’Internationale Communiste. Mariategui disait : "... Nous ne voulons assurément pas que le socialisme soit en Amérique calque et copie. Il doit être une création héroïque. Nous devons donner vie, avec notre réalité propre, au socialisme indo-américain... Le passé nous intéresse dans la mesure où il sert à nous expliquer le présent. Les générations constructives perçoivent le passé comme une racine, comme une cause. Elles ne le perçoivent jamais comme un programme...".

La construction du socialisme du XXIe siècle nécessite que nous recherchions scientifiquement notre passé historique ; de la même manière, il nous faut étudier et comprendre le rôle joué par les sociétés originaires égalitaires dans la construction de l’idéologie de la solidarité sociale qui a animé jusqu’à présent la plus grande partie de la société vénézuélienne, tant coloniale que républicaine. Il est nécessaire de faire aussi des recherches sur la formation et la structuration de la société classiste vénézuélienne, en particulier sur la participation différentielle des classes sociales dans les événements historiques survenus entre 1998 et 2005, période qui marque le commencement de la décolonisation, la consolidation définitive de notre indépendance et l’intégration de notre pays dans la communauté économique sud-américaine et caraïbe.

* Mario Sanoja Obediente et Iraida Vargas-Arenas sont respectivement docteur en Anthropologie, professeur à l’UCV (Université Centrale du Venezuela), chercheur au Conacit (Conseil National Scientifique et Technique du Venezuela), membre titulaire de l’Académie Nationale d’Histoire, et docteur en Histoire-Géographie, Université Complutense de Madrid, professeure titulaire à l’UCV, chercheuse au Conacit.

[1] Rodolfo Quintero. 1968. La culture du pétrole

[2] Luis Felipe Bate. 1988. Culture, Classes et Question Ethnico-Nationale

[3] Hector Diaz Polanco. 1988. La Question Ethnico-Nationale

[4] José Carlos Mariategui, Sept Essais d’Interprétation de la Réalité Péruvienne (1928)

 Article-source en castillan : www.redvoltaire.net/article.5012.html


 Traduction Gérard Jugant



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Ce qu’il n’a pas accompli ne l’est toujours pas aujourd’hui : Bolivar a encore beaucoup à faire en Amérique. (José Marti).

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La référence explicite à Simon Bolivar et au mouvement bolivarien est fortement symbolique. Simon Bolivar, qui était un grand aristocrate, n’est en aucun cas pour nous un modèle ou une référence théorique. Il y avait néanmoins dans son projet d’unité des peuples, d’indépendance et de liberté quelque chose d’une parfaite actualité, au coeur des enjeux, singulièrement en Amérique latine.

Une fois par mois environ Révolution Bolivarienne présentera à une sélection d’articles de presse (la grande parfois mais surtout l’alternative, la militante, la rebelle), de contributions, d’analyses, d’événenements et d’initiatives. Une part plus ou moins conséquente de nos textes seront des traductions par nos soins (ou par des réseaux amis), le plus souvent de l’espagnol, mais aussi d’autres langues. Ces textes seront donc pour la plupart inédits en français. A ce sujet, si vous disposez d’un peu de temps et de la connaissance de langues étrangères, votre contribution sera particulièrement bienvenue ! De même qu’un récit de voyage. D’autre part, une tribune libre est à la disposition des lecteurs-trices.

Pour reprendre une image de l’antique mythologie, il nous semble que l’Amérique latine est un fil d’Ariane susceptible de nous aider à sortir de notre labyrinthe en nous émancipant de nos propres Minotaures.

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