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Résister à la Confusion : Le Pontife Michael Shifter et le Venezuela, par Julia Buxton.


Venezuelanalysis.com, 23 avril 2005.


Le 7 avril 2005 le Financial Times publiait un article de Michael Shifter de l’Inter-American Dialogue. "Chavez ne devrait pas guider la politique des EU" est la dernière trouvaille de Shifter au sujet des développements politiques au Venezuela et des réponses appropriées des EU. Shifter est devenu incontournable dans les médias britanniques, dès qu’il est question du Venezuela. La discussion autour de la nature, de l’idéologie, du style et des intentions du Président Hugo Chavez est polarisée aussi bien au Venezuela qu’en dehors. Shifter se situe très nettement dans le camp critique et sa position sur le Venezuela très alignée sur la perspective anti-Chavez. La critique de Shifter exprimée ici n’est pas motivée par le besoin pressant d’une couverture équilibrée du Venezuela dans la presse du Royaume Uni. Elle est une réponse au caractère structurellement et conceptuellement défectueux du texte de Shifter.


Son article prend place dans le développement de la discussion en cours sur la résurgence de la gauche en Amérique latine. Il commence par insister sur l’éloignement pris les actuels gouvernements de gauche de Ricardo Lagos au Chili, de Luis Inacio Lula da Silva au Brésil, de Néstor Kirchner en Argentine et de Tabare Vazquez en Uruguay avec la gauche traditionnelle latino-américaine des années 60. Il écrit que "Les politiques économiques conduites par de prétendus gouvernements de gauche dans la région font moins appel aux écrits de Che Guevara qu’à ceux d’Adam Smith". Il déclare ensuite, ce qui nous fait sursauter : "Bien que souvent compris dans la nouvelle cuvée des leaders de gauche, Hugo Chavez [...] détonne". C’est là un point de vue étonnant dans la mesure où le gouvernement de Chavez a été un des plus orthodoxes en matière économique. En dépit de la rhétorique enflammée du président vénézuélien, il n’y a pas eu d’expropriation de terres, de propriétés ou d’entreprises légalement possédées. Le Venezuela a continué à rembourser ses dettes internationales, les investissements privés sont encouragés et bienvenus et il n’y a pas eu récemment de politique de nationalisation d’actifs privés. Alors pourquoi Chavez ne cadre t-il pas avec la nouvelle gauche d’Amérique latine ?

Selon Shifter, Chavez est différent de Lagos, Lula, Kirchner et Vazquez dans la mesure où il ne vient pas de la tradition de "lutte pour la démocratie" qui caractérise ses homologues présidents. Pendant que d’autres pays de la région expérimentaient des régimes militaires autoritaires de droite dans les années 60, 70 et 80, incitant vivement la gauche à lutter pour la démocratie, le Venezuela demeurait stable et démocratique. De là , Shifter poursuit en accusant "le gouvernement mis en place au Venezuela par M. Chavez de ressembler plus aux régimes que les autres leaders ont combattu qu’aux sociétés démocratiques qu’ils cherchent à construire".

Cette argumentation pose de réels problèmes. Il est parfaitement stupéfiant que Shifter puisse sérieusement établir un parallèle entre les juntes sanguinaires et impitoyables qui ont dirigé des pays comme l’Argentine et le Chili jusqu’à la démocratisation des années 80. Alors qu’il reconnaît que le gouvernement de Chavez n’a pas atteint le niveau épouvantable de ces régimes en matière de droits humains, pourquoi Shifter s’évertue t-il néanmoins à établir des similitudes ? Il semblerait que l’argumentation de Shifter repose sur le seul fait que Chavez est un ancien officier de l’armée. Quelques faits devraient être rappelés pour démontrer la futilité des efforts intellectuels déployés par Shifter. Premièrement, Chavez n’était plus militaire quand il s’est présenté au suffrage en 1998. Deuxièmement, contrairement aux régimes militaires des années 60, Chavez est un président démocratiquement élu. Le gouvernement vénézuélien et son programme de changement ont été approuvés par les électeurs vénézuéliens dans 7 scrutins consécutifs et dans un référendum. On sait qu’il y a une importante composante militaire dans l’administration au Venezuela ainsi que dans le parti au pouvoir, mais les raisons complexes de cela ne sont pas mentionnées par Shifter. La question centrale demeure néanmoins qu’il est stupide de faire un parallèle entre les régimes militaires de droite qui accédèrent au pouvoir par la force et un gouvernement civil élu démocratiquement, particulièrement quand les références démocratiques de ce gouvernement sont de fait reconnues par Shifter dans son article.

Mais si nous étions engagés dans l’entreprise intellectuelle de comparaison des types de régimes, il serait alors bénéfique que Shifter retourne à ses études. Les ouvrages de Nunn, O’Donnel et bien entendu d’Huntington pourraient être pertinents. Shifter commet l’erreur affreuse d’avoir une vision homogène des types de régimes militaires (si nous acceptons comme prémisse que l’administration Chavez serait une forme de régime militaire). Ainsi que Nunn, O’Donnel et Huntington ont consacré une grande quantité de travaux universitaires à le démontrer, un gouvernement militaire, qui peut revêtir bien des formes et toutes sortes de perspectives idéologiques, s’engage avec des civils dans diverses voies et utilise des mécanismes variables pour mettre en oeuvre sa politique. Si quelque parallèle devait être fait, il serait théoriquement et conceptuellement opportun de comparer l’administration Chavez aux coups d’Etat "percée" comme celui qui se produisit au Pérou en 1968, et non aux coups "fondamentaux" ou "interruptions" qu’ont connu le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Chili [1] .

Alors pourquoi le militaire vénézuélien joue t-il un rôle central dans l’administration et dans le système politique du pays ? Pour le comprendre il est nécessaire de voir au-delà de la question immédiate de la formation de Chavez et d’examiner (brièvement) la récente histoire politique du Venezuela. Cet examen met en évidence une des faiblesses centrales de l’analyse de Shifter. Comme tous les récents travaux de recherche le montrent, la qualité réelle du système démocratique qui était en place de 1958 à 1998 est discutable. Les deux partis les plus importants de l’époque, AD et COPEI, fonctionnaient de manière clientéliste. Ils politisèrent et dégradèrent les institutions d’Etat tout en restreignant l’autonomie de la société civile, à tel point que l’électorat vénézuélien opta pour une alternative radicale qui promettait de balayer le vieux système.

Le premier enseignement qui en ressort est qu’il est erroné de prétendre que Chavez n’est pas issue d’une tradition de lutte pour la démocratie. Au contraire, le mouvement chaviste est un produit du manque de démocratie au Venezuela entre 1958 et 1998, un produit de l’exclusion politique, économique et sociale qui a prévalu durant toute cette période, et un produit d’un mécontentement massif à l’égard des institutions et politiques d’Etat corrompues. On peut ne pas être captivé par le type de démocratie que Chavez cherche à construire, où par la manière qu’il a choisi pour y parvenir, mais il est important de relever que le gouvernement de Chavez a fait rentrer dans le processus politique des populations exclues et marginalisées et a démocratisé le pouvoir.

La seconde grande leçon de l’histoire vénézuélienne est qu’il n’existe ni administration ni mécanisme fonctionnel pour impulser des initiatives politiques dans ce pays. Le gouvernement de Chavez a cherché à surmonter la sclérose et la décomposition institutionnelle, en plus du blocage direct des initiatives gouvernementales par l’opposition, en contournant l’adminstration d’Etat. En l’absence de tout autre corps ou organisation capable de mettre en oeuvre la politique sociale et de réparer les infrastructures, le gouvernement a employé les forces armées. Le militaire est par conséquent devenu un acteur significatif par défaut (l’absence d’une administration neutre, fondée sur le mérite et qui marche, du fait de la politisation d’Etat héritée d’AD et de COPEI) et par conception. Chavez considère les militaires comme des partenaires du développement. C’est une position inspirée par l’expérience péruvienne de la fin des années 60, d’où l’ineptie de la comparaison avec le Chili, l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay.

A part le manque de connaissance historique basique et la faiblesse conceptuelle de l’analyse, certains autres points méritent d’être soulignés. Shifter déclare que "MM. Lagos, Lula da Silva, Kirchner et Vazquez [...] rejettent l’attitude belliqueuse, conflictuelle adoptée par M. Chavez." Il est surprenant qu’étant donné sa situation et position, Shifter fasse comme s’il n’était pas au courant des sérieuses limitations que ces autres gouvernements ont imposé à la "diplomatie" des EU dans la région. Les relations politiques et commerciales entre le Venezuela, le Brésil, le Chili et l’Argentine sont solides et étroites et ces pays ont rejeté catégoriquement les efforts des EU pour isoler Chavez.

La stabilité et la sécurité dans les Andes est fragile et pour avoir eu un moment d’inattention diplomatique à la suite des événements en Irak et en Afghanistan, les EU ont du mal à exercer leur traditionnelle influence sur la région. Les mauvaises analyses de groupes de réflexion [2]de "premier plan" ne servent qu’à semer la confusion et à entretenir l’illusion des EU qu’il est le champion de la démocratie globale et le maître dans son arrière-cour hémisphérique. Les approches politiques étasuniennes relatives au Venezuela ont tourné au désastre depuis 1999. L’administration des EU aurait peut-être intérêt à plus de qualité dans les analyses fournies par les groupes de réflexion du pays.

Julia Buxton


Le Dr Julia Buxton est une universitaire travaillant au Royaume Uni. Elle est l’auteur de nombreuses études sur le Venezuela dont l’ouvrage The Failure of Political Reform in Venezuela, Ashgate 2001.


- Source : http://venezuelanalysis.com


- Traduit de l’anglais par Gérard Jugant pour Révolution Bolivarienne N° 12.


Médias US Anti-Chavez : la Fabrication du Mensonge, par Justin Delacour - CounterPunch.


[1Ndt. Alain Rouquié distingue pour sa part 4 modèles de régimes militaires dans l’Amérique latine des années soixante et soixante-dix :

a) Le modèle patrimonial des dictatures familiales, qui sert à l’enrichissement familial/dynastique (ex. : Somoza au Nicaragua, Stroessner au Paraguay).

b) Les révolutions d’en haut avec leur réformisme passif (ex. : Pérou du général Juan Velasco Alvarado de 1968 à 1975).

c) Les régimes bureaucratiques "développementalistes" qui recherchent un développement accéléré, avec ouverture aux capitaux étrangers, sans débats politiques ni pressions sociales (ex. : Brésil d’après 1964 et Argentine de 1966 à 1970).

d) Les régimes terroristes et néo-libéraux : à partir de 1973 en Uruguay, Chili et Argentine, etc. (Alain Rouquié, Amérique latine. Introduction à l’Extrême-Occident, Points Seuil, 1998).

D’autres auteurs parlent de "coups d’état préventifs" (1962-1969) afin de prévenir une éventuelle contagion révolutionnaire (Olivier Dabenne : "L’Amérique latine à l’époque contemporaine", Armand Colin, 2003). Les régimes "développementalistes" mentionnés ci-dessus ressortent en général de ce type de coup.

[2Ndt. L’auteur utilise l’expression "think tank", littéralement "réservoir de pensée", que nous traduisons par "groupe de réflexion", comme nous y invite le Robert et Collins.


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