Bulletin d’informations sur l’Amérique latine, N°7, Janvier 2005
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Pour bien juger des révolutions et des révolutionnaires, il faut les observer de très près et les juger de très loin. (Simon Bolivar).
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EN GUISE DE VOEUX : TOUS NOS DROITS, COLLECTIFS ET INDIVIDUELS
Pour illustrer ces voeux, nous reproduisons ci-après un passage du sous-commandant insurgé Marcos en réplique à un argument fallacieux des ennemis des indigènes zapatistes, hurlant à la violation des droits humains individuels par l’exercice des droits collectifs.
DROITS COLLECTIFS CONTRE DROITS DE L’INDIVIDU ?
Je suppose qu’il y a ou qu’il y aura des études juridiques qui démontrent qu’il n’y a aucune contradiction dans le fait de reconnaître les uns et les autres. Nous parlons quant à nous de ce que nous constatons dans les faits et de ce que nous pratiquons et nous sommes disposés à ce que quiconque vienne voir et vérifie si l’exercice de nos droits en tant que peuples indiens viole le droit des individus.
Non seulement les droits collectifs (tels que la décision concernant l’usage et l’exploitation de ressources naturelles) ne contredisent nullement les droits des individus, mais ils permettent que tout le monde puisse bénéficier de ces derniers et non uniquement certaines personnes. Comme on le verra dans la partie concernant nos progrès, les violations des droits des individus n’ont pas augmenté sur le territoire zapatiste. Ce qui a augmenté, en revanche, ce sont de meilleures conditions de vie. On y respecte le droit à la vie, à la religion, à l’appartenance à un parti, à la liberté, à la présomption d’innocence, à manifester, à ne pas être d’accord, à être différent, à choisir librement d’avoir un enfant.
Cette année, au lieu de se lancer dans une discussion sur le terrain juridique, les zapatistes ont choisi de démontrer par les faits que l’étendard de la reconnaissance des droits des indigènes que brandissent les peuples indiens mexicains, et beaucoup d’autres avec eux, n’implique aucun des périls qu’on leur a opposés.
En terres zapatistes, on n’assiste pas aux prémices de la pulvérisation de la nation mexicaine. Au contraire, ce qui est en germe ici, c’est précisément la possibilité de sa reconstruction.
(à suivre)
Des montagnes du Sud-Est mexicain
Sous-commandant insurgé Marcos
Mexique, août 2004, 20 et 10.
(Extrait de "LIRE UNE VIDEO : Quatrième partie : Quatre arguments fallacieux", Collectif Caracol Marseille, novembre 2004, traduit du castillan-Mexique par Angel Caido).
SOMMAIRE
– 1.AMERIQUE LATINE.
La révolution socialiste et l’unité de l’Amérique latine, par Zbigniew Maran Kowaleski, communication au colloque "L’utopie dont nous avons besoin", à La Havane le 10-09-2004, Inprecor n° 500, décembre 2004.
– 2.AMERIQUE LATINE
Où va l’Amérique latine ?, débat organisé à Paris par le journal Le Monde le 15-11-2004, édition du 18-11-2004. Débat animé par Edwy Plenel.
– 3.CUBA
La révolution socialiste est l’unique alternative, entretien avec Celia Hart, in Alternativa Socialista, Argentine, octobre 2004.
– 4.CUBA
"Ce sont les mêmes", par Celia Hart, in Rebelion, 28-11-2004.
– 5.MEXIQUE
L’autre Europe, par Gloria Muñoz Ramirez, La Jornada, Mexico, 04-12-2004.
– 6.MEXIQUE
Morts embarrassants (titre original castillan : "Muertos incomodos"), chapitre I "Parfois cela prend plus de 500 ans", par le sous-commandant Marcos, La Jornada, supplément du 05-12-2004.
– 7.VENEZUELA
Danilo Anderson : une victime de l’impunité, par Miguel Angel Hernandez Arvelo, in Aporrea 19-11-2004.
– 8.VENEZUELA
Lettre des détenus antiCOLONialistes au peuple bolivarien, par Freddy Tabarquino, in Aporrea, 20-11-2004.
– 9.VENEZUELA
Lina Ron s’exprime sur la crise au sein de l’officialisme, in El Nacional, 22-11-2004.
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– 1.AMERIQUE LATINE
La révolution socialiste et l’unité de l’Amérique latine
par Zbigniew Marcin Kowalewski*, in Inprecor n° 500, décembre 2004
Au cours des années 1960 la révolution cubaine s’est projetée comme le début de la révolution latino-américaine, vivifiant et réarmant la vieille utopie de l’unité de l’Amérique Latine. Depuis lors j’ai étudié les origines, l’histoire et la validité de cette utopie, à Cuba, comme en Pologne qui est mon pays d’origine et en France. Je voudrais partager avec vous mes réflexions.
Quelqu’un a dit que la légende historique, fabriquée par les plumitifs au service des oligarchies latino-américaines et des puissances coloniales ou impérialistes, présente les Libertadores (Libérateurs) comme partisans de la création d’une vingtaine d’États distincts, et non d’un 0seul, et que cette falsification, réellement monstrueuse, faite par " l’histoire " officielle réside dans le fait que, 0tandis qu’en Europe occidentale et aux États-Unis les nations ont été constituées en tant que résultat des victoires des révolutions démocratiques bourgeoises, en Amérique Latine on considère comme des nations distinctes les États apparus à la suite de l’échec de la révolution démocratique bourgeoise (1). Quel qu’en soit l’auteur, c’est fort bien dit.
Une anomalie historique
Sur le plan national l’Amérique Latine présente une particularité extraordinaire à l’échelle mondiale (qu’elle partage avec le monde arabe, également divisé). Dans son Histoire de la révolution russe, Léon Trotsky disait à propos de la question nationale : " La langue est le plus important instrument de liaison d’homme à homme, et, par conséquent, de liaison dans l’économie. Elle devient une langue nationale avec la victoire de la circulation marchande qui unit une nation. Sur cette base s’établit l’État national, en tant que terrain le plus commode, le plus avantageux et normal des rapports capitalistes. " (2) Il est vrai que de nombreux États nationaux ne couvrent pas la totalité des territoires sur lesquels leur langue nationale est parlée et qu’il arrive - ce qui est, toutefois, assez exceptionnel - que deux États voisins aient la même langue nationale.
Mais ce qui est arrivé en Amérique latine est très particulier. Dans un territoire continu où la langue étatique est la même ou semblable, à l’époque classique de la formation des États nationaux s’est formé non un seul État mais une vingtaine. L’anomalie est indiscutable et son échelle énorme. Elle matérialise la condition de l’Amérique Latine en tant que périphérie dépendante, exploitée et sous-développée du système capitaliste mondial. Rien de moins naturel qu’en Amérique Latine resurgisse périodiquement l’idée que la patrie c’est l’Amérique, comme cela arrive aussi dans le monde arabe, où existe quelque chose comme le nationalisme pan-arabe.
" La voie junker a été possible en Allemagne car la voie de Münzer a échoué ", disait René Zavaleta Mercado, en se référant à la défaite dans ce pays de la guerre paysanne et au développement postérieur du capitalisme allemand par la voie dite prussienne, c’est-à -dire oligarchique. Dans les centres dominants du capitalisme mondial toute voie, tant démocratique, empruntée par le développement du capitalisme comme conséquence d’une révolution bourgeoise active, menée d’en bas et complète, qu’oligarchique, empruntée à la suite d’une semi-révolution bourgeoise passive et imposée par en haut, a conduit à un développement indépendant. Par contre, dans les périphéries la voie oligarchique ne pouvait être autre chose qu’une voie dépendante du sous-développement du capitalisme. Comme l’a démontré Zavaleta Mercado, si en Amérique Latine c’est justement cette voie qui s’est imposée, c’est parce que la voie de Túpac Amaru et Túpac Catari a été mise en échec (3).
L’union et la fragmentation américaines
En 1780-81, parallèlement à la première révolution nord-américaine, c’est-à -dire à la guerre d’indépendance des treize colonies anglaise en Amérique du Nord, sur le territoire de la civilisation Inca, une grande insurrection indépendantiste, combinée à un soulèvement radical de la paysannerie indigène, a éclaté sous la direction de Túpac Amaru et Túpac Catari. Bien plus que la révolution nord-américaine, qui était fondamentalement politique, l’insurrection andine fut une véritable et profonde révolution démocratique bourgeoise (4). Par sa composition de classe et sur la base d’une civilisation propre, elle avait un potentiel beaucoup plus grand que tout autre mouvement indépendantiste postérieur pour asseoir les bases de l’unification de l’Amérique Latine et pour défricher devant elle la voie d’un développement démocratique et indépendant du capitalisme. Son écrasement sauvage et la destruction de la civilisation Inca par le pouvoir colonial espagnol ont son né le glas d’une révolution qui aurait pu changer le cours de l’histoire de toute la partie hispano- ou ibéro-américaine de l’hémisphère.
En Amérique du Nord la guerre d’indépendance dans les colonies anglaises a été victorieuse et à conduit à l’unification - concrètement, à une fédération - de celles-ci. Mais le maintien et l’expansion de l’esclavage dans les États méridionaux de la nouvelle union a empêché que la voie du développement du capitalisme - démocratique et indépendante ou oligarchique et dépendante - soit décidée tout au long de 80 ans. En Amérique Latine les guerres d’indépendance menées à bien dans la première moitié du XIXe siècle, bien que victorieuses, ont échoué en tant que révolutions bourgeoises : elles n’ont pas réussi à se transformer en une révolution nationale latino-américaine et à construire une union latino-américaine ou du moins une solide base d’appui pour sa formation. Au lieu de former une fédération ou, au moins, une confédération, l’Amérique libérée du joug espagnol s’est fragmentée dans toute une pléiade d’États. En articulation étroite avec l’échec sur ce pla n, les guerres d’indépendance n’ont pas conduit non plus à la suppression de la colonie au sein des nouvelles républiques. Au contraire, après les guerres d’indépendance, au milieu de nombreuses guerres civiles, on a préservé les classes dominantes et les modes d’exploitation coloniaux. Simón Bolivar a eu un très mauvais mais brillant pressentiment : il a pressenti que l’union des anciennes colonies anglaises en Amérique du Nord et la fragmentation de l’ancien empire espagnol détermineraient leurs relations mutuelles, à savoir, que les États-Unis domineront l’Amérique latine. En raison de cela il aspirait à l’unification des anciennes colonies espagnoles en une seule nation.
Aux États-Unis, quatre-vingt années après la première révolution américaine, la guerre civile entre les États du nord, où le capitalisme était développé sur la base de l’exploitation du travail salarié, et les États sécessionnistes méridionaux, où le capitalisme se basait sur l’exploitation du travail esclave, s’est transformée en guerre révolutionnaire pour la réunification nationale et l’abolition de l’esclavage. C’est grâce à cette guerre terrible que les États-Unis ont définitivement obtenu leur unité nationale. C’est aussi grâce à elle que la voie démocratique et indépendante du développement du capitalisme l’a emporté ici sur la voie oligarchique et dépendante. Si les États sécessionnistes méridionaux avaient gagné, ce qui n’était ni impossible, ni improbable, c’est cette dernière voie qui l’aurait emporté ; les États-Unis se seraient divisés et seraient restés dans la périphérie dépendante du capitalisme mondial.
Un fait qui s’est produit peu après la défaite du Sud esclavagiste aux États-Unis est très révélateur pour le cours différent et même opposé de l’histoire dans les deux parties de l’Amérique. En Amérique latine, une terrible guerre génocidaire menée par la triple Alliance des oligarchies du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay avec l’appui de l’Angleterre, la puissance hégémonique mondiale, contre le Paraguay, a abouti alors à la destruction complète et irréversible de la seule tentative surgie des guerres d’indépendance d’assurer un développement indépendant du capitalisme.
Contre une histoire téléologique
La fin tragique de cette tentative aussi audacieuse que désastreusement provinciale nous montre deux choses : d’abord, qu’à cette époque, un développement capitaliste indépendant dans la périphérie latino-américaine dépendante du système capitaliste mondial n’était pas possible sans une rupture prolongée avec ce système - une rupture aussi radicale que celle menée à bien par le fondateur et premier gouverneur du Paraguay indépendant, José Gaspar de Francia. Deuxièmement, que déjà à cette époque, dans la périphérie latino-américaine du système mondial, un développement indépendant durable n’était pas possible dans un seul pays.
Face à toute conception fataliste qui suggère que les États-Unis et l’Amérique latine étaient destinés à suivre les voies qu’ils ont effectivement suivies, il faut rappeler que cette attitude 0reflète le fait que l’histoire est écrite par les gagnants, tandis que " l’histoire n’est pas un mouvement téléologique, avec un chemin tracé à l’avance, mais une scène dans laquelle s’affrontent les classes ", comme l’observait Agustàn Cueva. " Comme ce fatalisme n’est que la face de l’élitisme, la connaissance de l’histoire des mouvements révolutionnaires et des alternatives démocratiques de l’Amérique latine du XIXe siècle reste encore "le bâtard de l’histoire". " (5) Les grandes puissances européennes de l’époque étaient très conscientes que - comme l’indiquait très clairement le premier ministre français François Guizot - c’est le résultat final des luttes entre le " parti européen " et le " parti 0américain " qui déciderait du destin de l’Amérique latine.
Les États-Unis étaient-ils prédestinés à la victoire du " parti américain " sur le " parti européen ", tandis que l’Amérique latine était prédestinée à la victoire du " parti européen " sur le " parti américain " ? Non, dans les deux cas rien n’était prédestiné ou prédéterminé : c’est dans les luttes de classes et sur les champs de bataille des guerres civiles que se décidait quel parti allait gagner (6).
Les grands et victorieux combats menés à bien sous la direction du chef du " parti américain " au Mexique, Benito Juárez - la Réforme, la guerre civile et la guerre de résistance nationale - étaient-ils destinés à aboutir à une modernisation super-oligarchique et super-dépendante du capitalisme mexicain qui s’est produite sous le le régime de Porfirio Dàaz ? Non, ils pouvaient aboutir de manière radicalement alternative. Le calcul de probabilités incluait y compris que les effets des victoires presque simultanées des " partis américains " dans les guerres aux États-Unis et au Mexique seraient rapidement étendus, avec le concours solidaire de leurs gouvernements, vers le sud de l’hémisphère et provoqueraient un choc décisif du " parti américain " continental avec le bastion du " parti européen " : la triple Alliance qui écrasait le Paraguay. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé. " L’échec de l’alternative démocratique- bourgeoise pendant la période de la Réfor me ", indiquait Cueva, " consolide, de toute manière, le cheminement de toute l’Amérique latine par la voie réactionnaire - "oligarchique" - de développement du capitalisme, qui coïncide parfaitement avec la phase impérialiste dans laquelle était entré le système mondial définissant une nouvelle période de notre histoire. " (7)
Les tâches non accomplies de la révolution bourgeoise
Deux choses doivent être très claires : d’abord, nous parlons de l’époque historique des révolutions démocratiques bourgeoises. Deuxièmement, cette époque a été close une fois pour toutes, à l’échelle mondiale, à peine quelques années après la défaite du " parti européen " esclavagiste aux États-Unis, après l’énorme gifle administrée par le peuple mexicain à la bourgeoisie européenne avec l’exécution de l’usurpateur Habsburg au Mexique et après la destruction du Paraguay par le " parti européen " de la triple Alliance. Elle se termine avec la Commune de Paris : la première révolution prolétarienne qui, bien que seulement d’une manière passagère, a pris le pouvoir.
A la fin de l’époque mentionnée, nous avions ainsi deux séries de corrélations logiques et historiques distribuées entre les deux parties de l’hémisphère : l’unité nationale nord-américaine, le développement démocratique et indépendant du capitalisme et la promotion du pays à une position centrale dans le système capitaliste mondial ; la fragmentation nationale latino-américaine, le sous-développement oligarchique et dépendant du capitalisme et une durable position périphérique de l’Amérique latine dans le système capitaliste mondial.
Avec la transition du capitalisme à sa phase impérialiste, ces deux séries de corrélations ne pouvaient pas produire autre chose que ce que, bien avant et avec exactitude, avait pressenti Bolivar : la polarisation de l’hémisphère entre le capitalisme développé des États-Unis et le capitalisme sous-développé de l’Amérique latine, unis inséparablement par une relation de domination et de dépendance. Comme Trotsky le dira plus tard, l’Amérique latine a été soumise par les États-Unis " à l’exploitation nationale qui complète et renforce0 l’exploitation de classe ". Dans le cadre du capitalisme mondial et sur la base des rapports de production capitalistes il y a une union inébranlable entre ces deux séries de corrélations.
Bien que l’époque historique des révolutions démocratiques bourgeoises se soit définitivement terminée en 1871, dans tous les pays du monde où les tâches historiques de ces révolutions n’ont pas été accomplies, elles restaient encore en suspens. La contradiction entre la fin irréversible de cette époque et le retard dans la pleine réalisation de ces tâches signifiait qu’elles ne pouvaient plus être résolues par la bourgeoisie ni par aucun de ses secteurs ou par aucune de ses fractions. Tout le cours postérieur de l’histoire, en Amérique latine et dans d’autres parties du monde, l’a pleinement confirmé. Maintenant, face à la faillite de la bourgeoisie latino-américaine dans l’accomplissement de ses tâches historiques c’est la classe révolutionnaire dont la promotion inéluctable avait été annoncée par la Commune de Paris, qui devra les accomplir une fois qu’elle aura établi son propre pouvoir.
En attendant l’idée de la grande patrie latino-américaine a survécu parmi les nationalistes révolutionnaires latino-américains. Le révolutionnaire le plus remarquable qui soit apparu en Amérique latine et même dans toutes les périphéries coloniales et dépendantes pendant la transition du capitalisme au stade impérialiste, José Martà, l’a activée comme stratégie révolutionnaire. Pedro Pablo Rodriguez a décrit ainsi cette stratégie appliquée à Cuba : " La guerre serait pour l’indépendance, mais comprendrait davantage de buts : ce ne serait pas plus qu’un point de repère dans une stratégie politique à 0très long terme qui, commençant par Cuba, se poursuivrait par l’indépendance de Porto Rico et par l’unification progressive de l’Amérique latine, face aux tentatives expansionniste des États-Unis, où les Antilles seraient le premier barrage. Avec cette stratégie on garantirait0 l’élimination de tous les vestiges du colonialisme espagnol dans les sociétés latino-américaines et on éviterait la création de nouvelles formes colonialistes états-uniennes. Dans le langage de notre temps, on appellerait ceci une stratégie continentale de libération nationale contre l’impérialisme (...) Il est indubitable que sur ce chemin seul Bolivar a précédé Martà, lorsqu’il a exigé une union latino-américaine aussi puissante que celle qui se formait au nord de l’Amérique. Toutefois, les époques des deux hommes sont fort différentes ; Bolivar a dirigé la guerre pour l’indépendance de l’Amérique du Sud alors que les États-Unis entamaient leur expansion territoriale vers la côte du Pacifique, en arrachant les terres aux Indiens, et que la Grande-Bretagne dirigeait le concert du monde capitaliste développé ; Martà a connu les années décisives de la transition du capitalisme pré-monopoliste à l’impérialisme aux États-Unis, qui ont assuré leur hégémonie dans les pays des Caraïbes et se sont lancés à contester aux Européens le sud du continent. Ce qui fut une possibilité plus ou moins éloignée au temps de Bolivar était une réalité au temps de Martà. " (8)
Staline contre Martà, Mella, Humbert-Droz et Trotsky
Les références faites le long de son oeuvre indiquent que l’union latino-américaine impliquait aussi pour Martà la formation d’une seule " nouvelle république " à l’échelle latino-américaine, c’est-à -dire, comme le définissait Martà lui-même, une république qui se distinguerait radicalement des républiques latino-américaines traditionnelles parce qu’elle combattrait la colonie qui survivait dans son sein.
Contrairement à ce qu’on aurait pu espérer logiquement, le développement du mouvement ouvrier latino-américain0 et de ses partis marxistes ne s’est nullement traduit par une appropriation des idées bolivariennes et martiniennes de la grande patrie. Les premiers partis socialistes latino-américains, liés à la IIe Internationale,0 les ont ignorées. On aurait pu supposer que le mouvement communiste romprait radicalement avec ce legs social-démocrate. C’est ce que, en toute sécurité, attendaient de ce mouvement les militants révolutionnaires bolivariens ou martiniens qui, comme Julio Antonio Mella, lui adhéraient attirés irrésistiblement par la Révolution d’octobre. Mais ils ont vite connu la désillusion. Pour la première fois, la question a été posée en 1928, au Ve Congrès de l’Internationale communiste. Le principal responsable du Komintern pour les affaires latino-américaines, le communiste suisse Jules Humbert-Droz, a proposé que le mouvement communiste recon naisse comme une de ses majeures tâches révolutionnaires, la formation de l’Union des Républiques Fédératives Ouvrières et Paysannes de l’Amérique latine. Sa proposition, tellement évidente et indispensable, a provoqué une réaction hostile et il a été accusé de suivre un " latino-américanisme nationaliste petit-bourgeois " dans une allusion claire à un mouvement comme l’APRA. Au cours du même congrès, le Komintern devait éliminer de son programme la lutte pour les États-Unis Socialistes d’Europe.
Ce fut une des innombrables conséquences désastreuses de la montée en puissance de la bureaucratie stalinienne en Union Soviétique et de la subordination imposée par elle au mouvement communiste international, à sa stratégie de la construction du socialisme dans un seul pays. S’en est suivie une rupture brutale des partis communistes avec la politique, adoptée sous la direction de Lénine et de Trotsky, de front unique anti-impérialiste et d’alliance avec les nationalistes révolutionnaires - rupture qui a énormément affecté le développement des mouvements révolutionnaires latino-américains. Rappelons la distinction radicale opérée par Mella entre le nationalisme bourgeois et le nationalisme révolutionnaire, un courant politique tellement important dans l’histoire de l’Amérique latine, dont Mella disait qu’il " souhaite une nation libre pour finir avec les parasites de l’intérieur et les envahisseurs impérialistes, en reconnaissant que le principal citoyen da ns toute société est celui qui contribue à l’élever par son travail quotidien, sans exploiter ses semblables. " (9) C’est précisément en ce sens que nous utilisons ce terme.
Face à la stalinisation du Komintern, ce furent les penseurs et les militants les plus lucides du nationalisme révolutionnaire qui préservèrent l’idée de l’unité latino-américaine comme une des tâches essentielles dans le combat pour la libération de la domination impérialiste. Mais, dans la filiation directe de la Révolution d’octobre, dont Staline abandonnait et trahissait le programme original, l’idée rejetée par le Komintern à son initiative a été reprise par un homme : le principal dirigeant, à côté de Lénine, de cette révolution. Trotsky non seulement l’a reprise mais l’a fondée sur sa contribution décisive à la pensée marxiste : la théorie de la révolution permanente.
La théorie de la révolution permanente
En Russie, non seulement jusqu’à la prise du pouvoir par le prolétariat en octobre 1917, mais encore pendant près d’une année, jusqu’à l’été ou l’automne 1918, la révolution était prolétarienne par sa force sociale dirigeante, sans être socialiste - mais démocratique bourgeoise - par ses tâches immédiates. En prenant le pouvoir, le prolétariat a d’abord accompli les tâches de la révolution démocratique bourgeoise encore en suspens dans ce pays, y compris, l’une des plus importantes, la libération des nationalités opprimées par l’empire russe, en passant immédiatement, dans un cours ininterrompu ou permanent, de celles-ci aux premières tâches socialistes. Trotsky a étendu la théorie de la révolution permanente, élaborée initialement pour la révolution en Russie, à l’ensemble des pays sous-développés, coloniaux et dépendants. Selon lui, la possibilité de la prise du pouvoir dans ces pays par le prolétariat est, naturellement, largement déterminée par le rôle de cette classe dans l’économie du pays ; par conséquent, par le niveau de son développement capitaliste. Mais ce n’était pas, bien au contraire, le critère unique.
Pour Trotsky, la question de savoir s’il existait dans le pays un vaste et incandescent problème " populaire ", dont la résolution intéresserait la majorité de la nation et qui exigerait les mesures révolutionnaires les plus audacieuses, avait une importance non moindre. Parmi les questions de cet ordre il soulignait la question nationale. En tenant compte de l’insupportable oppression nationale exercée par les puissances impérialistes, le prolétariat jeune et relativement peu nombreux pouvait arriver au pouvoir, selon Trotsky, sur la base de la révolution démocratique nationale, avant que le prolétariat d’un pays très développé et dominant dans le système capitaliste mondial ne parvienne au pouvoir sur une base purement socialiste. Par contre, si le prolétariat ne parvenait pas à prendre la direction d’une nation opprimée et à s’emparer du pouvoir, aucune révolution démocratique nationale, même aussi grande que la Révolution mexicaine sous la conduite de di rigeants aussi radicaux et exceptionnels que Lázaro Cárdenas, ne pouvait remplir sa tâche : libérer la nation de la domination impérialiste.
Tandis que le Komintern stalinisé rejetait l’idée de l’unité latino-américaine en l’attribuant au nationalisme petit-bourgeois réformiste de l’APRA, Trotsky posait la question d’une manière fondamentalement0 différente. En commentant les positions du chef apriste, il écrivait : " Haya de la Torre insiste sur la nécessité de l’union des pays d’Amérique latine et termine sa lettre par cette formule : "Nous, les représentants des Provinces-Unies d’Amérique du Sud". En soi, l’idée est tout à fait juste. La lutte pour les États-Unis de l’Amérique latine est inséparable de la lutte pour l’indépendance nationale de chacun des pays latino-américains. Néanmoins il faut répondre clairement et précisément à la question de savoir quels sont les chemins qui peuvent conduire à cette unification. Des formulations extrêmement vagues de Haya de la Torre on peut conclure qu’il espère convaincre les actuels gouvernements de l’Amérique latine de s’unir volontairement... sous la tutelle des États-Unis ? En réalité, on ne peut atteindre cet objectif élevé qu’avec le mouvement révolutionnaire des masses populaires contre l’impérialisme, y compris l’impérialisme "démocratique" et ses agents intérieurs. C’est un chemin difficile, nous l’admettons, mais il n’y en a pas d’autre. " (10)
En indiquant le caractère tardif et déjà décadent du capitalisme latino-américain reposant sur des conditions de vie semi-serviles à la campagne, Trotsky expliquait : "La bourgeoisie américaine, qui a été capable, pendant sa montée historique, d’unir en une seule fédération la moitié nord du continent, utilise maintenant toute la puissance qu’elle en a retiré pour diviser, affaiblir, réduire en esclavage la moitié sud. L’Amérique centrale et l’Amérique du Sud ne pourront s’arracher à l’arriération et à l’esclavage qu’en unissant leurs États dans une fédération puissante. Mais ce n’est pas la tardive bourgeoisie sud-américaine, agence vénale de l’impérialisme étranger, qui sera appelée à résoudre 0cette tâche, mais le jeune prolétariat sud-américain, dirigeant choisi par les masses opprimées. Le mot d’ordre dans la lutte contre la violence et les intrigues de l’impérialisme mondial et contre la sanglante besogne des cliques indigènes compradores, est donc : États-Unis soviétiques de l’Amérique centrale et du Sud. " (11) Après avoir repris cette thèse, le Manifeste de la IVe Internationale sur la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, rédigé par Trotsky en mai 1940, poursuivait : " C’est seulement sous sa propre direction révolutionnaire que le prolétariat des colonies et des semi-colonies pourra réaliser une collaboration invincible avec le prolétariat des métropoles et la classe ouvrière dans son ensemble. C’est seulement cette collaboration qui peut conduire les peuples opprimés à leur émancipation complète et définitive, par le renversement de l’impérialisme dans le monde entier. Une victoire du prolétariat international délivrera les pays coloniaux de la longue et pénible étape de développement capitaliste en leur ouvrant la possibilité d’arriver au socialisme la main dans la main avec le prolétariat des pays avancés. La perspective de la révolution permanente ne signifie en aucun cas que les pays ar riérés doivent attendre le signal des pays avancés, ou que les peuples coloniaux doivent attendre patiemment que le prolétariat des métropoles les libère. L’aide arrive à celui qui s’aide lui-même. Les ouvriers doivent développer la lutte révolutionnaire dans tous les pays, coloniaux ou impérialistes, où il existe des conditions favorables et ainsi faire un exemple pour les travailleurs des autres pays. Seuls l’initiative et l’activité, la résolution et le courage peuvent réellement matérialiser le mot d’ordre "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" " (12)
L’énorme rupture de la Révolution cubaine
C’est la Révolution cubaine, la première révolution en Amérique latine, qui a libéré la nation du joug impérialiste et a rempli historiquement les autres tâches démocratiques en suspens. Elle a été capable de le faire pour une raison fondamentale : parce que de manière semblable à ce qui est arrivé dans la Révolution Russe de 1917, elle a porté au pouvoir une force conséquemment révolutionnaire qui s’était identifiée avec les intérêts immédiats et historiques du prolétariat et des masses populaires et a pris un cours permanent : de manière ininterrompue elle est passée de l’accomplissement des tâches de la révolution démocratique nationale à l’accomplissement des tâches de la révolution socialiste. Qui connaît la soit-disante théorie de la révolution par étapes, qui disposait alors de l’adhésion des forces absolument majoritaires de la gauche latino-américaine et mondiale, en constituant, depuis l’arrivée de Staline au pouvoir en Union Soviétique, un princi pe fondamental du mouvement communiste, sait quelle énorme rupture la Révolution cubaine a effectué. Le résultat de l’application de la théorie étapiste a toujours été le même, où qu’elle ait été appliquée : non seulement la révolution socialiste était toujours reléguée aux calendes grecques, mais même les tâches de la première étape n’étaient pas accomplies. Elles ne pouvaient pas l’être, parce que la seule manière possible d’assurer les conquêtes de la révolution démocratique nationale c’est de réaliser les tâches de la révolution socialiste. C’est l’essence de la théorie de la révolution permanente. Julio Antonio Mella l’a ainsi résumée : " Pour parler concrètement : la libération nationale absolue sera obtenue seulement par le prolétariat et le sera au moyen de la révolution ouvrière. " (13)
Mue par une puissante vocation latino-américaine, la Révolution cubaine a opéré une jonction des aspirations programmatiques des courants les plus révolutionnaires du nationalisme latino-américain avec la 0révolution socialiste. Pour la première fois depuis la mort de Martà et en s’inspirant de l’exemple qu’il a donné, cette révolution a élaboré durant les années soixante une stratégie de la révolution continentale dont la mise en oeuvre audacieuse a été assumée en Amérique latine par le commandant Che Guevara à la tête d’une guérilla internationaliste. Nous savons aujourd’hui que, dans les plans stratégiques du Che, l’Armée de Libération Nationale sous son commandement devait unifier sur la base d’une stratégie unique l’ensemble des mouvements révolutionnaires latino-américains et que, en outre, un jour elle devait intégrer l’Armée Prolétarienne Internationale dont la formation a été annoncée dans son Message à la Tricontinentale. Après avoir pris part à la révolution congolaise et avoir assisté à sa défaite, le Che a clairement écrit : " L’initiative de l’Armée Prolétarienne Internationale ne doit pas mourir devant le premier échec. " (14)
Quand le Che et ses compagnons cubains, boliviens et péruviens combattaient en Bolivie, un événement historique s’est produit à La Havane : la grande majorité des courants révolutionnaires et des organisations de gauche de tous les pays de l’Amérique latine se sont réunis à la conférence de l’Organisation latino-américaine de Solidarité (OLAS). " Les organisations ici représentées ", a expliqué Armando Hart, président de la délégation cubaine, " 0nous nous sommes donné rendez-vous pour élaborer une stratégie commune de lutte contre l’impérialisme yankee et les oligarchies bourgeoises et de propriétaires fonciers, qui se sont pliés aux intérêts du gouvernement des États-Unis. La délégation cubaine représente un parti révolutionnaire. Nos thèses sont fondées sur l’idéologie de Marx et de Lénine. Nous sommes héritiers d’une belle tradition révolutionnaire et solidaire entre les peuples de ce continent. Nous devons être fidèles à cette tradition. Karl Marx disait, en pleine époque de la Commune de Paris, que l’objectif de la révolution populaire consistait à détruire la machine bureaucratique militaire de 0l’État et la remplacer par le peuple armé. Lénine a affirmé plus tard que dans cette pensée résidait l’enseignement fondamental de Marx par rapport aux tâches du prolétariat dans la révolution, concernant l’État. Notre délégation considère que l’expérience historique a confirmé ces affirmations de Marx et de Lénine. Nous considérons qu’il est nécessaire d’analyser ces approches de Marx et de Lénine dans l’ordre théorique et quant à leurs conséquences pratiques. " (15)
Exposant dans son rapport la stratégie de la révolution continentale, la délégation cubaine rappelait que " la valeur et la profondeur des conceptions martiniennes peuvent être mesurées ", entre autres, " par ce qui suit : [Martà] a approfondi l’idéal bolivarien consistant dans la conception de l’Amérique latine comme une seule et grande Patrie [et] a posé la lutte pour l’indépendance de Cuba comme faisant partie de la Révolution latino-américaine ". A la même occasion, la délégation cubaine affirmait qu’" aujourd’hui, la solidarité révolutionnaire des peuples de l’Amérique entraîne une plus grande profondeur que les antécédents qui lui ont servi de base, parce que la conception continentale d’un seul peuple latino-américain a été renforcée " (16)
Une année plus tard, Inti Peredo, survivant de la guérilla bolivienne, confirmant sa foi dans " le triomphe des forces révolutionnaires qui instaureront le socialisme en Amérique latine " et sa fidélité " au rêve bolivarien et du Che d’unir politiquement et économiquement l’Amérique latine ", déclarait : " Notre objectif unique et final est la libération de l’Amérique latine, qui non seulement est notre continent, mais aussi notre patrie divisée transitoirement en vingt républiques " (17).
Construire une seule nation socialiste latino-américaine
Près de quarante ans plus tard, il est urgent de revendiquer " la conception continentale d’un seul peuple latino-américain " et l’idée, avec laquelle le Che est allé combattre en Bolivie, que " l’Amérique latine sera une seule patrie ", comme il est urgent d’inscrire l’unité socialiste latino-américaine dans les programmes des mouvements populaires et des courants révolutionnaires. Je crois que, sans attendre davantage, il faut commencer à préparer les conditions pour l’élaboration, une fois de plus, dans un futur qui s’avérera probablement beaucoup plus proche que ce qui ne paraît, d’une stratégie de la révolution continentale. Stratégie qui correspondrait aux conditions latino-américaines et mondiales de la mondialisation capitaliste néolibérale et du monde unipolaire dominé par l’impérialisme américain, plus que jamais puissant, agressif et mortellement dangereux mais en même temps plus que jamais décadent et vermoulu par ses contradictions explosives et insolubles.
Seul le prolétariat et ses larges alliés populaires peuvent obtenir ce que n’ont pas obtenu les guerres d’indépendance et ce qu’ont irréversiblement manqué les bourgeoisies latino-américaines, en faisant qu’à la fin des grandes luttes des masses exploitées et opprimées qui s’approchent inexorablement, l’Amérique latine soit une seule nation. Aujourd’hui, l’unité continentale est posée dans un cadre plus vaste encore qui doit être capable d’attirer les diverses nationalités des Caraïbes.
Dans le rapport, déjà cité, de la délégation cubaine à la conférence de l’OLAS en 1967, nous lisions qu’il y a " un fait évident qui n’a pas été évalué dans toute sa dimension : on n’a jamais connu un groupe tellement nombreux de peuples, avec une population tellement grande et un territoire tellement étendu, qui préservent toutefois des cultures tellement similaires, des intérêts tellement semblables et des buts anti-impérialistes identiques. Chacun de nous se sent partie-prenant de notre Amérique. Ainsi l’avons-nous appris de la tradition historique ; ainsi nous l’ont légué nos ancêtres, ainsi nous l’ont enseigné nos prédécesseurs ! Aucune de ces idées n’est nouvelle pour les représentants des organisations révolutionnaires de l’Amérique latine. Mais, avons-nous suffisamment évalué ce que ces faits représentent ? Avons-nous analysé avec profondeur ce que signifie le fait que, depuis l’époque si éloignée des premières années du XIXe siècle, nous avons une i dée continentale de la lutte qui s’est développée dans toute l’Amérique latine ? Avons-nous analysé avec une clarté suffisante le fait irréfutable que l’Amérique latine constitue un seul et grand peuple ? " (18) Toutes ces questions sont aujourd’hui aussi pertinentes qu’elles étaient alors.
Pour être une seule nation, l’Amérique latine devra être socialiste. Pour être socialiste, l’Amérique latine devra être une seule nation.
Pour l’Amérique latine sonnera, une fois de plus, l’heure de sa seconde, véritable et définitive indépendance, annoncée il y a plus de cent ans par José Martà et il y a plus de quarante ans par Fidel Castro, quand la Révolution latino-américaine se mettra en marche de nouveau et ne sera pas interrompue tant qu’elle ne construira pas une seule nation socialiste latino-américaine. Il semble qu’elle s’est déjà remise en marche, avec la Révolution Bolivarienne au Venezuela.
* Zbigniew Marcin Kowalewski, rédacteur de la revue polonaise Rewolucja (Révolution), consacrée au " passé, présent et futur des mouvements révolutionnaires dans le monde ", ancien dirigeant du syndicat Solidarnosc dans la région de Lodz (1981), est militant de la IVe Internationale. Nous reproduisons ici son rapport, présenté au nom de l’auteur par Celia Hart, lors du colloque sur " l’Utopie dont nous avons besoin " organisé par la Chaire Bolàvar Martà et la Société Culturelle José Martà, le 10 septembre 2004 à La Havane. (Traduit de l’espagnol par J.M., les intertitres sont de la rédaction d’Inprecor)
1. Juan Ramón Peñaloza [Aurelio Narvajas, Adolfo Perelman], Trotsky ante la revolución nacional latinoamericana, Editorial Indoamérica, Buenos Aires, 1953, p. 134. Les auteurs appartenaient en Argentine à un courant d’origine trotskyste, dirigé par Jorge Abelardo Ramos et connu ensuite sous le nom de Izquierda Nacional (Gauche nationale). Ce courant, tout en postulant l’unité de l’Amérique latine et en même temps en s’adaptant au nationalisme bourgeois (péronisme), a profondément révisé la théorie de la révolution permanente au profit d’une théorie spécifique de la révolution par étapes. Par exemple il s’opposait à la prise du pouvoir par la classe ouvrière lors de la révolution bolivienne de 1952, car " le gouvernement ouvrier est seulement concevable sur le plan de la lutte révolutionnaire dans toute l’Amérique latine, et non dans une de ses "provinces" isolées " (p. 154)
2. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, Seuil-Points, Paris 1995, vol. 2, p. 404
3. René Zavaleta Mercado, Lo nacional-popular en Bolivia, Siglo Veintiuno Editores, México, 1986, p. 84-95.
4. Cf. Jan Szeminski, Los objetivos de los tupamaristas : Las concepciones de los revolucionarios peruanos de los años 1780-1783, Ossolineum, Wroclaw, 1982, ou, du même auteur, La utopàa tupamarista, Fondo Editorial de la Pontificia Universidad Católica del Peru, Lima, 1983.
5. Agustàn Cueva, El desarrollo del capitalismo en América Latina : Ensayo de interpretación histórica, Siglo Veintiuno Editores, México, p. 49-59.
6. Les cours et les résultats fondamentalement différents des luttes entre ces deux " partis " aux États-Unis et en Amérique latine ont été présentés par Andre Gunder Frank, Lumpenburguesàa : lumpendesarrollo - Dependencia, clase y polàtica en Latinoamérica, C.M. Nueva Izquierda, Caracas, 1970, p. 55-64. C’est Frank qui a inspiré les parallèles que nous présentons. En ce qui concerne les raisons de la défaite du " parti américain ", c’est Melcàades Peña qui les présente le mieux (en ce qui concerne l’Argentine). Cf. Horacio Tarcus, El marxismo olvidado en la Argentina : Silvio Frondizi y Melcàades Peña, Ediciones El Cielo por Asalto, Buenos Aires, 1996, p. 161-310.
7. A. Cueva, op. cit., p. 59-60.
8. Pedro Pablo Rodràguez, "La idea de liberación nacional en José Martà", Pensamiento Cràtico n° 49, 1971, p. 144, 156.
9. Julio Antonio Mella, Documentos y artàculos, Editorial de Ciencias Sociales, La Habana, 1975, p. 190.
10. L. Trotsky, Å’uvres, Institut Léon Trotsky, Paris 1985, vol. 19, pp. 160-161.
11. L. Trotsky, Å’uvres, Publication de l’Institut Léon Trotsky, ÉDI, Paris 1979, vol. 4, pp. 56-57.
12. L. Trotsky, Å’uvres, Institut Léon Trotsky, Paris 1987, vol. 24, pp. 55-56.
13. J.A. Mella, op. cit., p. 381.
14. Ernesto Che Guevara, Pasajes de la guerra revolucionaria : Congo, Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1999, p. 32.
15. Informe de la delegación cubana a la Primera Conferencia de la OLAS, La Habana, 1967, p. 5-6.
16. Ibid., p. 30, 38-39.
17. Guido "Inti" Peredo, "¡La guerrilla boliviana no ha muerto ! Acaba apenas de comenzar", Tricontinental - Suplemento Especial, 1968, p. 6.
18. Informe de la delegación cubana..., op. cit., p. 26
Signalons aussi, dans le même numéro d’Inprecor :
-plusieurs articles sur le Brésil et sur le Venezuela
-les textes des communistes cubains Celia Hart et Ariel Dacal Diaz (directeur politique des Editions des Sciences Sociales de Cuba) :
"Le socialisme dans un seul pays" et la révolution cubaine (Celia Hart)
L’Union soviétique ou la transition frustrée (Ariel Dacal Diaz).
PECI-Inprecor, 27 rue Taine 75012 Paris
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– 2.AMERIQUE LATINE
OU VA L’AMERIQUE LATINE ?
Le Monde, 18-11-04
Au-delà des utopies et des tragédies du passé, "Le Monde" a voulu organiser un dialogue entre des Européens et des responsables venus de cette autre Amérique, délaissée par l’actualité, à l’heure où elle connaît, pourtant, des changements décisifs.
Débat organisé par "Le Monde" au Théâtre du Rond-Point, à Paris, lundi 15 novembre, en partenariat avec TNS Sofres, avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement.
Edwy Plenel - Que nous dit l’Amérique latine sur l’aspiration à un monde multipolaire ?
Porfirio Muñoz Ledo - L’Amérique latine, un mot que vous, Français, avez inventé, est une entité historique, culturelle, à l’avenir indivisible. On peut parler d’une Amérique latine à différentes vitesses, comme en Europe. Le Mexique, les Caraïbes et l’Amérique centrale, qui ont souffert d’invasions venant du Nord, ont été un mur de contention plutôt que de transmission. Nous applaudissons l’effort de nos amis brésiliens et argentins, mais nous devrions travailler pour l’intégration politique. Nous sommes aussi la plate-forme d’exportation culturelle, humaine, et même politique de l’Amérique latine vers le Nord. Il ne faut plus penser que l’Amérique latine finit dans le Rio Grande. L’Amérique latine est à Los Angeles, à Miami, à Chicago, à New York.
Dante Caputo - Nous vivons désormais dans un système de décisions unilatérales et de coûts politiques multilatéraux. Les Nations unies n’ont plus de système de sécurité collectif. La décision sur l’Irak en est une démonstration. Pour Haïti, même si l’intervention était nécessaire, la résolution a été votée à minuit. Le système de sécurité est dans les mains de M. Bush et nous connaissons très bien quelles sont ses positions. Il se croit l’envoyé de Dieu.
Felipe Gonzalez - La grande question est unilatéralisme ou multilatéralisme. Mais si je voulais avancer une alternative de gouvernance de ce monde déséquilibré, seuls les ensembles régionaux sont capables de compenser les politiques unilatéralistes. L’Europe doit prêter davantage d’attention à l’Amérique latine, où il y a des mouvements extraordinaires pour le futur au Brésil, au Chili comme en Argentine. Nous Européens, nous sommes les premiers partenaires commerciaux de l’Amérique latine, les premiers coopérants pour le développement et les premiers investisseurs, mais nous manquons de politique d’ensemble
Edwy Plenel - La critique qui nous est faite, c’est d’être des protectionnistes déguisés ?
Pascal Lamy - C’est une critique que les pays d’Amérique latine nous font depuis longtemps, pour partie de manière justifiée. Entre-temps, les efforts de l’Europe dans ce domaine ont été pour beaucoup dans le rapprochement géopolitique entre l’Union européenne (UE) et l’Amérique latine, notamment le Mercosur. Cette passion qu’éprouve l’Europe pour l’Amérique latine et vice versa fait que nos relations relèvent du voisinage, en dépit de ce que disent les atlas de géographie. Du point de vue de la tension politique, de l’affection culturelle, c’est comme si l’Amérique latine était à 100 ou 200 km de nos capitales.
Le fait que le Brésil, mais aussi l’Argentine, aient pris sur la scène mondiale une posture multilatéraliste assumée, et que -le président brésilien- Lula ait un agenda international substantiel ou sophistiqué est très important, si on s’intéresse à un ordre international capable de maîtriser cette mondialisation qui pose à l’Europe les mêmes problèmes qu’à l’Amérique latine. Nos réactions sont les plus proches du point de vue des tripes et des principes politiques.
Certes, la prochaine Commission européenne sera plus à droite que la précédente, du fait que nous accueillons dix nouveaux Etats membres, qui sont passés par une expérience qu’il faut comprendre. Cela dit, en matière de politique étrangère et de sécurité, l’Europe n’existe pas. Ne faisons pas comme si l’UE s’était brisée au moment de l’Irak. Qu’il y ait eu des réactions différentes, c’est clair, que ça laisse des traces, je crois. Mais cela n’affectera pas le rapprochement entre l’Amérique latine et l’Europe. Ne serait-ce que parce qu’il plonge ses racines dans la langue, la culture, l’histoire, le commerce, les investissements.
Marco Aurelio Garcia - Les affinités politiques et idéologiques sont importantes, mais pas décisives. Un homme de droite ou du centre en Europe, ce n’est pas la même chose qu’en Amérique latine. Un social-démocrate polonais serait sans doute un homme de droite en France, alors qu’un homme de droite français serait un social-démocrate en Amérique latine. Pour renforcer une perspective multilatérale, il faut oeuvrer parfois avec une géométrie variable. L’enjeu est tellement important qu’il faudrait avoir sur le plan international une politique d’alliances flexible capable d’obtenir un monde plus juste, plus équilibré. L’axe Brésil-Argentine sera pour l’avenir de l’Amérique du Sud l’équivalent du couple franco-allemand au début de la construction euro-péenne.
Dante Caputo - Qu’a fait -l’ancien président argentin- Carlos Menem ? Il a dit : "On fait le commerce avec le Brésil et la politique avec les Etats-Unis." Nous faisions la politique avec le géant et le commerce avec les Brésiliens. C’est l’inverse qu’il faut faire : la politique avec le Brésil et le commerce avec tout le monde.
Marco Aurelio Garcia - C’était une situation schizophrénique, parce que l’Argentine de Menem couchait avec le Brésil et rêvait aux Etats-Unis. On ne doit pas penser seulement aux rapports commerciaux, mais aussi à des complémentarités économiques entre nos deux pays, à faire des pas concrets pour éliminer les asymétries et pour ne pas renforcer la tendance à la désindustrialisation en Argentine.
Dante Caputo - Des économies symétriques, plutôt que complémentaires, car cela voudrait dire : vous faites de l’industrie, on fait du blé.
Porfirio Muñoz Ledo - L’Europe a été bâtie par des gouvernements qui n’avaient pas la même idéologie. La différence aide à bâtir au-delà des conjonctures. En tout cas, le Mexique n’est pas la Russie ni la Turquie. L’Amérique latine se fera ensemble ou ne se fera jamais.
Pascal Lamy - Dans cet enthousiasme de convergences politiques, sans vouloir fâcher quiconque, je ne sais pas comment vous pouvez faire une unité politique en Amérique latine sans passer par une unification commerciale et économique.
Felipe Gonzalez - La construction européenne n’est pas un problème idéologique, mais transversal. Les rapports entre l’Amérique latine et l’Europe ne sont pas non plus idéologiques. Nous sommes proches parce que nous partageons une certaine perception sur ce qui se passe dans le monde.
Edwy Plenel - La crise en Haïti a amené au départ du président Jean-Bertrand Aristide. Aujourd’hui, il y a une gestion tripartite Brésil-Chili-Argentine.
Marco Aurelio Garcia - La force de stabilisation de l’ONU compte des militaires brésiliens, uruguayens, chiliens, argentins, péruviens, équatoriens, sous commandement brésilien. Le délégué du secrétaire général est un Chilien. Presque toute l’Amérique latine est présente dans les forces militaires ou policières.
Edwy Plenel - Le président vénézuélien Hugo Chavez prétend qu’Aristide n’aurait jamais dû être renversé, que c’est illégitime...
Marco Aurelio Garcia - Il y a une discussion sur la chute d’Aristide. Je connais plusieurs versions. Mais après son départ, un vide s’est créé dans le pays et le Conseil de sécurité a jugé qu’il faudrait constituer une force de stabilisation. Quelle est la perception qu’ont les militaires et les gouvernements latino-américains qui se sont réunis au Groupe de Rio, il y a dix jours ? Le grand problème auquel Haïti fait face n’est pas un problème de sécurité, c’est une crise sociale profonde que les interventions précédentes n’ont pas résolue.
Je profite de cette tribune pour vous dire : il faut une pression extraordinaire de la société française et de l’Union européenne, pour aller plus vite dans le soutien matériel ; 1,2 milliard de dollars ont été mis à la disposition d’Haïti et pourtant pas un seul dollar n’est arrivé jusqu’à présent. Certains projets prendraient deux ans pour être approuvés. Ce sont les lenteurs de Bruxelles, de la Banque mondiale, de la bureaucratie internationale. Il faut que cet argent arrive d’ici un, deux ou trois mois. Si la crédibilité du gouvernement en place est insuffisante, il faut trouver une solution. Qu’on ne vienne pas dire ensuite : "Les Latino-Américains ont échoué." Ce ne serait pas un échec de nos soldats là -bas, mais d’un nouveau rapport que le monde doit instaurer avec un pays en faillite, d’une crise qui ne date pas d’aujourd’hui, où les grandes puissances ont échoué malheureusement plus d’une fois.
Porfirio Muñoz Ledo - Haïti est le cas extrême du problème dont nous n’avons pas parlé, qui est l’inégalité en Amérique latine. L’époque de l’économie gérée par l’Etat a donné une croissance moyenne de 5 %. La première époque d’ouverture sur le marché a démoli le monopole public au profit du monopole privé. On ne va pas faire marche arrière, parce que c’est impossible et impensable, mais il faut discuter, aussi bien pour Haïti que pour l’ensemble de l’Amérique latine, le modèle économique. Les deux grands pays, le Brésil et le Mexique, sont les plus inégaux de tous.
Dante Caputo - L’intérêt que portent les Etats-Unis à Haïti, ce n’est pas purement démocratique. J’ai été chargé du dossier pendant deux ans, comme représentant du secrétaire général des Nations unies. J’ai vécu en Haïti, où j’ai été victime de plusieurs attentats. Qui voulait me tuer ? La politique du -président- Clinton était d’appuyer la solution négociée que nous avions proposée, signée par les militaires et par le président Aristide. Une force paramilitaire a été formée, le FRAP, avec à sa tête un monsieur qui s’appelait Toto Constant qui a empêché la mise en place de la solution négociée. Après trois mois, mes amis américains, avec qui j’avais souffert, m’ont dit : "Toto Constant est sur la feuille de paiement de la CIA." Haïti est la radiographie en chair et en os de la domination en Amérique latine.
Edwy Plenel - Ne devons-nous pas nous interroger sur l’impuissance européenne face à cette grande puissance américaine ?
Pascal Lamy - Sur un tas de problèmes mondiaux, l’Europe n’a pas encore de main. Il y a des fois où elle l’a, quand la Russie ratifie Kyoto -l’accord international sur la lutte contre le réchauffement climatique- par exemple, un sujet important pour les Européens. Quand je parle avec le président brésilien Lula, avec son homologue argentin Nestor Kirchner ou avec -le Chilien- Ricardo Lagos, ils me disent souvent : "Qu’attendez-vous pour vous bouger, vous, Européens ?" Nous savons très bien que sur l’Argentine, la politique du Fonds monétaire international (FMI) vient en partie du fait que les Européens n’ont pas de position commune au FMI. On ne parle même pas du Conseil de sécurité, on ne parle pas de choses compliquées du point de vue diplomatique ou des symboles. Comment se fait-il, qu’aujourd’hui, à la Banque mondiale ou au FMI, les Européens n’aient pas de position commune ?
Marco Aurelio Garcia - Nous, Latino-Américains, nous avons des responsabilités. Pendant longtemps, nous étions les pauvres, et nous attendions les réactions des Européens. Nous essayons désormais de faire une politique plus active et nous avons obtenu quelques résultats. Pas le Brésil, toute l’Amérique Latine. Il y a eu un bouleversement dans les négociations à l’Organisation mondiale du commerce.
Porfirio Muñoz Ledo - Nous ne sommes pas si impuissants. L’UE était absolument unanime sur le processus de paix en Amérique centrale. Nous étions d’accord pour que l’Europe rééquilibre les relations en Amérique centrale. La déclaration franco-mexicaine sur le Salvador -1981- a déclenché le processus dans la région. Si nous prenons des initiatives concrètes communes, en Europe et en Amérique latine, nous pouvons faire avancer beaucoup de choses.
Edwy Plenel - Est-ce qu’on peut jeter la démocratie par les fenêtres au nom de la lutte contre les inégalités ?
Eduardo Manet - La légende dit que tout Cubain aime la musique, la danse et le rire. Et, aujourd’hui, je dois transmettre un message grave.
Nous étions ici, au Théâtre du Rond-Point, le 29 septembre 2003, réunis avec des amis d’exilés cubains, des écrivains, des artistes, Almodovar. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu 76, 80, on ne connaît pas le nombre exact de personnes mises en prison à Cuba à cause d’une loi appelée "de la dangerosité", qui mélange les prostituées, les proxénètes, les trafiquants de drogue, les pédophiles et les opposants politiques. Tout le monde ensemble.
A un moment donné, il y a eu un certain espoir, car nous savions tous que la condamnation de ces personnes - parmi lesquelles le poète Raul Rivero, un homme d’une grande bonté et humanité - était incroyable. Le temps a passé. Quelques-uns ont quitté la prison parce qu’ils étaient malades. Mais on a envoyé la fille de Guevara au Mexique pour dire que tous les prisonniers sont des agents de la CIA. On va envoyer une commission d’artistes et d’écrivains en Espagne pour dire la même chose. L’ambassadeur cubain, interviewé par la BBC, a déclaré, sans scrupule, qu’à Cuba la démocratie était totale.
Il y a quelques années, à Madrid, j’ai eu la joie de rencontrer le premier ministre Felipe Gonzalez en compagnie de l’écrivain Jesus Diaz, disparu depuis, et d’autres animateurs de la revue Encuentro de la cultura cubana. Felipe Gonzalez, fraternellement, nous parlait de la possibilité d’une transition démocratique à Cuba à partir du merveilleux exemple espagnol. Le président Clinton vous avait demandé d’intervenir pour dire à Castro qu’il était prêt à lever l’embargo s’il faisait un pas. Joie parmi les Cubains de l’exil.
Jesus Diaz et moi-même, nous sommes contre l’embargo pour deux raisons. Il est inutile. Et dans notre coeur cubain et dans notre coeur latino-américain, nous ne supportons pas l’idée d’un embargo américain. Ensuite, le pape est allé à Cuba, a demandé que le monde s’ouvre à Cuba et que Cuba s’ouvre au monde. L’ancien président Jimmy Carter a même parlé à La Havane de lever l’embargo.
Je suis certain, hélas, que l’on peut faire tous les pas qu’on veut vis-à -vis de Castro - je connais bien Castro - lui, il ne fera jamais un pas. Au nom de la démocratie, je pense qu’il faut dire au président Castro qu’il faut libérer ces gens pour l’Amérique latine, et pour que l’Europe puisse aider Cuba, ça c’est un pas vers la démocratie.
Edwy Plenel - Le président Lula est allé à Cuba dans un de ses premiers voyages.
Marco Aurelio Garcia - A Cuba, il a eu deux conversations avec le président Castro sur plusieurs sujets, y compris sur ce sujet plus délicat. Nous avons choisi la voie de la diplomatie silencieuse. Certaines pressions internationales produisent des résultats contraires à ceux qu’on pouvait attendre. Nous avons développé une série d’actions d’aide économique. Effectivement, des opposants à Castro combattent d’une façon très claire l’embargo. L’embargo non seulement renforce le pouvoir, mais il touche le peuple. En Haïti, quand le général Cedras a renversé Aristide, les Etats-Unis ont imposé un embargo qui a aggravé brutalement une situation sociale du pays déjà précaire.
Il faut coordonner une action permettant la réintégration pleine de Cuba dans le système interaméricain et une amélioration de la situation du peuple du point de vue social, mais aussi politique. Chaque pays verra comment le faire. Nous ne donnons de leçon à personne. Nous avons des relations avec les gouvernements les plus divers en Amérique latine, qui ont une position politico-idéologique très différente de la nôtre. Nous sommes disposés à aider le processus démocratique.
Si le président -colombien-Alvaro Uribe nous sollicite pour l’aider dans une négociation, nous sommes présents sans poser de préalable. Cela ne signifie pas que nous ne soyons pas attentifs aux situations réelles existant dans chaque pays. Le Brésil ne veut pas délivrer des "certifications" sur la drogue, ni sur les droits humains. L’injustice sociale et même le déficit démocratique de notre pays sont suffisamment importants pour ne pas donner de leçon aux autres.
Felipe Gonzalez - J’ai beaucoup discuté avec Fidel Castro. J’ai parlé avec le vice-président des Etats-Unis, à l’époque George Bush (sans W), de notre refus de l’embargo, au-delà des raisons morales, pour des raisons d’efficacité, dans des termes simples. C’est toujours le peuple qui trinque, pas la nomenklatura. En 2005, l’embargo commencera à être liquidé. Ce n’est pas juste une impression, c’est une information. Dans ce scénario, la gestion de la situation sans embargo va poser des problèmes majeurs à Castro. L’embargo a fait souffrir le peuple cubain, mais n’explique pas plus de 30 % de l’échec. On ne peut pas attribuer à l’embargo la totalité de l’échec.
J’ai travaillé pour la démocratisation et l’intégration de l’Amérique latine, mais aller dans la même direction, entre une dictature et une démocratie, est incompatible. Or, à partir de la chute de l’Union soviétique, le destin de Cuba était de s’intégrer à l’Amérique latine.
Edwy Plenel - Dante Caputo, selon un rapport sur la démocratie en Amérique latine que vous avez élaboré pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 56,3 % des Latino-Américains supporteraient un gouvernement autoritaire s’il résolvait les problèmes économiques ?
Dante Caputo - Il n’y a jamais eu autant de pays démocratiques latino-américains depuis aussi longtemps. C’est magnifique : Pinochet et Videla -le dictateur argentin- ne sont plus là ; l’Amérique centrale est en paix. L’Amérique latine continentale offre un cas singulier de démocratisation. C’est la seule région du monde entièrement démocratique, mais en même temps très pauvre, la plus inégale au monde. Vous avez un triangle très particulier : liberté-pauvreté-inégalité. Et ce n’est pas la même chose d’être riche et libre que d’être pauvre et libre en même temps.
Les dix-huit pays étudiés par le PNUD montrent une magnifique évolution de la démocratie électorale. Entre-temps, le produit par habitant ne s’est pas développé : 300 dollars d’augmentation en vingt ans, ce n’est rien. La pauvreté a diminué de deux points, l’indigence a diminué de deux points, mais la concentration du revenu a augmenté : les 10 % les plus pauvres il y a vingt ans avaient vingt-quatre fois moins de revenus que les 10 % les plus riches. Aujourd’hui, c’est quarante fois. La démocratie électorale n’a pas débouché sur la citoyenneté civile et la citoyenneté sociale. Voilà pourquoi il y a un malaise dans la démocratie ; il n’y a pas encore de malaise avecla démocratie.
Pascal Lamy - Dans ce triangle entre une démocratie qui s’installe, de très fortes inégalités sociales et des difficultés de croissance économique, il y a au centre le système fiscal. Le prélèvement sur les économies d’Amérique latine est formidablement bas pour nous Européens. Chez nous, c’est de l’ordre de 40 % à 50 %, tout compris avec la sécurité sociale. En Amérique latine, c’est 10 %, 15 %, à l’exception du Brésil avec 37 %. D’où le grand succès des Brésiliens dans la lutte contre le sida, qui tient à cet enracinement. Le pouvoir politique ne peut pas faire de la redistribution fiscale dans les proportions dans lesquelles il devrait le faire.
L’autre face du sujet, c’est la fuite des capitaux. Dans la plupart des pays, il sort en permanence plus de capitaux qu’il en rentre parce que la classe possédante est complètement mobile.
Marco Aurelio Garcia - Le Brésil a eu entre 1930 et 1980 un taux de croissance moyen de 6,7 %, comme le Mexique. Nous sommes arrivés à la position de huitième économie mondiale et en même temps nous sommes un des pires pays pour la distribution de revenu. On doit en tirer les leçons.
La redistribution des revenus, pour l’Amérique latine comme pour l’Europe, n’est pas la simple conséquence de la croissance. Il nous faut un type de croissance différent, saine du point de vue macro-économique car il ne faut pas répéter l’expérience que nous avons eue pendant cinquante ans (inflation, endettement extérieur). Il faut aussi réduire au maximum la vulnérabilité extérieure. Nous sommes confrontés à un énorme défi parce que nous avions une hypothèque macro-économique très lourde, en Argentine, en Uruguay et au Brésil.
Dante Caputo - Sans vouloir être trop dramatique, la question posée par le rapport du PNUD est la suivante : combien d’inégalité peut résister à la démocratie ; combien de pauvreté peut résister à la liberté, et pendant combien de temps ? Nous n’avons pas un Etat suffisamment puissant pour faire de nos sociétés des sociétés démocratiques. Sans pouvoir, il n’y a pas de démocratie. Le problème de l’Etat est central. Il faut inventer un Etat différent et ne pas se réfugier dans les recettes qui n’ont pas marché dans le passé.
Deuxième élément : diversifier l’économie de marché. Il n’y a pas un seul modèle. L’économie de marché du Japon est différente de la vôtre, différente de la suédoise.
Troisième élément : bâtir des espaces d’autonomie de plus en plus larges dans un monde mondialisé.
Pascal Lamy - Le problème, ce n’est pas le commerce. Il marche très bien ; en dix ans, les échanges ont été multipliés par deux, trois ou quatre, selon la manière dont on regarde. Aussi longtemps que les inégalités sociales fondamentales ne seront pas érodées par les mécanismes de la démocratie et de la croissance, il y aura toujours un doute : celui que vous avez exprimé, auquel il faut réfléchir. Beaucoup des questions que vous vous posez, nous, Européens, devons nous les poser aussi, parce qu’après tout nos démocraties ne sont pas dans une forme tout à fait brillante. Comment faire de la croissance correctement redistribuée, c’est une question qu’on se pose beaucoup. Les Européens ont à apprendre de la manière dont vous affronterez ce problème, qui reste à résoudre. L’Europe peut vous y aider en s’ouvrant davantage. Elle l’a fait avec le Mexique ou le Chili ; elle le fera avec l’Amérique centrale et l’Amérique andine. I l restera à terminer la négociation avec le Mercosur, à un niveau d’ambition qui soit celui que nous avons de part et d’autre.
Felipe Gonzalez - Il y a beaucoup d’espoir pour l’Amérique latine. Il se passe des choses bien importantes, des leaderships alternatifs très intéressants pour l’approche des problèmes politiques. Et au point de vue économique, il y a des possibilités dans le domaine des réformes fiscales et des possibilités de croissance et de développement très claires. L’Amérique latine est l’unique région émergente du monde avec des démocraties généralisées.
Eduardo Manet - Cuba est le seul pays qui ne soit pas une démocratie.
Marco Aurelio Garcia - Il y a trente ans, plusieurs Latino-Américains comme moi sommes venus en Europe, en France en particulier, pour demander votre solidarité. Nous l’avons reçue. Nous aurons une gratitude éternelle pour ce comportement qui a été non seulement celui de la gauche mais de tous les secteurs démocratiques. Aujourd’hui, la situation est différente. Comme ce soir, nous pouvons procéder à une réflexion commune sur les problèmes du monde et à la défense des idéaux multilatéraux, qui sont pour la planète ce que la démocratie est pour chaque pays. Je vous demande néanmoins votre solidarité pour Haïti. Pas une solidarité pour un modèle, ni un paradigme ou une utopie. La solidarité pour un peuple qui ne mérite pas de crever.
Transcription réalisée par le service des sténographes du "Monde"
Les participants au débat : Dante Caputo , ancien ministre argentin des relations extérieures, chargé du rapport sur "La démocratie en Amérique latine" (Programme des Nations unies pour le développement, PNUD, 2004) ; Marco Aurelio Garcia, conseiller diplomatique du président du Brésil ; Felipe Gonzalez, ancien président du gouvernement espagnol ; Pascal Lamy, commissaire européen au commerce ; Eduardo Manet, écrivain franco-cubain ; Porfirio Muñoz Ledo, ancien candidat à la présidence du Mexique, chargé de la réforme de l’Etat.
Notre commentaire
Précisons que Dante Caputo a été ministre des relations extérieures d’Alfonsin. Il a ensuite été ministre des Sciences et Tecnologies du président de la Rua chassé par le peuple argentin en décembre 2001. Longtemps membre de l’UCR, Caputo est aujourd’hui un des dirigeants du Partido Socialista Popular (membre de l’Internationale Socialiste).
Quant à Porfiro Muñoz Ledo, le sous-commandant Marcos s’est exclamé à son sujet :"Par quel parti n’est pas passé Porfirio Muñoz Lobrador ?". Ex-président du PRD, ex-président du PRI, il est au service de Fox depuis son élection en 2000, "par réalisme", a t-il expliqué.
En ce qui concerne la "magnifique évolution démocratique" dont fait état Dante Caputo, nous renvoyons, pour une autre vision, à l’article de Saul Landau, en date du 19 mai 2004, publié par le RISAL, sous le titre : "La démocratie en Amérique Latine : bonne pour les investisseurs, moins bonne pour les autres".
Quant aux diatribes contre Cuba, ce n’est pas vraiment un scoop. L’occupation d’Haïti ne se passe pas trop bien, dit-on, d’où l’inquiétude manifeste. Remarquons enfin le silence assourdissant du brillant parterre sur le Venezuela (sauf Plenel qui évoque le désaccord du président Chavez sur le renversement illégitime du président Aristide).
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– 3.CUBA
LA REVOLUTION SOCIALISTE EST L’UNIQUE ALTERNATIVE
ENTRETIEN AVEC CELIA HART, par Mercedes Petit et Guillermo Pacagnini (Alternativa Socialista, MST Argentine)
Celia, 41 ans, est la fille de 2 dirigeants historiques de la révolution cubaine, Armando Hart et Haydée Santamaria. Elle est physicienne, auteur, membre du Parti Communiste de Cuba, et active actuellement dans le comité de solidarité avec la Palestine. Elle se définit comme "trotskyste pour son propre compte". Alors qu’elle achèvait un séjour à Buenos Aires, nous l’avons interrogée afin qu’elle nous dise comment elle a abouti à Trotsky à partir de la science, en cherchant une explication à la caricature de socialisme imposée par le stalinisme. Par delà les différences politiques logiques que nous avons avec Celia, il est passionnant de connaître les opinions de cette Cubaine internationaliste et ennemie jurée du "socialisme dans un seul pays".
Comment as-tu connu l’oeuvre de Trotsky, à notre connaissance très peu étudiée et diffusée à Cuba ?
En 1982, je suis allée poursuivre mes études de physique en RDA. J’étais imprégnée depuis l’enfance de José Marti et de Che Guevara. Les camarades me disaient que d’aller en RDA serait faire comme un voyage à travers le temps, que j’y verrais le futur de ma révolution. Le pays que j’ai trouvé était très développé, avec une économie planifiée, une population à haut niveau de vie, mais un pays morne, sans jeunesse, paralysé idéologiquement, qui ne s’intéressait pas plus aux idées du Che qu’aux événements du Nicaragua... Le système était triste... sa quiétude m’ennuyait à tel point qu’en 1985 je n’y adhérais plus.
Cela a t-il beaucoup changé les choses pour toi ?
Quand je suis rentrée à Cuba, je me suis dite, soit tu quittes le pays soit tu milites pour que ça change... Je ne connaissais pas Trotsky. On m’avait enseigné qu’il était un déserteur de la révolution russe, un traître. Je m’accrochais à Marti et au Che sur le plan internationaliste. Mon papa me donna, sans rien me dire, les livres d’Isaac Deutscher. J’ai ainsi pu lire "Le Prophète désarmé", "Staline" et "La Révolution inachevée". Ce fut une renaissance, un bonheur, je compris immédiatement et pris conscience de la grande trahison dont nous avions été victimes, moi la première. Il devint mon prophète dans la mesure où il me sauva pour la cause du prolétariat. Dès lors aller plus loin était dans la logique des choses. Les livres de Trotsky que j’ai pu me procurer, je les ai lus avec une grande facilité. J’avais l’impression de déjà le connaître, je l’avais pressenti. Je suis venu à Trotsky par la pensée de Marti et celle du Che.
Je me croyais la seule trotskyste au monde. En novembre 2003, j’ai écris mon premier article sur Trotsky. On m’a écrit à ce sujet du monde entier, mais pas de Cuba. Chez moi, je ne suis pas publiée... Je suis une sorte de trotskyste à titre personnel. On m’a demandé d’opter entre la physique et la politique. C’est pourquoi j’ai quitté l’université. Je milite au comité national de solidarité cubain avec la Palestine, qui se développe. C’est très stimulant. Une régénération de toutes les forces qui ont été étouffées par une décennie de globalisation, avec la chute du mur, la fin de l’histoire...
Ce qui se passe au Venezuela est très important, avec Chavez, sans laisser de chèque en blanc à personne. Je ne crois pas qu’on soit en présence d’un gouvernement socialiste au sens classique du terme, mais il y a une intention de réformes radicales, et ce qui est le plus important, le mouvement des masses, des travailleurs, se renforce au fil des mois, acquérant une culture politique impressionnante, ce qui pourrait pousser Chavez à prendre les plus grandes mesures. Ce n’est pas tant en Chavez qu’il faut avoir confiance, mais en ces masses... en cet esprit bolivarien qui porte le gouvernement, qui comme tout gouvernement a en son sein des tendances conservatrices. La campagne référendaire s’est convertie en une lutte de classes, le NON a été celui des ouvriers, des humbles...
Et la situation à Cuba aujourd’hui ?
Nous sommes, par-delà les différences à l’égard du gouvernement, une référence, une révolution qui est parvenue à survivre à l’effondrement du camp socialiste. Fidel a coutume de dire : "Le socialisme ou la mort". Je suis en guerre totale avec le concept de "socialisme dans un seul pays", à Cuba le socialisme n’existe pas, ce qui existe c’est une révolution socialiste. C’est ce qu’il faut faire dans beaucoup de pays pour aller vers un système socialiste, mais pas simultanément... Beaucoup se trompent... A Cuba on retrouve les problèmes de l’impossibilité du socialisme dans un seul pays. Il y a une révolution socialiste dans un environnement hostile. Fidel n’a pas intégré la révolution permanente à son discours, j’ignore pourquoi, mais il dirige la révolution. Il est évident qu’il y a des secteurs qui ont bureaucratisé beaucoup de choses dans le pays. La bureaucratie et la restauration tendent à s’allier, comme cela s’est produit en URSS...
Du point de vue trotskyste de la révolution permanente, comment apprécies -tu le processus révolutionnaire cubain ?
La révolution permanente, je la conçois à deux niveaux. A l "intérieur, elle ne cesse de changer. On me disait : "On a gagné, tranquillise toi". Non, il n’y a pas de tranquillité, c’est à contre-courant cette tendance au statu-quo. On pensait avant qu’il fallait exporter la révolution hors des frontières, on ne peut plus penser ainsi aujourd’hui. Pour le Che, défendre la révolution permanente, c’était, après avoir gagné ici, aller faire beaucoup de Vietnams. Le Che est le paradigme de la révolution permanente. Il était l’élève le plus aventureux de Trotsky, par intuition, tout en le critiquant... et il est mort avec un livre de Trotsky dans sa poche. C’est le contraire de ce qu’on nous dit aujourd’hui de "ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures des pays". Prendre le pouvoir est un passage vers le socialisme, ce n’est pas sa victoire ; il faut continuer à faire la révolution au pouvoir, révolutionner en permanence...
Après la chute du mur et de l’URSS, beaucoup ont parlé de "mort du socialisme". Comment vois-tu la chose ?
La chute du mur aurait dû se produire plus tôt, parce que le mur, l’URSS, le stalinisme, ont ralenti beaucoup la route, non seulement dans le temps, mais dans les consciences. Beaucoup sont devenus réformistes, d’autres bureaucrates. On a extirpé des ouvriers leur conscience de classe ; ça a été une tromperie colossale. Mais la chute du mur a permis de sortir de l’amnésie. Les conditions objectives de la révolution se sont libérées, posant ainsi la validité de Trotsky, qui devient des plus nécessaires. La clairvoyance de Trotsky est démontrée : la révolution permanente, l’internationalisme, la lutte contre la bureaucratie. Il y a aussi le problème de Cuba que nous devons résoudre, celui de la bureaucratie, si la dollarisation ne nous engloutit pas. La révolution étranglée est un problème. La révolution ne vivra qu’autant qu’elle se reproduit.
Quelle est ton opinion au sujet de ceux qui assurent que le problème n’est plus la prise de pouvoir, ni le parti révolutionnaire, ni la lutte du prolétariat ?
C’est une sottise. Sans lutte de classe il n’y a pas de prise du pouvoir. Le pouvoir, personne ne nous en fait cadeau. A ceux qui disaient que c’était la fin de l’histoire, le désastre actuel du monde démontre l’incapacité du capitalisme. Non seulement un monde meilleur est possible, mais si nous ne changeons pas ce monde, ce sera la fin de la civilisation. L’unique solution est le socialisme, jamais encore réalisé. Ceux qui croient que l’erreur n’était pas Staline mais Lénine lui-même se trompent.
C’est pour cela qu’il faut construire le parti révolutionnaire...
Il est impossible que les mouvements sociaux puissent se substituer aux avants-gardes politiques. Les partis sont fondamentaux pour que les mouvements sociaux aient une direction, un cap. C’est la grande tâche de la gauche, que ne peut accomplir seul tel ou tel parti. L’unité de la gauche communiste, à savoir trotskyste, est nécessaire.
Et la nécessité de construire une Internationale ?
Ah... c’est mon rêve. Pour arriver au "Prolétaires de tous les pays unissons nous" ; il nous manque une Internationale. Il faut recontruire cette merveille du marxisme. Commençons par nous unir sur des thèmes spécifiques, pour mobiliser, pour unir l’Amérique latine, pour aider à rompre les frontières. Je ne sais pas comment on peut y parvenir.
Que dirais-tu aux militants qui cherchent une alternative pour en finir avec la misère capitaliste ?
La révolution socialiste est l’unique alternative. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter concrètement contre les injustices qui nous entourent. Mais je dis aux jeunes que la révolution est non seulement la fin la plus belle, mais aussi la manière la plus simple d’être heureux.
Traduction Max Keler du castillan
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– 4.CUBA
"Ce sont les mêmes"
par Celia Hart, in Rebelion le 25-11-2004
En 1952, Raul Gomez Garcia, Jesus Montané et Abel Santamaria, trois futurs moncadistes, fondèrent le journal clandestin "Son los mismos" (Ce sont les mêmes). De manière ingénieuse ils mettaient dans le même camp tous les ennemis : la tyrannie, les politiciens authentiques, et même ceux du Parti Orthodoxe (1). Les deux derniers étaient aveugles ou déloyaux. Tous, finalement, inutiles à la patrie. Je me suis toujours demandée quels étaient les autres. Ceux qui s’opposaient aux premiers. J’utilise alors ces mots quand je veux voir clair au sujet de ceux qui ne sont pas avec l’Homme, qu’elle qu’en soit la raison. Ce sont les mêmes...
A San José, au Costa Rica, nombre d’invités ont manqué le bal. Au XIVe Sommet Ibéro-Américain, n’étaient présents que moins de la moitié des mandataires conviés. Tout cela parce qu’au Chili se tenait le Forum Asie-Pacifique. L’événement a été considéré comme plus important, du fait de la participation de pays plus riches. Je dis plus riches, dans le sens d’une plus grande croissance économique. Il semble que le flamboyant président des Etats Unis et la suggestive Chine sont beaucoup plus attractifs que les faibles pays d’Amérique, en particulier quant il est question d’éducation, qui était le thème central de la conférence de San José.
L’éducation avait déjà été, à Bariloche, en 1995, le thème central du Sommet. Depuis lors, des millions d’enfants de 10 ans ne savent ni compter ni écrire une lettre. Bariloche comme San José n’ont servi à rien pour l’éducation. Dans une dizaine d’années nous discuterons à nouveau d’éducation. Les enfants qui sont nés à l’époque du Sommet de Bariloche (ceux qui ont pu survivre) sont aujourd’hui des enfants analphabètes. On ne peut qu’être déconcertés par tous ces accords inappliqués et par toute cette indolence pour l’humanité. Mon oncle Abel dirait : "Ce sont les mêmes".
Ces derniers temps, pourtant, on a été informés que le Canada, Cuba, la Finlande et la Corée du Sud étaient reconnus par l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) comme le Groupe des pays à Hauts Rendements, la distinction mondiale la plus élevée en matière d’éducation. Les expériences de ces quatre pays si différents culturellement devraient servir à résoudre les problèmes de l’éducation dans le monde, problèmes qui ont été en définitive la raison d’être du Sommet qui vient d’avoir lieu. Les autorités de l’UNESCO devraient demander à ces pays comment ils sont parvenus à accomplir ces miracles. Je ne crois pas qu’il y ait de miracle plus urgent que celui de l’éducation. Il n’y a qu’elle qui puisse nous sortir vraiment de cette épidémie de stupidité qui a colonisé le XXIe siècle.
Les Etats-Unis et la Chine, en dépit de leur croissance économique n’étant pas dans les pays de tête, nous devrions nous demander pourquoi. Le Venezuela, en ce qui le concerne, a réalisé ces dernières années une campagne sans précédents en matière d’éducation, utilisant mille expériences nouvelles, y compris la cubaine. C’est pourquoi, l’aspect le plus intéressant de ce Sommet de San José aurait été la visite du Président du Venezuela. Le Venezuela n’est pas parmi les quatre meilleurs pays, mais il le sera. C’est le pays qui connaît la plus forte progression du monde dans le domaine éducatif.
Quelques jours plus tôt, quelques "dissidents" cubains avaient décidé de préparer la fête de San José. Le terroriste Carlos Alberto Montaner et ses collaborateurs ne semblent pas avoir entendu l’information de l’ONU au sujet de l’éducation, et ont été les protagonistes d’une action de soutien à la démocratie à Cuba. Génial ! La vérité se trouve dans la connexion de ces deux événements : d’un côté Cuba est reconnue par les Nations Unies pour l’éducation de son peuple, et de l’autre la révolution cubaine est accusée de ne pas défendre la démocratie. Si deux plus deux font toujours quatre, nous devrions alors admettre qu’il existe à Cuba de multiples dictateurs qui obligent les femmes à mettre au monde leurs enfants et qui sous la terreur obligent ces enfants à savoir lire et compter à un âge où une grande partie des enfants du monde jouissent des droits humains de la prostitution infantile, de l’analphabétisme et de la mort.
Le peuple costaricain a défendu la morale de l’Amérique à San José en ne permettant pas la même farce dans la capitale du Costa Rica qu’à Prague. Avec des banderoles peintes à la main et des poings bien serrés, ils ont empêché la farce de cette réunion, dotée de dizaines de millions de dollars, censée aider la démocratie à Cuba. Le peuple chilien de son côté, offrit au forum Asie-Pacifique sa meilleure tenue. Finalement, ces Sommets sont utiles. Ils unissent les peuples dans les rues et nous invitent à la lutte. C’est la principale contribution de ces réunions de présidents.
Fidel n’a pas pu assister au Sommet Ibéro-Américain. Il avait eu son accident justement alors qu’il était à pied d’oeuvre pour l’éducation, une nuit de remise des diplômes à près de quatre mille nouveaux instructeurs d’art. Chavez non plus, du fait que quelques heures plus tôt, une bombe placée dans sa voiture avait lâchement assassiné le Procureur National Danilo Anderson.
"Danilo a été un homme emblématique du processus bolivarien. A l’intérieur de l’appareil corrompu de la justice de classe vénézuélienne, il a été un des rares avocats qui appliquèrent la loi aux golpistes et aux délinquants de la subversion nationale et qui s’opposèrent à leur impunité (...). Le danger que représentait Danilo pour le projet terroriste de Washington était double : il lui retirait un de ses principaux instruments de pouvoir, à savoir la corrompue justice vénézuélienne de classe, et il devenait le symbole du patriote honnête au service du plus grand nombre dans la nouvelle Patrie bolivarienne", a jugé Heinz Dietrich qui a eu la chance de serrer la main de ce brillant avocat.
Il n’y a rien là de nouveau. Depuis des dizaines d’années qu’il tente de renverser la révolution cubaine, l’ennemi n’a guère changé dans ses méthodes de "luttes". Il y a quelques mois, ils assassinèrent une jeune ingénieure de PDVSA. Nous pouvons dire que les méthodes utilisées dans les deux cas sont quasiment identiques. Les attentats contre le Commandant Fidel Castro, les assassinats de nos maîtres et alphabétisateurs, les explosions du bateau La Cobre et d’un avion cubain, etc... Rien n’a changé.
Et pourquoi ? Parce que ce sont les mêmes, toujours les mêmes, parce qu’ils n’ont même pas le scrupule de chercher aux Etats-Unis une autre péninsule que la Floride, un nid de lâches, de traîtres et d’assassins, qui en même temps qu’ils se mettent un smoking pour encourager une pathétique conférence pour la démocratie, n’hésitent pas à assassiner un procureur... Nous devrions pourtant être habitués.
Il est évident que la CIA les appuient et que le gouvernement des Etats-Unis les tolèrent. Là -bas se pavanent trois des criminels servilement graciés par l’ex-présidente de Panama, laquelle avait certainement besoin de l’argent de son peuple pour s’acheter des habits et des bijoux. Elle ne s’est pas gênée pour le dire en public. Cette femme est absolument sans vergogne.
Je n’arrive toujours pas à comprendre comment ils ont pu adopter au Sommet de San José une résolution contre le terrorisme alors qu’il est établi qu’un des quatre criminels est caché dans un pays d’Amérique centrale.
Ils ne peuvent se cacher, l’eau sale est déjà servie à table. La tolérance et l’impunité sont garanties par le Président réélu des Etats-Unis, complice de l’assassinat d’Anderson et des assassinats non encore élucidés. Il ne reste plus qu’au cabinet purgé de l’empire qu’à revêtir des capuches blanches et qu’à affirmer la suprématie raciale. Après tout la Secrétaire d’Etat pourrait bien paraître sous les caméras avec des yeux bleus. Ils mentent tellement au peuple nord-américain qu’ils seraient capables de trouver à Condolezza Rice un pur lignage anglo-saxon.
Cette clique fondamentaliste et inculte va continuer à protéger les criminels qui commettent des attentats contre la jeune révolution vénézuélienne. C’est bien elle qui protège les assassins du procureur Anderson. C’est triste à dire, mais dans cette histoire, si quelqu’un est vraiment uni, c’est l’ennemi : la pathétique conférence de Prague, celle de San José pour la démocratie dans mon pays, la mort du procureur Anderson et les coupables de l’extermination de Fallujah... ce sont les mêmes. Ils ont les mêmes mobiles et défendent les mêmes intérêts.
Il fallait d’ailleurs écouter Bush à Santiago du Chili "réprimandant" l’Iran et la Corée du Nord pour ne "pas aller dans la bonne direction". Terrorisme ! C’est risible. Il y a encore beaucoup d’entre nous qui tombent dans le piège du discours de l’ennemi. Terrorisme, axe du mal, lutte pour la liberté et toute cette prose fantasmagorique de la Maison Blanche. Nous suivons le courant sans nous en rendre compte et nous compliquons notre discours en vertu de leur phraséologie.
Il y a une chose qui peut nous sauver : la troisième Loi de la Dynamique. Newton travailla pour nous. La troisième Loi de la Dynamique des corps énonce : "A toute action correspond une réaction opposée, d’égale amplitude".
Eux sont les mêmes et cela implique que nous devons aussi être les mêmes, contre eux.
Oui, l’assassinat d’Anderson est une nouvelle stupidité de l’ennemi qui avance en s’agitant dans tous les sens, aveugle, sourd et muet. La règle est la suivante : pour chacun de leur crime, plus de révolution pour nous. Oui. Nous. L’assassinat d’Anderson devrait favoriser une radicalisation du processus révolutionnaire au Venezuela.
Et le Venezuela applique Newton. Au cours de la campagne pour les élections du 31 octobre, où 20 Etats sur 22 sont passés à la révolution bolivarienne, le Commandant Chavez a défini la radicalisation du processus vénézuélien. Le mot radical n’est pas synonyme d’extrémiste. Les extrèmes ne mènent nulle part. Le mot radical vient de "racine". Et c’est à la racine des maux du Venezuela dont il est question. L’ennemi est non seulement isolé, mais en plus il se met à nouveau l’habit de l’assassin. Au lieu de faire peur il inspire la colère et la haine. "Dieu commence par aveugler celui qu’il veut détruire", dit le proverbe. Dans ces élections Chavez a déclaré la guerre à la grande propriété et à la bureaucratie. Non seulement Chavez bataille contre les maux du capitalisme, mais il lutte dès maintenant contre les maux qui peuvent être ceux d’une société... différente. La bureaucratie. La corruption et la bureaucratie sont deux maux qu’il faut arrêter à temps.
Dans un récent "Allo Président" le Commandant Chavez a longuement parlé du Che. Par bonheur, on commence à sortir le Che de cet extraordinaire halo romantique et donquichottien auquel on l’a condamné dans beaucoup d’endroits. Il faudrait libérer de la même manière José Marti. Le Che nous est indispensable, non seulement comme guerrier héroïque, mais encore comme constructeur et penseur du socialisme qui a énormément apporté à la théorie et à la pratique révolutionnaire. Il y a 45 ans ce mois-ci que le Che a lancé à Cuba le travail volontaire. Chavez a fait allusion, se référant au livre d’ Orlando Borrego, "Camino al fuego" (Chemin en feu), au "fécond travail du Che" comme dirigeant de la révolution cubaine, et en particulier comme ministre de l’Industrie, à son acharnement à "analyser différents problèmes figurant dans le Manuel d’Economie Politique de l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique, lequel avait été écrit en son temps sur ordre de Staline", s ur la question clé dans la construction du socialisme, présentée de manière terriblement fallacieuse dans l’économie politique soviétique, des liens entre le développement des forces productives, les transformations des rapports de production et les avancées de la conscience socialiste.
Chavez poursuit : "La théorie économique socialiste considère que le développement préalable des forces produtives est nécessaire pour que puissent se développer les relations de production socialistes. En tous cas, c’est ce que dit la théorie socialiste classique, et c’est ce qui est advenu en Union Soviétique (...). Mais pour le Che les pays sous-développés, comme Cuba, ne peuvent attendre un siècle que se développent les forces productives pour ensuite changer les rapports de production, c’est ce que disait le Che, et je suis d’accord avec le Che qu’il est possible d’élever la conscience du travailleur, de développer la conscience non capitaliste, au-delà du capitalisme. Nous le faisons ici, sans attendre que se développe l’industrie et que devienne forte la production nationale et que ce développement des forces productives soit à un niveau tel qu’il entraîne la transformation des rapports de production et [génère] un nouveau modèle économique".
Beaucoup néanmoins continuent à éprouver des doutes à l’égard du président vénézuélien avec des arguments puérils ou interprètent son action, embourbés dans des paradigmes manuélistes (2). J’ai dit antérieurement, et ce n’était pas une métaphore, que la journée triomphale du 15 Août était d’une importance égale au 7 Novembre ou au 1er Janvier. Nous communistes ne devons pas refaire comme à Cuba : quand le Parti Communiste a fini par réaliser ce qu’étaient le mouvement du 26 Juillet et Fidel Castro, Fidel et les révolutionnaires cubains avaient déjà plusieurs tours d’avance.
Fidel disait en mars 1956 : "Le Mouvement du 26 Juillet est l’organisation révolutionnaire des pauvres, par les pauvres et pour les pauvres. Le Mouvement du 26 Juillet est l’espoir de salut pour la classe ouvrière cubaine..." Peu soupçonnèrent que le Mouvement du 26 Juillet constituerait une organisation révolutionnaire de type classiste prolétarienne. L’impérialisme et la quasi-totalité des partis communistes "traditionnels", jusqu’à la dernière heure, ne réalisèrent pas qui était Fidel Castro. Avec Hugo Chavez nous pouvons tomber dans le même piège.
Chavez soutient deux choses. La révolution dans la révolution, la guerre à la bureaucratie, et la nécessité de l’intégration américaine. On peut formuler cela autrement : Révolution permanente et Internationalisme.
Le Commandant Chavez dit aussi qu’il n’est pas un ex-rebelle, mais un rebelle. Quiconque a été un vrai rebelle une fois ne peut cesser de l’être. Fidel, pour sa part, ne cesse de souligner avec de bons haut-parleurs que "devant les dangers mortels d’hier et ceux encore pires d’aujourd’hui, le socialisme est de manière définitive l’unique réel espoir de paix et de survie pour notre espèce". Toujours le même rebelle... le même communiste, à la différence de bien des intellectuels pour qui le mot socialisme est devenu de trop dans les discours.
Bertold Brecht disait que les hommes bons luttent un jour. "Mais il y a ceux qui luttent toute leur vie. Ceux-là sont indispensables".
Avec eux, c’est tous ensemble en rangs serrés que nous réussirons à "changer cette Terre pour de bon".
Traduit du castillan (Cuba) par Gérard Jugant
Ndt
(1) Fidel Castro était membre du Parti Orthodoxe ou Parti du Peuple Cubain, avec lequel il rompra définitivement en 1956.
(2) Le manuélisme est le nom donné à Cuba au marxisme soviétique qui se fondait sur des manuels vulgarisant la pensée officielle, dogmatique et schématique.
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– 5.MEXIQUE
L’AUTRE EUROPE
Gloria Muñoz Ramirez*, in La Jornada, samedi 4 décembre 2004
PASSER SANS PAPIERS une frontière en Europe est considéré comme un acte criminel qui justifierait la rétention des immigrants dans des camps de détention temporaires, lesquels poussent comme des champignons en formant une ceinture qui se veut destinée à empêcher les Africains, Latino-américains, Asiatiques et personnes venant de l’Est d’atteindre le centre du vieux continent.
Les sans papiers de Paris sont poursuivis comme des délinquants dans une Europe qui se prétend libre et démocratique, ce dont témoignèrent les participants à la rencontre Liberté de Circulation organisée par des collectifs qui luttent pour les droits des immigrants et pour une Europe sans frontières.
En France et dans beaucoup de pays de la partie occidentale il y a une véritable chasse aux immigrants. Dans les dernières années on a enregistré plus de 5000 morts dans les différents accidents survenus lors des traversées de frontières (au total dans le monde 40.000 décès sont intervenus dans des cas similaires).
Aujourd’hui la stratégie de la Communauté Européenne est d’empêcher le problème chez elle, c’est pourquoi elle construit des camps de rétention d’où, sous un visage "humanitariste", on envoie les sans papiers en Libye et en Tunisie, pays où rien ni personne ne garantit la vie des expulsés.
Les traités internationaux de Genève sont ouvertement violé et personne ne dit rien : l’Italie a expulsé récemment 1.500 personnes vers la Libye et pour le moment aucune sanction n’est prévue.
Dans la rencontre, organisée au Centre international de culture populaire, on a discuté aussi de la nouvelle politique migratoire qui autorise les patrons d’entreprises à avoir le droit de décider qui entre en Europe, au moyen de la sélection des travailleurs depuis leur pays d’origine, une politique d’esclavagisme qui permet de choisir la main d’oeuvre.
Il s’agit désormais de déshumaniser les sans papiers. Pour le pouvoir économique, ils ne sont pas des êtres humains, mais seulement une main d’oeuvre jetable. Dans les centres ils sont privés de communication, pire que dans une prison, et les malades n’ont pas le droit de sortir mêmes pour des cas graves. Beaucoup de garçons et de filles se trouvent à l’intérieur sans soins ni école. Rien n’arrive des collectifs et activistes qui les soutiennent.
Même leur expulsion sert à faire de l’argent, étant donné que chaque immigrant détenu coûte 70 euros par jour et leur expulsion en moyenne 1.500 euros. Le négoce relatif aux centres de détention représente bien des millions.
Pour l’année en cours l’Italie a expulsé plus de 9.000 personnes, l’Espagne 13.000, le Maroc 25.000 et l’Algérie 5.000. Le chiffre du Maroc est plus élevé car c’est le point de passage des immigrants provenant d’Algérie et du Sénégal. Un collectif de sans papiers de Paris rapporte qu’il y a eu plus de 12.000 expulsés en France en 2003 et qu’on s’oriente vers un nombre comparable pour 2004.
Tous les jours des milliers d’hommes et de femmes de la "Ville Lumière" luttent pour la vie, car s’ils ont réussi à passer la frontière, encore leur faut-il survivre à la persécution à l’intérieur du pays berceau des droits humains.
Traduction du castillan (Mexique) Gérard Jugant
*Gloria Muñoz Ramirez est l’auteure du livre "EZLN : 20 et 10, le feu et la parole", éditions Nautilus, 2004 (cf. RB n°6).
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– 6.MEXIQUE
MORTS EMBARRASSANTS
(il manque ce qui manque) roman à quatre mains
par le sous-commandant Marcos et Paco Ignacio Taibo II
(traduit de La Jornada, supplément en ligne à l’édition du dimanche 5 décembre 2004).
PROLOGUE
Il y a une semaine Paco Taibo II a reçu une lettre du sous-commandant Marcos lui proposant d’écrire un roman policier à "quatre mains", ils en établirent les modalités, et voilà le résultat. Un roman qui est en train de s’écrire, conçu comme une partie de ping-pong dans laquelle chaque auteur avec son personnage réagit à ce que l’autre écrit, dans un récit qui promet de se mettre à l’intérieur du désastre national.
Le livre que commence aujourd’hui à présenter par fascicules La Jornada sera édité postérieurement dans tout l’espace de la langue espagnole par Planeta, et dans les prochains jours seront conclus des contrats d’édition en Italie, en France, aux Etats-Unis, en Grèce et en Turquie.
Chapitre I
"PARFOIS CELA PREND PLUS DE 500 ANS"
"Tout ce qui dure plus de six mois, ou est une grossesse ou ne vaut pas la peine".
C’EST CE QUE M’A DIT LE SUP. Je suis resté à le regarder pour voir s’il plaisantait ou était sérieux. C’est que parfois, le Sup, il pète un câble. Parfois il plaisante avec les citoyens à notre manière. Parfois il blague avec nous mais à la manière des citoyens. Alors il ne vise pas juste. Mais il ne semble pas que ça le dérange. Et il rit.
Mais cette fois, non, ce n’était pas ça. Le Sup ne plaisantait pas. Il suffisait de voir son regard sérieux, fixé sur sa pipe pendant que je lui donnais du feu avec le briquet. Il regardait la pipe comme s’il attendait que ce soit elle, et non moi, qui lui donne raison.
Il m’avait dit qu’il allait m’envoyer à la ville, que j’allais y faire un travail pour la lutte, qu’il fallait qu’avant je passe du temps à apprendre le mode de vie urbain et qu’ensuite je partirais faire le travail. C’est alors que je lui ai demandé combien de temps j’allais passer à me préparer à la vie en ville, il m’a répondu 6 mois, je lui ai demandé si 6 mois suffiraient, et le Sup m’a alors sorti sa phrase.
Le Sup m’a dit cela après avoir passé du temps à parler avec un certain Pepe Carvalho qui était arrivé à la Realidad porteur d’un message de Don Manolo Vasquez Montalban (1) et qui demandait à voir le Sup. C’est ce que m’a dit le Max, qui l’avait accueilli. Moi aussi je le connaissais Don Manolo. Il y a déjà quelque temps, il était venu faire une interview du Sup. Il avait apporté dans son sac à dos une quantité de butifarras, de la viande. Je ne sais pas ce que c’est les butifarras, mais quand je suis allé à cheval chercher le Don Manolo, j’ai vu que les chiens tournaient autour de lui. Je lui ai demandé s’il avait de la viande dans son sac et il m’a répondu "j’apporte des butifarras, mais c’est pour le sous-commandant insurgé Marcos". J’ai compris alors qu’il respectait beaucoup le Sup, car seuls les citoyens le désignant ainsi le respectent et l’aiment beaucoup. Mais il nous a dit ce qu’étaient les butifarras, parce que je lui ai demandé s’il apportait de la viande, et il m’a répondu qu’il apportait des butifarras, donc les butifarras sont une façon de préparer la viande au pays de Don Manolo (2).
Don Manolo préfère qu’on l’appelle "Manuel" plutôt que "Manolo". C’est ce qu’il m’a dit alors que nous étions sur le chemin du commandement. Nous avons mis du temps pour arriver. D’abord parce que Don Manolo n’avait pas l’habitude des chevaux et mit un bon moment pour se faire à sa monture. Ensuite parce qu’il était tombé sur un cheval très enjoué qui ne goûtait pas la promenade si bien qu’il cherchait à gagner le pâturage au lieu de continuer sur le chemin de terre. Comme nous avons été longs à corriger les chevaux, j’ai eu le temps de pas mal converser avec Don Manolo et je crois que nous sommes devenus amis. C’est comme ça que j’ai su qu’il n’aimait pas qu’on lui dise "Don Manolo", mais moi dès qu’on me dit de ne pas faire une chose, je m’obstine à la faire... Je ne le fais pas par méchanceté, mais parce que je suis fait ainsi, c’est ma manière d’être, je suis un "contreras". Aussi le Sup m’a donné comme prénom de lutte "Elias" avec le nom "Contreras", tro uvant que ce nom m’allait bien à cause de mon esprit de contradiction. Cela s’est fait bien avant que j’aille à Guadalajara retirer un courrier dans les toilettes publiques de La Mutualista et où je fis la connaissance du Chinois Fuang Chu. C’était aussi longtemps avant ma rencontre, au Monument à la Révolution là -bas à Mexico, avec la commission d’enquête dénommée Belascoaran (3). Je l’appelle "commission d’enquête", mais le Belascoaran dit "détective". Dans nos terres zapatistes il n’y a pas de "détectives", il y a des "commissions d’enquête". Le Belescoaran dit que dans la Ville de Mexico il n’y a pas de "commissions d’enquêtes" mais des "détectives". Je lui ai dit qu’à chacun sa manière. Mais comme je l’ai dit tout cela était après que le Sup me parle des six mois. Et ce fut plus tard également que je rencontrai la Madeleine dans la Ville de Mexico. Ah, la Madeleine ! Mais de celà je vous en parlerai plus loin... ou peut-être que je ne vous en dirai pas plus parce qu’il y a des blessures qui ne guérissent pas si on ne sait pas en parler. Au contraire, elles saignent plus quand elles se couvrent de mots.
Mais beaucoup de temps avant que le Sup me parle des six mois, j’avais déjà enquêté sur certaines choses qui se passent dans les communes autonomes rebelles zapatistes. On dit "affaires", pas "choses", m’a dit après le Belescoaran qui ne manquait pas de se moquer de moi parce que selon lui je parlais très différemment, et chaque fois qu’il en avait envie, il se mettait à corriger ma manière de parler. Mais moi, au lieu de me corriger, eh bien j’en disais encore plus. Contreras, quoi. Une de ces "affaires" a été celle qui à présent donne son titre au présent chapitre de ce roman qui, vous allez le voir, est très différent.
Mais laissez-moi vous dire un peu qui j’étais. Oui, j’étais. Parce que maintenant je suis décédé. J’étais milicien quand nous nous sommes soulevés en 1994 et j’ai combattu, à la prise de Las Margaritas, dans les troupes du Premier Régiment d’Infanterie Zapatiste que commandait le Sup Pedro (4). A présent j’aurais environ 61 ans mais je ne les ai pas car je suis déjà mort. Ou c’est-à dire que je suis décédé. J’ai fait la connaissance du Sup Marco en 1992, quand la guerre a été votée. Ensuite je l’ai vu à nouveau en 1994 et ensemble nous bavardions lorsque les fédéraux nous ont attaqués en février 1995. Je marchais avec lui et le major Moisés quand nous sont tombés dessus les tanks de guerre, les hélicoptères et les troupes spéciales des armées. Cela a été un peu dur, oui, mais ils ne sont pas parvenus à nous prendre. On s’est battus, c’est sûr. Des jours encore on a continué à entendre le "chaca-chaca" des hélicoptères.
Bon, j’en ai dit assez. Je voulais seulement me présenter. Je m’appelle Elias, Elias Contreras, et je suis la commission d’enquête. Mais avant ce n’était pas la commission d’enquête, ce n’était qu’une base d’appui de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, ici au Chiapas, qui est dans notre pays qui s’appelle le Mexique. Où est-ce que ça se trouve ? Et bien regardez donc sur une carte que c’est dans le...
COMMANDEMENT GENERAL DE L’EZLN
Un toucan solitaire fait briller son bec en haut du tronc d’un bayalté (5). En-bas le Lieutenant Hilario vérifie si les chevaux ont fini de paître dans le petit champ et l’insurgée Martina achève de repasser les noms des capitales des états. Le garde nettoie son arme, assis à la porte d’une cabane. Sur un côté, porté par un bâton en bois, flotte un vieux drapeau de toile noire, avec une étoile à cinq pointes et le sigle EZLN. L’étoile et les lettres sont d’un rouge déteint. Le Sup apparaît à la porte. Le garde se met au garde-à -vous.
-Appelle le Lieutenant Colonel José, dit le Sup. José arrive. Le Sup lui donne des papiers en lui disant :
-Cela vient d’arriver. Après avoir lu, le Lieutenant Colonel lui rends les papiers avec une question.
-Et que vas-tu faire ?
-Je ne sais pas, dit le Sup, et ils restèrent tous deux à réfléchir... Le toucan s’en alla dans un bruyant battement d’aile qui attira leur regard. Après un moment ils se regardèrent et en même temps dirent, se dirent :
-Elias.
C’est déjà la nuit quant à la pointe de la colline se dessine la silhouette à cheval du Lieutenant. Il contourne la lisière du village, évitant la boue et les regards indiscrets. Il arrive au poste tenu par Adolfo.
-Et le Major ? demande t-il.
-Il est en réunion avec les autorités de la municipalité.
Le lieutenant continue.
Le Major reçoit et lit : "Localise Elias et dit lui qu’il aille là où il sait pour parler avec le vieux. S’il peut demain, c’est bien, sinon quand il pourra. C’est tout".
A la radio, le major transmet. "Gama, Gama. Si tu copies, dis à celui au grand oeil qu’il achète ses lunettes demain ou dès que possible".
En haut d’une colline, l’opérateur reçoit et à son tour transmet :
"Tortolita, tortolita, si tu copies, il y a un 40 pour Elias, qui dit Nuage qui vient demain".
Au village, celui en charge du poste va parler au responsable : "Recherche Elias et dis-lui que demain il aille à La Realidad". Il y avait déjà un moment que le soleil était caché par la couverture ondulée des collines, quand apparut Elias à la porte de sa cabane, portant un lot de courges avec la sangle. Dans une main il portait la natte et dans l’autre...
LA MACHETTE
Oui, le Sup, non seulement m’informa de la lettre mais me dit aussi en quoi l’affaire posait problème. C’était une disparition. La lettre l’avisait de la disparition d’une compañera et demandait au Sup de faire un communiqué dénonçant le mauvais gouvernement. Si c’est bien son travail au Sup, le problème est que les gens de la commune, les citoyens, estiment que nous les zapatistes on leur dit la vérité, ou encore on ne leur ment pas. Le problème est que si le Sup fait un communiqué de plainte et qu’au bout du compte elle n’a pas disparu ou que ce n’est pas le mauvais gouvernement qui lui a porté tort, alors nos aurons menti et il s’en suivra que notre parole sera affaiblie et après ils ne nous croiront plus. Et donc mon travail était d’enquêter pour savoir si la compañera avait vraiment disparu ou autre chose et d’informer le Sup sur ce qui s’était réellement passé, et alors il verrait ce que nous faisons.
Je demandai au Sup combien de temps j’avais et il me dit trois jours au plus. Je ne lui ai pas demandé pourquoi trois jours et pas un ou dix ou quinze. Lui savait. Je partis seller la mule, et ce même après-midi, je pris la route d’Entre Cerros, ainsi que s’appelle le village où a disparu la compañera qui s’appelle Maria, ou s’appelait, car elle peut-être décédée, et elle est ou était l’épouse du responsable local zapatiste de ce village. En arrivant au village, je parlai avec le compañero responsable dont le nom est Genaro et qui est, ou était, l’époux de la défunte Maria. Bon, elle n’est pas décédée... encore. Le Genaro m’a dit qu’il croit qu’elle est sortie chercher du bois et n’est pas revenue. Oh oui, il l’a cherchée. Il ne l’a pas trouvée, car sinon il n’aurait pas écrit au commandement. Cela s’est passé il y a trois semaines. Mais pourquoi avoir tant attendu ? C’est qu’il pensait qu’elle allait revenir. Il ne savait pas par où elle s’était tirée. Aucun e idée. Il me dit que c’était à moi de la trouver. Que peut-être l’armée ou les paramilitaires l’avaient enlevée et que déjà elle était morte. Qui donc allait lui faire son pozol (6) et ses tortillas (7) ? Qui donc allait s’occuper de ses enfants ?
Je pris congé. Ce que j’avais vu c’est qu’il était plus préoccupé par son problème de cuisine que par le sort de la défunte. C’est-à dire qu’elle lui convenait mieux pour le ménage que pour l’amour. Donc il valait mieux que j’aille à la rivière, là où les femmes lavent le linge, et où je trouvai la mère de mon filleul, Eulogia. Elle était avec mon filleul, l’Heriberto, en train de laver je ne sais quoi. Je parlai donc à la Eulogia parce que c’est une personne qui aime tout savoir. Et elle me dit, qu’avant de disparaître, la défunte Maria, qui n’était pas encore défunte, avait cessé d’aller aux réunions de la coopérative des "Femmes pour la Dignité", juste au moment où elles allaient la nommer responsable et qu’elle, la Eulogia, était allée voir la supposée morte pour savoir pourquoi elle ne venait plus aux réunions, et l’autre, la Maria, lui avait dit "Peut-être qu’ils m’enverront", mais à cause de l’arrivée du Genaro, elle n’en a pas dit plus et est restée silencieuse à moudre le maïs. Je lui ai demandé si par hasard la Maria n’avait pu se perdre dans la montagne, et elle m’a dit, la Eulogia :
- "Comment se perdrait-elle, alors qu’elle connaît parfaitement tous les sentiers et tous les pics !
- "Donc elle ne s’est pas perdue", ai-je dit.
- "Non", m’a t-elle dit.
- "Et alors ?", ai-je demandé.
- "Alors je crois que c’est le Sombreron (8) qui l’a enlevée", m’a t-elle répondu.
- "Ne plaisantez pas, vous n’avez plus l’âge de croire à ces histoires de Sombreron", lui ai-je dit.
- "Pourtant, l’ami, il se passe parfois des choses, comme ce qui est arrivé à la femme de Ruperto", insista la Eulogia.
- "Oh, Eulogia, ce n’était pas le Sombreron mais le Miguel ! Tu ne te rappelles pas qu’on les a trouvés ensemble complètement nus derrière le fourneau", ai-je répondu.
- "Bon, mais il y a quand même d’autres histoires du Sombreron qui je crois sont bien sérieuses" a t-elle ajouté.
Je n’avais pas le temps d’expliquer à la Eulogia que les contes du Sombreron ne sont que des contes, et je pris le chemin qui mène à l’endroit où on trouve du bois. En sortant du village, j’entendis une voix me disant :
- "C’est Elias Contreras !". Je me retournai pour voir qui me parlait, c’était le commandant Tacho qui arrivait au village, je crois pour une réunion.
- "Tu vas bien, Tacho ?".
J’étais sur le point de rester parler avec lui du néolibéralisme et de la globalisation, mais je me suis souvenu que j’avais seulement trois jours pour l’affaire de la peut-être défunte Maria, aussi je pris congé du Tacho.
- Je m’en vais déjà , lui ai-je dit
- "Ah, tu es en commission ?", m’a t-il demandé.
- "Oui", lui ai-je répondu.
- "Que dieu te protège, Don Elias", m’a t-il dit en prenant congé.
- "Vous aussi, Don Tacho"lui ai-je dit et j’ai repris le chemin.
En arrivant dans l’acahual (9), il se mit à pleuvoir. Je ne portais pas de nylon, aussi voilà pas que je me mis à dire des grossièretés qui ne protègent pas de la pluie mais qui réchauffent un peu. Je suivis le chemin du bois dans tous les sens. C’est que la route du bois se divise beaucoup, comme les branches d’un arbre. Où que j’aille, je ne rencontrai absolument rien pour savoir ce qui était arrivée à la supposée défunte Maria. Je m’approchai de la rivière et pris mon pozol assis sur une pierre. La nuit vint. Bien que la lune était entière, je dus utiliser la torche pour revenir sur le chemin de terre. J’avais suivi une ancienne piste. "Et maintenant ?" restai-je à penser en regardant comme un sot les branches coupées par la machette... machette... Machette ! C’est simple ! Je n’avais retrouvé la machette avec laquelle la prétendue morte Maria était partie couper du bois. Alors je me souvins que chez le Genaro j’avais vu une machette à côté des bûches de bois empilées contre le mur de la maison. Il y avait là une bonne quantité de bois, aussi pourquoi la pas si défunte Maria serait-elle allée en chercher d’autre si elle en avait déjà une bonne réserve ? Je me suis dit alors que la Maria on ne l’avait pas fait disparaître, mais qu’elle avait disparue d’elle-même. C’est-à dire, comme nous le disons ici, qu’elle se serait enfuie.
De nuit je pris le chemin de terre pour Entre Cerros, et après avoir pris le café chez la Eulogia, j’allai dormir dans la grange. Mais je ne parvins pas dormir. Avec l’échec et la préoccupation le sommeil ne venait pas. Quand je n’arrive pas à m’endormir, je pense beaucoup. La Sara me blâme parce que je pense beaucoup. Je lui dit qu’il n’y a rien à faire, qu’on m’a fait ainsi. Je restai longtemps à penser. Si la Maria n’était pas décédée, si on ne l’avait pas fait disparaître, si elle a auto-disparue, si on ne sait pas où elle est partie, si elle a bien auto-disparue c’était parce qu’elle ne voulait pas qu’on la trouve, que donc elle était peut-être dans un endroit où personne ne la trouverait.
En me réveillant le matin, il pleuvait, aussi j’empruntai un nylon à mon copain Humberto. Je lui laissai la mule chargée et je partis au Caracol (10) de La Realidad. En arrivant, je demandai à parler avec le conseil de bon gouvernement (10). Je passai d’abord par la commission de vigilance. Il y avait là le Mister et le Brusli. Je leur ai dis que j’étais en commission d’enquête et que je voulais parler au conseil de bon gouvernement. Ils m’y amenèrent. Je demandai au conseil s’ils avaient des informations sur les collectifs de femmes dans les villages. Ils me passèrent une liste. Je pris un bon moment pour la regarder. La liste ne m’apporta rien. Je la leur rendis.
-Que cherches-tu donc ? me demandèrent-ils.
-Je ne sais pas, leur ai-je dit, parce qu’à la vérité, je ne savais pas ce que je recherchais, mais je savais que je le saurais quand je l’aurais trouvé.
-Elle est très embrouillée, ta pensée, me dirent ceux du conseil.
-C’est sûr, leur ai-je dit.
-Alors tu n’a pas trouvé ce que tu cherchais ? me demandèrent-ils.
-Eh bien non ! leur ai-je répondu.
-Pourtant dans cette liste il y a tous les collectifs de femmes, m’a dit l’un d’eux.
-Oui, tous... sauf un qui est à peine constitué, a dit un autre.
-Ah oui, mais c’est une nouvelle région qui est à peine naissante, qui n’a pas encore de municipalité autonome, mais où les femmes sont déjà en train de s’organiser en collectif, a dit le premier.
-Mais oui, car les femmes sont toujours les premières à s’organiser, si nous n’avançons pas assez dans les luttes c’est parce que les hommes ont une pensée très étroite, a dit la seule compañera du conseil. Nous les hommes ont est restés sans voix.
J’ai senti que j’avais enfin trouvé quelque chose dans ma recherche et je demandai :
-Où donc se trouve exactement ce collectif en train de se former ?
-C’est dans la région Ceiba, dans le village de Tres Cruces, par la route de Comitan, dit la compañera.
J’empruntai sa jument au Brusli, et je pris la route de Tres Cruces. La nuit tombait sur le chemin et la jument s’effrayait des ombres, aussi je la laissai dans une ferme et continuai à pied. Le second jour finissait, et je n’avais fait que flâner. J’arrivai au village alors que la lune avait fait plus de la moitié de son trajet. J’allai chez le responsable local pour me présenter. Il me laissa un moment. Je supposai qu’il vérifiait par radio si j’étais bien ce que je disais être, parce qu’il revint assez vite très content et m’offrit à dîner. On a bu du café avec le guineo (11). A la fin je lui ai demandé comment allait le travail et il m’a dit que ça allait plutôt bien, sans plus, que le collectif parfois se décourageait, mais qu’avec la discussion politique ça repartait.
-Ce qui marche un peu mieux c’est le collectif des femmes, mais c’est qu’Avril lui apporte beaucoup, a dit le responsable.
-Abril, c’est qui celle-là ? lui ai-je demandé.
-C’est peut-être un, c’est peut-être une, m’a t-il répondu.
Je lui ai donné une autre gorgée de café et j’ai attendu. Le responsable a continué :
-Abril est une compañera qui est arrivée il y a environ trois semaines, elle a dit qu’elle était commission des femmes. Nous l’avons installée dans la maison de Doña Lucha qui vit seule depuis que le Aram est décédé. C’est là que vit cette Avril et je crois que sa pensée est très bonne car les femmes du village l’aiment beaucoup. Chaque semaine elles se réunissent pour la politique et les travaux. Et je crois qu’elles ont déjà demandé au conseil de bon gouvernement l’enregistrement de leur collectif.
Je pris congé du responsable, lui disant que j’allais chercher l’hospitalité à l’église. J’en profitai pour lui demander où vivait Doña Lucha. Il m’indiqua qu’elle vivait à la lisière du village qui mène à la colline. Je partis, mais au lieu de me rendre à l’église, je continuai la route. Il n’y avait qu’une maison du côté de la colline, aussi je supposai que c’était celle de Doña Lucha. Je restai un moment à attendre. Pas beaucoup. La porte s’ouvrit et ce qui était d’abord une ombre, à la lumière de la pleine lune, était une femme.
-Bonsoir Maria, lui ai-je dit en sortant de derrière la fontaine.
Elle resta alors comme paralysée. Après un moment, elle se baissa pour attraper une pierre et me fit front en disant :
-Peut-être je m’appelle Maria, je m’appelle Avril. Je la regardai en silence, pensant que n’importe quelle autre femme aurait été effrayée, et aurait crié ou couru ou les deux à la fois. Elle, au contraire, était disposée à affronter un inconnu. Une telle femme ne reste pas silencieuse si quelque chose ne va pas. Pas plus qu’elle ne reste vivre avec quelqu’un qui la maltraite. Sans cesser d’observer la main qui tenait la pierre, je lui parlai lentement :
-Je m’appelle Elias et je suis commission d’enquête. Je recherche ce qui est arrivé à une femme qui s’appelle Maria et qui a disparu du village d’Entre Cerros et dont le mari est très inquiet.
Elle, sans lâcher la pierre :
-Peut-être que je connais le village d’Entre Cerros, mais ni cette Maria ni son mari Genaro.
Je lui lançai alors :
-Je n’ai pas dit que le mari s’appelle Genaro. J’imagine qu’elle a pâli, à voir sa figure, mais je ne me suis pas vraiment rendu compte si elle avait changé de couleur. Après un long silence, elle m’a dit fermement, en attrapant un bâton de sa main libre :
-Je ne vais pas me laisse prendre.
-Je ne viens prendre personne, compañera, mais seulement enquêter, lui ai-je dit en me tournant pour partir.
-A peine avais-je fait quelques pas que j’entendis sa voix :
-Vous ne voulez pas rester manger quelque chose ? Doña Lucha a fait des tamales (12)...
Après manger, pendant que Maria-Avril, ou Avril-Maria me racontait son histoire, Doña Lucha m’a offert...
UN CAFE
"Le Sup t’attends", m’a dit le camarade insurgé qui était de garde, à l’entrée du Commandement.
Le Sup était là où ils attachent les chevaux, fumant sa pipe. Il m’a fait l’accolade, m’a offert le café, et on s’est assis sur un tronc. Le Lieutenant Colonel José était aussi là . Je leur racontai tout. Je leur expliquai que le mari, le Genaro, maltraitait beaucoup la Maria, ou la Avril, qu’il l’empêchait de participer et était très jaloux. Le Genaro, le mari, quand il a su qu’elles allaient la nommer responsable du collectif des femmes, l’a battue. Elle posa alors le problème à l’assemblée de son village, mais il n’y eu pas d’accord et les choses restèrent en l’état. Ses enfants sont déjà grands et n’ont plus besoin d’elle. La Loi Révolutionnaire des Femmes lui reconnaît son droit d’avancer. La Doña Lucha, l’écoutant parler, approuvait par des mouvements de tête et serrait les poings comme si elle était très en colère. La Avril, qui est la Maria, en a eu assez qu’on la traite comme un chien. Alors, avant d’auto-disparaître, elle avait laissé au Genaro une b onne quantité de bois pour qu’il comprenne qu’elle ne partait pas par paresse, mais parce qu’elle ne supportait plus la situation. La Loi Révolutionnaire dit qu’elle peut choisir son partenaire, et vivre ou non en couple. Elle est donc partie à Tres Cruces parce qu’elle avait fait la connaissance de Doña Lucha dans une réunion de femmes et savait pour compter sur son aide. Elle reconnaît avoir commis le délit de mensonge en se présentant de la "Commission des Femmes", mais cela était nécessaire pour qu’elle soit admise dans le village. Elle a changé de nom pour celui d’ "Avril", car c’est le mois des femmes qui luttent. Je ne lui ai pas dit que le mois des femmes en lutte est mars et non avril car elles étaient très en colère toutes les deux. Il valait mieux que je le leur dise quand elles seraient calmées. Avril acceptait d’être sanctionnée pour avoir menti en se faisant passer pour la "commission des femmes", mais elle ne reviendrait pas auprès de celui qui la maltraitait. Elle était une zapatiste et se conduisait comme une zapatiste.
Le Sup et le Lieutenant-Colonel m’écoutèrent en silence, le Sup en remplissant et en rallumant de temps en temps sa pipe. Quand j’eus fini mon rapport, il m’a dit :
-Eh bien c’est une surprise. J’ai rencontré le camarade Genaro à une réunion de responsables, il parlait bien et semblait très zapatiste.
Je lui ai dit :
-Ecoute Sup, est-ce possible que tu connaisses quelqu’un qui n’est pas toujours zapatiste ?
Il bougea la tête comme pour penser
-Combien faut-il donc de temps pour être zapatiste ? me demanda t-il tout en m’aidant à seller ma mule.
-Parfois cela prend plus de 500 ans, lui ai-je répondu et je me suis dépêché de prendre la route car mon village à moi est retiré.
Le soleil là -haut s’en allait comme si quelque chose le faisait...
MANQUE
A morsures, le ciel arrache l’obscurité fleurissant dans les cimes des arbres. Distrait par le vol d’un nuage, le Sup mordillait la pipe à nouveau éteinte.
-Sur la question des femmes il manque beaucoup, dit le Lieutenant Colonel.
-Il manque, dit le Sup en mettant les papiers de l’affaire dans une épaisse chemise qui dit : "Elias : Commission d’enquête".
Quelqu’un, loin de là , reçoit un pli fermé sur lequel l’expéditeur a écrit :
Des montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, novembre 2004.
Traduction du castillan (Mexique) par Gérard Jugant avec le concours de Zoila Ipenza
(1) Pour mémoire, Manuel Vasquez Montalban s’est rendu au Chiapas et a eu de longs entretiens avec Marcos, qui lui servirent pour écrire son essai : "Marcos : El señor de los espejos", 1999 (traduction française sous le titre "Le maître des miroirs", Les Mille Et Une Nuits, 2000). Il a aussi participé à la Marche sur Mexico en 2001. Il est prématurément décédé en octobre 2003, à Bangkok, de retour d’un voyage en Australie.
(2) La déduction du narrateur est juste. Les butifarras, spécialité catalane, sont des sortes de boudin, noir ou blanc, à base de sang de cochon. On connaît l’intérêt de Vasquez Montalban et de son personnage de Pepe Carvalho pour la cuisine. Il a d’ailleurs écrit plusieurs livres de recettes culinaires, dont deux ont été traduits en français. Il disait : "La cuisine est une métaphore de la culture et de son contenu hypocrite".
(3) Hector Belascoaran Shayne est le détective de nombreux romans de Paco Ignacio Taibo II.
(4) Le sous-commandant Pedro est mort au combat le 1er janvier 1994.
(5) Le bayalté est une variété d’ arbre du Chiapas.
(6) Le pozol est une boisson sucrée à base de maïs.
(7) La tortilla est une galette de maïs cuite sans graisse. Elle est la base traditionnelle de l’alimentation du peuple mexicain.
(8) Le Sombreron est un personnage mythique de la tradition orale et narrative indigène d’Amérique centrale. On le décrit portant chapeau et rôdant la nuit venue dans les endroits isolés.
(9) L’acahual est, au Chiapas, une zone de transition entre campagne et forêt.
(10) Les Caracoles (Escargots) et les conseils (ou assemblées) de bon gouvernement constituent la nouvelle organisation zapatiste décrétée le 9 août 2003 (les aguascalientes étant supprimés). Les 5 zones territoriales sous contrôle zapatiste sont dénommées Caracoles. Il s’agit de La Realidad, Oventic, Morelia, La Garrucha et Roberto Barrios. Chaque Caracol est administré par un conseil de bon gouvernement ("Junta de Buen Gobierno").
(11) Le guineo est une variété de banane, petite et odorante.
(12) Le tamal est un pâté de viande et de farine de maïs, préparé de différentes façons selon les régions d’Amérique latine
*** *** ***
– 7.VENEZUELA
DANILO ANDERSON : UNE VICTIME DE L’IMPUNITE
par Miguel Angel Hernandez Arvelo (source Aporrea du 19-11-2004)
Les assassins du procureur Danilo Anderson ont des noms et des prénoms. L’homme qui a accusé le putschiste Capriles Radonsky, les policiers de la PM (Police Métropolitaine de Caraca, ndt)) impliqués dans les assassinats du 11 avril, l’homme qui enquêtait sur les signataires du décret de Carmona qui d’un trait de plume avait abrogé les libertés démocratiques, est victime de la férocité et de la bassesse de ceux qui réalisèrent le coup d’avril 2001 ; de ceux qui organisèrent l’arrêt patronal et le sabotage pétrolier ; de ceux qui recrutent les paramilitaires et organisent les "guarimbas" (manifestations violentes, ndt). Il est une victime des partis politiques de la prétendue Coordination Démocratique qui a fraudé pour obtenir les signatures et tenté de frauder lors du référendum du 15 août.
C’est, sans aucun doute, une victime de l’impunité existant dans le pays, institutionnalisée par le Tribunal Suprême de Justice et poursuivie grâce à l’extrême passivité du gouvernement à l’égard des putschistes et des saboteurs de l’économie nationale et de notre industrie principale.
En diverses occasions nous avons exposé qu’il était illusoire de croire que les causes qui sont à l’origine de l’extrême polarisation du pays cesseront avec les victoires populaires au référendum et aux élections régionales du 31 octobre dernier. C’est une immense naïveté de croire que ceux qui se sont opposés tenacement au processus révolutionnaire que vit le pays, qui n’ont hésité à infliger au peuple toutes sortes de pénuries, qui ont assassiné des personnes, qui ont fait un coup d’Etat, et sans aucune scrupule ont liquidé les institutions et libertés démocratiques, aujourd’hui, par on ne sait quelle curieuse circonstance, seraient respectueux du jeu démocratique, et renonceraient à la violence et au mensonge médiatique.
Pour tous les travailleurs et le peuple, qui ont lutté sans répit contre la bourgeoisie nationale, l’impérialisme et leurs partis, il est clair que la lutte pour l’approfondissement du processus révolutionnaire ne s’est pas achevée le 15 août, pas plus que le 31 octobre. L’oligarchie et l’impérialisme n’ont pas non plus renoncé à poursuivre leurs tentatives de liquidation du processus révolutionnaire. Ces mêmes n’ont pas renoncé à s’attaquer à toutes les conquêtes obtenues par le peuple vénézuélien dans les luttes de ces denières années. Ils disposent d’importants moyens pour parvenir à la restauration de leurs privilèges. Aucune classe sociale dominante ne laisse son pouvoir sans mener une lutte sans merci, à sang et à feu, contre les classes qui veulent le lui arracher.
L’assassinat de Danilo Anderson expose en pleine lumière l’acharnement avec lequel les ennemis du peuple et des travailleurs peuvent agir. Il n’est pas possible que nous endormions sur nos lauriers en nous disant que "nous avons gagné". Les victoires électorales du référendum et des élections régionales n’ont pas effacé les périls, la bourgeoisie et l’impérialisme ne vont pas se résigner et entrer dans le jeu constitutionnel. Cette idée qu’ "on peut tous travailler ensemble", ne doit pas servir de paravent derrière lequel se dissimulent les putschistes pour obtenir du gouvernement des prébendes économiques, tout en continuant de saboter le processus révolutionnaire. La paix ne sera pas possible tant que seront libres les éléments les plus hostiles et fascistes de l’oligarchie et tant que nous n’aurons pas liquidé la classe capitaliste, en approfondissant le processus révolutionnaire et en établissant un vrai gouvernement des travailleurs et du peuple.
C’est une duperie de penser que le dialogue et la réconciliation nationale sont possibles avec ces sans scrupules, prêts à tout, comme le peuple vénézuélien en a déjà fait la triste expérience. Pendant que le gouvernement appelle le patronat, l’Eglise catholique et les médias à négocier, et leur offre des avantages au nom d’une prétendue et impossible réconciliation nationale, les mêmes brandissent le spectre effrayant de la violence et du terrorisme. Ne nous laissons pas tromper, l’unique possibilité d’obtenir que le processus révolutionnaire s’approfondisse est d’engager une lutte sans merci contre l’impunité et contre les ennemis des travailleurs et du peuple. Et non pas en "nous réconciliant" avec les assassins qui n’ont pas la plus petite envie de renoncer à l’utilisation de méthodes abjectes et inhumaines pour arriver à leurs fins, comme ils l’ont démontré sans cesse ces trois dernières années, et que met dramatiquement en évidence l’assassinat habile e t bien planifié de Danilo Anderson. Tant que les militaires fascistes de la Place Altamira, les maires et ex-gouverneurs putschistes, les saboteurs de l’entreprise pétrolière, les méritocrates de PDVSA, les financiers des paramilitaires, les organisateurs des "guarimbas" et autres criminels seront en liberté et impunis, aucun travailleur vénézuélien ne pourra dormir tranquille. Tant qu’ils ne seront pas jugés et emprisonnés en lieu sûr, une épée de Damoclès planera sur nos têtes. Aujourd’hui, c’est Danilo Anderson, demain ce sera peut être le tour d’ un dirigeant paysan, comme cela a déjà été le cas, d’un dirigeant syndical de classe, d’un dirigeant populaire, d’un activiste d’un média communautaire, d’un militant révolutionnaire des UBEs ou des patrouilles. Nous tous qui luttons contre le putschisme et l’impérialisme, qui défendons PDVSA, qui nous sommes organisés pour défaire l’oligarchie et ses partis au référendum et aux élections régionales, nous sommes exposés à un grave dang er si nous ne nous mobilisons pas pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’impunité, en châtiant les putschistes et les fascistes qui circulent toujours tranquillement dans les rues du pays et organisent les attentats et la déstabilisation, tout en négociant des avantages économiques dans les bureaux de la vice-présidence de la République.
Nos frères colombiens connaissent les horreurs du terrorisme paramilitaire.
Le peuple et les travailleurs vénézuéliens ne doivent pas laisser l’oligarchie nous entraîner dans cette spirale de violence. Face à ce crime monstrueux nous ne pouvons pas rester sans réagir. L’assassinat d’Anderson est une attaque directe contre chacun d’entre nous. C’est un crime qui cherche à effrayer le peuple. La réponse doit être rapide et implacable. Sans attendre, l’UNT et ses sections régionales, toutes les organisations populaires, les médias communautaires et alternatifs, les comités de terre, les UBEs, les patrouilles, ainsi que les collectifs estudiantins et politiques doivent organiser une grande mobilisation qui se dirigera au Ministère Public et au Tribunal Supérieur de Justice pour exiger une enquête exhaustive sur les auteurs matériels et intellectuels de cet assassinat, ainsi que soient jugés et condamnés tous les militaires et civils mis en cause dans le coup d’avril, dans l’arrêt-sabotage de PVDSA, dans le paramilitarisme et dans les gua rimbas. On doit exiger aussi des enquêtes sur le Bloc Démocratique, sur les agents de la DISIP (Police Politique, ndt) et les militaires liés à la Coordination Démocratique, sur les partis et dirigeants de cette organisation, ainsi que sur la PM et les polices municipales putschistes. Mais la lutte contre l’impunité et ses conséquences fascistes ne peut se contenter d’ une journée de mobilisation.
Nous croyons qu’il y a urgence à former des comités pour l’autodéfense et contre l’impunité, qui devraient comprendre des représentants de toutes les organisations syndicales, populaires et politiques, afin d’obtenir que soit condamnés les assassins d’Anderson, et en même temps prévenir de nouveaux attentats en nous mobilisant pour le châtiment de tous les putschistes.
Traduit du castillan par Gérard Jugant
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– 8.VENEZUELA
BOLIVARISME RADICAL
(Une précédente lettre du professeur Tabarquino, intitulée "Bien que prisonnier, je suis libre" a été publiée dans Révolution Bolivarienne n°5-novembre 2004).
Lettre des détenus antiCOLONialistes au peuple bolivarien
par Freddy Tabarquino, professeur universitaire d’Ethique, des cachots de la DISIP où nous sommes détenus depuis 30 jours (in Aporrea 20-11-2004)
Notre cause étant juste, peu nous importe les 30 jours passés en prison, qui peuvent se convertir en 8 ans, selon la juge de contrôle Josefina Sosa Gomez.
Chaque jour qui passe nous sommes plus fiers de la décision historique des mouvements et individualités populaires, révolutionnaires et bolivariens de renverser l’image qui a symbolisé durant 512 ans le COLONialisme sur ce continent. De plus nous l’avons renversée un 12 Octobre, jour anniversaire de l’effondrement depuis 1492 de l’Histoire culturelle par le génocide et la barbarie de près de 4 siècles, jusqu’en 1810.
Le Pouvoir populaire victorieux a agit révolutionnairement en conscience historique, affirmant catégoriquement et définitivement aux forces impérialistes et colonialistes que nous n’acceptons pas et n’accepterons plus la date du 12 Octobre 1492 comme référence historique unique de l’immense héritage culturel développé durant 20.000 années avant cette date de 1492.
La rachitique juge, représentante de l’Ultra droite, persiste à menacer ce glorieux processus révolutionnaire bolivarien. C’est elle qui a relâché Carmona le putschiste, lui permettant de fuir, c’est elle qui a décidé hier de notre maintien en détention, essayant ainsi de donner la leçon à ceux quoi osent défier le pouvoir établi de la droite contre-révolutionnaire, qui a à son actif la destruction des civilisations indigènes et la liquidation de 4 Républiques.
Ce glorieux peuple de libertadores et de leaders héroïques, alors qu’en Europe se produisait la Révolution Française, a obtenu sa liberté et aujourd’hui, suivant ce glorieux exemple, il s’est remis en marche après 500 ans d’un grand processus de colonisation culturelle, afin de maintenir en vie ses racines historiques ancestrales.
Notre glorieuse armée du peuple vénézuélien patriote, attaquée alors par les armées impériales espagnoles, victoires après victoires, a fini par sceller, avec la Bataille de Carabobo, notre liberté. Bolivar accéda à la gloire d’Empereur en vainquant toutes les armées royales.
Ce qui ne fait que commencer, c’est la Bataille des idées d’un peuple cultivé qui démontre une bonne fois pour toutes qu’il est déterminé à sortir de l’esclavagisme et de la colonisation culturelle auxquels il a été soumis cinq siècles durant.
La décision prise contre nous est un signal non équivoque et absolu des oligarques qui veulent montrer au peuple que c’est encore eux qui possèdent le pouvoir dans les structures de l’Etat, qu’ ils veulent continuer à nous imposer leur vanité et leur orgueil culturel. Ceux-là , qui continuent à se croire de sang bleu, pensent que nous, qui sommes fiers de notre sang indigène, nous serons vaincus dans cette bataille culturelle. Notre action qui a fait le tour du monde, a rappelé à ceux pour qui seule comptait une date, que nous autres seulement en renversant leur statue, nous souvenons de la souffrance de 60 à 80 millions d’êtres humains.
Etre culturellement radicaux et complètement révolutionnaires est la seule voie pour que la Ve République ne se perde pas.
Hasta la Victoria Siempre...
"Nous commençons à prendre le ciel d’assaut".
Traduit du castillan (Venezuela) par Max Keler
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– 9.VENEZUELA
CHAVISME RADICAL
LINA RON DONNE SON AVIS SUR LA CRISE AU SEIN DE L’OFFICIALISME
El Nacional, Caracas, le 22-11-2004. Article non signé.
Assurant qu’à l’intérieur des partis MVR, Podemos et PPT s’organise la trahison contre Hugo Chavez, favorisée par l’infiltration de l’opposition, l’activiste politique prépare son nouveau plan d’action aujourd’hui en tant que leader du groupe Unidad Popular Venezolana (UPV) qui compte désormais 4 députés à l’Assemblée Nationale. L’UPV est en train de capitaliser tout le chavisme. Les gens ne se sentent pas représentés dans les autres partis, assure Ron.
C’est une petite motocyclette violette qui nous dépose à la porte du domicile de Lina Ron. Avant le court voyage en deux roues, les tentatives avaient été infructueuses pour arriver jusqu’à la populaire dirigeante. Il n’est plus très facile de la rencontrer sur la "Place de la Révolution"en face de la Santa Capilla, où se trouve aujourd’hui le siège de l’UPV, le parti que l’activiste politique a fondé récemment et qui présente plusieurs centaines de candidats aux élections régionales et a un groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale, constitué par les députés Ismael Burgos, Luigi d’Angelo, Henry Hernandez et Angel Graterol, tous déçus par le Bloc du Changement.
Sur la place, désormais propriété révolutionnaire, opèrent divers volontaires à l’ombre des arbres. Tôt le matin, ils s’installent tranquillement sur des chaises en plastique pour recevoir les camarades qui viennent avec leur dossier à la main.
Toute la journée des Vénézueliens pauvres viennent ici dans le cadre du plan d’ "Accompagnement social", pour faire connaître leurs besoins aux militants de l’UPV. Dans les jours qui suivent, ils reçoivent une lettre signée par Ron qui les recommandent auprès de telle ou telle instance gouvernementale. Au final, le lieu est fréquenté par les indigents de la zone, qui ont rejoint le clan.
Un homme âgé se plaint des menaces qui planent sur la révolution, se parlant plus à lui-même que pour attirer l’attention. L’état d’esprit de la place peut se résumer dans cette crainte. On sent l’amertume, l’anxiété et la rancune de beaucoup d’adorateurs d’Hugo Chavez à l’égard des dirigeants les plus connus de la révolution bolivarienne qui, d’après eux, se sont alliées à l’ennemi pour évincer le leader du "processus". A un moment quelque chose s’est rompu : un des quatre pieds de la table chaviste est définitivement brisé. De plus, le fantôme du référendum révocatoire rôde sans pudeur dans la place.
Pour commencer à conjurer ces mauvais augures, on prépare une action en soutien à Adina Bastidas (ex vice-présidente et ministre, considérée comme une radicale, Ndt), pour démontrer aussi que les chavistes les plus radicaux sont unis face aux "traîtres" que Lina Ron a affublé du titre de cinquième colonne, en référence à l’époque du dictateur espagnol Franco. "Adina est en permanence calomniée par la presse, qui l’accuse de corruption. Le pire qui puisse arriver à un révolutionnaire est d’être accusé de corruption", dit Ron, qui dénonce avec insistance l’abandon de la voie révolutionnaire de personnalités importantes des partis MVR, Podemos et PPT, qui cherchent à implanter un "chavisme sans Chavez".
-Que propose UPV par rapport à la situation que vous dénoncez au sein du MVR, de Podemos et du PPT ?
-"L’UPV est en train de récupérer toute la base du chavisme, tous ces gens qui ne se sentent pas représentés par ces partis. Le parti est seulement un instrument de lutte pour gagner les élections et prendre le pouvoir formellement. Je n’avais rien à faire au MVR où je suppose on m’a expulsée, quant à rejoindre Podemos ce serait régresser. Je n’avais d’autre alternative que de fonder un parti. J’ai toujours pensé qu’un parti à moi aurait beaucoup de force".
-Vous croyez que c’est le pouvoir qui a avili les dirigeants de ces partis ?
- "C’est évident, ils ont reçu beaucoup de pouvoir du parti, au détriment des adhérents. Ces dirigeants se sont emparés de l’organisation pour être super-puissants.
J’ai prévenu les candidats de l’UPV : ils ont 60 jours pour faire leur preuve comme candidats et s’ils ne réussissent pas ils doivent se retirer avec humilité. Je ne peux pas connaître tous les candidats, car ils sont des milliers. Alors que le Comando Ayacucho dépense je ne sais combien de millions de bolivars pour inscrire les candidats, l’UPV a fait le même travail avec seulement 5 millions".
-Quel est le fondement conceptuel de l’UPV ?
- "La raison d’être de la glorieuse UPV est de lutter pour le bonheur du peuple, par une répartition égalitaire de la rente pétrolière. Une étude a été faite qui démontre que la rente pétrolière peut être répartie de la sorte entre tous les Vénézuéliens, en consacrant bien entendu l’argent nécessaire aux oeuvres collectives de l’Etat. Nous voulons que tout le monde soit au même niveau".
-Quel muscle financier est derrière l’UPV ?
- "Il n’y a aucun muscle, seulement des amis qui nous aident de temps en temps. Le gouvernement ne nous finance d’aucune manière, mais les gens que j’envoie au Gouvernement pour qu’il réponde à leurs problèmes eux, m’aident, c’est une avalanche d’appuis à mon parti. Je suis une municipalité parallèle.
Du fait de la fragile majorité du Bloc du Changement à l’Assemblée, les votes de l’UPV peuvent être déterminants.
Il est de fait que ma fraction à l’Assemblée Nationale peut rejeter les décisions du Bloc du changement. Ils vont être obligés maintenant de discuter avec Lina Ron. Nous faisons pression en ce moment pour qu’on commence à discuter de la loi du Tribunal Suprême de Justice".
- Les députés de l’UPV pourraient-ils, à l’occasion, soutenir une proposition de l’opposition à l’Assemblée ?
"C’est ce qu’a dit Ismael Burgos, mais je crois qu’aucune proposition de l’opposition ne pourra être profitable ni pour le peuple, ni pour notre président. Cependant on va laisser la question en suspense et voir, comme dit Burgos, ce qui va se passer".
-Pourquoi l’UPV soutient-elle la réélection de Bernal à la Mairie de Caracas ?
- "A Caracas si nous ne sommes pas unis, on s’écroule. Qui d’autre pourrait être candidat ? Indiscutablement, moi. Mais je ne veux pas être maire, ni députée, ni rien. Avec Freddy, nous avons des différences, mais comme je l’ai dit : c’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute (la formule vous rappelle quelque chose ? C’est celle d’un ancien président des EU pour qualifier le dictateur nicaraguayen Somoza, Ndt). C’est un révolutionnaire convaincu, mais peut-être ne gère t-il pas son sens révolutionnaire comme moi".
-Vous avez déclaré dans plusieurs médias qu’il y a des traîtres à l’intérieur du chavisme. Que voulez-vous dire par là ? Qui sont-ils ?
- "Je ne vais pas dire publiquement qui sont ceux de la cinquième colonne, parce que je suis en train de lancer des passerelles internes, à travers certains camarades qui peuvent encore parler avec eux, pour leur dire d’arrêter leurs conneries, que la chose est hyper-dangereuse, que si c’est dangereux pour moi, ça l’est pour eux. La droite est l’ennemi commun. Je n’ai pas de problème, car je suis une ennemie jurée de la droite, mais eux si, il ont beaucoup à perdre à terme, même si maintenant ils pactisent avec eux. Ils ne peuvent pas se servir du nom du président Chavez et de la révolution pour voler tranquillement, pour se servir du trésor public, pour faire des désastres avec l’argent du peuple. S’ils ne veulent plus continuer dans la révolution bolivarienne je le comprends. S’ils ne peuvent pas dépenser l’argent qu’ils ont volé parce qu’avec un gouvernement dirigé par Chavez c’est impossible, je le comprends aussi. L’argent c’est comme la toux, ça ne peut se cacher.
- Le chavisme sans Chavez est-ce possible ?
- "Je déclare la guerre frontale au chavisme sans Chavez. Ils veulent l’implanter, mais ils ne pourront pas, car je veille. Ce ne serait pas viable".
-Il n’y a pas d’autre leader que Chavez. C’est une question messianique. Ce pouvoir absolu de Chavez est-il sain pour le processus ?
- "Ce temps est celui de Chavez. Il n’a pas encore accompli un mandat présidentiel complet. De plus, même Chavez mort, qu’ils se préparent, il y en a au moins pour 50 ans de chavisme. Il n’ont pas idée de la rage qui serait la nôtre en cas de disparition de Chavez. S’il arrive quelque chose à Chavez, il y aura un bain de sang".
- Et si Chavez perd dans un référendum révocatoire ?
- "Ce serait une voie prétendue légale. J’ai dénoncé les négociations de la cinquième colonne avec la droite pour déposer le président Chavez, parce que dans le prétendu processus de collecte de signatures ils recueillirent des signatures d’un député de chaque bord, et pas les plus importants. Ils auraient pu aussi par hasard aller recueillir celle de mon commandant Chavez. Quelle chose bien curieuse ! Le sieur Luis Ganargo "Nikita", de Podemos, s’est réuni avec Enrique Mendoza, C’est un traître.
Loyalement personne ne peut nous vaincre par référendum présidentiel. S’il s’agissait pour la contre-révolution de vouloir un référendum pour éliminer Chavez, je le comprendrais, mais ce n’est pas ça : ce sont les rampants qui vendirent Chavez à la CNE".
-Quelle figure du chavisme pourrait se substituer à Hugo Chavez ?
- "J’espère qu’aucun leader du chavisme ne pense à cela, mais je renouvelle mon appréciation sur Diosdado Cabello".
-Ces comportements que vous dénonçez sont-ils possibles sans l’aval du président Hugo Chavez ?
- "Je ne sais pas si c’est avec sa permission. En tous cas, je ne sais pas quelle explication électorale ils ont donné au commandant Chavez pour faire cela. Mais comme la trahison s’accélère, je crois qu’ils sont capables même de l’avoir fait sans le consentement du président. Le pacte avec la droite pour se débarrasser du commandant en chef est très avancé. C’est le résultat de l’infiltration de la droite, mais le chavisme radical reste majoritaire, si bien qu’on a pas été débordés".
-Quand allez-vous donner ces noms ?
- "Peut-être jamais, parce qu’un jour s’ils apparaissent avec une moustiquaire dans la bouche, je ne veux pas qu’on dise que c’est à cause de moi. Mais comme tous les révolutionnaires authentiques nous sommes blessés, je n’en dirai pas plus. Dans ce moment historique nous sommes inquiets et nous travaillons durement pour les affronter. Je pose la question : comment peut-il se faire que ceux qui sont en train de trahir le président continuent à se réunir avec lui, et passent à la télévision comme les porte-paroles du chavisme ?"
Elle se lève du canapé et regarde à la fenêtre. Elle dit qu’elle sent une agitation bizarre dans la rue, mais que ce doit être la rumeur du milieu de la journée dans l’avenue Urdaneta, animée par les marchands ambulants qui vendent des CD pirates, accomplissant leurs délits bruyamment. Elle se penche à nouveau. Elle est inquiète.
-Vous vivez avec la peur ?
- "Je suis dans l’attente, vigilante, en alerte. J’ai toujours été comme ça. Je crois que la balle qu’ils me réservent est prête. Parfois c’est très lourd à supporter ".
La crinière est la même mais le statut a changé. Plus fringante, meilleure mine. On devine sous la salopette bleue un corps mieux nourri. Il y a trois ou quatre ans, quand on a commencé à la connaître, cette femme n’était que la peau et les os. Elle est aussi moins narquoise. Ron accorde cet entretien dans le petit salon de sa maison, accompagnée de trois camarades assistantes, qui apportent du café, une autre passion de la dirigeante politique, de l’eau et des cigarettes Belmont, qu’elle fument en série. Ron vit avec Humberto, son époux et secrétaire, un beau garçon. On l’aperçoit dans la salle à manger à côté.
- "Je reste la même", insiste t-elle, même si aujourd’hui je ne suis plus seulement la blonde à la chevelure bouclée qui haranguait ses suiveurs, mais la chef de son parti, qui croit en ses chances de victoire aux élections régionales et pèse à l’Assemblée Nationale. "Avec moi c’est le phénomène de "la femme singe’. Les gens m’entourent pour voir mon animalité et si je sais parler, proteste t-elle en laissant entendre, à sa grande peine, qu’elle n’est pas une invitée habituelle du Palais de Miraflorès car elle est "la méchante du film".
Elle confesse connaître le personnage de "La Chata" du roman "Cosita Rica". "Dans mes rêves, ils tuèrent un de mes fils. Je suis préoccupée, car c’est un message subliminal. Peut-être veulent-ils faire du mal à Humberto", explique t-elle.
Pour finir la conversation, Ron montre un exemplaire du tabloïd "Las verdades de Miguel" où le journaliste accuse José Albornoz (PPT) et Ismael Garcia (Podemos) de diriger le supposé pacte entre certains secteurs du chavisme et l’opposition. Ron est d’accord avec cette information, mais estime qu’elle est incomplète : "Le problème est qu’il ne mentionne personne d u MVR. Cela me laisse perplexe".
A ce qu’il semble, l’affrontement avec ceux qui cherchent à affaiblir la "révolution" est sans merci.
Traduction du castillan (Venezuela) Max Keler.
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Ce qu’il n’a pas accompli ne l’est toujours pas aujourd’hui : Bolivar a encore beaucoup à faire en Amérique. (José Marti).
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- Notre initiative politique est celle d’individus, militantEs certes, mais n’est au service d’aucune organisation en particulier, et encore moins, cela va sans dire, de pouvoirs ou d’intérêts vénaux, médiocres ou à courte vue.
La référence explicite à Simon Bolivar et au mouvement bolivarien est fortement symbolique. Simon Bolivar, qui était un grand aristocrate, n’est en aucun cas pour nous un modèle ou une référence théorique. Il y avait néanmoins dans son projet d’unité des peuples, d’indépendance et de liberté quelque chose d’une parfaite actualité, au coeur des enjeux, singulièrement en Amérique latine.
Une fois par mois environ Révolution Bolivarienne présentera à une sélection d’articles de presse (la grande parfois mais surtout l’alternative, la militante, la rebelle), de contributions, d’analyses, d’événenements et d’initiatives. Une part plus ou moins conséquente de nos textes seront des traductions par nos soins (ou par des réseaux amis), le plus souvent de l’espagnol, mais aussi d’autres langues. Ces textes seront donc pour la plupart inédits en français. A ce sujet, si vous disposez d’un peu de temps et de la connaissance de langues étrangères, votre contribution sera particulièrement bienvenue ! De même qu’un récit de voyage. D’autre part, une tribune libre est à la disposition des lecteurs-trices.
Pour reprendre une image de l’antique mythologie, il nous semble que l’Amérique latine est un fil d’Ariane susceptible de nous aider à sortir de notre labyrinthe en nous émancipant de nos propres Minotaures.
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Révolution Bolivarienne est envoyé directement à un réseau strictement privé. Les propos publiés dans nos bulletins n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Reproduction libre en mentionnant les sources.
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– Révolution Bolivarienne N° 1 - Juin 2004.
– Révolution Bolivarienne N° 2 - Juillet 2004.
– Révolution Bolivarienne N° 3 - Août 2004.
– Révolution Bolivarienne N° 4 - Septembre-Octobre 2004.
– Révolution Bolivarienne N° 5 - Novembre 2004.
– Révolution Bolivarienne N° 6 - Décembre 2004.