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Révolution Bolivarienne N° 3 - Août 2004.

Bulletin d’informations sur l’Amérique latine. N°3, août 2004

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Pour bien juger des révolutions et des révolutionnaires, il faut les observer de très près et les juger de très loin. (Simon Bolivar).

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EVENEMENTS

58,25 %

Hugo Chavez remporte le référendum organisé au Venezuela

16.08.04

Extrait

Les électeurs vénézuéliens ont décidé dimanche de maintenir au pouvoir leur président. Le chef de l’Etat l’a emporté avec 58,25 % des voix contre 41,74 % des voix pour l’opposition, qui dénonce des "fraudes électorales". Marqué par une participation massive, le scrutin s’est déroulé dans un calme relatif, malgré le meurtre d’une femme devant un bureau de vote de Caracas. Les prix du pétrole s’effritent après l’annonce de cette victoire.

La Commission nationale électorale (CNE) vénézuélienne a annoncé lundi 16 août vers 4 heures (10 heures à Paris) que Hugo Chavez avait remporté le référendum organisé la veille dans le pays sur son maintien au pouvoir. Le chef de l’Etat l’a emporté avec 58,25 % des voix contre 41,74 % des voix pour l’opposition, selon des résultats publiés lundi par les autorités électorales après dépouillement de 94 % des suffrages.

http://www.lemonde.fr

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FORUM SOCIAL DES AMERIQUES

LES AMERINDIENS SE PLACENT AU COEUR DU FORUM SOCIAL

par Benito Perez, Le Courrier, Genève, 27/07/2004.

http://lecourrier.programmers.ch

QUITO - En créant dimanche une véritable Internationale amérindienne, les délégués de soixante quatre peuples autochtones ont donné le meilleur coup d’envoi possible au premier Forum social des Amériques qui se tient jusqu’à vendredi en Equateur.

"Du coeur du monde, lieu du soleil droit (l’Equateur, ndlr) [...], les peuples et nationalités indigènes d’Abya Yala (Amérique, en langue kichwa, ndlr) [...] ont décidé de créer un espace permanent de liaison et d’échange, où convergeront expériences et propositions, pour que nos peuples et nationalités affrontent unis les politiques de globalisation néolibérale." L’acte de naissance de la future Internationale amérindienne, publié dimanche à l’issue du second Sommet continental indigène, est appelé à faire date. En deux pagesA4, la Déclaration de Quito brosse à grands traits une "maison commune", moins r efuge ethnique que base avancée dans le combat, au côté des mouvements sociaux, contre le système politique et économique dominant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce Sommet s’est déroulé en préambule du premier Forum social des Amériques qui se tient jusqu’à vendredi dans la capitale équatorienne (lire ci-dessous). Quatre jours durant, plus de six cents délégués de soixante-quatre "peuples et nationalités" -venant aussi bien du Canada que de la Terre de Feu- ont débattu autour d’une dizaine de tables rondes. Des discussions empreintes d’un certain mystère, des dizaines de "chamans" ayant ouvert chacune de ces réunions tenues dans un collège... catholique de Quito. Chants et danses traditionnels étaient aussi omniprésents.

S’UNIR, S’OUVRIR

Le Forum a débouché sur une Déclaration finale[1], présentée dimanche au public, témoignant de la convergence grand issante au sein des principaux mouvements indigènes. Quatre ans après le premier Sommet continental de Teotihuacan (Mexique), les militants ont donc choisi de presser le pas et d’ouvrir un double chantier. D’abord, celui de leur plus forte intégration, grâce à la mise sur pied d’une "instance permanente et décentralisée". La structure aura notamment pour fonction de financer et de coordonner des actions internationales décidées par les mouvements autochtones.
Et c’est là qu’intervient le second pari, puisque la Déclaration insiste sur la nécessité de combattre de façon offensive le néolibéralisme. Car si le texte rappelle le droit imprescriptible des peuples premiers de "créer des espaces d’autonomie et d’autodétermination", il souligne également la nécessité "d’établir des alliances avec d’autres secteurs de la société, en particulier les mouvements sociaux, afin d’affronter les politiques qui nou s oppriment". La Déclaration cite en particulier la participation aux forums sociaux "avec des propositions communes qui reflètent la position du mouvement indigène".
Par ailleurs, la Déclaration de Quito appelle au soutien actif du "peuple du Venezuela et du président Hugo Chavez" dans leur "défense de la souveraineté nationale" et se "solidarise" avec "la permanente lutte anti-impérialiste" des Cubains.

MODE DE VIE COLLECTIF

Comme les alliés, les adversaires des peuples autochtones sont clairement identifiés dans la Déclaration. Au premier rang figurent les multinationales qui "convoitent les ressources naturelles préservées" jusque-là par les indigènes, ou les "gouvernements nationaux [qui] suivant les ordres du FMI, de la Banque mondiale [...], nous ruinent avec le paiement de la dette externe et suppriment notre droit collectif à la terre, afin de la privatiser".
Un processus inadmissible - contraire à la Convention169 de l’OIT et, surtout, aux croyances profondes des peuples amérindiens. "Les vallées et les plaines, les forêts et les déserts, les collines et les montagnes, les mers et les rivières, l’aigle et le condor, le quetzal et le colibri, le puma et le jaguar, peuvent témoigner que nos systèmes socio-politiques collectifs ont assuré la survie humaine et écologique", écrivent les délégués. Qui assurent que cet "héritage de nos ancêtres" constituera "la base sur laquelle nous construirons notre futur".

[1] disponible en espagnol sur www.rebelion.org

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Le Forum social des Amériques secoué par un scandale, par le Réseau Voltaire.

Ils l’appellent le « volante violento » (le tract violent). Lors de la manifestation du mercredi 28 juillet 2004, les participants du premier Forum social des Amériques qui se tient à Quito (Équateur) ne parlaient que de lui. Titré « L’arme secrète du financement : comment l’ennemi agit au sein du Forum social », le document, signé par l’Observatoire de l’ingérence des États-Unis, présente une liste de fondations qui permettraient à la CIA de financer indirectement les mouvements antimondialisation. « A travers de nombreuses fondations "indépendantes", explique le tract, la CIA a mis en place une stratégie de financement et d’encadrement des mouvements de contestation. En soutenant des organisations et des projets apparemment opposés aux États-Unis, elle les oriente dans le but de les neutraliser. » Le texte pointe du doigt de nombreuses fondations européennes qui seraient les relais de la CIA, coordonnées d epuis les États-Unis par la Nacional Endowment for Democracy (NED), et porte une attention particulière à la Fondation Ford. Il se termine par une invitation à trouver, « parmi les organisations participantes au Forum social des Amériques, lesquelles sont financées par l’ennemi ».

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 ARTICLES

1.AMERIQUE LATINE/VENEZUELA. Fidel avait vu juste ! Ce que disait Fidel Castro en 1992 du Venezuela. Extrait du livre Un grain de maïs, conversation entre Fidel Castro et Tomas Borge, éditions Le Temps des Cerises, 1997, pp.129-130.

2.AMERIQUE LATINE/VENEZUELA. "Chavez a entre ses mains une responsabilité historique", entretien avec de Modesto E. Guerrero avec Ricardo Napuri, un vieux militant révolutionnaire qui cumule un demi-siècle d’activités, entre autres plusieurs années comme collaborateur du Che, Rebelion 07/07/04.
Traduction de l’espagnol Gérard Jugant

3.ARGENTINE/ PIQUETEROS.

Rébellion aux piquetes, par Marta Dillon, paru dans Pagina/12, traduction française dans alencontre.org juillet 2004. Quand les femmes piqueteras revendiquent toute leur place...

4.BOLIVIE. La bataille du référendum, Econoticiasbolivia.com, La Paz, 05/07/04.

Evo Morales, qui a failli l’emporter aux dernières présidentielles, est très critiqué sur sa gauche pour son soutien au gouvernement Mesa. Trahison ou positionnement tactique ?
Traduction Indymedia Nice

5.BOLIVIE. La mascarade du référendum bolivien, par Comaguer (Contre la guerre, comprendre et agir) n° 104-semaine 30-2004.
Un référendum mystificateur pour continuer à livrer les richesses du pays au multinationales.

6.CUBA/VENEZUELA. Le 15 Août nous prenons le Palais d’Hiver, par Celia Hart, aporrea.org, 12/07/04. VF en ligne in Le Grand Soir.
Le soutien d’une révolutionnaire cubaine au processus vénézuélien avec la conscience de sa portée mondiale.
Traduction de l’espagnol Gérard Jugant

7.MEXIQUE. Femmes perdues dans l’arrière-cour de Satan, par Gianni Proiettis, il manifesto, Rome, 02/07/2004, traduction de l’italien Marie-Ange Patrizio.
Une incroyable impunité à situer dans le cadre de la crise profonde du régime de Fox, le grand ami de G. W. Bush. Fox survivra t-il à Bush ?

8.MEXIQUE/FRANCE. Faux amis : Mexico Magico ? CQFD n° 14 du 15/07/2004.

Ils viennent bientôt en France vendre le Mexique magique de Fox.

9.NICARAGUA. "Il existe deux sandinismes"-Interview de Mario Malespin, dirigeant syndical, par Sergio Ferrari, in Le Courrier, Suisse, 17/07/2004. Traduction de l’espagnol Michèle Faure. Collaboration E-CHANGER.

Le point de vue d’un syndicaliste combatif 25 ans après la victoire sandiniste et 14 ans après la défaite électorale du FSLN.

10.PEROU. Le président Toledo face à la grève générale, Pagina 12, Buenos Aires, 14/07/04, traduit in revue Alencontre (alencontre.org), Lausanne.
Une des plus grandes grèves de l"histoire du Pérou. Toledo de plus en plus sur un siège éjectable. De quoi sera fait l’après ?

11.VENEZUELA. Campagne internationale de soutien au processus révolutionnaire au Venezuela.

Le mouvement ouvrier et révolutionnaire vénézuélien réalise un véritable exploit en réussissant une mobilisation mondiale exceptionnelle. C’est le retour par la grande porte de l’internationalisme prolétarien.

12.VENEZUELA. Dans les "ranchitos", parmi les Cubains de Caracas, par Stefano Liberti, il manifesto du 13/08/2004. Traduction de l’italien Marie-Ange Patrizio.
La santé gratuite pour tous, c’est ce qu’a permis l’appropriation nationale de la rente pétrolière. En attendant que les médecins vénézuéliens acceptent de soigner tous leurs concitoyens, les excellents médecins cubains sont au service du peuple-frère.

13.VENEZUELA. Lina Ron, la pasionaria de la Révolution Bolivarienne, par Max Keler, Le Grand Soir, 15/07/04.
Le portrait d’une activiste de rue qui figure sur la liste (cf. site reconocelos.com) dressée par l’opposition golpiste des personnalités bolivariennes à abattre.

 LIVRES-REVUES

Michèle Firk est restée au Guatemala, de Boris Terk, Syllepse, 2004.

Mourir à trente ans, en 1968, les armes à la main contre la dictature. "L’itinéraire de Michèle, son exigence d’engagement total, reste une leçon et un exemple, pas seulement pour les militants de sa génération"

Le point sur le mouvement des piqueteros d’Argentine (articles, livres), et notamment une étude de la Revue Tiers-Monde.

Histoire du Venezuela de la conquête à nos jours, de Frédérique Langue, L’Harmattan.

Une synthèse qui s’arrête à la veille de l’élection du président Chavez.

 CINEMA

Il existe deux cinémas, celui de Davos et celui de Porto Alegre.

Salvador Allende, de Patricio Guzman, par Paulo. A. Paranagua, Le Monde 11/06/2003.

La victoire posthume de Salvador Allende sur le général Pinochet.

Memorias del saqueo (Mémoire du saccage), de Fernando Solanas, Entretien avec Sergio Ferrari, Le Courrier de Genève, 13/03/2004.

Les vingt cinq années de saccage de l’Argentine. Du génocide social inauguré par le général Videla et au pillage financier des Menem, De la Rua, jusqu’à la rébellion populaire de décembre 2001.

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1.AMERIQUE LATINE/VENEZUELA.

CE QUE DISAIT EN 1992 FIDEL CASTRO DE LA SITUATION DE L’AMERIQUE LATINE EN GENERAL ET DU VENEZUELA EN PARTICULIER. Extrait du livre "Un grain de maïs, conversation entre Fidel Castro et Tomas Borge", éditions Le Temps des Cerises, 1997, pp.129-130.

Tomas Borge se réfère, dans sa question à Fidel, à la situation dans laquelle se trouve alors le président Carlos Andrés Perez, incapable de faire face à la crise économique et sociale. Au moment de l’entretien, le Venezuela venait de connaître la tentative de coup d’Etat, réalisée le 4 février 1992 par le Mouvement bolivarien révolutionnaire d’Hugo Chavez. Carlos Andrés Perez sera destitué en 1993 par le Congrès et condamné pour détournement de fonds publics (17 millions de dollars qu’il avait affecté à la protection de la présidente du Nicaragua, Violetta Chamorro). Déjà en février 1989, de très graves émeutes populaires avaient éclaté à Caracas, le "Caracazo". En 1994, le nouveau président, Rafael Caldera, va amnistier les auteurs des deux tentatives de coup d’Etat, celui du 4 février et celui du 27 novembre 1992. Hugo C havez sera gracié et libéré le 26 mars 1994, après plus de deux années d’incarcération. Il a justifié ainsi sa tentative : "Nous, jeunes militaires, nous étions indignés par la répression menée par le gouvernement de l’époque après la crise de 1989 où un millier de Vénézuéliens ont été tués par la répression conduite par le gouvernement de Carlos Andres Perez". Et il dit avoir renoncé en 1992 à poursuivre le coup de force "pour éviter un bain de sang".

Voici ce que dit Fidel Castro du Venezuela (nous sommes en avril 1992) :

Tout ce qui se passe au Venezuela est très regrettable, mais cela prouve justement la crise que les politiques de choc et les diktats des Etats-Unis et du Fonds monétaire vont déclencher en Amérique latine. Car ce qui se passe au Venezuela est une conséquence évidente de la politique de choc économique, des diktats, des mesures et des principes imposés par les Etats-Unis et le Fonds monétaire. Tu en as là un exemple absolument clair.

Le Venezuela est le pays le plus riche d’Amérique latine. Le Venezuela ne vit pas du sucre : il vit du pétrole, qui lui rapporte plus de 12 milliards de dollars par an. Le Venezuela est un pays aux ressources énergétiques énormes, car il possède de l’énergie hydraulique en plus du pétrole. Le Venezuela est un pays aux ressources de fer et de bauxite énormes, un pays béni par la nature. Comment y expliquer alors les explosions sociales ? N’est-ce donc pas la preuve de ce que je disais à propos des conséquences que cette politique-là entraîne pour l’Amérique latine et du fait que la situation y devient intenable ?

Si le pays le plus riche du sous-continent, le pays qui perçoit les plus gros revenus par habitant en devises convertibles du sous-continent, fait face à des problèmes pareils à cause d’une politique économique impitoyable imposée de l’extérieur, que peut-on attendre du reste des pays latino-américains, qui n’ont pas ces immenses ressources naturelles, ces immenses ressources énergétiques, ces énormes revenus en devises ? Et puis, en plus de ces ressources-là , le Venezuela a un certain développement économique et industriel dans divers domaines, un bon développement technologique aussi. Et pourtant, vois un peu ce qui s’y passe... Veux-tu une preuve plus claire de ce que je disais antérieurement au sujet de l’avenir qu’attends l’Amérique latine.

Compare un peu les revenus en devises par habitant du Venezuela et de Cuba : il n’y a pas de comparaison possible. Et si tu analyses les maigres ressources avec lesquelles nous sommes parvenus à faire face à la période spéciale sans jeter à la rue aucun homme ni aucune femme, sans fermer une école, sans fermer un hôpital, sans fermer une université, sans laisser aucun citoyen de ce pays à l’abandon, eh bien, tu te rends compte alors que nous avons créé des conditions bien plus propices pour résister à ces situations difficiles que celles qui existent dans les autres pays latino-américains. C’est une question de distribution juste des ressources, des richesses...Nous n’avons vraiment pas grand chose, mais ce que nous avons nous le distribuons d’une manière juste ; sinon notre société aurait éclaté en mille morceaux que personne ne serait plus capable de ramasser.

Il est très regrettable, il est très triste de voir un pays frère traverser les moments difficiles que traverse le Venezuela, mais l’expliquer coule de source ; les facteurs qui ont déclenché cette crise sautent aux yeux. Et le Venezuela n’est pas le seul pays dans ce cas, bien entendu.

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2.AMERIQUE LATINE/VENEZUELA.

"Chavez a entre ses mains une responsabilité historique", entretien avec de Modesto E. Guerrero avec Ricardo Napuri, un vieux militant révolutionnaire qui cumule un demi-siècle d’activités, entre autres plusieurs années comme collaborateur du Che.

Lire l’article

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 3.ARGENTINE. Rébellion aux piquetes, publié par alencontre.org, revue politique mensuelle, juillet 2004, Lausanne

Marta Dillon *

En passant par-dessus les plaisanteries faciles de leurs propres camarades, les femmes des divers collectifs de travailleurs sans emploi (MTD) Anibal Veron ont commencé à se réunir dans des assemblées de femmes pour exiger une participation accrue dans les lieux de prises de décisions. En effet, disent-elles, elles savent bien payer de leur personne, mais il s’agit maintenant de faire entendre leurs voix.

La voiture cahote lorsqu’elle emprunte une déviation de l’avenue Escalada ; les ornières obligent à ralentir, et l’on roule péniblement entre la boue et des dizaines de bicyclettes qui ont l’air de surgir de nulle part. Les coins de rue s’effacent sous les décombres des bâtiments des années 20 et les masures de carton et de taules. La route se rétrécit et se cabre, elle laisse derrière les derniers signes d’urbanité symbolisée par un feu de circulation et s’engouffre dans la villa (bidonville). Le conducteur ne dit rien, mais Viviana, la femme qui nous guide, devine sa réaction et le rassure :"Vous pouvez entrer, ne vous en faites pas". Comme n’importe quel habitant de la villa, elle sait détecter ce genre de réaction.

Le terme "s’engouffrer" est vraiment l’expression qui convient lorsqu’il s’agit de pénétrer à l’intérieur de cette immense agglomération qui se trouve aux confins de Buenos Aires. On y pénètre comme dans un tunnel ou dans une forêt, un lieu où le rythme n’est plus le même, où même les panneaux ne ressemblent pas à ce que l’on trouve dans les autres quartiers dont les noms figurent sur la carte. Ici les boucheries ne proposent que des morceaux coûtant moins de 3 pesos, on ne vend pas des poulets, mais juste des ailes ou des abats de volaille. Même la lumière semble fuir cet enchevêtrement de toits et de lessive suspendue qui s’étale au coucher du jour.

Ensuite il faut encore emprunter un passage avant d’atteindre le feu autour duquel s’est réuni le groupe de femmes, derrière le hangar blanchi sur le mur duquel on peut lire en lettres rouges : "Assemblée de Femmes piqueteras". Le panneau est en fait le souvenir d’une victoire commune : celle de la conquête d’un espace propre, malgré les moqueries généralisées qui traitaient cette réunion de femmes de "rencontre tupper" (tupperware : réunion au cours desquelles femmes au foyer, aux Etats-Unis, organisaient des ventes de produits, dont les tupperware).

Dans ce hangar du Mouvement de Travailleurs sans emploi (MTD)Anibal Veron de Lugano [quartier], femmes et hommes se déplacent entre des marmites de lait pour le goûter. Les premières relèvent pourtant avec un brin de malice que cette fois ce sont elles, les protagonistes qui ont le droit à la parole et qu’elles entendent user de ce droit dans l’intimité. Elles s’installent alors dans ces chaises basses propres aux jardins d’enfants, elles mettent chauffer l’eau sur le bois allumé, et même avant que le mate ne soit prêt, elles se lancent dans leurs récits.

"Les propriétaires du pays, ceux qui se remplissent les poches au détriment de la misère du peuple, ne veulent pas que les plus pauvres comme nous s’organisent. Ils préfèrent qu’on demande l’aumône dans les rues ou que nous priions San Cayetano pour qu’il nous donne un travail. Ils disent que nous sommes des brutes, que nous sommes laides, que nous sommes sales, que nous sommes violentes."

Il y a quelque chose de dissonant dans ce texte, comme dans la plupart de ceux qui accompagnent les photos de Tierra Piquetera, l’ouvrage qui a été imprimé dans la Cooperative Chilavert Arts Graphiques - une entreprise occupée par ses travailleurs - et signée par le MTD Anibal Veron, même si les photos ont été prises par Carla Thompson et Alejandra Giusti, du MTD Lugano, et les textes recompilés par les femmes du MTD Berisso. Ce qui étonne, ce que l’on perçoit comme une note trop aiguë dans une mélodie connue, c’est que ces récits sont racontés par le genre féminin, rendant visible l’expérience ce celles qui constituent le 70% des mouvements de chômeurs. Lorsqu’il est question des piqueteros en général, les femmes restent occultées, laissant se construire un imaginaire d’hommes, cagoulés ou non, mais toujours des hommes. Maintenant ce sont ces femmes qui font maintenant entendre leurs voix.

"Notre intention, à Tierra Piquetera, c’est de raconter ce qui se passait lors des coupures de route, en images, mais aussi avec nos voix", explique Carla. Nous, les femmes, avons de la peine à prendre la parole en public, un peu comme si nous avions besoin de la permission ou de l’approbation de nos compagnons, et c’est là quelque chose que nous avons l’intention de changer, même si cela prend du temps. Ce sont toujours eux qui racontent notre histoire, c’est pour cela que, cette fois, nous avons voulu la raconter de notre point de vue".

Le 26 juin, les organisations participantes s’étaient mises d’accord sur un document pour rendre hommage à la mémoire de Maximiliano Kosteki et de Dario Santillan [deux piqueteros tués, dans une provocation, part la police] pour demander que justice soit faite et que leurs assassinats soient punis. Ce document a été lu par une femme, et les femmes ont fêté comme une petite victoire le fait que, chaque fois que c’était nécessaire, elle ait dit "camarades hommes et femmes". En effet, derrière cette référence aux femmes, en apparence dérisoire, il y a une revendication importante, car elles ont besoin que leur présence soit reconnue.

"Ce n’est pas par hasard si moment où l’action a commencé, lorsqu’ils ont demandé à la presse de descendre de la tribune, nous avons opposé une résistance. En effet, sinon il y aurait eu une fois de plus une immense majorité d’hommes, puisque ce sont eux les porte-parole. Nous payons de notre personne, mais nous devons encore ajouter notre voix", explique Alejandra, âgée de 25 ans. C’est elle qui, avec Carla, était montée sur la tribune, pour prendre des photos, mais aussi pour que l’image que l’on verrait depuis en bas reflète une diversité qui reste le plus souvent occultée.

Cette action du 26 juin a entraîné quelques voix enrouées et quelques absences : après la longue veille débutée le 25, on a confondu les marmites, et à Lugano il manque la louche utilisée pour garantir l’équité des portions à l’ouverture de la cantine. Cependant, les femmes se réjouissent de cette occasion de se réunir à nouveau.

Lors de cette rencontre, par un temps tellement humide que toutes les silhouettes sont estompées, elles sont venues depuis les MTD de José C. Paz, de Almirante Brown, Esteban Echeverria, Berisso, et, bien sûr, Lugano.

Celle qui s’exprime le plus est Zulema, une femme de 40 ans, séparée, avec trois enfants à charge. C’est logique, elle est la première porte-parole reconnue dans l’organisation Anibal Veron depuis que les femmes se sont braquées et ont exigé que pour chaque coupure de route, pour chaque action, il y ait au moins deux délégués pour représenter les autres membres du mouvement : un homme et une femme.

"Je me suis rapprochée du mouvement comme nous toutes, parce que j’avais besoin d’un plan social. J’avais un magasin d’alimentation, mais la crise de 2001 a emporté tout ce que j’avais. Après j’ai fait toutes sortes de cours, depuis le potager organique jusqu’à l’élevage d’escargots, de lapins ou de poules. On pouvait faire ces cours dans un siège de la INTA à Burzaco, je savais qu’il était impossible de trouver du travail, et au bout d’un certain temps je me suis rendue compte que sans avoir des fonds il était également impossible de monter une entreprise propre. Mais le potager a été d’un bon rendement. J’habite à Glew et j’ai un terrain, cela m’a permis de me nourrir. Mais lorsque les besoins sont devenus plus pressants, j’ai pris contact avec le mouvement, même si je ne savais pas comment il fonctionnait. Je suis allée proposer mon certificat d’aptitude pour le potager, mais ce sont surtout les ateliers de formation qui ont attiré mon attention."

-Pourquoi ?

"Parce que je n’avais jamais milité, et j’ai pensé que dans un atelier de formation ils allaient me mépriser. Or, j’ai découvert que la formatrice était celle qui parlait le moins, elle voulait que ce soient les autres qui prennent la parole. Et ainsi, peu à peu je suis entrée, parce que ma seule formation était dûe à mes enfants, qui ont terminé l’école secondaire, et comme ils n’ont pas trouvé de travail, ils ont commencé à aider dans une cantine. Maintenant ils sont entrés dans Polo Obrero. Mais ici c’était différent. On me disait qu’il n’y avait pas de dirigeants. Alors je leur ai demandé "Est-ce que cela veut dire que je peux participer à la séance de la coordination ? (n de r : celle qui intègre les différents mouvements de la zone du sud). Oui, je le pouvais, et là je me suis rendue compte que même si nous étions un 70% de femmes dans les baraquements et dans les unités de production, j’étais la seule femme à la coordination."

Cela a été le premier point qui a attiré l’attention de Zulema. L’autre a été un processus plus lent, car elle a également dû se confronter avec ses propres préjugés :

"Nous autres, qui n’avons pas fait d’études, nous sommes méprisées un peu partout, personne ne tient compte de ce que l’on apprend à force de vivre. Mais dans les ateliers de formation, c’était justement cela qui était important. Et c’est ainsi que je me suis épanouie de plusieurs points de vue. Par exemple, avant il ne me serait pas venu à l’idée d’embrasser quelqu’un d’autre, parce que j’étais convaincue qu’on me prêterait d’autres intentions. Maintenant j’embrasse tout le monde, et je ne crains pas ce que les autres vont penser".

Ainsi, c’est un changement de sa relation à son propre corps qui a mis en évidence d’autres besoins de son quartier, en ce qui concerne la sexualité, la violence, la santé reproductive. "Même s’il n’est pas encore facile de parler de ces choses, parce que l’Eglise pèse de tout son poids sur les consciences, et qu’apparemment le fait même de mentionner certaines des choses que nous faisons, comme l’avortement, est déjà un péché."

Elsa Basterra avait autrefois un atelier de réparation d’appareils photo ; lorsque l’atelier a dû fermer, elle s’est consacrée à la vente de plantes. Elle raconte qu’avec la dévaluation, cela a complètement "fondu". Cette chômeuse a 62 ans. Elle avoue être athée parce qu’elle "a été élevée dans une école de religieuses". Elle s’est approchée du MTD de José C. Paz après avoir participé à une autre organisation qui "nous poussait dans une direction très partisane. Or, ce qu’elle recherchait, c’était l’autonomie, à l’instar des autres habitantes, comme Lina Yapura ou Pierina Corvalan, qui l’accompagnent partout.

"Nous avons eu de bonnes et de mauvaises périodes, mais nous sommes environ 400 familles dans mon quartier. Je t’assure - insiste-t-elle, comme si on pouvait en douter - j’ai toujours été une lutteuse, mais ce n’est que depuis récemment que je sens qu’au sein de la misère nous pouvons nous organiser, car c’est un peu comme si les pauvres étaient toujours en train d’attendre d’être sauvés par un leader, ce qui est faux".

Elsa est une des femmes qui a participé à la dernière Rencontre Nationale de Femmes à Rosario, au mois d’août 2003, avec d’autres participantes des différents MTD. Et cela a été un peu une révélation, parce qu’il n’y avait pas eu de décision commune de participer à la Rencontre.

"Chacune est allée pour son quartier, parce qu’on a été invitées, parce que nous avons fait des collectes pour payer les déplacements. Mais une fois sur place, nous nous sommes rendus compte que nous n’avions rien discuté à l’avance. Il est possible que cela tienne à l’autonomie des différents mouvements, mais c’est aussi parce que nous ne considérions pas que c’était une priorité".

Or c’est cette question des "priorités" qui est la première qu’on nous oppose lorsqu’on veut discuter de thèmes que les femmes considèrent comme étant les leurs dans l’organisation.

"Il faut fixer des priorités" nous disaient les hommes, mais lorsque nous discutions de santé ce n’est pas pour réclamer une armoire à pharmacie dans les hangars, nous parlions de choses beaucoup plus essentielles".

Toujours est-il qu’après la Rencontre de Rosario, les femmes du MTD sont rentrées décidées à aménager leur propre espace. Et ce sont Zulema et Alejandra Giusti qui ont soulevé cette question à la Coordination.

"Lorsque nous avons annoncé que nous voulions participer à la marche du 28 septembre 2003 en tant que MTD Anibal Veron avec comme revendication la santé reproductive, comme cela avait été décidé à Rosario, il y a eu 5 minutes de silence déconcerté. Ensuite ils nous ont dit de faire comme nous voulions, comme si ce que nous demandions n’avait aucune importance" raconte Alejandra. Et Zulema ajoutait : "Ils nous ont demandé si nous voulions agrandir la cuisine".

Ce sont ce genre de remarques, qui ne les ont pas fait rire, qui les ont convaincus qu’il était indispensable de créer un espace pour que les femmes des différents MTD puissent se rencontrer. Et elles y sont finalement parvenues dans ce lieu où il y a des rassemblements tous les 26 du mois pour commémorer le massacre d’Avellaneda du 26 juin 2002, à savoir sur le pont Pueyrredon [pont qui marque la frontière en la ville de Buenos Aires et le « grand Buenos Aires]. Là , les écarts entre les différents quartiers s’estompent, et elles ont repris les veilles sur le pont pour essayer de se faire entendre, d’autant que leur participation datait de bien avant.

Lors de ces assemblées sur l’autoroute, qui suscitent encore l’étonnement parmi les camarades hommes, elles ont voulu aller plus loin, et elles ont proposé une assemblée plénière de femmes qui travaillerait sur une série de questions : Est-ce que tu prends la parole dans les assemblées ? Participes-tu aux instances de décision de ton mouvement ? En quoi te sens-tu agressée en tant que femme ? Sais-tu te protéger dans les relations sexuelles ? As-tu pris les décisions concernant ta maternité ? Penses-tu qu’il soit important qu’il existe un espace pour les femmes à l’intérieur des MTD Anibal Veron ?

Il y avait une série d’appréhensions qui étaient ressenties comme des menaces et qui suffisaient à serrer la gorge avant une prise de parole dans une assemblée ou une réunion : la peur du ridicule, la crainte de fâcher les camarades hommes, de dire quelque chose de travers, la peur qu’on s’aperçoive de combien il reste à apprendre, des jugements à l’emporte-pièce., Mais cela a changé dès qu’il a été possible de se soutenir les unes les autres et de se redonner confiance. Elles ont pu parler de leurs craintes, d’expliquer pourquoi il leur était si facile de participer physiquement aux coupures de routes, aux unités de production et aux ateliers, et si difficile de prendre la parole ou de lancer un cri au ciel pour se faire entendre. C’est ainsi que les corps pouvaient retrouvent leur définition et leurs identités particulières, y compris dans le groupe auquel elles appartenaient.

Depuis la première rencontre de femmes de "la Veron", jusqu’à la dernière rencontre du 19 novembre, les conclusions arrivaient peu à peu, tombant comme des cailloux au fond d’un étang. Sans surprise, les mêmes phrases revenaient dans les différents groupes : les femmes piqueteras ne prennent pas la parole devant les médias, elles ne sont pas représentées dans les instances des divers groupements, alors qu’elles en constituent une majorité e la base. Personne n’a nié que la rencontre a permis aux femmes de se renforcer, de tisser des liens de complicité et d’élaborer des stratégies pour briser cette peur qui sert à museler les voix.

"Avant la rencontre, nous n’étions pas toutes conscientes que les plaisanteries faciles, comme celle concernant l’agrandissement de la cuisine ou d’autres du même style, qui jaillissent l’air de rien, sont vécues comme des agressions. Ou qu’il est très déplaisant, lors d’une rencontre avec des autorités, par exemple, qu’on ne nous salue pas, nous les femmes". "C’est comme si nous n’existions pas !" ajoute Andrea.

"C’est vrai, c’est comme si le fait d’être femme t’enlevait le droit d’être saluée" ajoute encore Elsa Basterra.

Monica, une jeune de 21 ans du MTD Almirante Brown, raconte : "Il n’a pas été aussi facile que certaines d’entre nous l’espérions, de parler d’avortement". Dans les ateliers de Rosario c’était réjouissant de constater que des femmes osaient parler de cette expérience vécue, que personne ne subit de gaîté de coeur, alors qu’auparavant elles n’auraient pas osé en parler, tant elles ressentaient de la honte ou de la culpabilité.

Zulema ajoute : "C’est évident qu’il y a des choses qui vont prendre du temps. Par exemple nous n’avons pas encore les moyens de traiter les cas - fréquents - de violences domestiques. Mais on entend les histoires personnelles, et si on n’arrive pas à bien aborder le problème il y en a beaucoup qui vont rester brisées"

Monica ose dire : "Moi je suis partie de la maison parce que mon papa abusait de moi. Nous avons presque toutes des expériences de violence de la part de nos compagnons, de nos pères ou de nos frères. Et souvent ce sont les mêmes qui sont à ton côté lors d’une coupure de route ou d’un affrontement avec la police et qui, lorsqu’ils rentrent à la maison, battent leur femme. Nous voulons que ces thèmes soient abordés par l’organisation, que ce devienne un thème discuté par nous toutes, mais pour cela il faut que nous continuions à nous réunir, pour pouvoir parler d’abord entre nous, car c’est ainsi que nous sommes plus à l’aise, et ensuite il faudra aborder ces questions dans l’ensemble des mouvements."

Les assemblées de femmes continuent à se réunir chaque 26 du mois sur le béton de l’autoroute du Pont Pueyrredon. Le 8 mars 2004, les MTD ont marché ensemble pour la journée des femmes, et ont rapporté dans un journal les discussions qui s’étaient déroulées dans les assemblées sur le pont.

Les femmes des MTD disent que la prise de conscience peut être un processus qui prendra du temps, mais la décision est prise : cette année elles veulent arriver à la Rencontre Nationale de Femmes (à Mendoza) avec quelques axes discutés collectivement, pour pouvoir les mettre en commun.

"Dans d’autres organisations, comme la CCC, on voit qu’il y a aussi une majorité de femmes, et qu’elles, elles participent. Il est que cela prenne plus de temps à cause de notre manière de discuter en assemblée, où tout le monde a le droit à la parole et au vote. Mais cela nous permet également de partir avec plus de convictions", explique Elsa.

-Maintenant que le mouvement piquetero est tellement remis en question, revendiquez-vous toujours le fait d’être piquetera comme une identité ?

Elsa répond : "Bien sûr, car c’est ainsi que nous nous organisons et qu’on nous voit. Si nous ne faisons pas de coupures de routes nous n’existons pas."

Viviana : "Durant des années nous avons demandé qu’on nous donne du travail dans un stade qui allait être construit, nous avons écrit des lettres à toutes les autorités locales pour obtenir du lait pour la cantine, mais personne ne nous a écoutées jusqu’à ce que nous coupions une route. Maintenant que nous avons fait cette coupure dans le quartier, ils vont nous fournir de la viande et des aliments frais. Ils parlent d’une relance économique, mais dans les quartiers on ne s’en aperçoit guère. Ce qu’on voit, ce sont des ateliers de textiles clandestins qui paient 30 centavos par habit, et tu dois rester debout pendant 13 heures, avec juste 20 minutes pour manger. Moi je veux travailler, et ici, dans le hangar, je travaille."

Lina : "La coupure de routes fait de nous des protagonistes, car c’est ainsi que nous luttons et que nous résistons, avec dignité et émotion. Mais lorsque c’est nous qui faisons la coupure, cela gêne le trafic, alors que quand ce sont d’autres, comme Blumberg [grand bourgeois dont le fils kidnappé a été tué et qui a organisé un mouvement de protestation], c’est bien."

-Pensez-vous que les thèmes propres (aux femmes) ont trouvé une autre écoute parmi les autres camarades ?

Carla : "Chaque fois on nous considère davantage comme des personnes de référence, et cela nous fait du bien. Lorsque c’est notre tour de prendre la parole, nous cherchons quand même des yeux l’approbation d’une autre camarade femme, parce que si notre intervention n’est pas impeccable, les moqueries jaillissent."

Zulema : "Mais il faut aussi que nous-mêmes nous changions. Je me suis rendue compte que malgré le fait d’être la porte-parole, et c’est là quelque chose que nous avons demandé - l’autre jour, sur le pont, je cherchais désespérément un autre porte-parole, parce que j’avais peur de commettre une maladresse. Alors que je sais pourquoi nous sommes là et pourquoi nous allons continuer à nous battre."

-La demande qu’on utilise des méthodes plus dures contre les piqueteros hommes et femmes vous fait-elle peur ?

Elsa : "Cela éveille l’indignation et non pas la peur."

Monica : "Oui, cela me fait peur, mais cela ne me paralyse pas."

Zulema : "J’ai maintenant une force intérieure que je n’avais pas avant. Au départ, on est seule, mais après on continue pour tous, et je suis fière de vivre ce que je suis en train de vivre et de faire ce que je suis en train de faire."

Le froid semble monter depuis le sol en terre le long des jambes des femmes. Lorsque les ampoules de faible puissance s’allument pour dissiper un peu la nuit dans les passages de la villa 20 de Lugano, les femmes commencent à faire leurs adieux, et les embrassades et les promesses de se revoir s’étendent. Et en effet, tôt ou tard, elles se réuniront à nouveau, le 26 du mois, comme toujours ; dans la lutte, comme elles le disent.

* L’auteur a écrit cet article pour un supplément de Pagina 12 (quotidien argentin).

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 4.BOLIVIE. LA BATAILLE DU RÉFÉRENDUM, Rédaction de Econoticiasbolivia.com

La Paz, 5 juillet 2004, vf Indymedia Nice.

Avec le soutien de l’ambassade des Etats-Unis et l’accord du leader cocalero Evo Morales, le gouvernement néolibéral de Carlos Mesa a recours à l’armée et à la police pour préserver le référendum du gaz du 18 juillet et ainsi faire échec au boycott qu’organisent les syndicats et les organisations sociales et populaires qui réclament la nationalisation.

Avec la Cour Electorale, les ministres et principaux collaborateurs de Mesa sont en train de mettre au point avec les militaires et les policiers un plan détaillé pour arrêter les dirigeants qui tentent de saboter la consultation, pour ouvrir les routes qui sont menacées d’être bloquées et pour garantir le vote dans la région de l’Altiplano et les vallées, où se concentre l’opposition au référendum, taxé de "piège" parce qu’il ne comporte pas la demande de nationalisation du gaz et du pétrole.

Les syndicats et organisations paysannes, regroupés autour de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) ont appelés à empêcher l’ouverture des lieux de vote, à bloquer les routes et à marcher sur La Paz pour liquider le "tramparendum" (référendum piégé), et dont le résultat, que l’emporte le OUI ou le NON, ne servira qu’à légitimer le contrôle total des entreprises étrangères sur le gaz et la pétrole de Bolivie.

LE BOYCOT S’ORGANISE

"Le peuple n’a pas peur : Que Mesa et Evo sortent leurs militaires et policiers (...) nous serons prêts les travailleurs et la peuple à les affronter", a dit le dirigeant de la COB, Jaime Solares, après avoir connu l’intention officielle d’empêcher par la force la protestation populaire.

Jusqu’à maintenant, les syndicats et les organisations populaires avaient exigé que Mesa change ses cinq questions pour une seule, la nationalisation ou non des hydraucarbures, demande qui serait positive pour plus de 80 % de la population, comment le montrent les enquêtes les plus confiables et indépendantes. Mais précisément pour cela, et face à l’évidence que la nationalisation gagnerait largement, cette question n’a pas été introduite dans le référendum. Bien que tentant de se différencier de la politique de privatisation et antinationale de l’ex président Gonzalo Sánchez de Lozada, expulsé en octobre 2003, Calos Mesa mène cependant une politique très similaire dans son contenue et projection. Ces deux politiques favorisent largement les transnationales en leur octroyant la totalité des réserves de gaz et de pétrole, évaluées à plus de 100 milliards de dollars. .

Le référendum de Mesa ne vise pas les contrats des entreprises pétrolières ni ces réserves, et permet même leur libre exportation vers les marchés des Etats Unis et du Méxique. Ce n’est pas par hasard que les compagnies étrangères aient soutenu la consultation, de même que l’ambassade des Etats Unis, tous les organismes internationaux et quasi tous les partis néolibéraux, l’Eglise catholique, les secteurs entreprenariaux et les grands médias de communication. Dans le camp adverse, opposé au référendum qui ne change rien, on trouve les syndicats d’ouvriers et de paysans, la classe moyenne paupérisée.

Dans les campagnes, selon les instuctions du "Mallku" Felipe Quispe, leader des paysans de l’ Altiplano, "va se déclarer l’état de siège contre le référendum. Il y a déjà des mobilisations (...) il va y avoir des blocages de routes, un boycot organisé ; dans beaucoup d’endroits ils ne recevront pas de bulletins de vote, ils vont les brûler, dans d’autres ils ne vont pas participer", a-t-il affirmé en avertissant que les paysans affronteront les militaires. Dans les régions de la vallée de Cochabamba, les instructions sont identiques, selon le dirigeant paysan Alejo Véliz. La fermeture de lieux de vote et le blocage des routes commenceront le 16 juillet, deux jours avant la consultation, période durant laquelle se réaliseront "cabildos", assemblées et marches sur La Paz.

Dans les villes est aussi prévu une résistance et une désobéissance civile. A El Alto ont commencé les explications de la Centrale Ouvrière Régionale et est prévu à partir du 16 juillet une grève civique de la part des assemblées d’habitants. A La Paz et Cochabamba, le boycot est en charge des professeurs, des chômeurs, des étudiants et des assemblées d’habitants. Dans d’autres villes plus petites, l’organisation du boycot repose sur les COB régionales.

DROITISATION DU MAS (Mouvement vers le Socialisme)

De la même facon que lors des journées insurrectionnelles d’octobre, les boliviens s’apprêtent à retrouver les mêmes tranchées, à l’unique exception du MAS du leader cocalero Evo Morales, qui a décidé de défendre le référendum. Obséder par le pouvoir à n’importe quel prix, le MAS a demandé que les paysans de la vallée, les cocaleros et toutes les organisations sociales qu’il contrôle soutiennent le référendum et votent oui pour les trois premières questions et non pour les deux autres. Selon Morales, un soutien massif permettra de mettre la pression pour que les entreprises pétrolières payent immédiatement plus d’impôts (jusqu’à 50%), et non dans un délai de huit ans comme le propose Mesa.

De mème que Mesa, le MAS de Morales refuse totalement la nationalisation du gaz et l’expropriation des pétrolières, parce qu’il croit que ce n’est pas viable dans cette époque de domination impérialiste et parce que cela lui femera toute possibilité d’accéder au pouvoir lors des prochaines élections de 2007. Le MAS s’est droitisé au point de combattre et de saboter les grèves et manifestations des travailleurs et des syndicats, ce qui lui a généré de profonds problèmes internes et le refus de vastes secteurs de travailleurs et de classes moyennes. Mais ceci ne gêne pas Morales qui compte sur le soutien des classes moyennes favorisées, des entrepreneurs, de l’Eglise et des organismes internationaux.

D’autres qui sont prêts aussi à combattre les travailleurs sont les militaires et les policiers. A eux, et spécialement aux militaires, le gouvernement de Mesa a promi d’incorporer un nouvel article dans la nouvelle Loi des Hydrocarbures pour destiner un pourcentage des revenus d’exportation aux Forces Armées, selon le ministre de la Présidence José Galindo.

http://www.econoticiasbolivia.com/
econews@ceibo.entelnet.bo.

Auteur : contrib fab

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 5.BOLIVIE

La mascarade du référendum bolivien, par Comaguer (Contre la guerre, comprendre et agir) n° 104-semaine 30-2004. Contact : comaguer@nomade.fr.

Comme il s’y était engagé pour mettre un terme à l’insurrection populaire du mois d’Octobre 2003, le nouveau président bolivien a organisé un référendum sur la politique pétrolière et gazière du pays. A en croire les grands médias internationaux qui se sont félicité du calme dans lequel s’est déroulée la consultation la politique proposée a été approuvée par la population.

La réalité est assez différente. Pour ce qui est de la participation, elle est modeste : 40 % d’absentions, 11% de votes nuls et 12 % de votes blancs. Donc les suffrages valablement exprimés représentent moins de 40 % du corps électoral. C’est peu dans un pays où le vote est obligatoire.

Quand aux questions elles prêtent à sourire. En effet un référendum honnête est normalement destiné à faire approuver solennellement par le peuple tout entier un texte important. Aucun texte n’était proposé au vote des boliviens qui devaient répondre par oui ou par non à pas moins de cinq questions ainsi libellées :

1- Etes vous d’accord pour que l’actuelle loi sur les hydrocarbures soit modifiée ?
2- Etes vous d’accord pour que le gouvernement bolivien aient des droits sur les hydrocarbures extrais du sol du pays ?
3- Etes vous d’accord pour que la société nationale des hydrocarbures (note : qui avait été privatisée par le Président Sanchez de Losada réfugié aux Etats-Unis depuis l’insurrection d’Octobre 2003) soit reconstituée pour contrôler la production des hydrocarbures ?
4- Etes vous d’accord pour que le gaz bolivien soit utilisé pour que le pays regagne un accès à l’océan ?
5- Etes-vous d’accord pour que le gaz bolivien soit exporté et pour que les multinationales versent 50% de leurs bénéfices pour avoir le droit d’exploiter le gaz bolivien et pour que le gouvernement investisse pour la santé, l’éducation et les infrastructures ?

Il s’agit d’un référendum mystification et avec des questions pareilles le Président Mesa a carte blanche pour négocier avec les multinationales c’est-à -dire que celles-ci auront juste besoin de sauver les apparences en laissant la moitié d’un bénéfice qu’elles pourront calculer au plus juste la filiale bolivienne vendant au plus juste le gaz à la filiale argentine ou chilienne qui, elle, prélèvera une marge maximum.

Une ultime précision : le président Mesa a précisé pendant la campagne que la nouvelle législation ne s’appliquerait qu’aux nouveaux permis de recherche et d’exploitation. Donc les multinationales (TOTALFINA, BP et REPSOL) qui ont investi avant la nouvelle loi dont le contenu est inconnu ( voir la question 1) peuvent dormir tranquilles et continuer à dire que la Bolivie est un des pays du monde où les taxes sur l’extraction des hydrocarbures sons les plus faibles.

Quant à la question 4, elle flatte un patriotisme revanchard contre le voisin chilien qui à l’issue de la guerre du Pacifique (1879-1881) a privé la Bolivie d’un accès à l’océan et de l’exploitation des nitrates. Peut-être le Président Mesa envisage-t-il une petite guerre pour dépenser les futures recettes pétrolières et pour détourner un mouvement populaire puissant qui, pour sa grande majorité, ne s’est pas fait piéger par le référendum mystificateur et qui dans sa très grande majorité également (un sondage donnait 80% d’opinion favorables) réclame tout simplement ce qui n’était pas envisagé par le référendum, à savoir : la nationalisation des hydrocarbures. C’est d’ailleurs ce qui figurait sur la plupart des bulletins nuls.

Prochaine étape de la confrontation : l’élection d’une assemblée constituante promise elle aussi en Octobre 2003.

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 6.CUBA. Cet article est une contribution de soutien à la Révolution au Venezuela. L’auteur, Celia Hart est la fille des révolutionnaires cubains Armando Hart et Haydée Santamaria.

LE 15 AOà›T NOUS PRENONS LE PALAIS D’HIVER

depuis Cuba, par Celia Hart 10/07/2004, in aporrea.org 12/07/2004.

Rien de ce qui se passe en ce moment dans l’actualité ne soutient la comparaison avec ce qui peut survenir au Venezuela dans le mois qui vient. Le monde nous y précipite et paraît empressé de récupérer en peu de jours les lustres perdus dans l’amnésie collective. L’histoire nous fait des clins d’oeil tellement évidents que nous ne devons pas laisser passer le moment une fois de plus.

Lire l’ article

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 7.MEXIQUE. Femmes perdues dans l’arrière-cour de Satan

Pourquoi personne n’arrive-t-il (ou ne veut-il arriver) à arrêter le massacre des femmes et jeunes filles qui continue depuis dix ans dans les villes des maquiladoras [1] à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis ?

Par GIANNI PROIETTIS

Si c’était un roman noir, tous les éditeurs l’auraient refusé parce que trop répétitif et féroce. Malheureusement, à Ciudad Juarez (Etat de Chihuahua, frontière mexicaine avec El Paso au Texas) les disparitions mystérieuses de jeunes femmes sont une réalité quotidienne qui dure depuis plus de dix ans. Et les chiffres n’en finissent pas d’augmenter. Depuis 1993, environ 400 cadavres de femmes, en majorité jeunes voire adolescentes, de petite taille et aux cheveux lisses, étudiantes ou ouvrières de nuit dans les usines, ont été retrouvés dans des décharges et dans les zones désertes. Beaucoup d’entre elles avaient été violées, torturées et mutilées. Tuées à coups de couteau ou étranglées. Cette pathologie sociale inquiétante, pour laquelle la presse mexicaine a crée le terme de féminicide, est la pointe de l’iceberg d’une véritab le guerre d’extermination et de terreur : à Ciudad Juarez, au cours des onze dernières années, et selon des chiffres officiels, on a déclaré 4587 femmes disparues, disparues dans le vide. Plus d’une par jour. Pour moins d’un cas sur dix, elles ont été retrouvées, recouvertes par le sable du désert, victimes sacrificielles du sadisme machiste.

Malgré les dénonciations continues des organisations féministes et de défenses des droits humains depuis des années, devant toutes les instances possibles, non seulement le massacre ne s’est pas arrêté, ni un seul coupable crédible n’a été présenté à l’opinion publique, mais on a même assisté à une fuite déconcertante des autorités, fédérales et régionales. Enquêtes mal conduites, aveux extorqués sous la torture, preuves détruites ou sous-évaluées ont été la réponse à l’indifférence officielle, aux tentatives du gouvernement de minimiser cet abcès désormais trop voyant.

Bien qu’appartenant à des partis différents, l’ex-gouverneur de l’état de Chihuahua, Francisco Barrio, du PAN, et l’actuel, Patricio Martinez, du PRI, se sont retrouvés pour une contre attaque honteuse. Le premier, réfutant les critiques de son incapacité à résoudre le féminicide, a insinué que « les femmes assassinées n’allaient pas vraiment à la messe » ; le second en continuant à attaquer les ONG, responsables selon lui de grossir le problème pour des questions d’intérêt troubles. Grâce à la pression nationale et internationale, le président Fox a dû reconnaître la compétence du gouvernement central et a désigné, en janvier, un « procureur spécial pour les affaires de délits en rapport avec les homicides de femmes à Ciudad Juarez » qui malgré son titre ronflant n’a encore résolu aucun cas.

C’est la grande manifestation du 14 février, sur la frontière, à laquelle ont participé Jane Fonda, Sally Field et d’autres personnalités étasuniennes, qui a projeté l’exigence de faire la lumière sur les homicides de Ciudad Juarez dans les médias internationaux. Mais le jour suivant, des familles des femmes assassinées et disparues ont déclaré que des policiers les avaient menacés en leur « déconseillant » de participer à la manifestation. Les familles des victimes, rassemblées en associations, ont commencé à émettre le soupçon que la police municipale ne soit impliquée dans le massacre.

Ville frontière

Maquis humain d’un million et demi d’habitants, pôle de maquiladoras au milieu du désert, frontière blindée entre le premier et le tiers monde, Ciudad Juarez est tournée vers El paso, sur l’autre rive du fleuve. De l’autre côté un ouvrier gagne jusqu’à dix fois plus. De ce côté, une fille disparaît toutes les nuits, dévorée par un Moloch invisible. On serait tenté d’appeler Ciudad Juarez « terre de personne », si elle n’était dans les mains fermes des multinationales, des narcotrafiquants, de gangs locaux, de la police et, naturellement, de politiciens corrompus. « A la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis », écrit Elena Poniatowska, « il y a peu de blessures qui cicatrisent ; au contraire, la plupart s’infectent et contaminent l’organisme. Là , dans ces zone de contagion, on voit bouillir à la plus haute température pouvoir politique, trafic de drogue, violence et avidité. C’est une zone gangrenée ».

Sur cette terrible réalité de Ciudad Juarez et son triste record on trouve des dossiers sur Internet (www.cimacnoticias.com). Des livres choquants ont été publiés : « Huesos en el desierto » de Sergio Gonzalez Rodriguez, « Juarez, the laboratory of our future » de Charles Bowden, « Las muertas de Juarez » de Rohry Benitez et trois autres journalistes. Ainsi que des documentaires de dénonciations comme le fameux « Señorita extraviada » de Lourdes Portillo, tourné en 2000, mais sorti seulement récemment dans le circuit international.

Toutes les analyses concordent pour désigner les maquiladoras comme le premier maillon de la chaîne des violences contre la femme. Le demi-million d’ouvriers qui assemble des appareils électrodomestiques et des téléviseurs de marques étrangères est constitué en majorité de femmes , jeunes de préférence, sous payées et non syndiquées, à qui on impose un test de grossesse périodique. Quelqu’un a fait remarquer que si les maquiladoras, ces dernières années, s’étaient chargées de l’accompagnement des ouvrières chez elles après le travail, les homicides auraient diminué de moitié. Mais les maquiladoras ne collaborent même pas avec les enquêtes et ne fournissent en principe aucune donnée sur leurs ouvrières.

Pour les familles des victimes et des jeunes disparues, la seconde étape du calvaire est celle des enquêtes. L’association Nuestras hijas de regreso a casa, parmi toutes celles qui assistent les familles des jeunes, a dénoncé le climat d’impunité qui règne à Ciudad Juarez, « la conception machiste qui permet de généraliser la violence contre la femme » , les anomalies et les négligences dans les enquêtes et dans les analyses. Sans parler du dénigrement constant des victimes qu’on essaie de faire passer pour des femmes légères. Comme si ça justifiait les assassinats !

Dans un document d’enseignantes et de chercheuses du Colegio de Mexico on avance quelques hypothèses sur les mobiles du féminicide. « On parle d’une chaîne internationale qui réalise des vidéos porno de violence et d’homicides pour les revendre à l’étranger ; on évoque aussi la possibilité de serials killings motivés par le sadisme et la haine raciale. Une autre hypothèse est le trafic d’organes. Les mobiles peuvent être nombreux, les hypothèses aussi, mais de solution, on n’en voit aucune ».

L’arrestation d’un égyptien, Omar Latif, il y a quelques années, ne mit pas fin à la chaîne des assassinats. La police raconta alors que c’était Latif lui-même qui payait des complices depuis sa prison pour qu’ils continuent à tuer. Ensuite on arrêta quelques membres d’un gang de jeunes -les Toltecas- et quelques conducteurs de bus, violeurs habituels. Mais leurs aveux de meurtres -c’est Amnesty International qui l’a dénoncé- ont été extorqués sous la torture.

Ni una mas !

Sans les vrais responsables derrière les barreaux- et surtout avec des femmes qui continuent à disparaître- le cas de Ciudad Juarez est en train de devenir un problème grave pour le gouvernement Fox, déjà aux prises avec de nombreuses difficultés. Evoqué dans de nombreux parlements européens -en Italie par Ramon Mantovani du Prc- le scandale du féminicide est en train d’apparaître sur la scène internationale. L’écrivain Carlos Monsivais a proposé de changer le terme. « Féminicide est un terme descriptif ; par contre commencer à les classer dans les « crimes de haine » nous oblige à faire une réflexion sérieuse sur le machisme dans son ignominie physique et sur les enquêtes des crimes ».

Mais le coup le plus fort porté au gouvernement Fox sur le cas de Ciuada Juarez est venu d’un angle inattendu. C’est José Luis Soberanes, président de la Commission Nationale des Droits Humains, médiateur nommé par le président, qui l’a donné. Dans le Rapport Spécial qu’il a présenté en novembre dernier, Soberanes a indiqué les responsabilités précises du gouvernement dans ce qu’il a défini comme « une justice niée »en écrivant : « L’Etat manque à une de ses tâches et responsabilités fondamentales, outre qu’il produit dommages, douleur et incertitudes pérennes aux familiers des victimes. En détruisant le sentiment de protection que les individus cherchent dans un état démocratique, la société aussi est touchée ».

Pour donner la mesure de l’intérêt des institutions pour le problème, quand le médiateur a présenté son rapport au sénat, quatre sénateurs seulement étaient présents sur 128. Et le président Fox a déclassé sa rencontre avec Soberanes, dans le protocole, de publique à privée.

Cela n’a pas empêché le médiateur d’avertir, après cette rencontre, que la vague des crimes est en train de s’étendre aux autres Etats comme Guanajuato, Sinaloa, Sonora. Dans ce dernier, on a enregistré ces trois dernières années 22 homicides contre des femmes, perpétrés selon un modus operandi très proche de celui de Ciudad Juarez. « Attention, espérons que ça ne devienne pas une épidémie » a-t-il déclaré.

Pendant ce temps, dans l’état de Chihuahua, on vend des porte-clé avec des breloques en plastique imitant un mamelon de femme. Les maris coléreux menacent leur femme en leur disant maintenant : « si tu me fais chier, je te jette dans le désert ! ». Ces six derniers mois on a retrouvé neuf autres cadavres de femmes. Il y a quelques jours seulement, quatre filles à la sortie d’une discothèque ont été embarquées de force dans une camionnette par plusieurs hommes.. On n’a plus rien su d’elles. A Ciudad Juarez, où fleurissent les bordels pour gringos et où on découvre périodiquement de nouvelles narcofosses, les cimetières clandestins des narcotrafiquants, la police se borne à regarder. Et les assassins marchent librement, protégés par l’impunité et la corruption.

Edition du 2 juillet de il manifesto

http://ilmanifesto.it

Traduit de l’italien par M-A. Patrizio

Ndt.[1] Les maquiladoras sont des usines de montage, pour la plupart propriétés étatsuniennes, qui ont proliféré à partir des années 60 en raison du faible coût de la main d’oeuvre mexicaine.

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 8.MEXIQUE. Faux amis : Mexico Magico, dans CQFD n° 14 du 15/07/2004 (cequilfautdetruire.org)

¿ México Mágico ?

Qu’ont en commun Manu Chao et le groupe hôtelier Accor ?... Tania Libertad et l’ambassadeur du Mexique à Paris ?... Les cultures indiennes et la banque Banamex ?... La défense de l’écosystème du Yucatán et la promotion du tourisme de masse ?...

Du 16 septembre au 1er octobre 2004, México Mágico, quinzaine d’attractions et de spectacles divers, mélangera tout cela pour célébrer la réouverture du consulat honoraire du Mexique à Marseille. « Cet événement festif et grand public est à la hauteur des richesses de tout un pays dont les diversités sur le plan culturel, musical, gastronomique, touristique sont particulièrement importantes et intéressantes », aguiche le site www.mexicomagico.net Cynisme ou naïveté ? On y apprend que l’inauguration du festival se fera sous le parrainage de Claude Heller, ambassadeur re présentant le Président Fox en France. Vicente Fox, ex-PDG de Coca-Cola Mexique et copie latine du cow-boy G.W. Bush, ne s’est jamais illustré par son respect des cultures indigènes.

Sous son règne, la guerre de basse intensité contre les communautés zapatistes du Chiapas s’est poursuivie, avec son cortège de meurtres, de viols, d’exils forcés, de mépris pour les formes traditionnelles de démocratie municipale.

Et pendant qu’on sert du pittoresque précolombien aux touristes (l’Indien mort, ça fait vendre, coco !), la télé mexicaine s’entête à mettre en scène un pays fantasmé, blanc et riche, reléguant dans la rubrique des faits divers les 80% de Métis et les 15% d’Indiens qui composent la population réelle. « Le Mexique est histoire, tradition, art, culture, modernité, technologie, paysages... Son peuple... universel », nous vante encore le site MéxicoMágico.

Pendant ce temps, 42 000 enfants meurent chaque année de maladies devenues bénignes sous d’autres cieux, reconnaît le ministère de la Santé. La plupart de ces tout petits morts sont Indiens. Le gouvernement Fox nie toujours le droit à l’autonomie aux peuples originels, malgré les accords de San Andrés. Et les Indiens ne sont pas les seules victimes de sa politique : 16% des adolescentes de la capitale ont fait une tentative de suicide en 2003, selon l’Institut National de Psychiatrie ! Le chômage a augmenté de 102% depuis l’arrivée de Fox au pouvoir. 62% des travailleurs touchent moins que le salaire minimum. Les conditions de travail se sont tellement dégradées que beaucoup se tournent vers l’activité informelle (pour un emploi créé, six boulots au black naissent dans la rue, s’alarme Banamex, la 1ère banque du pays, effrayée par le manque à gagner qu’occasionne cette économie souterraine).

Dimanche 27 juin à Mexico, 250.000 manifestants ont protesté contre l’insécurité galopante. Au départ manipulée par les médias et la droite pro-peine de mort, le cortège déborda vite ses instigateurs pour dénoncer la corruption de la justice et l’impunité des fonctionnaires et autres flics ripoux. Voilà pourquoi, en parallèle au tout beau tout joli MéxicoMágico, un collectif d’amis du Mexique rebelle* fera entendre la voix des Indiens qui ne veulent pas mourir et servir d’alibi dans la vitrine du Mexique officiel.

Au moment où le diplomate de Fox inaugurera ce festival d’hypocrisies, ils recevront la visite de Carlos Manzo, membre du Congreso Nacional Indà­gena et « ambassadeur » d’Unión Hidalgo, village zapotèque du Oaxaca en lutte contre un projet industriel qui menace la lagune sur laquelle cette communauté de pêcheurs vit depuis des siècles.

Carlos, qui vient de passer près d’un an en prison accusé à tort d’avoir tiré sur les sbires du cacique local, et dont l’avocat a été assassiné, nous racontera que le Mexique magique et multicolore existe bel et bien, mais que, pour survivre, il doit se battre contre ceux qui veulent le réduire à une simple carte postale.

*contact organisation : annettemarseille@hotmail.com.

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 9.NICARAGUA

"IL EXISTE DEUX SANDINISMES" - Interview de Mario Malespin, dirigeant syndical, par Sergio Ferrari , in Le Courrier, Suisse, 17/07/2004

Dirigeant syndical expérimenté, Mario Malespà­n a été l’un des principaux organisateurs de la longue résistance contre la privatisation des télécommunications au cours des années 1990. Licencié illégalement en 1998 pour ses activités militantes, réintégré sur décision de justice, puis licencié de nouveau quelques jours plus tard, il se bat pour retrouver son poste de travail. L’analyse de la situation actuelle du Nicaragua que fait ce militant sandiniste lucide et critique éclaire l’une des réalités les plus complexes d’Amérique latine.

Qu’est devenu le Front sandiniste (FSLN) vingt-cinq ans après la victoire populaire de 1979 et quatorze ans après la défaite électorale de 1990 ?

Le FSLN a renoncé à la lutte armée au profit de la prise du pouvoir dans un cadre légal, c’est-à -dire par les élections. Par conséquent, la structure du FSLN est devenue « électoraliste » : elle est active dans les périodes préélectorales et électorales, puis elle se met presque complètement en repos et ne fait plus aucun travail auprès de la base. Par ailleurs, la capacité matérielle du FSLN est limitée -comparée à celle qu’il avait pendant la révolution- et la structure du parti est extrêmement affaiblie. On privilégie les cadres qui démontrent une véritable loyauté à l’égard des dirigeants.

Beaucoup se considèrent sandinistes sans pour autant être membre du FSLN. Comment peut-on définir aujourd’hui le sandinisme ?

Le sandinisme est un courant extrêmement large. Il regroupe des gens qui sont sur des positions anti-impérialistes, d’autres qui sont des nationalistes, des gens véritablement à gauche et beaucoup de révolutionnaires. C’est pour cela qu’on peut parler de deux types de sandinisme. D’un côté, celui qui s’est perpétué depuis la révolution en accord avec les postulats de cette dernière, dont les principes sont cohérents et qui est sur des positions de classe. De l’autre, un sandinisme fidèle à la direction du parti, qui soutient sans réserve les décisions qu’elle prend et qui analyse peu. Ce sont ceux que l’on appelle les « daniélistes » [en référence à Daniel Ortega, dirigeant historique et actuel du parti, ndlr], de plus en plus minoritaires. Très souvent, lorsqu’on demande aux gens s’ils sont sandinistes, ils répondent « oui, mais pas daniéliste ».

Vous évoquiez la faiblesse de la structure du parti.

La vie du FSLN en tant qu’organisation politique est extrêmement réduite. Pour donner un exemple : le règlement interne exige que pour être candidat, les militants doivent être à jour pour ce qui est de leurs cotisations et lorsque les élections arrivent, ceux qui veulent faire partie des listes doivent régler des années de cotisations en retard, soit parce qu’ils n’ont pas payé régulièrement, soit parce qu’ils n’ont eu que des contacts sporadiques avec la structure.

Quelle est la relation entre le FSLN et le mouvement social ?

Le mouvement social s’est affaibli et a pris ses distances à l’égard du FSLN pour deux raisons. Si les dirigeants d’une organisation sont « daniélistes », la base s’éloigne. Si au contraire ils sont indépendants et commencent à avoir du poids, souvent la direction du parti essaie d’entamer leur leadership. Parfois, cela a mené à des divisions internes, ou bien le parti a ignoré leur lutte. Le mouvement social cherche, avec de plus en plus de détermination, à établir des alliances avec la « société civile », qui, au Nicaragua, n’est rien de plus que le regroupement d’organisations non gouvernementales et de certains « notables » qui font l’opinion publique.

Au cours des dernières années, on observe au Nicaragua un zigzag permanent, des mobilisations et des explosions sociales (les étudiants, les travailleurs du café, les luttes contre la privatisation, etc.) suivies de « chutes », de périodes de démobilisation. Est-ce votre sentiment ?

A partir de l’arrivée au pouvoir de Violeta Chamorro en 1990, les différents gouvernements qui se sont succédé ont suivi une stratégie dont le but était d’affaiblir les luttes et de diviser le mouvement social. Les véritables revendications sociales ont été récupérées et utilisées dans le jeu politique et ont été manipulées de l’intérieur. Les différents gouvernements ont profité de la situation pour mener à bien des négociations partielles, ce qui a affaibli la lutte globale et a constitué un obstacle à l’unité. Par ailleurs, il n’existe pas de structure pour organiser les luttes, ni de véritable alliance entre les différents secteurs. On a vu depuis quatorze ans de nombreux conflits sectoriels qui n’ont été qu’en partie résolus, et beaucoup de revendications sont restées sans réponse. Le FSLN, en tant que parti dont le but est de gagner les élections, appuie ponctuellement les luttes des secteurs qui peuvent lui apporter des voix mais sans compromettre sa s tratégie pour parvenir à ses fins. Par exemple, si l’opinion publique -c’est-à -dire l’opinion des propriétaires des médias- critique énergiquement une lutte, le FSLN prend ses distances pour ne pas compromettre ses chances électorales.

On a parfois l’impression que le FSLN n’a aucun intérêt à l’existence d’un mouvement social fort, uni et organisé. On dirait qu’il veut garder le leadership sur le plan social en apparaissant comme le seul recours pour régler les problèmes sociaux, et les régler à sa manière, c’est-à -dire en négociant parallèlement une part de pouvoir dans les différentes instances de l’Etat. Il gagne ainsi sur deux plans : tout d’abord, il empêche la naissance d’une force de gauche qui pourrait lui faire concurrence, ensuite il maintient sa position de principal interlocuteur du gouvernement et des forces politiques et sociales.

Y a-t-il quelques signes d’une consolidation du mouvement social ?

Dans le cadre de la lutte contre la mondialisation, et plus particulièrement contre l’Accord de libre-échange des Amériques (ALENA), une énorme manifestation a eu lieu en novembre dernier, à l’initiative du « Mouvement social du Nicaragua », composé, de façon informelle par des syndicats, des organisations étudiantes, des organisations de femmes, des ONG, le Movimiento comunal et d’autres secteurs. Elle a démontré que le FSLN n’est pas le seul à avoir la capacité de mobiliser les gens. Cette expérience, qui n’est qu’un début, se caractérise par une organisation horizontale, sans leadership visible -et sans les tensions internes liées à la lutte pour le pouvoir. Elle pourrait annoncer la naissance d’une alternative populaire à court ou à long terme, soit à l’intérieur du FSLN soit hors du FSLN. Mais le chemin qui reste à parcourir est encore long. Pour l’instant, elle ne représente aucun danger pour le système, mais c’est une lueur d’espoir.

Comment peut-on caractériser le gouvernement actuel et les forces d’opposition ?

Le gouvernement Bolaños est à mes yeux le plus pro-américain de l’histoire du Nicaragua. Il accepte l’ingérence des Etats-Unis dans la vie interne du pays. C’est un dangereux précédent : à l’avenir, tout gouvernement qui tentera de renverser cette situation sera vu comme un ennemi de l’empire, et donc sujet à des sanctions politiques et économiques.

Par ailleurs, je crois que le FSLN touche le fond pour ce qui est de sa réserve de militants inconditionnels. Cela va le contraindre à une ouverture démocratique sous peine de perdre toute chance de parvenir au pouvoir. Cette ouverture offrira un espace aux secteurs qui ont encore un projet de société de gauche et permettra donc de rassembler davantage et de refléter les intérêts des pauvres, qui sont l’immense majorité de la population. Les secteurs du FSLN qui ne sont pas liés à la corruption, à l’enrichissement démesuré des dirigeants actuels, qui ne sont pas compromis par des pactes avec la droite, auront plus de chance de prendre le pouvoir au sein du parti. »Le troisième acteur, le Parti libéral constitutionaliste (PLC) de l’ancien président Arnoldo Alemán, a été frappé de plein fouet par les affaires de corruption. Un récent sondage indique que 75% de la population se prononce contre la tentative du groupe parlementaire du PLC d’obtenir l’amnistie d’Al emán. Cette situation est très favorable au FSLN dans la perspective des élections municipales qui auront lieu en novembre. Par ailleurs, une bonne partie des principaux candidats à ces élections ne sont pas liés à la direction du parti. C’est une tendance positive.

Quelle est la situation du mouvement syndical, un acteur un peu oublié ces derniers temps ?

Le mouvement syndical a pris conscience de sa faiblesse. S’il n’y a pas de travailleurs dans le secteur formel, il n’y a pas de force syndicale. Il a donc décidé de s’unir aux différents secteurs sociaux, pour mener non pas une lutte revendicative traditionnelle, mais un combat politique en vue de changer les règles du système. Il n’y a pas d’autre solution. Les emplois informels, les contrats temporaires, la flexibilité, la destruction de la capacité de production par l’invasion de marchandises étrangères à très bas prix -venant de zones franches ou dont la production est subventionnée- annonce un avenir peu prometteur pour le mouvement syndical, qui a été, en d’autres temps, le fer de lance du mouvement social. Nous attendons de voir si les dirigeants syndicaux actuels sont capables de changer de mentalité et d’abandonner leurs attitudes traditionnelles et si les autres secteurs, qui voient avec inquiétude les méthodes de lutte du mouvement syndical, sont d isposés à s’intégrer dans un effort commun de mobilisation en faveur des changements sociaux. »

Le syndicalisme a l’avantage de pouvoir s’organiser avec une relative liberté, malgré la répression. On a de plus en plus le sentiment que l’unification progressive des syndicats est possible. La santé et l’éducation offrent un bon exemple : les organisations de ces secteurs sont parvenues à un accord concernant la négociation d’un salaire minimum. De toute évidence, il se passe quelque chose, et des signes annonciateurs d’une nouvelle dynamique sociale sont perceptibles. Va-t-elle aboutir ? Seul le temps le dira.

Traduction : Michèle Faure

Collaboration E-CHANGER

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 10.PEROU

Le président Toledo face à la grève générale.

Traduction publiée par la revue politique Alencontre (alencontre.org), Lausanne, juillet 2004

Par Carlos Noriega *

Le 14 juillet 2004, une grève nationale a ébranlé le Pérou. Dans toutes les principales villes, la mobilisation a directement visé le gouvernement de Toledo et sa politique de contre-réformes néolibérales. La réaction contre la corruption gouvernementale fut aussi un des moteurs de la colère populaire.

L’opposition de l’APRA (Alliance populaire révolutionnaire américaine, formation historique nationaliste), bien que soutenant formellement la grève, continue à appuyer la politique de privatisation, le Traité de libre-échange (TLC) avec les Etats-Unis, l’Alca (Zone de libre-échange des amériques) et le Plan Colombie (développé par les Etats-Unis). Toutes les forces liées au capital national et transnational sont favorables aux caractéristiques néoconservatrices de la constitution de 1993, mise en place par l’ex-président Fujimori. Elles s’opposent à l’appel populaire pour une Assemblée constituante. Elles sont favorables à ce que des changements constitu tionnels n’interviennent que dans le cadre du Parlement. Elles visent donc à voler au peuple le droit de se prononcer sur des questions de vie et de mort - au sens le plus strict du terme.

La grève du 14 juillet est qualifiée de « grand succès » par la Centrale générale des travailleurs du Pérou (la CGTP). Et cela malgré les menaces de répression. D’ailleurs, selon le Ministère de l’Intérieur, quelque 70 personnes ont été arrêtées sous le prétexte qu’elles bloquaient des routes et brûlaient des pneus. La grève a été particulièrement suivie dans les villes de l’intérieur, à hauteur de 75% à 90%. A Lima, la CGTP considère que 60% de la population active a participé au mouvement. Une des instances indépendantes du pays - la Defensoria del Pueblo - considère qu’un « important secteur de la population » a suivi la grève. Le président de la CGTP, Juan José Gorriti, a indiqué au correspondant du quotidien argentin Pagina 12 que si le président Toledo ne donnait pas de signe de cha ngements profonds, le 28 juillet, date anniversaire de sa troisième année au pouvoir, de nouvelles mobilisations seraient organisées. Et, Gorriti a ajouté que cette grève générale s’inscrivait dans les trois plus grandes grèves de l’histoire récente du Pérou, celle de 1977 et celle de 1999, « les deux étaient faites pour chasser un gouvernement dictatorial » (respectivement le général Francisco Morales Bermudez et Fujimori). Cette grève générale contre un gouvernement et pour la convocation d’une Assemblée constituante traduit la situation de révolte politique populaire qui constitue une des caractéristiques de la conjoncture politique et sociale en Amérique latine, avec, aussi, toutes les difficultés à trouver une issue politique permettant de battre en brèche la politique de misère qui s’approfondit.

Dans deux semaines, le président Alejandro Toledo aura accompli trois années de pouvoir présidentiel, mais, ce 14 juillet 2004 il va affronter la première grève générale appelée par les syndicats au cours de ses années de gestion mouvementées. Il le fera à partir d’une position politique très précaire puisque, selon les sondages, ceux qui approuvent sa présidence ne dépassent pas les 10%. Au dernier moment, Toledo a décidé d’écourter son voyage en Equateur et d’être présent au Pérou pour faire face à la principale mobilisation antigouvernementale depuis les manifestations contre l’ex-président Alberto Fujimori, qui a quitté le pays en 2000 et est réfugié au Japon.

A cette occasion, Toledo se trouvait de l’autre côté de la barricade ; il était à la tête de ceux qui protestaient, avec un grand appui populaire. Aujourd’hui, il est au gouvernement, sans soutien populaire, sans capacité de leadership, et ceux qui, alors, marchaient à ses côtés sortent dans la rue pour protester contre lui. Et Toledo leur a déjà répondu, les accusant d’être des violents et même des terroristes.

La grève générale de 24 heures convoquée par la Confédération Générale des Travailleurs du Pérou (CGTP), la principale centrale syndicale du pays, a mis en échec le gouvernement. Une nervosité a envahi le palais du gouvernement. On y craint que la journée de grèves, si elle est réussie, se transforme en un coup assez dur pour un gouvernement qui tremble depuis assez longtemps. Plus l’appui à la grève augmentait - selon les dernières enquêtes 70% de la population soutien la grève -, plus le gouvernement lançait une campagne visant à déconsidérer les organisateurs de la protestation populaire. Au cours des derniers jours sont apparues à la télévision des annonces publicitaires payantes (et payées par le gouvernement) qui affirmait que le terrorisme était à la base de la convocation de cette grève antigouvernementale. Mais cette campagne ne semble pas avoir eu un effet majeur sur la population qui, très largement, continue à soutenir la grève.

Et comme le gouvernement devient tous les jours plus nerveux, l’appui croissant pour la mobilisation à fait que certains partis politiques, au dernier moment, sont montés dans le train. C’est le cas de la formation social-démocrate APRA (une des plus anciennes formations politiques du Pérou), qui est traditionnellement opposée à la CGTP. Par opportunisme, elle, s’est ralliée à la protestation sociale. Les dirigeants de la CGTP ont qualifié l’appui de l’APRA comme « opportuniste ».

Le gouvernement a passé de la menace verbale à la menace réelle lorsqu’il a annoncé qu’il ferait sortir les forces armées dans la rue pour réprimer les manifestations antigouvernementales. Mario Huaman (président de la CGTP) a qualifié cette décision comme étant « une mesure anticonstitutionnelle qui traduit une façon autoritaire de gouverner ». De son côté, l’ex-président du Pérou, Alan Garcia, [Alan Garcia Perez sera président du Pérou de 1985 à 1990. Il sera poursuivi pour corruption], a défini la réaction de Toledo comme étant : « une réponse exagérée et absurde, propre à une dictature ».

Le 13 juillet, le ministre de l’Intérieur, Javier Reategui, a cherché à limiter les critiques faites à l’encontre du gouvernement concernant le recours aux forces armées. Devant la presse étrangère, il a assuré que « les tanks ne sortiraient pas dans la rue et que les soldats ne patrouilleraient pas pendant la grève ; les forces armées se limiteront à assurer la sécurité interne des locaux publics ». Reategui a assuré que les 93’000 policiers - c’est-à -dire l’effectif total existant dans le pays - seront, eux, chargés de maintenir l’ordre durant la grève. « Les forces armées ne feront pas un travail répressif, mais dissuasif ; le gouvernement a choisi la dissuasion, mais la dissuasion énergique », voilà l’explication confuse faite par le ministre pour justifier l’appel aux militaires. Reategui a insisté sur la mention « d’infiltrations terroristes » en vue de la mobilisation convoquée pour le 14 juillet. Néanmoins, il n’a pu présenter aucun argument solide qui puisse étaye r ses accusations. Le ministre de l’Intérieur a signalé que « le gouvernement qualifierait le terrorisme à partir des actes, et si il y a des actes de violence, il y a dès lors du terrorisme ». C’est une généralisation dangereuse qui menace de faire passer devant les tribunaux, en tant que « terroriste », toute personne qui, au cours de la protestation, lancerait une pierre.

Dans les derniers jours, les porte-parole du gouvernement non seulement ont parlé de la prétendue présence de Sendero Luminoso [Sentier Lumineux, organisation d’origine maoïste avec une base indigène dans le nord du Pérou dont le dirigeant, Abimael Guzman Reynoso, a été arrêté en 1992 et condamné à la prison à vie ; Sentier Lumineux menaçait et agressait les leaders syndicaux et paysans qui exprimaient un désaccord avec elle], mais ils ont été jusqu’à dire que les FARC colombiennes « finançaient les groupes de gauche pour créer le chaos et la violence ».

Toutefois, ils n’ont pas pu présenter un quelconque élément qui justifie leurs accusations. Les dirigeants de la CGTP ont démenti avec énergie les accusations portant sur des prétendus liens avec le « terrorisme ». Ils ont comparé ces accusations du gouvernement de Toledo à « la stratégie de Fujimori consistant à accuser tous ceux qui protestaient contre le gouvernement d’être des terroristes ».

La plate-forme de lutte de la grève nationale d’aujourd’hui [14 juillet] exige, entre autres, une assemblée constituante pour modifier la Constitution imposée par Fujimori et qui reste en vigueur. Elle réclame aussi, le changement de la politique économique néolibérale du gouvernement ; le rejet des négociations pour un traité de libre-échange avec les Etats-Unis. En outre, elle revendique de mettre fin aux privatisations commencées par Fujimori et continuées par Toledo. Enfin, elle demande une enquête sur la corruption qui concerne divers membres du gouvernement.

*Article publié dans le quotidien argentin Pagina 12 (14 juillet 2004).

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 11.Campagne internationale de soutien au processus révolutionnaire du Venezuela

A tous les peuples du monde :

Des centaines de milliers d’adhérents des organisations de base syndicales, populaires, estudiantines, paysannes et communautaires participent aux Patrouilles Electorales (PE) et aux Unités de Bataille Electorale (UBE) des commandos électoraux pour le référendum. Au sein de l’Union Nationale des Travailleurs (UNT) en particulier des efforts sont faits pour que l’immense majorité des travailleurs et des travailleuses, organisés syndicalement ou non, s’incorporent à cette "Bataille de Santa Inés" (nom qui a été donné à la campagne pour le "Non" au référendum du 15 août) avec l’intention de faire triompher de manière indiscutable le NON le 15 août prochain, quand ce sera le référendum, lequel sera indubitablement confirmatif.

Dans cette consultation référendaire "se jouent nos vies", disons-nous dans nos réunions et rencontres avec les travailleurs et les secteurs populaires. Chaque fois que nous voyons les comportements des secteurs fascistes dans les quartiers de la classe moyenne supérieure, comme ceux du dimanche 27 juin dans la zone de Alto Prado à Caracas, s’en prenant indistinctement à quiconque s’active en faveur de la Bataille de Santa Inés, ou quand nous écoutons et nous lisons les déclarations des dirigeants de la Coordination qui regroupe les secteurs de l’opposition de droite, nous sommes renforcés dans cette conviction. Cette raison nous a imposé de donner la priorité à cette bataille et pour cela nous nous sommes associés avec enthousiasme aux activités programmées, nous appuyons et essayons de nous articuler aux distinctes organisations électorales surgies de la base, nous nous coordonnons avec les commandos électoraux dans les cadres nationaux, régionaux et locaux et nous soutenons de toutes nos forces la campagne impulsée par l’UNT dénommée "Travailleurs dans la Bataille".

Pour ne pas permettre la fraude et avoir la garantie de la victoire du NON, nous estimons nécessaire de socialiser la discussion avec les différents secteurs populaires et leurs organisations dans notre pays, mais aussi avec les travailleurs et les peuples d’Amérique latine et du monde, particulièrement à l’approche du 5 juillet, jour de la signature de l’Acte d’Indépendance du Venezuela. En ce jour de 1811 le peuple vénézuélien, précurseur de la lutte sur tout le continent, avec Simon Bolivar à sa tête, commença la guerre contre le colonialisme espagnol et aujourd’hui, la Bataille de Santa Inés est peut-être le commencement de notre SECONDE INDEPENDANCE, de par son profond contenu anti-impérialiste et anticapitaliste. Cette nouvelle phase de l’affrontement au putschisme et à ses méthodes fascistes, n’est pas seulement notre lutte mais celle de tous les peuples opprimés et exploités de l’Amérique latine et du monde, d’où notre appel pressant à toutes les organisations populaires et de travailleurs de la planète à nous accompagner dans cette lutte et à développer aux côtés du peuple vénézuélien une CAMPAGNE INTERNATIONALE DE SOLIDARITE AVEC LE VENEZUELA

L’ennemi principal à vaincre est George Bush, c’est pourquoi cette campagne est anti-impérialiste.

Au Venezuela tout le peuple se retrouve pour désigner l’ennemi principal de ce processus révolutionnaire et bien sûr pour ce référendum, à savoir cet énergumène de George W. Bush, qui habite la Maison Blanche dans une situation bâtarde de Président des Etats-Unis. Il représente l’idéologie et la stratégie des putschistes de l’opposition. Ses organismes, ses représentants légaux ou cachés financent et mettent en avant sa politique et ses tactiques.

Tous ensemble ils constituent la "coalition impérialiste" et c’est elle qu’il faut vaincre en premier lieu. Cependant, tous les bolivariens étant clairs sur cette réalité, nous devons être conséquents dans l’affrontement avec tous les parties constituantes de la "coalition impérialiste".

Les pièces et engrenages de la "coalition" dans ce processus référendaire sont le Centre Carter, l’OEA, la CIA, et dernièrement Human Rights Watch. Ces organisations ont été et veulent continuer à être les mains interventionnistes de l’impérialisme pour permettre à l’opposition d’arriver à ses fins.

Les représentants de l’OEA et le Centre Carter travaillent pour permettre la fraude et font pression pour arracher au gouvernement des concessions qui favorisent leurs acolytes de la Coordination de l’opposition. Compte-tenu de la possibilité qu’ils perdent le référendum, ils sont prêts à appuyer n’importe quelle dénonciation et accusation de fraude et de favoritisme que les putschistes lancent contre le gouvernement. Au lieu d’admettre la défaite, ce sont les instruments de l’opposition pour qu’on leur pardonne leurs délits et que continue à régner l’impunité. Déjà ils parrainent le grand truand créole cubain de Miami Gustavo Cisneros. Ils sont prêts à investir dans un après 15 août en faveur des ennemis de la révolution et de son approfondissement.

Les dangers nous imposent de dénoncer et d’empêcher l’ingérence de ceux-ci et d’autres appareils de l’impérialisme dans le processus politique que vit notre pays. Il nous faut être implacables contre eux parce que s’ils ont beau jouer les impartiaux, ils seront implacables, malgré l’apparence "light" et tolérante qu’ils se donnent, contre ceux qui sont aujourd’hui identifiés comme "chavistes".

Le 15 août est une bataille de tous les peuples opprimés, c’est pourquoi elle est internationaliste.

En contrepoids au rôle du Centre Carter et de l’OEA, il nous faut promouvoir et faciliter la présence de dizaines d’organisations de travailleurs, de corporations et d’organisations populaires et démocratiques de différentes parties du monde ainsi que d’intellectuels et universitaires qui se sont proposés et veulent pouvoir témoigner du rôle principal et des sympathies de la majorité des travailleurs et des secteurs populaires du Venezuela pour le processus révolutionnaire. Seulement ainsi nous pouvons démontrer la justesse de l notre consigne dans cette Bataille de Santa Inés : "La lutte est pour l’humanité et pour notre futur".

Dans la mesure où nous faisons barrage aux instruments impérialistes, parce qu’ils veulent nous vaincre, il nous faut ouvrir les portes aux organisations de classe, révolutionnaires et aux personnalités démocratiques des différents pays du monde, afin de garantir la possibilité, qu’en cas de fraude ou de violence générée par les putschistes, les travailleurs et le mouvement populaire mondial seront informés de ce qui se passe dans notre pays, et seront de notre côté pour poursuivre l’approfondissement de ce processus, qui continue a être un exemple qui jour après jour gagne l’appui des peuples de la Terre.

Qu’ils viennent les dirigeants de la CUT du Brésil, de Colombie et du Chili, et la COB de Bolivie ; les Mères de la Place de Mai, les dirigeants de la gauche et les piqueteros d’Argentine ; que nous accompagnent les dirigeants du PT, du PSOL, du PSTU et du MST du Brésil ; ceux du MAS de Bolivie et de la CONAIE d’Equateur.

Qu’ils viennent par centaines les dirigeants des syndicats européens ou les activistes du mouvement anti-globalisation et de Via Campesina, et que nous appuient de leur présence les authentiques dirigeants ouvriers, les démocrates et révolutionnaires des Etats-Unis qui rejettent l’action déstabilisatrice, asservissante et colonisatrice du bipartisme Démocrate-Républicaine aujourd’hui dirigé par George Bush et qu’ensuite continuera Kerry ainsi qu’il l’a annoncé s’il gagne les élections.

Nous voulons tous et toutes les rencontrer au Polyèdre de Caracas le 31 juillet dans la manifestation convoquée par l’UNT ; et qu’ils restent jusqu’au 15 août pour se joindre à cette grande bataille et pour que dans chacun de leurs pays ils engagent des actions de protestation contre l’ingérence impérialiste, l’OEA, le Centre Carter et Human Rights Watch.

Cette bataille est internationaliste, parce que notre victoire du 15 août sera une victoire des peuples irakiens et afghans envahis par l’impérialisme nord-américain, secondé par l’ONU. Ce sera une victoire du peuple palestinien, qui affronte avec vaillance l’assassin Ariel Sharon, appuyé par l’impérialisme yankee. Ce sera un encouragement pour que le peuple cubain maintienne encore plus ferme que jamais sa lutte contre le blocus que lui impose la Maison Blanche. Ce sera une incitation pour le peuple bolivien afin de retrouver le contrôle de son gaz, afin de gagner sa sortie à la mer et de renforcer les courants indigènes et populaires pour qu’ils prennent les rênes de leur pays. Ce sera un encouragement au peuple péruvien pour qu’il se débarrasse une fois pour toutes du corrompu Toledo. Ce sera une contribution aux peuples d’Uruguay et de Colombie pour qu’à leurs prochaines élections ils l’emportent sur les partis patronaux. Cela transmettra de l’énergie aux peuples mapuche et chilien contre la voracité néolibérale et aidera au combat du peuple argentin contre les plans de capitulation au FMI que développe le gouvernement, condamnant à la faim des millions de travailleurs.

Nous affrontons les transnationales, les patrons, les propriétaires terriens, et leurs partis, c’est pourquoi cette campagne est anticapitaliste.

La bataille du 15 août a aussi un caractère profondément anticapitaliste. Nous affrontons dans ce référendum les groupes économiques Polar et Cisneros dont les propriétaires figurent au palmarès des milliardaires de Forbes, les grandes transnationales ; les "suceurs de sang" du secteur financier qui sont en train de transférer leurs centres informatiques à l’extérieur comme partie de leurs plans de déstabilisation ; les entrepreneurs qui firent une fête au moment du coup d’avril 2002 ou qui fermèrent leurs entreprises durant 63 jours lors de l’action-sabotage pétrolier de fin 2002 dont le but était de renverser le Président.

Nous affrontons toutes les entreprises regroupées dans Fedecamaras et les associations de propriétaires terriens qui possèdent 90% des terres potentiellement agricoles et des élevages du pays. Bien que beaucoup de ces patrons l’occultent, ils ont tous unis par le même motif : exploiter le travailleur et le peuple, revenir à la IVe République de la Corruption, livrer nos ressources et le patrimoine aux multinationales, appliquer les recettes du FMI et nous tuer par la faim et la répression.

Comme adversaires nous avons tous les partis qui ruinèrent le pays durant 40 ans de démocratie-bourgeoise, les moyens de communication privés, et des gens de gauche passés dans le camp fasciste, qui défendent les intérêts des patrons, des multinationales et l’impérialisme. Pour ces raisons, le 15 août est aussi une bataille anticapitaliste. Ce n’est pas une invention de notre part, c’est la réalité du Venezuela dans lequel nous vivons aujourd’hui. Les entreprises de surveillance privée veulent imposer à tous leurs salariés la journée de travail continue.

Les petites entreprises industrielles et les franchises parlent de faire un "inventaire" le 15 août pour empêcher leurs travailleurs d’exercer librement leur droit de vote. Il y a des patrons qui, liste à la main, convoquent dans les bureaux les travailleurs pour les menacer de licenciement s’ils ne votent pas pour le OUI. Et d’autres qui sont en train de préparer de nouvelles actions violentes, finançant des paramilitaires et toutes sortes de stratagèmes additionnels frauduleux pour que les riches et les patrons reviennent au pouvoir.

C’est pourquoi le choix est clair : ou gagnent Bush, les multinationales et les patrons, ou nous confirmons Chavez et nous gagnons, nous les travailleurs, les paysans et les humbles du Venezuela, afin d’approfondir le processus révolutionnaire. C’est pourquoi il nous faut travailler dur pendant ces 40 jours restant. Nous devons armer toutes les structures organisatrices nécessaires pour écarter la fraude, nous préparer pour le grand acte internationaliste du 31 juillet et nous apprêter, pareillement au 13 avril ou comme en décembre-janvier 2003, à risquer nos vies pour défendre ce que nous avons conquis par la mobilisation jusqu’à aujourd’hui, et qui est la base fondamentale pour aboutir à une nouvelle société, sans exploiteurs ni exploités, de justice sociale, où prévaudra la démocratie de la majorité dépossédée et gouverneront les travailleurs et le peuple à travers leurs organisations authentiques.

Ont signé :

Orlando Chirino (Union Nacional de Trabajadores - UNT), Marcela Máspero (UNT), Stalin Pérez Borges (UNT), Richard Gallardo (UNT), Rubén Linares (UNT), Ismael Hernández (UNT-Carabobo), José Barreto (UNT-Carabobo), Ricardo Acevedo (UNT-Aragua) , José Boda (Fedepetrol-Mov. Clasista La Jornada) , Manuel Pérez (Movimiento Clasista La Jornada) , Armando Guerra (Sindicato Hidrocapital) , Miguel Angel Hernández (Opción de Izquierda Revolucionaria - OIR) , Emilio Bastidas (OIR) , Gonzalo Gómez (Sitio web Aporrea.org) ,UIT-CI (Unidad Internacional de los Trabajadores-Cuarta Internacional) , Maximino Castro, Secretario general (e) de la Unión de Trabajadores de la Educación (UTE) Panamá , Lic. Priscila Vásquez, Presidente de la Asociación de Empleados de la Caja de Seguro Social (AECSS) Panamá , Virgilio Araúz, Coordinadora Nacional Propuesta Socialista sección oficial de la Unidad Internacional de Trabajadores (UIT-CI) , Ronald Rivas Cortés, secretario de reivindicaciones de la Federación de Centros Universitarios de la Universidad Central de Venezuela , Enrique Marcano, Movimiento por la Transformación Universitaria Marzo 28 (MTU/M28) Universidad Central de Venezuela , Juan Pablo Rossel, Movimiento Estudiantil ACTIVATE, escuela de Sociologà­a, Universidad Central de Venezuela , Margarita Arregocés, Colombia en el Exilio (Alemania) ; Asamblea Popular Parque Chacabuco-Goyena y Puán, Ciudad de Buenos Aires, Argentina , Valter de Jesus Xéu, Director e editor do jornal Patria Latina, Brasil , Mariana Salazar, Colectivo Venezuela Va (Alemania) , Daniel Petri, Conseiller municipal d Alfortville (concejal) Francia , Pedro Carrasquedo, membre du Bureau National de USPAC-GCT (central sindical) Francia , Organización polà­tica La Commune (Francia) , Organización Buenos Dà­as América (Chile) , Colectivo Sin nombres, Universidad Central de Venezuela , Liga Comunista Revolucionaria (LCR-Francia) Olivier Besancenot, Alain Krivine, Roseline Vachetta , Cà­rculo Bolivariano de Sao Paulo, Brasil , Unión de la Clase Trabajadora-Bloque por la Unidad Socialista (UCLAT-BUS) México , Unión Nacional Campesina (UNC)México , Coordinadora Nacional de Organizaciones Sociales (CONAOS) México , Foro Nacional de los Trabajadores México , Asociación de Residentes y Comunidades Integradas (ARCIAC) México , Movimiento Estudiantil Universitario Juventud Democrática de la Universidad Michoacana de San Nicolás de Hidalgo México , Jaime Ortega, Agrupación estudiantil Tiempos Modernos (México) , Asociación por el Desarrollo de la Prensa Alternativa, colectivo Portal Popular, Brasil , Colectivo Andamios, Chile , Movimento Dos Atingidos por Barragens, Brasil , Asociación Italia-Nicaragua, Italia , Cà­rculo Bolivariano de Montreal, Canadá , Angela Di terlizzi (adhesión individual), Italia , Jesús Gago, Corriente Roja, Madrid, España , Pedro Martà­nez Dà­az, Murcia, España (individual) , Miguel Angel González Molto, Murcia, España (miembro de la Internacional Humanista). , Corriente Roja (España).

Si votre organisation (non vénézuélienne) souhaite appuyer ce communiqué, bien vouloir adresser un message à  : miguelaha2003@yahoo.com.

Note de RB : de nombreuses autres organisations, des militants politiques, syndicaux, associatifs, des individuels, des intellectuels de renom sont venus depuis, en France comme dans le monde, apporter leur signature et leur soutien à cet appel.

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"SI J’ETAIS VENEZUELIEN, JE VOTERAIS POUR HUGO CHAVEZ".

C’est le titre du Manifeste de soutien à Hugo Chavez et au peuple vénézuélien (La Folha de Sao Paulo du 16 juillet) signé par des personnalités brésiliennes comme le musicien Chico Buarque, l’architecte Oscar Niemeyer, l’économiste Celso Furtado, l’écrivain Carlos Heitor Cony, plusieurs gouverneurs d’Etats. Le document insiste sur le droit du peuple vénézuélien à décider de son destin. Une délégation du Manifeste devait se rendre à Caracas. L’initiative a reçu l’appui du politologue nord-américain Noam Chomsky, du musicien Manu Chao, de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano et de l’évêque catalan Pedro Casaldaliga. Par ailleurs, Rigoberta Menchu, Prix Nobel de la Paix 1992, se rendra au Venezuela comme observatrice internationale du vote référendaire du 15 août.

Note de RB : il y a eu d’autres appels, qui ont recueilli également des milliers de signatures et d’adhésions, individuelles et collectives.

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 12.Dans les « ranchitos »[1], parmi les Cubains de Caracas

Visite à « La lucha », une des favellas misérables de la capitale du Venezuela, où travaillent les programmes sociaux lancés par le président Chavez avec les gains du pétrole et souvent gérés par des médecins et enseignants cubains (les vénézuéliens ne veulent pas y aller) : voila ce qu’est « la cubanisation ».

Par STEFANO LIBERTI, ENVOYE A CARACAS

« La mision barrio adentro[2] est ici ». Ecrit au feutre et accroché à la porte d’un petit immeuble en dur, le panneau indique l’endroit où a été installé le nouveau centre de cure ambulatoire. Nous sommes à La lucha, quartier populaire de Caracas, enchâssé au milieu d’une zone plutôt aisée : ici, comme dans tous les quartiers les plus pauvres de la capitale et de tout le pays est en oeuvre depuis un an environ le programme d’assistance sanitaire décidé par le gouvernement de Hugo Chavez. Un programme lancé grâce aux gains consistants du pétrole, et qui utilise l’apport fondamental d’environ 10 000 médecins cubains. Le centre ambulatoire est un petit espace d’une dizaine de mètres carrés. Simple et bien tenu, il a tout ce qui est indispensable : un lit, des médicaments, des pommades, des instruments pour les premiers secours. Au mur, un poster avec les drapeaux vénézuélien et cubain célèbre « l’amitié entre les deux peuples ». Installé dans une pièce d’habitation privée, le petit centre médical est désormais le point de référence indispensable du quartier, comme l’indique de façon claire une file d’attente ordonnée à l’extérieur. A l’intérieur, les médecins font surtout des interventions de première assistance : crises d’asthme, grippes, rhumes, dérangements intestinaux, brûlures. Mais surtout, ils font des diagnostics. Les patients avec des pathologies plus importantes sont transférés dans les hôpitaux militaires et, dans les cas les plus graves, transportés en avion pour être opérés à Cuba. « Il y a quelques semaines une femme est venue me voir en disant qu’elle était aveugle. En réalité elle avait une simple cataracte. Nous l’avons envoyée à La Havane et, quand elle est revenue, elle a pu voir son fils de 12 ans pour la première fois » raconte Raphaël pendant qu’il nous reçoit dans un petit bureau. Ce jeune médecin cubain est arrivé au Venezuela il y a huit mois : l’accord entre les deux pays prévoit un déta chement de deux ans, pendant lesquels les médecins perçoivent, en plus de leur (bas) salaire cubain, 400 mille bolivars par mois (à peu près 200 dollars, au change officiel) du gouvernement vénézuélien. Raphaël se relaye avec un autre collègue dans le centre : ils assistent les patients chacun à leur tour et, s’il le faut, font des visites à domicile. Un service de garde médicale est actif 24 heures sur 24 et complètement gratuit, ce qui a changé la vie de milliers de vénézuéliens. Et qui continue à s’étendre : rien que dans ce quartier, après le premier secours, ont été ouverts un centre dentaire et un ophtalmologique. Pour donner une idée du phénomène quelques chiffres suffisent : chaque jour au moins cinquante personnes utilisent les services du centre de cure ambulatoire. « Hier nous avons visité soixante-huit patients », dit Raphaël non sans satisfaction.

La santé gratuite pour tous n’est qu’une des missions lancées par le gouvernement de Chavez pendant cette dernière année : en plus de la « barrio adentro », le président a mis en place un programme d’alphabétisation, un autre d’éducation supérieure, et une vente d’aliments à bas prix. Fleurons de la révolution bolivarienne, ces projets sociaux ont déchaîné la colère de l’opposition, qui les présente comme des mesures populistes tout simplement destinées à maintenir la base électorale chaviste. Dès le lancement de la « mision barrio adentro », les différents dirigeants qui se reconnaissent dans cette alliance chaotique et confuse qu’est la Coordonedora democratica (CD) se sont insurgés contre la « cubanisation » du pays. La vérité est que Chavez a dû avoir recours à des médecins cubains parce que peu de Vénézuéliens renonceraient à des salaires élevés dans des cliniques privées pour participer aux programmes publics.

Aujourd’hui cependant, étant donnée la faveur exponentielle que reçoivent ces mesures dans de vastes secteurs de la population, ces mêmes politiciens commencent à faire marche arrière. La CD n’agite plus de façon aussi obsédante l’épouvantail de la « cubanisation ». Et elle a fait savoir que, si elle arrivait au pouvoir, elle n’annulerait pas tous les programmes sociaux mais « seulement ceux qui font de la propagande ».

Malgré cela, les misiones reflètent une fois de plus l’extrême polarisation du pays : répandues et très populaires dans les zones plus pauvres, elles suscitent une grande suspicion dans les quartiers aisés. Quand le gouvernement a décidé d’ouvrir un centre ambulatoire de « bario adentro » à La California, un quartier résidentiel à l’est de Caracas, il a dû faire face à des manifestations des habitants, qui craignaient une « invasion de pauvres ». Aujourd’hui le centro de salud de La California a un peu moins d’un an. Par rapport aux centres des quartiers plus pauvres l’affluence est moindre mais en augmentation. Non sans quelques surprises : « Hier une dame est venue pour une visite médicale en ayant sur son sac un badge pour voter oui au référendum » raconte Antonio Suarez, le médecin cubain qui gère le centre.

Paradoxalement c’est justement grâce à l’opposition que Chavez a pu lancer les missions. En 2003, à la suite de la grève de deux mois des travailleurs du pétrole, il a pu récupérer le contrôle de la PDVSA, la compagnie pétrolière nationalisée en 1976 et qui était devenue une sorte de structure oligarchique parallèle. Le blocus a permis au président de licencier 18 000 salariés de la PVDSA (sur 40 000) et de se réapproprier les rentes du pétrole brut. Qui, pour la première fois dans l’histoire du Vénézuéla, ont bénéficié à la population et non à cette élite qui aujourd’hui s’agite beaucoup contre les projets sociaux mis en oeuvre par le gouvernement.

Edition de vendredi 13 août 2004 de il manifesto

http://ilmanifesto.it

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

[1] Ranchitos : quartiers pauvres, pour la plupart entourant Caracas, sur les collines.

[2] Mision bario adentro ("au coeur des quartiers") : programme médico-social gouvernemental d’installation de médecins et de centres de soins dans des quartiers qui étaient auparavant dépourvus de tous services médicaux . Les missions bario adentro sont désormais dans tout le pays, dans les grandes villes, dans les campagnes, dans les zones les plus éloignées, comme les région amazoniennes ou montagneuses. Les consultations et soins sont entièrement gratuits, les médicaments aussi dans la mesure du possible.

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 13.VENEZUELA

LINA RON, LA PASIONARIA DE LA REVOLUTION BOLIVARIENNE

par Max Keler, in Le Grand Soir, en ligne le 15/07/04.

Les femmes jouent un rôle de premier plan dans la Révolution bolivarienne. L’une d’entre elles, Lina Ron est devenue très populaire et en même temps la bête noire de la droite vénézuélienne, qui ne cesse de l’injurier, de la diffamer, la qualifiant de "révolutionnaire agressive" porteuse de roses pleine d’épines. Les actions du groupe de Lina Ron et de ses Cercles Bolivariens sont en particulier ciblées contre les puissants médias capitalistes qui sont le coeur de l’opposition réactionnaire, putschiste et fasciste qui fait tout pour écraser le processus démocratique révolutionnaire.

La question de la légitimité de la violence révolutionnaire du peuple se pose dans la situation d’extrême tension que traverse le Venezuela depuis plusieurs années.

PORTRAIT D’UNE ACTIVISTE DE RUE

Lire l’ article

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 LIVRES

"Michèle Firk est restée au Guatemala", de Boris Terk, Syllepse, 14 euros. ROUGE N° 2072 du 08/07/2004

1968. A trente ans, Michèle Firk se suicide au Guatemala. Elle lutte avec la guérilla, contre la domination étatsunienne, et la police frappe à la porte : elle ne veut pas risquer de parler.
La recherche de Boris Terk, la publication de son livre, aujourd’hui, détonent. Que veulent dire, pour les jeunes actuels, les luttes passées ? Déjà , 68 leur semble un peu poussiéreux : la guerre d’Algérie alors ? Et la guérilla latino-américaine, on les confond toutes, n’est-ce pas ? C’est le mérite du livre de Terk : à la fois ranimer la cendre du souvenir (de cette époque, il reste des survivants...) et permettre de faire des rapprochements.
Il y a trois parties, dans la courte vie de Michèle. Et un prélude : son enfance, lorsque avec sa famille elle fuyait les troupes allemandes dans la France occupée. Ensuite, les études de cinéma, l’activité de journaliste critique à Positif. Parallèlement, l’activité des réseaux de soutien au FLN. Et puis le départ à Cuba d’abord, au Guatemala ensuite. Et le sacrifice ultime.
Ce qui nous intéresse, d’abord, ici, c’est le souvenir de sa lutte politique. La guerre d’Algérie d’abord. Militante au PCF, elle est très vite déçue par l’attitude de son parti dans la guerre algérienne ; dans le milieu du cinéma qu’elle fréquente, elle rencontre Jacques Charby (voir Rouge du 15 avril), dont le livre Porteurs d’espoir évoque son souvenir. Charby, qui est dans un réseau d’aide au FLN, la recrute, puis sera arrêté. Après ce démantèlement partiel du réseau, Michèle reconstituera tout un secteur d’aide (en contact avec Jeanson en Belgique, et le mage des faux papiers Kaminsky, elle recrute Denis Berger, Yann le Masson et plusieurs autres). Après les accords d’Evian, qui mettent fin à la guerre, Michèle suit l’actualité avec attention, reste réservée devant le régime Ben Bella.
A travers les débuts de la révolution cubaine, elle entre en contact avec des mouvements de libération latino-américains, rejo int la guérilla au Guatemala, où elle meurt au combat, peu après le Che, dans le pays même où il avait commencé sa lutte. La situation de ces pays qui, il a quarante ans, menèrent des luttes souvent exemplaires a changé : non qu’ils soient devenus des paradis. Mais les luttes en Amérique latine ont souvent vu disparaître des dictatures sanglantes appuyées par le gouvernement d’Etat (et le Guatemala des années 1960 avec ses escadrons de la mort n’avait rien à envier auxjuntesargentines, brésiliennes, chiliennes, plus "célèbres"). Aujourd’hui, suivre l’enseignement du Che ne semble pas signifier, toujours et partout, le choix de la lutte armée.
De la même façon, ceux qui disent que l’indépendance algérienne fut une lutte inutile, en regardant la situation actuelle, oublient que l’Algérie "de papa", parfois idéalisée dans les médias, fut un authentique régime d’apartheid, où ceux qui réclamaient, jadis, d’être français à plein, d’avoir des droits égaux au métropolitains ou aux co lons, étaient des subversifs (beaucoup se retrouvèrent dans la lutte armée pour l’indépendance, convaincus que réclamer l’égalité au pouvoir parisien était une impasse).
L’itinéraire de Michèle, son exigence d’engagement total, reste une leçon et un exemple, pas seulement pour les militants de sa génération.

Paul Louis Thirard

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MOUVEMENT DES PIQUETEROS

La "REVUE TIERS MONDE" n° 178, avril-juin 2004, tome XLV, PUF consacre une étude aux piqueteros sous le titre "Les dimensions de l’expérience piquetera : tensions et cadres communs dans l’organisation et la mobilisation des chômeurs en Argentine", réalisée par deux universitaires, Maristella Svampa (Universidad Nacional General Sarmiento/CONICET) et Sebastian Pereyra (Doctorant CEMS/EHESS). Les deux auteurs reprennent en partie les éléments d’un long travail de recherche qui a donné lieu à leur livre "Entre la ruta y el barrio. La experiencia de las organisaciones piqueteras" (Buenos Aires, Biblos, 2003).

Le surgissement, au milieu des années 1990, sur la scène sociale et politique argentine du mouvement des chômeurs piqueteros est le corollaire de la reconfiguration de la société par les politiques néo-libérales. Les mouvements piqueteros sont liés au processus de paupérisationaccéléréequiavu se développer en périphérie des grandes villes des quartiers populaires, les asentamientos. Le quartier est devenu le nouvel espace territorial de ces classes populaires, qui ont adopté une "stratégie territoriale" pour s’auto-organiser. Les auteurs soulignent la participation dès le départ de certains syndicats (les nouveaux, comme la CTA, en rupture avec "l’officialisme" péroniste des deux CGT). Puis est venu le soutien des organisations politiques d’extrême gauche, des maoïstes aux trotskystes. Les organisations se sont formées autour de "chefs de quartiers", généralement d’anciens militants traditionnels.

François Chesnais et Jean-Philippe Divès indiquent dans le chapitre consacré aux piqueteros de leur livre Que se vayan todos (Editions Nautilus,2002) que les comités de piqueteros ont pratiquement tous été créés par des ouvriers d’usine jetés à la rue et condamnés au chômage à vie.

Les bases sociales de ces organisations étant hétérogènes, c’est par la mise en commun dans l’action collective que s’est constituée l’identité piquetera. L’histoire de leurs luttes est liée à la destruction de l’activité productive du pays. Les conditions matérielles sont au premier plan, et les luttes aboutissent souvent à des négociations avec le pouvoir autour de programmes d’urgence, de plans assistance-travail ou de "paquets de plans". Les critiques faites aux piqueterossurleurdimension "assistancielle" devraient néanmoins prendre en compte, comme le soulignent Chesnais et Divès dans leur ouvrage précité, le fait que le travail accompli par les comités de piqueteros, y compris sur le terrain périlleux de la gestion de l’aide aux chômeurs, a permis de ravir cette gestion à l’Eglise et aux ONG caritatives qui normalement monopolisent ce type d’aides. Cela pose néanmoins des problèmes, comme le fait que les gouvernements ont tendance à accorder plus aux organisations les plus modérées, afin de tenter de marginaliser les plus radicales.

Avec tous ses aspects extrèment progressistes et innovateurs, le mouvement a permis, et permet, de penser différement l’expérience du chômage, de resocialiser des individus atomisés et de reconstituer un secteur important de la classe des travailleurs, de commencer à faire émerger de nouvelles formes démocratiques de faire de la politique, notamment dans les pratiques d’assemblées et les expériences d’autogestion.

Tout en reconnaissant les avancées accomplies, les auteurs soulignent les limites et les faiblesses du mouvement. La jonction entre les travailleurs chômeurs et les travailleurs employés n’est pas le moindre des problèmes.

Signalons également, ces dernières semaines, un regain de tension avec de puissantes mobilisations (des piqueteros dits "durs") dont le caractère radical a été souligné par les uns et par les autres, et qui coïncide avec un autre phénomène : la place plus importante réclamée par les femmes, lesquelles constituent 70% du mouvement, dans les processus de décision et les organes de direction (cf. ci-dessus l’excellent article de Marta Dillon, "Rébellion aux piquetes", alencontre.org de juillet 2004, d’après Pagina/12).

HISTOIRE DU VENEZUELA, de la conquête à nos jours.

Pour ceux qui souhaitent améliorer leur connaissance du Venezuela, l’ouvrage de l’historienne et hispaniste Frédérique Langue est, nous dit-on, "la seule véritable synthèse dans le long terme" en français. Il s’achève en 1998, à la veille de l’élection du président Chavez, présenté comme un ancien putschiste qui domine les sondages dans les derniers mois de la campagne électorale (Editions l’Harmattan, 1999).

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 CINEMA

"Il existe deux cinémas : celui de Davos et celui de Porto Alegre" (Revue Cinémas d’Amérique latine, N° 9, 2001).

SALVADOR ALLENDE, de Patricio Guzman

La victoire posthume de Salvador Allende sur le général Pinochet, Le Monde 11/09/2003

« Nous ne nous sommes pas rendu compte à l’époque que toute l’histoire passait par Salvador Allende, que l’histoire, c’était lui. » La réflexion sous forme de regret, si ce n’est d’autocritique, est de Patricio Guzman, qui achève à Paris un long métrage documentaire sur le président chilien renversé par le général Augusto Pinochet.

Patricio Guzman est l’auteur d’un monument du cinéma militant des années 1970, La Bataille du Chili, une passionnante trilogie - trois fois une heure et demie - qui retrace les riches heures du gouvernement d’Unité populaire (UP) et la marche inéluctable vers le coup d’Etat. « A l’époque, je voulais montrer les visages anonymes, les milliers de sympathisants et militants engagés dans la tourmente politique », rappelle le réalisateur, fier de pouvoir présenter bientôt en salles un portrait chaleureux du président déchu. Aucune chaîne publique française n’a soutenu ce Salvador Allende, produit par Jacques Bidou ! avec des partenaires belges et espagnols.

« Allende était un parlementaire classique, raconte Patricio Guzman, mais il n’avait pas froid aux yeux. Il était capable à la fois du petit geste susceptible de nouer un lien affectif avec ses électeurs et du grand geste de portée historique. C’est lui qui a bâti l’UP avec de l’énergie et de l’humour. Au pouvoir, c’est lui qui maintenait l’unité des sept partis de l’UP. Il y avait une distance abyssale entre Allende et les autres dirigeants. Le 11 septembre 1973, nous sommes devenus orphelins. »

Le cinéaste chilien rappelle la vitalité de Salvador Allende, sillonnant le pays au cours de ses campagnes électorales : « « J’ai 65 ans, bien vécus », disait Allende, sans reculer devant le sous-entendu machiste. » Le documentaire aborde pour la première fois « la grande histoire d’amour » avec sa secrétaire Miria Contreras, « Payita », qui resta au palais présidentiel de la Moneda jusqu’au dénouement. Le suicide du président interpelle toujours les proches et les militants. Un de ses amis le regrette devant la caméra, car il aurait préféré un Salvador Allende vivant, pouvant prendre la tête de la résistance.

CONTRE L’OUBLI

« Sa sépulture est devenue un lieu de pèlerinage », précise Patricio Guzman. La personne chargée de l’entretien amène à la fondation Salvador-Allende, installée dans le vieux Santiago, les nombreuses lettres laissées par les fidèles. Pourtant, « la dictature a essayé de broyer toute trace d’Allende. La gigantesque machine de la diffamation a fonctionné d’emblée, de manière brutale. Si la mémoire d’Allende est restée vivante, elle a été confinée dans l’intimité des foyers. La jeunesse respecte l’intégrité symbolisée par sa mort, mais n’en connaît pas les antécédents. Il n’y a toujours pas de véritable biographie d’Allende, avec une recherche auprès de témoins et de sources diverses, à l’anglo-saxonne », soupire le réalisateur.

La fondation Salvador-Allende, dirigée par sa fille Isabel Allende, présidente de la Chambre des députés (à ne pas confondre avec son homonyme, la romancière, nièce du président de la République), « expose dans une belle demeure les tableaux réunis par l’exil chilien, mais ne présente guère d’informations biographiques ou politiques », critique Patricio Guzman. Avec une certaine désolation, le réalisateur du Cas Pinochet souligne la « mentalité andine, bolivienne, renfermée », des Chiliens : « Il faut être discret, retenu, il faudrait oublier pour ne pas être qualifié de rétrograde. »

« Le Chili est une île entourée de montagnes », selon Patricio Guzman. Jadis raillé pour son « socialisme de vin et d’empañadas », le moindre mérite de Salvador Allende n’aura pas été de mettre en branle tout un peuple et d’en partager les rêves avec le reste du monde.Paulo A. Paranagua

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FERNANDO SOLANAS CONTRE LE SACCAGE DE LA MEMOIRE

Propos recueillis par Sergio Ferrari, Le Courrier, Suisse, 13/03/04

Fernando Solanas sera à Genève vendredi prochain, où il présentera son film « La Décennie Menem » dans le cadre du Festival international du film sur les droits humains. Et le 22 mars au Sentier, dans la Vallée de Joux, pour commenter son « Mémoire d’un saccage ». Rencontre avec un cinéaste pour qui la mémoire constitue « la première arme pour assurer la défense des peuples ».

Cinéaste depuis quarante ans, militant politique « antisystémique » depuis ses jeunes années, Fernando « Pino » Solanas (68 ans) incarne jusqu’à la passion le cinéma latino-américain engagé. Presque quarante ans après son film L’heure des brasiers, cri en images de la résistance argentine, il revient aujourd’hui, avec Mémoire d’un saccage (Memoria del Saqueo), au documentaire d’ investigation et de dénonciation. Entre ces deux oeuvres, une dizaine de films de fiction pour le grand public, parmi lesquels Tangos, l’exil de Gardel, Le Sud, Le Voyage, Le Nuage, et une histoi re ininterrompue de combat, de résistance, de semi-clandestinité et d’exil. Il a accordé au Courrier un entretien peu avant son départ pour la Suisse.

Le Courrier : Mémoire d’un saccage, une recherche, une dénonciation en images - humanisée par des voix et des visages - dont le but est d’empêcher le saccage de la mémoire ?

Fernando Solanas : Oui, d’une certaine manière. Le citoyen moyen est bombardé d’informations qui viennent de dizaines de médias contrôlés par des groupes économiques et politiques de pouvoir. C’est ce qui s’est passé en Argentine, où ces groupes ont financé la désinformation, ont fait croire aux gens que l’Etat était mauvais et qu’il fallait le démanteler. Le pays a été mis à sac mais les médias se sont tus ou ont justifié le pillage. Je me suis demandé comment il était possible que les gens aient faim dans ce pays qui avait été le grenier du monde. En outre, j’étais interpellé par les jeunes de la génération de mes enfants qui voulaient savoi r ce qui s’était réellement passé en Argentine.

Je vous pose la même question : que s’est-il passé ?

 Un trajet ininterrompu de vingt-cinq ans, qui débute par la dictature militaire de Videla en 1976, passe par des démocraties néo-libérales et se termine par la rébellion populaire de décembre 2001 et la chute du gouvernement de Fernando de la Rúa. Le pays a été pillé. Au nom de la mondialisation et du libre-échange, les recettes socio-économiques des organismes financiers internationaux ont abouti à un génocide social et au pillage financier complet du pays. Il faut souligner un élément essentiel pour comprendre tout cela : nos gouvernements, celui de Carlos Menem (1989-1999) ou celui de Fernando de la Rúa (1999-2001), sont responsables, mais le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les pays qui y font la loi le sont tout autant. C’est ce que je tente de montrer dans Mémoire d’un saccage, dont la structure se compose d’un prologue et de dix chapitres.

Pouvez-vous préciser ?

 Pour faire des bénéfices rapides et extraordinaires - bien supérieurs à ceux que l’on peut obtenir dans les pays du Nord - ils nous ont imposé des plans néo-racistes qui ont supprimé des droits sociaux et ont condamné à mort des millions de personnes en Argentine et sur tout le continent. Chaque jour, 55 enfants, 35 jeunes et adultes et 10 personnes âgées meurent en Argentine de maladies curables ou de sous-alimentation. En moyenne 35 000 personnes par an. C’est là un aspect essentiel : il s’agit de crimes contre l’humanité perpétrés en temps de paix.

Ce film se caractérise par une documentation précise et une grande qualité esthétique. Mais on sent aussi votre rage, une colère de fond.
 Tout à fait. C’est la réalité que je viens d’évoquer, une fois de plus, qui m’a poussé à faire ce travail de mémoire, ce travail contre l’oubli, à remettre en contexte les images historiques et à composer une fresque vivante de ce que nous avons supporté pendant ces années.

Avez-vous voulu faire un film « altermondialiste » en prenant appui sur l’exemple argentin, qui illustre le fonctionnement illogique de la planète toute entière ?

 Lorsque je fais un film, je pars de ma nécessité, des nécessités des gens, de leur milieu. J’ai voulu apporter ma contribution au débat urgent que provoque cette mondialisation déshumanisée. C’est dans ce sens que le film a une dimension plus globale. Ce serait génial si des cinéastes de chaque pays - suisses, français, espagnols... - faisaient des films équivalents, proposaient leur propre lecture, à partir de la réalité qui les entoure, des mécanismes qui condamnent nos peuples. Par exemple, mon film signale clairement la responsabilité des entreprises multinationales, entre autres le Crédit suisse, dans le pillage financier de l’Argentine. Il est capital que cette information parvienne au public, car dans les pays développés, on pense parfois que nous som mes les seuls responsables, alors que les groupes de pouvoir du Nord le sont aussi en grande partie. Il serait donc utile qu’un travail semblable soit fait dans le Nord, que la responsabilité de ces entreprises, de ces banques, soit montrée.

La mémoire. Pourquoi est-ce une revendication aussi présente actuellement en Amérique latine, du Chiapas jusqu’aux pays du Cône sud, presque sans exception ?

 Parce que la mémoire est la première arme pour assurer la défense des peuples et leur survie. La culture est mémoire. Surtout quand les grandes machines de désinformation tentent de la bloquer. Mais la résistance, les massacres, la participation citoyenne, les luttes sont des expériences qui se transmettent de bouche à oreille, des pères aux fils et des grands-pères aux petits-enfants. Et il devient indispensable de retrouver la vérité, qui ne figure jamais dans l’histoire réécrite par les vainqueurs, par le pouvoir. Et cela juste au moment où on assiste sur notre contin ent à une renaissance explosive de la conscience. En particulier parmi les peuples indiens, comme le prouve le soulèvement zapatiste, les manifestations en Bolivie ou en Equateur. Au fil des siècles, tout ce en quoi ils croyaient a disparu, leur culture, leur religion ont été détruites, et les conquistadors ont construit des églises immenses sur les ruines de leurs temples, qui étaient des merveilles.

Ne pensez-vous pas qu’en ne s’occupant que de la mémoire, on prend le risque de se limiter à la constatation et au diagnostic ? Qu’en est-il de l’avenir ?

 Heureusement, on assiste à une consolidation d’un mouvement social actif, dont la principale expression est le Forum social mondial. Il est évident qu’il va falloir du temps pour changer le modèle. Mais on observe des signes positifs. Mon film, par exemple, commence et se clôt par la rébellion populaire de décembre 2001 qui a fait tomber le président argentin Fernando de la Rúa. Au pouvoir depuis deux ans, il ava it trahi l’espoir que les gens avaient placé en lui, il n’avait pas respecté ses promesses... et les gens l’ont contraint à partir. La première révolte de l’Argentine contre le néolibéralisme ! Le peuple a infligé une nouvelle défaite au modèle...

MEMORIAS DEL SAQUEO (Mémoire du saccage), de Fernando Solanas.

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« Reconstruire le puzzle argentin »

Fernando Solanas :

Mémoire d’un saccage est un film d’ investigation à caractère documentaire, dont le scénario s’est construit chemin faisant... Pendant des mois de montage, j’ai travaillé sur la structure et la progression dramatique du film, j’ai choisi des thèmes et j’ai divisé le film en chapitres, comme un livre. Je souhaitais que la narration soit la plus claire possible et que le spectateur puisse reconstruire l’histoire comme un puzzle. La division en chapitres est un hommage que j’ai voulu rendre au cinéma muet, tout comme le choix de titres et de graphismes qui favorisent l’unité formelle de l’oeuvre. J’ai utilisé deux caméras, qui sont presque sans arrêt en mouvement. Le film est comme un voyage, une déambulation constante dans la réalité du pays. La grande caméra avec laquelle a tourné Alejandro Moujan et ses collaborateurs était objective et bougeait selon une certaine cadence. Sa mission était de décrire les lieux de pouvoir, les institutions. La petite caméra que j’ai utilisée moi-même et dont je ne me sépare jamais, tente d’être le regard des gens, de retrouver leur point de vue ; elle se déplace et bouge avec eux. En tout, nous avons filmé plus de cent heures de film auxquelles s’ajoutent trente heures d’images d’archives. Je suis moi-même le narrateur. Ce n’était pas prévu, mais j’ai fait un essai et on en est resté là . Il n’y a aucune contradiction, car j’ai été un acteur direct d’une grande partie de l’histoire que nous évoquons. » Des projets ? « Je pense tourner cette année la seconde partie, ¡Cantos de una Argentina latente ! (Chants d’une Argentine latente !), un film qui décrit des histoires humaines très fortes illustrant la solidarité et l’espoir de ceux qui ont résisté. »

Traduction : Michèle Faure (collaboration E-CHANGER).

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Ce qu’il n’a pas accompli ne l’est toujours pas aujourd’hui : Bolivar a encore beaucoup à faire en Amérique (José Marti).

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Pour nous contacter : bolivarinfos@yahoo.fr.

 Notre initiative politique est celle d’individus, militantEs certes, mais n’est au service d’aucune organisation en particulier, et encore moins, cela va sans dire, de pouvoirs ou d’intérêts vénaux, médiocres ou à courte vue.

La référence explicite à Simon Bolivar et au mouvement bolivarien est fortement symbolique. Simon Bolivar, qui était un grand aristocrate, n’est en aucun cas pour nous un modèle ou une référence théorique. Il y avait néanmoins dans son projet d’unité des peuples, d’indépendance et de liberté quelque chose d’une parfaite actualité, au coeur des enjeux, singulièrement en Amérique latine.

Une fois par mois environ Révolution Bolivarienne présentera à une sélection d’articles de presse (la grande parfois mais surtout l’alternative, la militante, la rebelle), de contributions, d’analyses, d’événenements et d’initiatives. Une part plus ou moins conséquente de nos textes seront des traductions par nos soins (ou par des réseaux amis), le plus souvent de l’espagnol, mais aussi d’autres langues. Ces textes seront donc pour la plupart inédits en français. A ce sujet, si vous disposez d’un peu de temps et de la connaissance de langues étrangères, votre contribution sera particulièrement bienvenue ! De même qu’un récit de voyage. D’autre part, une tribune libre est à la disposition des lecteurs-trices.

Pour reprendre une image de l’antique mythologie, il nous semble que l’Amérique latine est un fil d’Ariane susceptible de nous aider à sortir de notre labyrinthe en nous émancipant de nos propres Minotaures.

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 Révolution Bolivarienne N° 1 - Juin 2004.

 Révolution BolivarienneN° 2 - Juillet 2004.

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La pire chose qui soit jamais arrivée au peuple juif, après l’Holocauste, c’est la création de l’état d’Israël.

William Blum - juin 2010

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