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La droite joue les cartes de la violence et de la déstabilisation médiatique par absence de projet politique...

Le Venezuela lance la campagne des législatives

Ce village est un terrible résumé de ce que fut et de ce qu’est encore aujourd’hui, la Colombie d’Alvaro Uribe. Sauf qu’il se trouve du côté vénézuélien, à 300 mètres de la frontière et qu’il est ironiquement baptisé “La Invasión”. « Je fuyais les paramilitaires et je panique car ici je retrouve mes bourreaux » raconte un réfugié colombien.

Avec ses caves secrètes pour cacher les victimes d’enlèvement, ses bordels où étaient violées des centaines de fillettes, “La Invasión” est aussi une des nombreuses bases de la “para-économie” qui a phagocyté les 2.219 km de frontière entre les deux pays.

Depuis des années les réseaux de contrebandiers extraient chaque jour 30 % des produits subventionnés par le gouvernement bolivarien pour les revendre en Colombie au décuple, au centuple, avec la complicité de nombreux fonctionnaires des deux pays, militaires comme civils. Des millions de litres d’essence (alors que le Venezuela n’exporte pas de carburant en Colombie), des milliers de tonnes d’aliments, de médicaments, de véhicules et de pièces de rechange… jusqu’aux billets de banque vénézuéliens eux-mêmes, vendus au-delà de leur valeur pour repartir acheter dans le pays voisin tout ce qui peut faire du bénéfice en Colombie. Un député colombien a dénoncé que des hôpitaux de Bogota font main basse sur les médicaments à bas prix destinés aux patients vénézuéliens, pour les revendre à leurs patients au prix du marché. 70 % des habitants de Cucuta, ville-frontière avec le Venezuela, vivent à temps plein de la manne du socialisme bolivarien, avec un bénéfice mensuel estimé à 9 milliards de dollars. (1)

“Non, ne me filme pas le visage !”. Depuis la fermeture de la frontière, la population vivant du côté vénézuélien commence à peine à rêver à la fin de la terreur paramilitaire. Photo : Telesur
Trafic de billets de 100 et 50 bolivars vénézuéliens. Le nord de la Colombie abrite une mafia composée de centaines de maisons de change, autorisées depuis 2000 par la Banque de Colombie, et de banquiers corrompus ayant fui la justice du Venezuela. A travers le site Dólar Today, ce réseau fixe la valeur du dollar parallèle, facteur d’inflation au Venezuela.

La fermeture partielle de la frontière

C’est après que des paramilitaires ont fait feu sur les soldats vénézuéliens qui allaient les arrêter, le 19 août dernier, que le président Maduro a ordonné le démantèlement de “La invasión” et fait fermer la frontière de l’État du Táchira avec la Colombie. L’objectif est de libérer la population de la terreur paramilitaire et de construire un territoire de paix : “nous considérerons les cas des familles exploitées qui auraient besoin de logements sociaux. Nous rouvrirons la frontière quand le gouvernement colombien fera cesser l’extraction illégale de nos produits vers son territoire et les attaques à notre monnaie”.

“Il y a un an nous avons dénoncé le danger de l’intromission des paramilitaires colombiens au Venezuela. Aujourd’hui il se confirme que c’est une réalité a twitté Ernesto Samper, Secrétaire général de l’Union des Nations Sud-Américaines (Unasur) et ex-président de la Colombie. (2)

Ces 9 dernières années, près de six millions de colombien(ne)s ont fui leur pays pour chercher la paix et un travail au Venezuela. Le dernier exode a eu lieu lors de la grève paysanne de 2013 : quelques 150 personnes parmi lesquelles des femmes, des enfants et des vieillards fuirent au Venezuela par crainte des attaques continuelles de la Force Publique contre les paysans. De tous ces sans terre, déplacé(e)s, persécuté(e)s fuyant la misère, les massacres, les fosses communes, les “faux positifs” et les extorsions des paramilitaires, beaucoup furent légalisés sur l’initiative de Hugo Chavez pour qu’ils puissent bénéficier des programmes sociaux, du Droit du travail, de l’accès aux études supérieures. Profitant de cette politique, des milliers de paramilitaires se sont infiltrés dans le pays d’accueil, allant jusqu’à chasser des familles vénézuéliennes de leurs logements sociaux pour y monter des bases du trafic de drogue et de contrebande vers la Colombie. De temps à autre, ces “cellules dormantes” reçoivent les instructions d’Alvaro Uribe pour épauler les violences de l’extrême droite locale (que les médias occidentaux transforment en “révoltes populaires”) ou pour commettre des assassinats sélectifs (tel ceux de dirigeants communaux dans l’État de Lara ou du jeune député bolivarien Robert Serra et de sa compagne). (3)

Depuis la fermeture de la frontière, les forces armées du Venezuela ont arrêté une dizaine de chefs paramilitaires, remis aux autorités colombiennes. Les assassinats ont cessé (on en comptait vingt par jour dans l’état de Tachira). Les pompes à essence et les supermarchés ont rouvert, et les files d’attente se résorbent malgré les menaces persistantes de la mafia contre les commerçants vénézuéliens. C’est à Cucuta (Colombie) que les pénuries se sont déplacées avec les premières files d’attente d’automobilistes et l’envol des prix des denrées de base. Forte de son monopole médiatique, l’oligarchie colombienne répond par une campagne “nationaliste” contre “le dictateur Maduro qui piétine nos droits comme colombiens”.

Où est passée la droite vénézuélienne ?

Alors qu’elle comptait sur la guerre économique et l’internationale médiatique pour mettre à genoux le gouvernement bolivarien et remporter haut la main les élections législatives du 6 décembre prochain, la droite vénézuélienne vit les pires heures de son existence, en proie aux divisions, proche de l’implosion. Les révélations sur ses liens avec la mafia uribiste n’ont rien fait pour améliorer son image (4). Mais c’est sa mise à l’écart de la nouvelle génération, sa misogynie et son racisme persistants, ses nominations autoritaires d’entrepreneurs blancs comme candidats aux législatives, qui ont fait se révolter une partie de sa base et fait voler en éclats l’unité de ses partis. Ses manifestations se vident de militants et certains députés ont fait défection comme Ricardo Sánchez qui se présentera aux élections de décembre sous l’étiquette bolivarienne. (5)

Une guerre économique à double tranchant

Pa’lante queda lejos pero par’atrás queda más lejos aún” : “aller de l’avant, c’est loin mais retourner en arrière c’est encore plus loin”. Ce graffiti de Caracas parle de ce qui reste la seule voie raisonnable pour une majorité. Si le socialisme bolivarien reste en tête des intentions de vote dans les sondages de firmes privées, le salut de la droite ne peut venir que de l’abstention massive de secteurs populaires poussés à bout par la guerre économique. 80 % des médias et de l’économie restent aux mains du secteur privé et à mesure que le temps passe, le mécontentement populaire face à des prix hors de contrôle grandit mais s’adresse autant aux mafias d’un secteur privé dominant qu’au gouvernement, aux incapacités et aux lenteurs de son action. Les gens savent que ce n’est pas Nicolas Maduro qui organise les pénuries, fait monter l’inflation ou le dollar parallèle mais veulent une réaction forte et une solution rapide de la part de l’État. Les mesures décidées récemment par le président comme la fermeture partielle de la frontière avec la Colombie, l’opération d’envergure lancée le 13 juillet pour démanteler les cellules paramilitaires, avec la restitution de logements sociaux aux familles dépossédées, l’organisation d’alternatives économiques avec les communes et l’accélération des investissements productifs, recueillent l’approbation d’une majorité de sondés. (6)

Comment faire rentrer la population vénézuélienne dans le storytelling ?

Bien sûr il ne faut pas sous-estimer la contre-offensive de la droite latino-américaine toujours à la recherche de nouveaux relais (courant droitier du mouvement indigène en Équateur (7), “ONGs écologistes” opposées au canal interocéanique au Nicaragua, para-maras au Salvador, secteurs populaires déçus au Brésil, etc..). Mais le fait qu’elle doive jouer les cartes de la violence et la déstabilisation médiatique révèle l’absence de projet politique et la faiblesse sociale à long terme. D’où la nervosité des médias occidentaux qui de CNN au Monde n‘hésitent plus à sortir du bois pour réaliser leurs désirs : “pillages au Venezuela”, “chute imminente de Dilma Roussef” ou “forte mobilisation contre Rafael Correa”.

Le réel suivra-t-il les médias ? (8)

Le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) fut lui-même surpris, en juin dernier, par la forte mobilisation de ses propres partisans – en pleine guerre économique – pour une simple élection primaire en vue de désigner leurs candidats, en majorité des femmes et des jeunes, au scrutin qui renouvellera l’assemblée nationale en décembre prochain.

Le sociologue Franco Vielma explique que “le pouvoir ancien s’était fait une spécialité d’éviter l’implosion des classes populaires, en démontant tout catalyseur qui nous mènerait au changement politique. La nature du pouvoir institué fut précisément cela : se préserver, tout préserver. C’est ce qui a changé au Venezuela. Les institutions ont accouché d’un Venezuela qui explose tous les jours. (..) Tous les jours il y a des escarmouches entre le pouvoir institué et le pouvoir émergent. Au Venezuela depuis deux ans la relation entre “entrepreneurs et consommateurs” a cessé d’être « harmonieuse » (comme on nous l’affirmait jadis).” (9)

Il faut prendre en compte, aussi, l’étape nouvelle que représente la présidence de Nicolas Maduro. Hugo Chávez était pris par le vertige d’une transformation rapide, passionné par sa vision d’un Venezuela enfin réuni avec ses frères latino-américains, souverain, sans pauvreté, économiquement puissant, au point qu’il voulait être de toutes les batailles à la fois, et faire vite. Cette énergie très personnelle (qui servit aux médias à fabriquer l’image d’un “caudillo”) et ce volontarisme paradoxal dans le désir d’accélérer la participation populaire, contrastent avec la méthode de Maduro.

Dès son élection à la présidence en avril 2013, celui-ci a dû assumer tous les fronts à la fois : insécurité, corruption, inflation, guerre économique, improductivité nationale, déstabilisation tous azimuts d’une droite excitée par la mort de Chávez. Mais dans sa recherche d’une réponse structurelle, le président a forgé sa méthode : mettre la population face à ses responsabilités, donner un rang présidentiel aux conseils de mouvements sociaux, attendre que ceux-ci formulent leurs propositions pour prendre les décisions “de commun accord” (10). Cet espace nouveau – que certains critiquent comme “faiblesse” de Maduro – implique une responsabilité plus collective, où les femmes et les jeunes en particulier, le monde du travail en général, ont leur place à prendre. Après les fulgurantes étapes de montagne des années Chávez a commencé la marche en terrain plat, réputée plus difficile.

Thierry Deronne

Caracas, 30 août 2015

Marche populaire contre le paramilitarisme et pour la paix à Caracas le 27 août 2015. Nicolas Maduro était présent, à quelques heures de s’envoler vers le Vietnam et la Chine pour un renforcement du partenariat économique. Pour déminer la xénophobie anti-colombienne qui se nourrit des exactions des paramilitaires, le président vénézuélien a brandi les drapeaux des deux nations, invité un musicien colombien à ouvrir le meeting et répondu à l’oligarchie de Bogota : “Nous ne sommes pas anti-colombiens. Nous sommes anti-mafia et anti-paramilitaires”.
»» https://venezuelainfos.wordpress.co...
  1. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les files d’attente au Venezuela sans jamais oser le demander http://wp.me/p2ahp2-1J7 , et sur les caractéristiques de la contrebande locale : http://www.rnv.gob.ve/tras-la-medida-vendidos-1-millon-de-litros-menos-de-gasolina-en-tachira/ ; http://www.correodelorinoco.gob.ve/nacionales/cucuta-venden-billetes-bs-100-aplicando-operacion-tres-patas/
  2. http://www.conelmazodando.com.ve/ernesto-samper-incursion-de-paramilitares-colombianos-en-venezuela-es-una-realidad/
  3. “Les clefs de la mort d’un jeune député bolivarien et de sa compagne”, http://wp.me/p2ahp2-1Fu ; http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/292237/los-alcances-del-paramilitarismo-la-mano-colombiana-detras-de-los-crimenes-en-venezuela/
  4. “Venezuela : la presse française lâchée par sa source ?”, http://wp.me/p2ahp2-20J ; Voir aussi http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/292237/los-alcances-del-paramilitarismo-la-mano-colombiana-detras-de-los-crimenes-en-venezuela/
  5. Démocratisation des élections : la lutte entre l’ancien et le nouveau au Venezuela http://wp.me/p2ahp2-1TS et “La misogynie de l’opposition vénézuélienne” http://wp.me/p2ahp2-1ZO Sur la faible affluence aux manifestations de la droite : http://www.prensa-latina.cu/index.php?option=com_content&task=view&idioma=1&id=4076391&Itemid=1 , http://www.correodelorinoco.gob.ve/nacionales/mud-admitio-escasa-asistencia-a-marcha-realizada-caracas/ ; Sur les divisions internes : http://www.ultimasnoticias.com.ve/noticias/actualidad/politica/gomez-sigala-en-la-mud-se-repartieron-el-botin-de-.aspx , http://www.avn.info.ve/contenido/entre-divisiones-seis-partidos-pol%C3%ADticos-se-desligan-mud-cara-parlamentarias , http://www.avn.info.ve/contenido/partidos-opositores-dejan-sola-mud-para-elecciones-parlamentarias ; Sur l’absence de projet : http://www.celag.org/economia-en-venezuela-la-oposicion-y-su-vuelta-al-pasado-por-alfredo-serrano-mancilla/#sthash.rHcP0QPW.dpuf
  6. Sur le soutien de la population vénézuélienne aux opérations anti-paramilitaires : http://www.avn.info.ve/contenido/hinterlaces-87-poblaci%C3%B3n-respalda-operativo-liberaci%C3%B3n-y-protecci%C3%B3n-al-pueblo et la récupération de logements sociaux : http://www.aporrea.org/poderpopular/n275828.html ; Sur les mesures alternatives économiques : http://www.avn.info.ve/contenido/venezuela-se-afianza-poder-comunal-para-construir-econom%C3%ADa-productiva-y-vencer-guerra-econ et http://www.avn.info.ve/contenido/gobierno-dise%C3%B1ar%C3%A1-plan-especial-abastecimiento-productos-y-defensa-precios-justos
  7. Sur le soutien de la CONAIE indigène par les partis néo-libéraux en Équateur, lire la récente analyse de Romain Migus : http://www.romainmigus.com/2015/08/tentatives-de-destabilisation-en.html
  8. Sur les désirs frustrés des médias occidentaux : http://albaciudad.org/wp/index.php/2015/08/cnn-en-espanol-reconoce-haber-mentido-sobre-supuestos-saqueos-en-venezuela/ Traduction en français : http://cubasifranceprovence.over-blog.com/2015/08/venezuela-cnn-reconnait-avoir-menti-sur-les-pillages-au-venezuela.html
  9. Article de Franco Vielma, http://misionverdad.com/la-guerra-en-venezuela/habra-un-estallido-social-en-venezuela
  10. « La commune, coprésidente du Venezuela », http://wp.me/p2ahp2-1ev

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Pour moi, un réactionnaire c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui trouve que c’est dans l’ordre naturel des choses. Un conservateur, c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui pense qu’on n’y peut rien. Un progressiste, c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui trouve que c’est injuste. Un communiste, c’est quelqu’un qui sait que 10.000 enfants meurent de faim par jour et qui est prêt à faire pour eux ce qu’il ferait pour ses propres enfants.

Ibrahim,
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