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La soupe à l’aigre

La preuve de la pertinence du discours écologique réside sans doute dans la malhonnêteté crasse de ses adversaires les plus médiatisés. La manière dont les médias de masse se sont emparés, à quelques encablures des élections régionales, du dernier recueil de sornettes de M. Claude Allègre est à l’évidence symptomatique d’une époque rechignant à affronter les vrais périls depuis longtemps annoncés. L’imposture éditoriale du géochimiste sortant imprudemment de sa spécialité pourrait, à l’extrême rigueur, être l’occasion d’un débat au fond des choses. Encore faudrait-il alors opposer à la certitude de M. Allègre l’intelligence de contradicteurs à la hauteur de l’enjeu. Et là on découvre avec étonnement que le professeur devenu bateleur d’estrade bénéficie d’un traitement de faveur qui bafoue le droit à la qualité de l’information.

Claude Allègre tire sur tout ce qui bouge, sur tous ceux qui osent braver par des doutes sérieux ou des discours critiques salutaires le consensus feutré d’une société assoupie. Hier anti-profs, il est désormais anti-écologistes, anti-altermondialistes et surtout anti anti-productivistes. Chantre de la Croissance, il vilipende tous les scientifiques prudents qui empêcheraient son retour depuis si longtemps espéré. Il est convaincu que les OGM vont sauver le monde de la faim, que l’agriculture chimique est un mal nécessaire. Il réfute grossièrement la thèse de l’épuisement du pétrole à échéance courte contre l’avis des meilleurs spécialistes de la question. Contre les climatologues du monde entier qu’il prend pour des charlatans, il assène que les activités économiques surdéveloppées par les hommes depuis deux siècles ne sont pas responsables des dérèglements climatiques accélérés d’aujourd’hui. Il va plus loin encore : ces dérèglements ne sont pas si graves, inutile d’être sur le qui vive, les hommes sauront s’y adapter. Il est tout seul sur cette ligne de conduite, mais qu’importe, il plastronne là où on l’invite, il assène ses vérités dans des laïus trop souvent maladroits. Dans son dernier livre, « l’imposture climatique », il va jusqu’à citer à l’appui de son propos - le mot thèse serait ici usurpé - des scientifiques qui n’existent pas ! Bref, on devrait pouvoir éviter d’écouter ou lire ces aigres absurdités quand le sort du monde appelle des analyses claires et des actions fortes.

Guillaume Durand, mauvais journaliste devenu médiocre animateur d’émissions de télévision, ne l’entend hélas pas ainsi. Dans son émission « L’Objet du Scandale » - que voulez-vous, il faut faire choc pour captiver les foules - Il recevait donc le mercredi 10 mars dernier le scandaleux pourfendeur des hérésies modernes. Initialement, le politologue Paul Ariès devait être opposé à Claude Allègre. Il n’en fut rien. Deux jours avant l’émission, on fit savoir à l’opposant du Don Quichotte des plateaux que ce dernier serait finalement confronté à des gens ordinaires. L’éloquence avérée de Paul Ariès, il est vrai, a de quoi effrayer celui dont les assertions sont assises sur des sables pour le moins mouvants. La pertinence du dernier ouvrage du directeur du Sarkophage, « la simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance » (1) est sans doute intimidante pour qui ne souhaite pas que les téléviseurs cessent de ronronner en rond dans les chaumières où l’on n’aime pas, paraît-il se prendre la tête avec des questions compliquées. La leçon à déduire de cet acte de censure indéniable est que, lorsque Claude Allègre est invité dans une émission de télévision, c’est lui qui choisit les autres invités et non le responsable de ladite émission. Faire de la mauvaise télévision n’est pas plus difficile que ça. Guillaume Durand en maîtrise la recette depuis longtemps. Pourtant, rappelons-nous que France 2 où sévit cet adversaire de la pensée vraiment dérangeante car posant les vrais enjeux du temps est une chaîne de service public. La mission de celle-ci devrait être plus ambitieuse que de servir la soupe des agents du conformisme productiviste et scientiste.

Au-delà de l’anecdote que constitue l’éviction cavalière d’un penseur dérangeant, une analyse plus approfondie du phénomène est riche d’enseignement. L’émission de Guillaume Durand - et Guillaume Durand lui-même - est le produit conforme de notre société consommationniste. Il n’est donc pas permis d’en attendre davantage que le strict montage de fallacieux débats trompeusement érigés en débats essentiels. Certes, Claude Allègre est incapable de débattre avec des gens sérieux ; il le sait et choisit donc ses adversaires d’un soir audimatisé et ses faire-valoir à la maigre envergure intellectuelle. Cependant, l’important est ailleurs : avec Paul Ariès, il n’aurait pas été question de cantonner le débat à une simple querelle sur le degré de gravité de la crise climatique. On eut mis en cause le délirant modèle productiviste désormais à bout de souffle. Les croissancistes se serrent à bord de ce radeau perdu voguant sur un océan social plus délabré à chaque jour qui passe. Dans son livre, Paul Ariès montre qu’il existe historiquement deux gauches : l’une productiviste optimiste qui échoue forcément en épousant les principes du capitalisme débridé ; l’autre antiproductiviste pessimiste qui n’a jamais conquis le pouvoir car elle est toujours enfermée dans le culte de sa défaite légendaire. Le défi à relever tient dans la construction d’une gauche antiproductiviste optimiste. L’Histoire du capitalisme et des mouvements qui s’y opposèrent nous apporte une autre leçon ; le peuple n’est pas foncièrement productiviste pour peu qu’on lui laisse percevoir les véritables raisons de la marche des choses.

C’est de cela qu’il n’est pas permis de débattre aujourd’hui. Et M. Allègre n’est que l’une des figures emblématiques, médiatiquement choyée, du débat impossible.

Yann Fiévet

(1) Aux éditions La Découverte, février 2010.

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