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Scandalisés

L’air de l’offuscation sonne enfin au sein de la mactronie. Le mouvement des « gilets jaunes » n’y est évidemment pas pour rien. Cependant, nous allons le voir, l’offuscation est ici des plus cocasses. Elle sonne faux car elle vient se plaquer sur une réalité que l’on fait mine de comprendre et n’est donc pas consécutive à une empathie sincère envers le sort des humbles mobilisés sur les ronds-points et autres péages.

Depuis que le souverain a parlé ce fameux lundi soir de décembre toute sa cour, membres du Gouvernement comme députés du bon bord en rangs serrés, clame une étonnante chanson. Le refrain lancinant en est le suivant : depuis plusieurs semaines, les Français expriment de profondes attentes, nous devons y répondre, c’est pourquoi le Président a lancé, partout en France, un grand débat. L’unisson est tellement impeccable et la conviction des propos si forte que nous avons vraiment l’impression que tous avaient tout compris depuis longtemps des vrais problèmes du pays, que tous n’attendaient que le moment propices pour répondre aux attentes du bon peuple. Finalement, les gilets jaunes rendent un fier service à la classe politique assoupie. Grâce à eux le réveil a sonné. Sans eux on aurait sans doute encore attendu longtemps que bougent les lignes. A l’évidence, les médias à la servilité légère aiment le nouveau tube de ce début d’hiver et invitent allègrement au micro tous ceux qui s’empressent de voler en service commandé à la rescousse du monarque vacillant. Une belle euphorie gagne les rédactions, les studios de radio, les plateaux de télévision. Que voulez-vous, les journalistes veulent, eux aussi, nous parler de la France qu’ils connaissent si bien depuis toujours. Dans cette fébrilité contagieuse, les invités se laissent aller. C’est ainsi que l’une des ministres du gouvernement Philippe a déclaré un matin, sur France Inter, que l’on ne fermerait plus aucune gare non rentable. Banco ! Comme le porte-parole du Gouvernement, Benjamin Griveaux, a déclaré que le « grand débat » ne conduira pas au « détricotage de tout ce qui a été fait depuis dix-huit mois », tous les séides du Président peuvent bien promettre la lune. Qui sait si en décembre les gilets jaunes et leurs nombreux soutiens ne croiraient pas un peu au père Noël ! Partout sur la médiasphère les braves sauveteurs sont remontés comme des pendules et se scandalisent bruyamment de l’état du pays et sont prêts à tout changer pour que… rien ne change vraiment.

Face à ce qu’il faut bien nommer l’insurrection des gilets jaunes il faut donc que nos gouvernants montrent ostensiblement à quel point ils sont scandalisés. Deux exemples formidables illustrent à merveille cette nouvelle posture. Deux ministres viennent de découvrir la lune. Ainsi, Bruno Lemaire, ministre de l’économie, se scandalise que le constructeur automobile Ford préfère fermer son site de Blanquefort (Gironde) plutôt que d’accepter la proposition de reprise envisagée. Le ministre peut bien se fâcher tout rouge, Ford fera ce qu’il voudra, comme le géant Mital à Florange en 2012 malgré les protestations de François Hollande. Le second exemple concerne la Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a subitement découvert que les complémentaires santé ne sont pas des entreprises philanthropiques. Annoncé durant la campagne électorale d’Emmanuel Macron, le dispositif reste à charge zéro (RAC 0) devait être la mesure phare de la politique « sociale » du quinquennat en matière de santé. Ce dispositif entend permettre un remboursement intégral des lunettes, des prothèses dentaires et auditives, actuellement très mal remboursées par la Sécurité sociale. La promesse est séduisante, car le renoncement aux soins atteint des sommets dans ces domaines pour certaines catégories de la population. Au terme d’un accord entre l’assurance maladie, les professionnels de santé et les complémentaires santé, le RAC 0 devait être pris en charge conjointement par l’assurance maladie et les complémentaires santé sans que cela génère de surcoût pour la Sécurité sociale ni une augmentation des tarifs des mutuelles. Le hic est que cette mesure qui doit entrer en vigueur en 2021 s’éloigne de jour en jour de la « conquête sociale » tant vantée par la communication élyséenne : la plupart des mutuelles envisagent bel et bien de reporter le coût du RAC 0 sur le coût des contrats d’assurance complémentaire. Certaines l’ont d’ores-et-déjà annoncé à leurs adhérents. Et, la facture risque d’être très salée.

Offusquée, la Ministre a dénoncé, sur France Culture un beau matin, « le sabotage politique » de la part des complémentaires. Point de sabotage politique Madame la Ministre, mais une nouvelle preuve que le recours aux lois du marché pour régler les questions politiques relevant de l’intérêt général est par essence une absurdité et une impasse.

Il y a bien de quoi être scandalisé. Scandalisé par l’inconséquence de politiques dans lesquelles on attend le bon vouloir d’acteurs économiques dont l’intérêt se situe ailleurs que dans les attentes d’un Président de la République ou de ses ministres. Scandalisé que l’on prenne le citoyen pour un imbécile en jouant la surprise quand ces acteurs économiques font ce qu’ils font toujours depuis que la « puissance » publique a renoncé à la plupart de ses anciens moyens de contrôle de l’économie.

Yann Fiévet

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