Cela fait un moment que tant l’Ukraine que la réaction de la Russie aux sanctions occidentales (qui ont mis en branle le grand axe eurasien, poussant la Chine et la Russie à se rapprocher, et à accélérer le grand accord gazier entre les deux pays) n’ont plus fait la une des journaux. Il n’est toujours pas clair pourquoi les médias occidentaux ont réduit leur couverture de l’Ukraine comme s’il s’agissait d’une patate chaude, d’autant plus que la guerre civile dans le Donbass en Ukraine continue de faire rage et des dizaines de victimes des deux côtés. Peut-être que le public a eu tout simplement assez d’entendre parler de la partie d’échecs entre Poutine et Obama, et s’est retourné vers la propagande autour des événements tout aussi mortels dans la troisième guerre d’Irak.
Toutefois, être « hors de vue » est peut être justement ce que l’élite politique russe recherche. En fait, selon Valentin Mândrăşescu , tandis que la grande machine de propagande et de distraction US se concentre ailleurs, la Russie se prépare déjà pour les prochaines étapes. Ce qui nous amène au conseiller de Poutine, Sergey Glazyev, celui-là même qui au début du mois de mars avait été le premier à suggérer que la Russie se débarrasse de ses bons du trésor US et abandonne le dollar en représailles aux sanctions américaines, une stratégie qui a fonctionné parce que même si le Kremlin a conservé le contrôle de la Crimée, les sanctions occidentales se ont magiquement interrompues (et pas seulement cela car, comme vient d’annoncer la banque centrale de Russie, le compte courant du pays présente en 2014 un excédent qui s’élève à 35 milliards de dollars contre 33 milliards de dollars en 2013, très loin de « l’hémorragie de capitaux » de 200 milliards de dollars et même plus dont Mario Draghi mettait en garde récemment). Glazyev est aussi celui qui a contribué à pousser le Kremlin à se rapprocher de la Chine et obtenir l’accord gazier avec Pékin qui n’a pas été nécessairement conclu aux conditions les plus avantageuses pour la Russie.
C’est ce même Glazyev qui a publié un article dans la revue russe Argumenty Nedeli, dans lequel il présente un plan pour « saper la puissance économique des Etats-Unis » afin de forcer Washington à arrêter la guerre civile en Ukraine. Glazyev croit que la seule façon de faire en sorte que les Etats-Unis renoncent à leurs plans visant à déclencher une nouvelle guerre froide est de planter le système du dollar.
Comme résumé par VoR (Voice of Russia), dans cet article, le conseiller économique de Poutine et cerveau derrière l’Union économique eurasienne, soutient que Washington tente de provoquer une intervention militaire russe en Ukraine, en utilisant la junte à Kiev comme appât. S’il réussit, le plan donnera à Washington un certain nombre d’avantages importants. Tout d’abord, il permettra aux États-Unis d’introduire de nouvelles sanctions contre la Russie, qui compenseraient la vente par Moscou de ses bons du Trésor US. Plus important est qu’une nouvelle vague de sanctions créerait une situation dans laquelle les entreprises russes ne seraient plus en mesure de rembourser leurs dettes aux banques européennes.
Selon Glazyev, la soi-disant « troisième phase » de sanctions contre la Russie aura un coût énorme pour l’Union européenne. Le total des pertes estimées serait de plus de 1000 milliards d’euros. De telles pertes nuiraient gravement à l’économie européenne, ce qui rendrait les Etats-Unis le seul « refuge sûr » au monde. Des sanctions sévères contre la Russie élimineraient également Gazprom du marché européen de l’énergie, laissant la porte grande ouverte au gaz beaucoup plus cher des États-Unis.
La participation des pays européens dans une nouvelle course aux armements et d’opérations militaires contre la Russie augmentera l’influence politique américaine en Europe et aideront les États-Unis à forcer l’Union européenne à accepter la version américaine du traité transatlantique, un accord commercial dont l’objectif principal est de transformer l’UE en une grande colonie économique des États-Unis. Glazyev estime que le déclenchement d’une nouvelle guerre en Europe ne produira que des bénéfices pour les Etats-Unis et des problèmes pour l’Union européenne. Washington a déjà utilisé à plusieurs reprises des guerres mondiales et régionales au profit de l’économie US et maintenant la Maison Blanche veut retenter cette vieille ficelle avec la guerre civile en Ukraine.
L’ensemble des contre-mesures proposées par Glazyev vise spécifiquement le coeur de la machine de guerre des États-Unis, à savoir l’imprimerie de la Federal Reserve (Banque Centrale US). Le conseiller de Poutine propose la création d’une « large alliance anti-dollar » des pays désireux et capables d’abandonner le dollar dans leur échanges internationaux. Les membres de l’alliance s’abstiendraient également de garder des réserves en devises pour les instruments financiers libellés en dollars. Glazyev préconise de traiter les instruments libellés en dollars comme des titres à haut risque (junk securities) et croit que les régulateurs devront exiger plein nantissement (assurance pour couvrir le risque) de ces titres. Une coalition anti-dollar serait la première étape dans la création d’une coalition anti-guerre qui peut aider à mettre fin aux agressions des États-Unis.
Sans surprise, Sergey Glazyev estime que le rôle principal dans la création d’une telle coalition politique doit être joué par les milieux d’affaires européens parce que les tentatives des Etats-Unis pour déclencher une guerre en Europe et une guerre froide contre la Russie menacent les intérêts des grandes entreprises européennes. A en juger par les récents efforts pour mettre fin aux sanctions contre la Russie déployés par les chefs d’entreprise français, italiens, autrichiens et allemands, le conseiller de Poutine a vu juste. Peut-être à la surprise de Washington, la guerre en Ukraine pourrait bientôt devenir la guerre pour l’indépendance de l’Europe contre les États-Unis et contre le dollar.
Tyler Durden
Traduction "pas facile de taper sur le clavier avec les doigts croisés et à la lumière d’une bougie" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.