RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Trump : tout changer pour que rien ne change

Tout d’abord, prochetmoyen-orient.ch doit rendre un hommage appuyé à l’un de ses plus vieux amis, l’expert en stratégie militaire Nissim Marshall qui a bien d’autres cordes à son arc : traducteur de renommée internationale, critique littéraire, peintre reconnu, excellent cuisinier et amateur de 2 Chevaux. Depuis deux ans, Nissim Marshall explique à ses voisins provençaux que Trump va gagner, et ce pour une raison très simple. Dans son Mein Kampf, Hitler l’a écrit très clairement : quiconque veut prendre le pouvoir doit se fabriquer un ennemi. En l’occurrence, ce seront les Juifs et les communistes. On connaît malheureusement la suite...

Dès le début de son ambition présidentielle Trump a désigné très précisément son ennemi : les Mexicains, les Musulmans et les femmes... Les Bobos des Alpilles n’entendaient rien, écoutant notre ami visionnaire les yeux écarquillés en lui conseillant de lire Le Monde. Tous les jours, Nissim Marshall décrypte scrupuleusement la presse étasunienne. Sa carrière internationale lui a apporté une connaissance intime des Etats-Unis et, pour notre part, nous continuons à partager ses analyses toujours originales et argumentées et fondées sur les meilleures sources.

A l’unisson des tréfonds d’une société étasunienne en pleine déglingue, les messages haineux de Trump ont rencontré une adhésion autant immédiate que non dite parce que non avouable. La haine est un affect clandestin qui fait rarement lien social assumé et ne s’étale pas à la Une des journaux... Les ventes libres d’armes de guerre, l’assassinat à répétition de Noirs par les forces de l’ordre, les attentats terroristes, la crise des subprimes qui a mis à la porte quelque 9 millions d’Étasuniens, 15% des habitants à la soupe populaire, 5% de la population engrangeant 85% de la richesse nationale et la croissance exponentielle de homeless qui dorment dans des cartons... Les sondeurs, qui le plus souvent travaillaient exclusivement par Internet et réseaux « numériques » mal nommés « sociaux », ne pouvaient que se planter. Ne parlons pas des journalistes, qui dans leur écrasante majorité, avaient opté pour Hillary, oubliant depuis belle lurette leur métier d’informer pour verser dans un trafic d’influences, sinon une propagande obscène de classe, celle de la technostructure s’entend...

Plus profondément encore, Nissim Marshall interpellait ses incrédules lecteurs des seules Lettres de mon moulin sur l’état réel du monde : la guerre de tous contre tous, l’avènement du Léviathan dont Thomas Hobbes prédisait les ravages dès 1651... Nous y sommes depuis la chute du Mur de Berlin. Et lorsque, dans les dîners en ville, un Candide lance la conversation sur la Troisième Guerre mondiale qui menace, rares sont les convives suffisamment lucides pour expliquer que celle-ci bat déjà son plein. Elle est nulle part parce qu’elle sévit partout !

La Troisième Guerre mondiale ne creuse pas de tranchées et ne programme pas de débarquement massif mais multiplie les conflits asymétriques, l’engagement clandestin de forces spéciales, de drones et de contractors et autres milices privées. Elle n’a plus d’armées nationales, de lignes de front ni de cartographie mais génère des destructions fluides et rhizomatiques, sans foi ni loi, ni d’autres logiques que celle de la course à l’argent, l’argent et l’intérêt économique à court terme, devenu la seule référence de relations internationales dominées par le chaos généralisé, la multiplication d’acteurs improbables mus par l’appât du gain. Dans ce contexte, il n’est pas très étonnant qu’un homme d’affaires prédateur et grand voyou s’impose ainsi comme l’idéal et l’incarnation de nos « démocraties ».

Nos « démocraties », parlons-en ! Pour son élection phare, la plus grande démocratie du monde commence par accumuler des fonds colossaux qui vont jusqu’à représenter dix fois le budget des Etats les plus pauvres de la planète. Depuis le début de la course à la Maison blanche, la Fondation Clinton a commencé par faire main basse sur toutes les donations à destination du Parti démocrate, empêchant ainsi l’émergence de toute candidature sérieuse autre que celle d’Hillary. Enfin, et il faut bien-sûr ici relire Tocqueville : proclamer à tout bout de champ l’égalité des droits finit par rendre encore plus insupportable les inégalités de faits, celles qui affectent quotidiennement et concrètement la vie quotidienne.

A contre-champ, Trump – homme d’affaires des plus douteux aux faillites retentissantes à répétition – s’était déjà imposé dans l’imaginaire des Étasuniens, non seulement depuis la hauteur de sa tour impressionnante, mais surtout dans les émissions les plus débiles de télé-réalité. Incarnation du « rêve américain » ? A voir... En tout cas symbole d’une réussite par tous les moyens possibles, médiatisée par un système dans lequel les enfants comptabilisent plus d’heures de jeux électroniques (tout aussi débiles) que d’heures de lecture et d’écriture. L’écriture ? Dans la mesure où l’on considère que le progrès se réduit à installer des claviers d’ordinateur dans les classes enfantines où l’on n’apprend plus à nos chères têtes blondes ou crépues à former des lettres avec leur main mais à surfer sur Internet et dans les banques de données... Qu’on ne s’étonne pas ensuite de voir sortir des écoles des générations de crétins qui risquent de voter pour Trump ou des clones du genre...

Comme dit Labiche, « C’est fait ! C’est horrible, mais c’est fait ! » On verra, comme ce fut le cas avec Ronald Reagan, qu’aucun chambardement majeur ne surviendra et que la technostructure assurera la continuité et la reproduction des rouages essentiels de la société étasunienne. Après sa dernière conversation avec Barack Obama, Trump a convenu qu’il ne toucherait pas aux maigres avancées sociales arrachées de haute lutte au Congrès républicain alors qu’il avait affirmé durant sa campagne que c’est la première chose qu’il abolirait immédiatement ! Jettera-t-il Hillary en prison pour ses manquements aux procédures « confidentiel-défense » et ses nombreuses casseroles affairistes ? Rien n’est moins sûr...

Sur le plan extérieur on risque de contempler les mêmes montagnes accouchant d’autant de souris craintives. Une chose est sûre : la victoire de Trump va probablement se traduire par une politique américaine encore plus favorable à Israël, repoussant d’autant l’établissement d’un État palestinien aux calendes grecques. « Personne n’est plus pro-Israël que moi », affirmait-il en mars dernier. Il a également promis au cours de sa campagne de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, un tel transfert romprait non seulement avec la politique historique de Washington, mais violerait les résolutions 242 et suivantes du Conseil de sécurité des Nations unies.

Sur la colonisation, de plus en plus critiquée par l’administration sortante de Barack Obama, le conseiller de Trump pour Israël, David Friedman, a expliqué à l’AFP le mois dernier ne pas croire que son candidat considérait les colonies juives établies dans les territoires palestiniens de Cisjordanie occupée comme illégales. Il ajoutait également que Trump était « extrêmement sceptique » concernant l’idée d’une solution « à deux États » israélien et palestinien vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Et David Friedman concluait que Trump « ne mettrait jamais Israël sous pression pour promouvoir une solution à deux États ou toute autre contre la volonté du peuple israélien ».

Dans l’immédiat, Benjamin Netanyahou, dont le gouvernement est considéré comme le plus à droite de l’histoire d’Israël, peut être satisfait. En toute logique, Benjamin Netanyahou a félicité Trump mercredi dans un communiqué avant de lui téléphoner. « Les deux dirigeants, qui se connaissent depuis de nombreuses années, ont eu une conversation chaleureuse et sincère », selon un communiqué du bureau de Netanyahou. « Ils ont également discuté des questions régionales. Le président élu Trump a invité le Premier ministre Netanyahou à une réunion aux États-Unis à la première occasion », conclut le communiqué. Dans tous les cas de figures, le Premier ministre israélien aura un homologue à Washington qui ne lui sera pas instinctivement opposé, ni à ses politiques », dit-on à Tel-Aviv.

Ajoutons que l’un des autres conseillers pour le Moyen-Orient de Trump n’est autre que le Libanais Walid Farès (ou Pharès). Autant dire que ce client n’est pas vraiment rassurant puisqu’il fut l’un des proches conseillers du serial killer Samir Geagea et de ses milices d’extrême-droite durant la guerre civilo-régionale du Liban (1975–1990). A l’époque, Walid Farès s’occupait de la propagande, multipliant « conférences » et brochures vantant la guerre contre les Musulmans et l’épuration ethnique pour la formation d’un micro-Etat chrétien au Liban. L’une de ces brochures – Le Peuple chrétien – a curieusement disparu de la bibliographie du conseiller du nouveau président des Etats-Unis.

Sur le dossier iranien là-aussi, pas grand-chose de nouveau sous le soleil puisque le Congrès républicain a fait systématiquement obstruction à la reprise des investissements étrangers dans ce marché de 80 millions d’habitants depuis la conclusion de l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire. De manière générale, il suffira à Trump et à son administration de poursuivre la gestion intrusive d’Obama en accentuant les obstacles et les outils propices à l’extraterritorialité du droit américain au nom du libre marché, des droits de l’homme et de la lutte contre la corruption pour une Transparency International encore plus transparente.

Restent les « engagements extérieurs ». En bonne logique, et dans la mesure où Trump a affirmé vouloir s’occuper d’abord du bien-être des Étasuniens avant de prétendre sauver la planète, il devrait effectivement réduire la voilure militaire. Effectivement Trump rompt avec le wilsonisme ordinaire (partagé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, par les administrations successives tant démocrates que républicaines). Il ne croit pas que les Etats-Unis doivent dépenser de l’argent pour imposer la démocratie et les droits de l’homme sur l’ensemble de la planète. Sur ce plan aussi, l’impulsion est déjà donnée : plus discrètement, Barack Obama a déjà amorcé un certain repli militaire en renonçant aux opérations conventionnelles lourdes pour privilégier l’engagement clandestin des drones et des forces spéciales. De manière plus spectaculaire Trump s’est adressé aux pays de l’OTAN, leur demandant de financer leur propre défense, l’avertissement concernant aussi la Corée du Sud et le Japon.

Les Européens auraient tout intérêt à saisir l’opportunité d’une telle demande pour mettre, enfin, en chantier ce fameux « pilier européen de la défense » que Messieurs Sarkozy et Kouchner notamment, nous avaient promis pour faire passer la pilule du retour de la France éternelle dans le Commandement intégré de l’OTAN en 2008. Effectivement, les Européens pourraient en profiter pour relancer leur machine en matière de Défense et de Sécurité plutôt que de multiplier les directives kafkaïennes sur la taille des ampoules électriques et la consistance des fromages. En outre, cette re-légitimation de l’Europe par une réforme d’un système Schengen qui marche et par la mise en œuvre d’un système de sécurité collective associant la Russie de Vladimir Poutine, reste une question cruciale qui se posait bien avant l’élection de Trump. Elle se repose aujourd’hui dans une conjoncture internationale plus favorable, mais régionalement plus difficile où Bruxelles reste enlisé (grâce à Angela Merkel) dans la crise migratoire et les promesses irréalistes faites à Recep Erdogan, lui-même embarqué dans une dérive fascisante. Par conséquent, on ne voit pas qui, aujourd’hui en Europe, aurait le poids politique suffisant pour prendre Trump au mot et lui dire : « remettons effectivement l’OTAN à plat pour faire autre chose... afin de retrouver plus de souveraineté, sinon d’indépendance ».

C’est au pied du mur qu’on voit le maçon ! Normalement, c’est en décembre prochain que les sanctions internationales contre la Russie devraient être reconduites ou levées. On verra si Trump trouve toujours Vladimir Poutine aussi merveilleux et s’il veut en faire son principal allié contre Dae’ch en Syrie, en Irak et ailleurs !

Quoiqu’il en soit, et cela est à inscrire sous la colonne des « dégâts collatéraux », il était assez choquant d’entendre les journalistes de France-Inter et France-Culture (deux chaînes de service public) se lamenter en commentant l’élection d’un « homme aussi vulgaire et inculte, s’exprimant de la manière la plus primitive avec seulement deux cents mots de vocabulaire... ». Tellement persuadé du triomphe annoncé d’Hillary, notre service public n’avait invité que des partisans de la Dame, sans même songer à équilibrer un peu leurs plateaux en donnant la parole à quelque Républicains présentables... Une grande leçon de journalisme qui va renforcer la crédibilité de nos médias !

Mais le pompon revient sans doute à Gérard Araud, notre ambassadeur de France aux Etats-Unis tweetant plus vite que son ombre... En fait, il a bombardé deux Tweets : « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige ». Puis : « C’est la fin d’une époque, celle du néolibéralisme. Reste à savoir ce qui lui succédera ». Chapeau à ce grand diplomate, qui quoiqu’il arrive devrait penser toujours aux intérêts de la France ! Après cette brillante prestation, comment Gérard Araud peut-il poursuivre correctement sa mission à Washington ? La question reste posée. Non seulement, le Quai d’Orsay aurait dû vertement l’engueuler, mais sa dignité d’Ambassadeur de France devrait lui être retirée sans plus tarder ! On verra si Jean-Marc Ayrault, notre actuel ministre des Affaires étrangères, aura le courage de sanctionner le protégé de son prédécesseur Laurent Fabius...

En définitive, l’élection de Trump ne constitue-t-elle pas la dernière illustration de l’adage que Tomasi di Lampedusa met dans la bouche de son Guépard : « tout changer pour que rien ne change... » A tout le moins, le nouveau président américain pourrait remettre en cause le dernier accord international sur le réchauffement climatique et chercher à bloquer celui sur le nucléaire iranien. Pour le reste, le Congrès veillera au grain. Les pairs républicains de Trump, qui ne partagent pas toutes ses outrances, disposent de tous les moyens institutionnels pour le sortir du jeu au cas où il deviendrait insupportable, c’est-à-dire s’il cherchait à mettre en œuvre ses « promesses électorales » les plus loufoques.

Ainsi, si Trump « pétait un plomb » en cherchant vraiment à vouloir changer les choses – hypothèses d’ores et déjà envisagées par plusieurs constitutionnalistes émérites, les procédures d’impeachment (déjà prêtes) sonneraient immédiatement la charge. Les marchés, eux-aussi veillent au grain ! Aujourd’hui les pouvoirs exécutifs n’ont plus de réelle marge de manoeuvre face au remboursement de la dette dont les taux sont fixés par les marchés financiers. La remarque vaut pour les Etats-Unis, comme pour la France et toutes les autres vieilles « démocraties-témoins ». Ce qui exaspère leurs électeurs, c’est qu’ils n’ont pas le courage de le dire, ni de s’attaquer aux dossiers sur lesquels ils peuvent intervenir comme, par exemple la réforme de l’Etat...

Par conséquent, comment prévoir l’évolution du monde avec Trump ? La mondialisation et ses grands bénéficiaires vont continuer à casser les Etats-nations, les services publics et les outils de redistribution sociale. Le malheur de l’histoire : les plus pauvres qui ont voté Trump deviendront encore plus pauvres et se sentiront trahis, accélérant ainsi l’agonie de nos vieilles démocraties désormais impuissantes à endiguer le fascisme qui vient... Celui-ci est d’ores et déjà au travail. Evidemment, il ne prend pas les traits hideux d’un nouvel Hitler, mais agit plus subrepticement par « réseaux sociaux » et algorithmes interposés, ce que le philosophe Bernard Stiegler appelle la disruption : par la diffusion d’une information calibrée, de connaissances normées, de contrats d’assurances de plus en plus contraignants parce que sous contrôle continu, de voyages et déplacements tout aussi tracés, de nourritures imposées, de sexualités gérées... c’est-à-dire par l’imposition d’une intelligence artificielle généralisée pour laquelle le Libre arbitre cartésien sera remisé dans les grottes de Lascaux... Avec ou sans Trump, on ne va pas se marrer...

Richard Labévière

11 novembre 2016

»» http://comite-valmy.org/spip.php?article7851
URL de cet article 31173
   
Même Thème
Interventions (1000 articles).
Noam CHOMSKY
à l’occasion de la sortie de "Interventions", Sonali Kolhatkar interview Noam Chomsky. Depuis 2002 le New York Times Syndicate distribue des articles du fameux universitaire Noam Chomsky, spécialiste des affaires étrangères. Le New York Times Syndicate fait partie de la même entreprise que le New York Times. Bien que beaucoup de lecteurs partout dans le monde peuvent lire des articles de Chomsky, le New York Times n’en a jamais publié un seul. Quelques journaux régionaux aux (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le système bancaire moderne fabrique de l’argent à partir de rien. Ce processus est peut-être le tour de dextérité le plus étonnant qui fut jamais inventé. La banque fut conçue dans l’iniquité et est née dans le pêché. Les banquiers possèdent la Terre. Prenez la leur, mais laissez-leur le pouvoir de créer l’argent et, en un tour de mains, ils créeront assez d’argent pour la racheter. ôtez-leur ce pouvoir, et toutes les grandes fortunes comme la mienne disparaîtront et ce serait bénéfique car nous aurions alors un monde meilleur et plus heureux. Mais, si vous voulez continuer à être les esclaves des banques et à payer le prix de votre propre esclavage laissez donc les banquiers continuer à créer l’argent et à contrôler les crédits.

Sir Josiah Stamp,
Directeur de la Banque d’Angleterre 1928-1941,
2ème fortune d’Angleterre.

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.