Erdogan faisait référence à la nouvelle controverse sur Jérusalem. Le 6 décembre, le président Donald Trump a déclaré que les États-Unis déplaceraient leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem. Le déménagement de l’ambassade suggère que la capitale d’Israël ne sera plus Tel-Aviv mais Jérusalem. Cette action va à l’encontre de la politique internationale qui considère Jérusalem comme une « ville internationale » - une ville qui devrait être gouvernée par plusieurs acteurs pour protéger le statut particulier de Jérusalem en tant que siège des principaux sites religieux des chrétiens, des juifs et des musulmans.
La déclaration de Trump sur Jérusalem a ébranlé la Palestine, dont le peuple craint depuis longtemps l’annexion de Jérusalem-Est, que les Nations Unies considèrent comme faisant partie du territoire palestinien occupé, et du reste de la vieille ville. Des manifestations ont éclaté en Cisjordanie, à Jérusalem, et dans la bande de Gaza. Elles sont globalement non violentes, et expriment la frustration du peuple palestinien devant l’effondrement de son projet de libération nationale.
Une dangereuse escalade
Le 8 décembre, qui était un vendredi et donc une journée de prière pour les musulmans, les forces israéliennes sont venues faire une démonstration de force près de la mosquée Al Aqsa, vénérée par les musulmans comme le troisième lieu le plus saint de l’islam. Les prières se sont poursuivies comme d’habitude dans la mosquée, même si la tension dans les rues était palpable. La présence des forces israéliennes a provoqué les protestations des Palestiniens de la ville, qui ont défilé en petits groupes en scandant : « Jérusalem est à nous, Jérusalem est notre capitale ».
Les forces israéliennes ont alors attaqué les manifestants avec férocité. Les troupes israéliennes à cheval se sont mises à galoper dans le rue Salah Eddin de la vieille ville, effrayant les passants. Les soldats ont dévasté les échoppes et arrêté des hommes, des femmes et des enfants. Le Croissant-Rouge a indiqué qu’environ 800 Palestiniens avaient été blessés pendant toutes les protestations, et qu’une poignée de gens avaient été tués notamment à Gaza. Les forces israéliennes se sont livrées à des tirs combinés de balles en caoutchouc et de balles réelles en Cisjordanie et à Jérusalem, ainsi qu’à des frappes aériennes contre Gaza. Deux jours plus tard, le 10 décembre, un véhicule militaire israélien a écrasé une fillette palestinienne de cinq ans dans la ville d’Hébron, la ville de Palestine où la tension est sans doute la plus forte.
C’est à Hébron qu’Al-Junaidi, 14 ans, a été arrêté et détenu. Selon son oncle, le garçon était allé chercher des médicaments et de la nourriture pour sa famille. Ce jeune garçon s’occupe de son père, qui a été opéré récemment. L’oncle a réagi à l’arrestation de son neveu en disant : « Nous sommes les enfants de la Palestine. Jérusalem est inscrite comme capitale de la Palestine dans le cœur et l’esprit de nos enfants. Personne ne pourra jamais effacer cette inscription. »
la photo d’Al-Junaidi qu’a prise Wisam Hashlamoun, un photojournaliste palestinien, est vraiment emblématique. Selon lui, une cinquantaine de soldats israéliens ont attaqué un groupe de jeunes Palestiniens. Al-Junaidi est tombé par terre et a été blessé à la tête. Les soldats « l’ont remis sur ses pieds et l’ont encerclé », c’est le moment où Hashlamoun a pris la photo. « Je n’ai jamais pensé que cette photo deviendrait un symbole, je voulais simplement dénoncer la violence israélienne. »
Les médias d’État israéliens n’ont mentionné que les quelques roquettes tirées sur Israël à partir de Gaza et le coup de couteau reçu par un agent de sécurité israélien à l’entrée de la gare routière de Jérusalem. Ces deux actes de violence ont servi à justifier l’usage massif de la force par les Israéliens contre les Palestiniens que la déclaration incendiaire de Trump avait enflammés. Il n’est pas étonnant que les Palestiniens répondent à la violence israélienne qui vient s’ajouter à l’occupation qui dure depuis plus de 50 ans. Il n’est pas étonnant que certains Palestiniens aient psalmodié : « Nous ne voulons plus de mots creux. Nous voulons des pierres et des kalachnikovs. »
Il n’est pas étonnant non plus que de nombreux dirigeants mondiaux - du Premier ministre irakien Haider al-Abadi au ministre qatari des Affaires étrangères Mohammed bin Abdulrahman al-Thani- aient qualifié la déclaration de Trump de « dangereuse escalade ». Elle ne fera qu’engendrer beaucoup plus de violence. L’Union européenne et l’ONU ont fermement condamné la déclaration de Trump.
Jérusalem est un emblème
En 1947, l’ONU a adopté la Résolution 181 qui plaçait Jérusalem sous l’administration de l’ONU. Ce devait être une ville régie par un « régime international spécial ». Les pays du monde entier ont reconnu Jérusalem comme un endroit unique au monde, un endroit précieux pour les grandes religions abrahamiques et qui se trouve au cœur des tensions qui secouent le nouvel État d’Israël, les Palestiniens exilés et occupés, et les États arabes voisins.
Au cours des années passées, il y a eu sept votes au Conseil de sécurité de l’ONU pour condamner la Loi de Jérusalem de 1980, qui proclame la ville capitale « éternelle et indivisible » d’Israël. La Résolution 478, la première de ces résolutions, a été adoptée en 1980 à l’unanimité, avec une abstention des États-Unis. A l’époque, même pour feu Edmund Muskie, un ancien secrétaire d’État des Etats-Unis, Jérusalem était une ville unique. « Nous devons préserver une vision commune de l’avenir de cette ville antique - une Jérusalem indivise, avec un libre accès aux lieux saints pour les peuples de toutes confessions. » Mais en même temps, les États-Unis soutenaient qu’ils avaient le droit d’avoir leur ambassade à Jérusalem et Edmund Muskie disait, en 1980, qu’ils ne considéreraient pas une demande de l’ONU à ce sujet comme contraignante.
Le Conseil de sécurité de 1980 était fortement opposé à une annexion israélienne de Jérusalem. L’ancien ambassadeur du Pakistan à l’ONU, Naiz A. Naik, a déploré que la pression internationale qui s’intensifiait à l’époque contre Israël, ait « donné plus de vigueur à l’obsession sioniste de judaïser la Ville Sainte de Jérusalem en détruisant son identité historique pour en faire « la capitale éternelle d’Israël ». Yehuda Zvi Blum, alors ambassadeur d’Israël à l’ONU, lui a répondu que Jérusalem était la capitale d’Israël depuis les origines et qu’Israël n’accepterait aucune suggestion de l’ONU concernant la ville. « Israël ne permettra pas à Jérusalem de devenir un autre Berlin, avec tout ce que cela implique non seulement pour le bien-être de ses citoyens, mais aussi pour la paix et la sécurité internationales. »
Israël, avec le soutien des États-Unis, a ignoré l’ONU. Au cours de ces 50 dernières années, il a annexé progressivement des pans entiers de Jérusalem et a affaibli l’emprise palestinienne sur la ville. Des colons juifs se sont approprié des terres et de propriétés de Jérusalem-est et le quartier juif de la vieille ville s’est étendu. L’opération de destruction du cimetière de Mamilla, un site d’une importance capitale pour l’histoire palestinienne (« Grave Silence », Frontline, 21 février 2014) a fait partie de l’entreprise de réduction de l’espace palestinien dans la ville.
« Non, M. Trump »
Une semaine après la déclaration de Trump, le prince Turki al-Faisal, ancien chef des services de renseignements saoudiens et ancien ambassadeur saoudien aux États-Unis, lui a écrit une lettre ouverte cinglante. « Non, M. Trump, Jérusalem n’est pas la capitale d’Israël. » Sa lettre est un clair désaveu de Trump. « Si vous voulez corriger cette prise de position maladroite et cavalière, » écrit-il, « il faut faire une déclaration pour reconnaître un État palestinien avec sa capitale à Jérusalem-Est. Toutes vos belles paroles n’ont plus d’effet sur nous. Les habitants autochtones de ce qu’on appelle l’Amérique disaient “L’homme blanc a la langue fourchue”. Nous pensons la même chose depuis 1917. » Que cela vienne du cœur de l’establishment saoudien en dit long sur les tensions dans la région. Certains croient que l’Arabie saoudite prépare un rapprochement diplomatique officiel avec Israël, mais la décision de Trump pourrait avoir sonné le glas de ce projet.
Depuis Beyrouth, au Liban, Syed Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a qualifié la déclaration de Trump de deuxième déclaration Balfour. La première Déclaration Balfour a été faite par la puissance impériale de l’époque, la Grande-Bretagne. Elle a promis de s’emparer des terres palestiniennes et de les donner aux colons juifs européens comme solution au problème de l’antisémitisme européen. La déclaration de Trump par la puissance impériale actuelle, donne carte blanche aux Israéliens pour s’emparer de plus de terres palestiniennes. Nasrallah note que personne n’a demandé leur avis aux Palestiniens dans aucun des deux cas. C’est pour cette raison que Nasrallah a appelé à une intifada - un soulèvement, une Troisième Intifada.
Trump a pris cette décision incendiaire juste avant de signer la prorogation de la domiciliation de l’ambassade des États-Unis à Tel-Aviv. L’ambassade des États-Unis ne déménagera pas à Jérusalem avant au moins six mois, lorsque Trump devra de nouveau passer par le rituel bi-annuel de la signature de la prolongation par le président. Il est peu probable que les États-Unis déménagent leur ambassade. Ce scénario semble plus dangereux que tout autre. C’est encore une de ces facéties politiques auxquelles Trump nous a habitués ; elle satisfait sa base, et notamment les évangéliques chrétiens conservateurs, et elle fait le bug.
Pendant ce temps, en Palestine, des enfants comme Al-Junaidi endurent un martyr. Et cela, depuis des dizaines d’années.
Vijay Prashad
http://www.frontline.in/world-affairs/trump-as-balfour/article9995891.ece?homepage=true
Vijay Prashad est un historien, auteur et journaliste indien, directeur des Etudes Internationales au Trinity College. Il a dirigé la publication de « Letters to Palestine » (Verso). Il vit à Northampton.
Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet