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Que se passe-t-il à Marseille ?


[ Mais Marseille parle, parle... Dans les bars, dans les transports en commun, des conversations spontanées s’instaurent pour dénoncer la situation, l’irritation est générale et il fréquent d’entendre dire que "nous sommes à la veille d’une Révolution... ou plus modestement de mai 68..." Où encore face à l’extension de la grève des bus le 5 octobre, ils secouent la tête, c’est triste mais Marseille est foutu... "Ils veulent la tuer !" ]


6 octobre 2005

D’autres exposeront l’important conflit de la SNCM, la montée des luttes à Marseille comme dans l’ensemble de la France, mais dans le cadre de cet article nous avons tenté de comprendre des formes de politisation originales à travers "le cas Marseillais".

Certes Marseille n’est pas la France, c’est même la seule très grande ville qui a voté non à 60% au dernier référendum constitutionnel européen. On peut considérer Marseille comme le négatif photographique de Paris ou de Lyon. Non seulement elle a un maire de droite (élu à 15% des inscrits), alors que les deux autres ont un maire socialiste, mais elle reste une ville populaire jusque dans son centre, alors que Paris est largement une ville où seules les couches dotées de revenus confortables peuvent espérer s’installer. Enfin il faut ajouter que Marseille est la proie d’une agression généralisée. L’emploi est attaqué par les "délocalisations", type Netslé, et les vagues de privatisation du service public. Le dernier exemple touche la territorialité française entre le continent et la Corse avec la prétention de vendre (en fait de donner à perte) au privé la SNCM, la compagnie qui assure la liaison avec la Corse.

Ce dernier cas pose non seulement les problèmes habituels des privatisations du service public, mais une atteinte réelle à la capacité qu’aurait la France d’assurer la continuité territoriale avec l’île Corse. Chacun sent bien que l’argument gouvernemental du diktat européenne n’en n’est pas un. En réalité, il faut porter l’estoquade au service public, pouvoir mettre en concurrence entre eux les salariés. Une logique globale, celle du profit contre les salaires, contre la vie. La décision n’est pas "négociable" ni pour les uns, ni pour les autres, le cas est trop gros, c’est le blocus du port. C’est là la toile de fond : il n’y a plus de "compromis" possible, l’opposition est frontale, car l’agression est globale, ne laisse pas d’espace de repli...

Car il faut bien mesurer que ces agressions contre l’emploi, le service public ont lieu dans un contexte de dégradation massive du pouvoir d’achat et de hausse du prix des logements qui stupéfait les Marseillais. Ils découvrent des loyers bien plus élevés que leurs salaires, dans les quartiers bourgeois, pourtant ce ne sont pas les beaux quartiers qui sont frappés en priorité par cette hausse, mais les quartiers populaires. A la violence sur l’emploi s’ajoute une violence sur le droit au logement, sur les salaires ou les pensions qui ne permettent pas de "tenir" tout le mois.

Et pendant ce temps là , la mairie multiplie les signes de l’éviction, de "la gentrification". On songe à l’admirable analyse de Los Angelès de Mike Davis, la cité de cristal, où il montre comment toute la ville renovée est destinée à évincer les plus pauvres, le mobilier urbain est destiné à empêcher l’installation, la promenade, la rue à ceux qui ne peuvent pas "payer". A Marseille le maire plante des palmiers très côte d’Azur qui ne résistent pas au Mistral, des immeubles que chacun juge d’une laideur abominable surgissent en front de mer à des prix prohibitifs, des rues commerciales désertées par les chalands, condamnées par des travaux d’installation d’ un tramway qui redouble à l’identique en surface les lignes de métro, à la vente à la découpe aux fonds de pension de la rue de la République, les familles modestes en sont chassées, la fermeture de la plage populaire des Catalans en septembre et l’installation des horodateurs. C’est un champ de bataille, avec partout la symbolique de l’éviction. Pour Gaudin, le maire UMP, Marseille doit comme Paris et Lyon devenir une ville "chic"et pour cela il faut déporter rapidement ses habitants populaires vers une quelconque périphérie. Tout "l’urbanisme" de la mairie de Marseille va dans ce sens et les Marseillais en sont conscients, on veut les chasser de leur ville.

Il faut encore noter un phénomène qui est rarement souligné et qui accroît le caractère explosif de la situation : ce sont les jeunes à qui est demandé le plus fort ajustement à cette dégradation de la vie quotidienne. Non seulement ce sont eux qui doivent assumer les nouveaux statuts de la privatisation, les baisses réelles de salaire à l’embauche mais aussi l’explosion du prix des loyers. [1]


La crise de la représentativité politique :

Nous avons ici à Marseille l’illustration d’un premier paradoxe de la vie politique française. La gauche est élue à Paris avec le vote des "bobos" et à Marseille il y a une droite élue à cause de l’abstention massive de couches populaires. L’analyse plus fine des arrondissements permet d’observer cependant une partition nord /sud de la ville, avec dans les quartiers nord des mairies d’arrondissement soit à dominante communiste, soit socialiste. Donc cet apparent paradoxe doit être nuancé, il y a des traditions de vote dans les mairies de secteur. La caractéristique principale, qui aboutit à ce que la non inscription des jeunes, l’abstention des couches populaires débouche dans cette ville sur l’élection d’un maire de droite, est que ces traditions "de gauche" de certains quartiers y compris dans le sud, ont perdu leur base organisationnelle. On a assisté à la déperdition d’une véritable vie politique à la base, surtout dans les couches populaires. Le même constat peut être opéré sur la difficulté à toucher les jeunes. Le PCF n’a plus de véritable organisation et les autres partis de gauche et d’extrême-gauche connaissent les mêmes difficultés, leur implantation tend de plus en plus vers les couches moyennes, les appareils politiques vieillissent sans véritable renouvellement.

Pourtant, le 29 mai, l’analyse des bureaux de vote marseillais témoignait de la radicalité du vote de classe. Les abstentionnistes s’étaient mobilisés et dans les mêmes quartiers, on pouvait constater un vote en faveur du NON qui reproduisait presque à l’identique les votes communistes d’il y a trente ans. Pouvait-on en déduire comme l’on fait hâtivement les dirigeants du PCF locaux ou les socialistes partisan du NON, que l’influence des partis de gauche et d’extrême-gauche avait été déterminante dans ce vote ? Une telle appropriation peut conduire à de sérieux mécomptes. Le meeting de Martigues avec les leaders du NON fut un moment de grande présence et d’enthousiasme mais il s’agissait d’un meeting régional dont il faudrait comparer les participants, militants, avec la capacité qu’avait jadis le PCF de remplir le stade vélodrome à lui seul. A la veille du scrutin, le comité du Non du quartier du port ne regroupait pour écouter un dirigeant d’ATTAC et un vert partisan du OUI qu’une vingtaine de participants. Alors même que le 29 mai, quelques jours après, il y a eu un véritable raz de marée en faveur du NON dans ce même quartier du deuxième arrondissement.

Nous avons donc un premier paradoxe, une géographie électorale qui coïncide avec des zones traditionnelles d’influence politique et des appareils militants qui mobilisent faiblement. Expérience qui vient de se renouveler dans le conflit de la SNCM, si l’on compare la participation au meeting du 3 octobre de tous les leaders nationaux de la gauche devant le port et la manifestation du lendemain. C’est peu de dire que les leaders de la gauche n’avaient même pas fait le plein des marins en plein conflit et de leur famille, il n’y avait pas plus de 500 personnes pour écouter les orateurs pourtant installés devant les grilles du port, alors que le lendemain plus de 100.000 personnes défilaient dans les rues derrière le port en lutte, avec l’approbation de toute la population. Il faut analyser cela si l’on veut recréer des liens entre les forces politiques et ces couches populaires qui n’ont pas renoncé à un comportement "abstentionniste" au delà du 29 mai. Le problème reste entier et la question de la représentativité continue à être posée, il n’y a pas nécessairement désaveu mais absence de confiance dans une quelconque issue politique. Nul ne peut s’en réjouir et il faut partir pourtant d’un tel constat si l’on veut changer les choses... Non pour se flageller, non pour critiquer le peu qui peut être fait, mais pour bien mesurer ce qu’il reste à faire.

L’hypothèse sociologique concernant cette influence des forces politiques est que, si elle a existé le 29 mai, elle est demeurée marginale, les comités du NON n’ont pas touché en profondeur la population marseillaise, celle-ci s’est mobilisée sur d’autres bases. Lesquelles ? La première est celle des collectifs de travail, le rôle de la CGT a été important en particulier dans les entreprises où elle est forte et organisée comme dans les grandes administrations type la sécurité sociale ou le port. La campagne à la base a parfois coïncidé avec celle des leaders de la gauche comme avec la circulaire Bolkenstein, mais en général il y a eu d’importantes distorsions, l’exemple type étant la manière dont aucun leader du NON n’a porté la question pourtant essentielle de la montée du coût de la vie avec l’euro.

Mais il n’y a pas que les thèmes, le public n’était pas souvent aux rendez-vous et c’est encore le cas aujourd’hui.

Donc il y a eu des circuits de mobilisation, les collectifs de travail et sans doute les familles. Il y a eu partout de véritables discussions politiques sur le référendum dans des sociabilités non organisées, famille, voisinage... Tous les indicateurs vont dans le même sens, les militants les plus actifs et organisés des forces de gauche souffrent de la même difficulté d’implantation dans les couches populaires qu’une organisation comme ATTAC. En revanche, à Marseille du moins, on a assisté à la multiplication de micros débats spontanés entre des familiers ou des inconnus. Et cela se poursuit... Une effervescence au quotidien qui ne se traduit pas par un surcroît de présence aux débats politiques, ni semble-t-il un "plus" organisationnel. Il faut nuancer là encore parce que le cas Netslé est là pour le prouver, il y a eu des entreprises généralement menacées soit de privatisation (la compagnie des tramways) ou de fermeture, autour desquelles et dans lesquelles les activités militantes ont connu un regain de vigueur.

Aujourd’hui la rue est restée politique et l’exaspération y est palpable, alors même que les débats n’attirent pas un public correspondant. Il y a bien sûr beaucoup d’ignorance, nul ne prévient les gens de l’existence d’une réunion et ils lisent de moins moins les journaux. En revanche dans le métro chacun est penché sur son journal gratuit. Quand on doit faire des économies, la lecture est la première sacrifiée. Et comme il n’y a plus de militant pour prévenir les gens du quartier, de l’entreprise.... Mais Marseille parle, parle... Dans les bars, dans les transports en commun, des conversations s’instaurent pour dénoncer la situation, l’irritation est générale et il fréquent d’entendre dire que "nous sommes à la veille d’une Révolution... ou plus modestement de mai 68..." Où encore face à l’extension de la grève des bus le 5 octobre, ils secouent la tête, "C’est triste mais Marseille est foutu... "Ils" veulent la tuer !" La frontière entre la légalité et l’illégalité dans le port marseillais a toujours été mouvante, mais elle est s’efface aisément (encore plus en Corse) quand l’Etat donne l’exemple de l’abandon de sa maîtrise sur un territoire comme dans le conflit de la SNCM. Il y a une crise dans laquelle on exige qu’une part grandissante de la population s’ajuste à la baisse, dans la douleur, sans filet de sécurité. [2]

Une mobilisation comme celle contre les horodateurs traduit assez bien cela. Depuis des mois, elle ne se relâche pas et ce dans divers quartiers de la ville. Non seulement le rejet donne lieu à des manifestations appelées par des affichettes dans les vitrines des commerçants mais un nouveau seuil a été franchi avec le sabotage par les habitants des horodateurs qu’a tenté d’installer la mairie. Cette dernière a du "reculer" à sa manière : on ne parlerait plus des horodateurs tant qu’il n’y aurait pas des parkings. Les élus de gauche se sont félicités de cette "victoire", mais il n’y a qu’eux. La population a fait ses comptes, les parkings en question reviendront plus chers que les horodateurs. Ce "recul" va dans le même sens que tout ce qui se fait à Marseille en ce moment : il s’agit de rendre impossible aux Marseillais dont les salaires moyens sont modestes la possibilité de continuer à résider dans leurs villes, dans leurs quartier. Le phénomène des horodateurs et la mobilisation populaire qui ne faiblit pas autour de cette installation témoigne là encore d’une sociabilité rebelle, exaspérée, large, quasiment individualiste face à laquelle les organisations politiques manifestent une certaine impuissance.

Le référendum a permis d’exprimer tout cela. Les abstentionnistes se sont mobilisés sur cette base, le thème cher aux "nonistes" de gauche expliquant qu’il fallait dire NON à la Constitution pour dire OUI à l’Europe ne les a pas atteint. C’était plus simple et plus complexe à la fois. Il fallait entendre ce qui se disait : "ce n’est pas de la politique, c’est de notre vie et de celle de nos enfants qu’il s’agit !" Il est tout de même extraordinaire que l’on en soit arrivé à ce que les enjeux essentiels soient ainsi dissociés dans les couches populaires de ce qui relève du "politique", les partis, les jeux de pouvoir.

On peut émettre l’hypothèse que plusieurs faits ont concouru à une telle dissociation entre l’essentiel, la vie, et la politique devenue un jeu pour intiés. Il y a l’expérience d’une gauche et d’une droite qui arrivées au pouvoir mènent la même politique. Il y a aussi l’image médiatique des jeux politiciens, des rivalités de personne à l’intérieur des appareils. Mais il y a pour conforter tout cela, un phénomène spécifique des partis de gauche et singulièrement du PCF. Le PS a complètement transformé son personnel dirigeant, rompu avec le monde ouvrier et employé et promu un appareil technocratique. Le PCF, sans aller aussi loin dans l’évolution, a détruit ses organisations de proximité où une monde ouvrier et employé pouvait s’exprimer et ce au profit des sections qui n’en finissent pas de se regrouper et se vident des militants. Un peuple qui proteste et des partis de gauche en proie à la désertification. Chacun espère ou craint (la direction du PS) que les comités du NON puisse recréer ces organisations de proximité, ce contact avec les couches populaires, mais tels qu’ils sont ils en sont loin. Donc la première urgence, si cela est encore possible, serait non de multiplier les forums, mais bien de réfléchir à reconstruire un tissu social de proximité qui corresponde à cette effervescence populaire et ne soit pas un doublon des comités d’ATTAC.

Cela passe par un certain nombre d’orientations, en particulier du fait qu’il ne s’agit pas de constituer des dossiers d’analyse mais bien d’élaborer des analyses qui favorisent l’action, l’intervention des populations qui vivent une insupportable agression. Toute la réflexion des forces de gauche si l’on veut trouver une issue doit être orientée sur "Comment favoriser l’intervention populaire", moins de dossiers et plus de propositions concrètes autour desquelles se rassembler. Un programme politique doit lui-même être orienté en ce sens : voilà ce que nous voulons précisément, ce sur quoi nous ne céderons pas quoi qu’il arrive. C’est à ce prix que la question de la recomposition de la gauche, celle des échéances aura un sens.

En outre, on pourrait reprendre la phrase d’Archimède : "donnez-moi un levier et un point d’appui et je soulève le monde". Le levier aujourd’hui c’est le caractère insupportable de l’agression subie par les couches populaires mais pas seulement , c’est le salariat dans sa masse qui est atteint [3] . Quel est le point d’appui, la conscience qui est possible de changer les choses. Il est clair que depuis le début des années quatre-vingt il n’y a plus eu de conquête sociale, que des échecs. Le NON à la Constitution a été un "séisme" parce que c’est la première "victoire". La Constitution a été abolie, il ne faut pas minimiser cette victoire en disant par exemple que le gouvernement fait comme s’il ne c’était rien passé. Cela renvoie à l’analyse fausse du PS au lendemain de la victoire du NON qui aurait été un vote sanction contre le gouvernement français. Les Français ont obtenu ce qu’ils voulaient en repoussant cette constitution. Maintenant il s’agit de poursuivre dans la même voie, en mettant en pièce la politique néo-libérale. Le 29 mai est une étape pas un coup d’épée dans l’eau. Enfin dans ces temps de mondialisation où l’on explique que tout est de la faute des salaires chinois ou des peuples du Tiers monde qui nous envahissent, où on tente de nous impliquer dans une gestion paranoïaque de la planète et de notre propre pays, il faut montrer au peuple français que sa volonté de résistance n’est pas isolée, partout en Europe, mais aussi sur la planète les peuples luttent contre le même ordre injuste. Nous ne sommes pas en concurrence comme ils voudraient nous le faire croire... [4]

Danielle Bleitrach, sociologue.


Danielle Bleitrach vient de publier avec Maxime Vivas et Viktor Dedaj Les États-Unis DE MAL EMPIRE - Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud, Aden.


Il y a beaucoup de leçons à tirer de la bataille marseillaise ! par Danielle Bleitrach.

Marseille résiste, par Danielle Bleitrach.


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[1Un jeune homme m’expliquait ainsi sa vision du devenir de Marseille : "on va offrir logements, cadre de vie aux retraités aisés de toute l’Europe, et pendant ce temps les emplois qui nous seront offerts à nous les jeunes seront essentiellement des emplois précarisés, sous payés pour assurer "le confort" de ces retraités aisé, mieux nous leur payerons leur retraite alors que les nôtres seront démantelées." Choquée par ce conflit intergénérationnel, je lui ai rétorqué qu’il n’avait qu’à se battre comme nous nous étions battus et que son discours accompagnait le néo-libéralisme du pouvoir, comme d’ailleurs leur inertie politique favorisait ce même pouvoir. Ce jeune homme aussitôt a précisé : "votre génération n’a rien conquis du tout, ce sont vos parents, ceux qui ont fait la résistance. Vous, vous nous avez bassiné avec mai 68 et vos barricades mais vous avez tout perdu, vous n’avez été que des enfant gâtés". Il me semble que le constat fait de la crise de la représentativité des forces politiques de gauche par rapport aux milieux populaires a encore une dimension aggravée si l’on considère les jeunes, non seulement de ces couches populaires mais mêmes ceux issus des couches moyennes qui sont entrés dans des processus de déclassement par rapport à leurs parents.

[2Si Marseille n’est pas la Corse où les ruptures avec la légalité comme le détournement d’un bateau sont saluées par une population qui n’est pas pourtant majoritairement indépendantiste, une sorte d’indulgence flotte dans l’air pour celui qu’on oblige à sortir du "droit chemin". Aujourd’hui cela va plus loin, quant un élu municipal parle d’arrêter les "vandales" qui sabotent les horodateurs, il se heurte à un front hostile où chacun s’estime prêt à en faire autant. On pense au phénomène paysan qui a précédé pendant un siècle la Révolution française, le vol du bois mort. Aucune loi, aucun châtiment n’a pu empêcher les paysans d’aller voler ce bois mort dans les forêts seigneuriales. Quand l’injustice apparait inscrite dans la loi, quand le pouvoir bascule totalement dans l’illégalité morale, le refus quotidien et obstiné de la loi est une réponse pré-révolutionnaire, le terreau... A Marseille, face à l’agression multiforme, il y a incontestablement un rejet plus ou moins conscient de la légalité. Le phénomène est local, mais il a une dimension planétaire, quand les Etats-Unis peuvent envahir un pays souverain, quand la France peut imposer à l’Afrique les dirigeants qu’elle a choisi, et quand un individu comme Soros peut mobiliser une armée de juristes pour violer les protections nationales et couler une économie, le tout sous couvert d’une légalité dont ils sont maîtres de la définition et que tout cela se confond avec la démocratie, que signifie le droit sinon la possibilité de substituer les intérêts privés d’une poignée à l’intérêt général.Dans le conflit de la SNCM, le fait que le repreneur appartienne à un sérail proche du premier ministre, qu’il lui soit donné à perte tout le patrimoine de la compagnie pèse lourd. Autant que la conscience aigüe qu’il y a là un "naufrageur" aux liens suspects,à qui l’on confie le soin d’en finir avec un service public essentiel, de le transformer en pavillon de complaisance recrutant des travailleurs sous payés et sans statut.

[3Non seulement le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés est atteint (les cadres, et les diplômés compris), mais il faut bien mesurer qu’à travers les enfants, la jeunesse c’est la possibilité d’une mobilité ascendante, les difficultés des jeunes générations qui pèsent sur les familles.

[4Une telle compréhension est indispensable non seulement pour lutter contre le sentiment de fatalité qu’impose l’idée que les processus venus de l’étranger nous échappent, mais elle est essentielle pour affronter les dangers de fascisation d’une révolte sans issue politique. Enfin comme beaucoup de jeunes les plus en difficulté sont issus de l’immigration, la nécessité d’une autre compréhension de la planète s’impose. CF. notre livre :Danielle Bleitrach, Viktor Dedaj, Maxime Vivas, DE MAL EMPIRE, ces leçons de résistance qui nous viennent du sud. Aden éditeur. Septembre 2005. On pourrait résumer l’esprit de ce livre en une phrase : ils n’ont pas toutes les cartes en main, il est possible de faire autrement. Ne pas comprendre que dans un temps de mondialisation, la bataille doit être certes localisée, concrète, mais aussi bien mesurer l’ampleur du champ, fait partie des limites de la pensée politique de la gauche aujourd’hui et singulièrement des communistes, chez qui la chute de l’Union Soviétique a correspondu à une perte de repères, et à un repliement...


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