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Mon cher Edouard (de Rotschild).

"Lorsque les saucisses déconnent, c’est au charcutier qu’il faut se plaindre" - proverbe de mon crû.

Je me souviens d’un documentaire animal, où on voyait des lions qui venaient de tuer une gazelle. La gazelle venait de mettre bas et son petit, complètement perdu et désorienté, cherchait à se réfugier entre les seules pattes qu’elle trouvait, celles d’une lionne qui avait l’air de trouver ça très drôle...

Mon Cher Edouard (de Rothschild),

Je me suis permis de scruter l’organigramme de votre empire et j’avoue qu’il a fini par sortir de mon champ de vision. Je n’en ai finalement retenu que deux mots : "vaste" et "beaucoup". Mais le fait est que je voulais vous signaler que vous êtes propriétaire, tenez vous bien, d’un journal "de gauche" - non, ce n’est pas du Figaro dont je parle. Et oui, ce n’est que récemment que j’ai appris que vous étiez propriétaire d’un quotidien français appelé "Libération". Je ne sais pas si vous vous souvenez encore du jour où vous vous êtes permis cette petite fantaisie. Je plaisante, bien-sûr.

Si je vous écris, c’est pour vous faire part du mécontentement qui m’assaille quant au monsieur à qui vous avez confié la gestion dudit journal, un certain Serge July.

La stratégie de droitisation progressive du journal avait plutôt bien réussi jusqu’à présent, au point de nous avoir fabriqué toute une génération de réactionnaires de gauche. Pour cela, je n’ai pas à me plaindre et vous en félicite. Ah... cette façon qui n’appartient qu’à Libération de faire passer un article de quatre pages sur le Gay Pride pour un article hautement décalé et subversif, dans un pays où l’homophobie a pratiquement disparu, est un modèle du genre.

Et que dire de l’opération "faites mousser Florence Aubenas" ? Grosse ficelle, mais si bien tricotée.

Et cette récente première page sur un film hollywoodien (une première page sur un film, faut le faire !) qui dénonce le maccarthysme aux Etats-Unis ? Il y a 50 ans. Et qui nous raconte comment le héros du film (un journaliste !) sauve... quoi ? Ben, la Démocratie ! A lui tout seul ! Il y a 50 ans.

Le journaliste d’aujourd’hui, 50 ans plus tard, soupire à son bureau et se prend à rêver de confettis, défilés dans les rues de New York, fanfares... "Identification", "transfert", choisissez le terme qui vous convient, Freud en aurait eu une érection rien qu’à l’idée d’étudier le cas.

J’ai aussi beaucoup aimé les articles sur les prisons clandestines US à travers le monde. On aurait dit que Libération venait de révéler l’affaire. A voir le nombre de lecteurs de Libération qui parlait des "révélations de Libération", c’est ce qu’on appelle, en termes de relations publiques, une réussite. Qui aurait pu deviner que l’information était connue et étayée depuis plus d’un an déjà par de vrais journalistes, indépendants, sur Internet ? Bof, à part quelques excités. Encore Bravo.

Cette façon de cacher l’info jusqu’au dernier moment puis d’aller le chercher lorsque la pression de la base devient trop forte, n’en distiller qu’une partie, le minimum, tout en pillant le travail bénévole des journalistes internautes citoyens (sans les citer, évidemment) c’est vraiment du beau travail.

Et toujours ces purs joyaux : les citations tronquées et sorties du contexte.

Et c’est ainsi qu’au final, le lecteur moyen de Libération, apeuré à l’idée de perdre le pluralisme de l’information qu’il croit encore vivant, se planque entre les pattes de Serge July et de notre ami Edouard. Le syndrome de Stockholm appliqué à l’information.

Jusqu’ici donc, un parcours pratiquement sans faute. Mais je crains pour l’avenir du projet. En effet, votre champion, Serge, a tendance à baisser la garde et se laisser aller à quelques excès qui finiront par mettre la puce à l’oreille des lecteurs. Après les insultes proférées contre les électeurs du "non" au référendum, et pour ne prendre qu’un exemple, les récentes photos de lui dans les bras de Sarkozy qui ont circulé sur Internet n’ont pas eu un effet très positif. Mais, et cela me fend le cour de vous le dire, Edouard, il y a pire encore. Je veux vous parler de Chavez.

Si je ne comprends que trop bien votre détermination à traîner Chavez dans la boue (détermination démontrée depuis longtemps déjà à travers moult articles hyper-tendancieux) il faut vraiment faire attention à la méthode employée. Certes, toutes les tentatives précédentes ont lamentablement échoué, et il ne restait plus grand chose, j’en conviens. Mais là , on a senti du flottement, et ça c’est pas bon.

Votre article sur "l’antisémitisme" de Chavez [1] n’était pas mauvais en soi : extraits tronqués, "décontextualisation" totale, relais étranger et "insoupçonnable" (Centre Wiesenthal). [2] Autant d’éléments qui ont fonctionné à merveille depuis des années en ce qui concerne Cuba, par exemple.

Première erreur, vous avez esquissé un droit de réponse lorsque les internautes ont dévoilé la tricherie. Qu’est-ce qui vous a pris ? Un moment de panique devant la tollé ?

Et c’est là que vous avez commis la deuxième erreur : vous avez appliqué la même technique (tronquer et "décontextualiser") au droit de réponse ! Vous avez ainsi démontré qu’il ne s’agissait pas d’un accident, mais bien d’une habitude de travail. [3]

Heureusement que tous les lecteurs de Libération ne l’ont pas remarqué.

Je vous en prie : ne commettez surtout pas l’erreur de présenter vos excuses à Chavez, encore moins aux lecteurs. Prenez exemple sur vos aînés, la rédaction du quotidien Le Monde : jamais de véritable droit de réponse, jamais reconnaître ses erreurs. Même pour l’affaire bidon du RER de Paris, rappelez-vous comment ils ont titré "Affaire du RER, comment la République s’est emballée" [4]. C’est y pas beau ? La faute à la République. Ils sont très forts au Monde. Surtout pour tout ce qui concerne le dénigrement des mouvements en lutte à travers le monde. On se souviendra encore avec émotion des articles historiques sur l’Amérique latine de Marcel Niedergang, ou de Bertrand de la Grange contre les Sandinistes au Nicaragua, ou contre le sous-commandant Marcos. [5] Je pourrais passer des heures à débiter leurs crapuleries. Mais à quoi bon, 40.000 morts plus tard ?

Ainsi la rédaction de Libération devrait peut-être chercher conseil auprès de celle du quotidien Le Monde, très spécialisée dans le dénigrement de tout mouvement - révolutionnaire ou pas - qui s’oppose concrètement à l’Empire. C’est avant tout une question de "rythme", comme pour une danse :

1er temps, afficher une "sympathie" compréhensive pour ces "justiciers".

2eme temps, distiller avec nonchalance les "accusations" du Département d’Etat du gouvernement des Etats-Unis. Faire silence, ou tourner en dérision, les opérations de déstabilisation.

3eme temps, trouver quelques acteurs sociaux aux titres ronflants (universitaire, chercheur, et l’incontournable "journaliste" - on n’est jamais si bien servi que par soi-même), pour étayer - presque à regret - les « accusations » du Département d’Etat du gouvernement des Etats-Unis.

4eme temps, attendre les mesures d’autodéfense contre les opérations de déstabilisation et les présenter comme des « dérives » qui viendront comme par hasard étayer - à posteriori - les « accusations » déjà lancées au deuxième temps.

5eme temps, si les mesures d’autodéfense se font attendre, ou ne sont pas assez spectaculaires, trouvez autre chose. "Bombe atomique", "arme de destruction massive" sont des valeurs sûres mais difficiles à manier. "Antisémitisme" c’est pas mal, ça ne mange pas de pain, et ça fait démarrer tout le monde au quart de tour.

Oui, Edouard de Rothschild, je sais que les gens sont naïfs. Vous, comme moi, le savons parfaitement. Tenez, si j’étais un dirigeant révolutionnaire et un adepte de la théologie de la libération (celle qui présente le Christ comme victime de l’Empire Romain, ces impérialistes de l’époque), et que je vous disais...

"Le monde dispose d’assez de richesse pour tous, donc, mais dans les faits des minorités, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux qui jetèrent Bolivar hors d’ici et le crucifièrent aussi à leur manière à Santa Marta en Colombie. Une minorité s’est appropriée les richesses du monde [...] ",

...à qui penseriez vous ? Et oui, vous penseriez que je suis en train de parler de vous-même et de vos amis politiques, évidemment.

Et il n’y aurait qu’un imbécile ou un antisémite, donc un imbécile, pour comprendre autre chose.

Viktor Dedaj
« c’est pourtant clair »

[1Libération : Le credo antisémite de Hugo Chávez www.liberation.fr/page.php ?Article=349907.

[2Le journalisme d’imputation : Chávez accusé d’antisémitisme www.acrimed.org/article2241.html.

[3op.cit.

[4Les nouveaux emballages, par Viktor Dedaj www.legrandsoir.info/article.php3 ?id_article=1694 RER D - 13. Médias culpa (3) : Il faut de tout pour faire Le Monde - ACRIMED www.acrimed.org/article1738.html.

[5Bertrand de La Grange, un journaliste en croisade, par Cécile Dumont.
http://pauillac.inria.fr/ maranget/volcans/09.96/journaliste.html.


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