Algeriepatriotique : Vous avez récemment envoyé une lettre ouverte à votre ami le président Nicolas Maduro, rendue publique dans la presse, où vous mentionnez la nécessité de prendre les armes si nécessaire pour combattre le plan occidental qui vise à recoloniser le monde. Croyez-vous en la nécessité d’une résistance globale à l’impérialisme et au néo-colonialisme qui intensifient leur agression ?
Andre Vltchek : L’impérialisme ne disparaît jamais volontairement et il ne laisse jamais en paix. Tout au long de ces siècles, les gens ont dû lutter pour leur liberté et pour une véritable indépendance. Ils ont dû se battre. La même chose se passe maintenant envers les pays qui ne veulent pas se soumettre à la terreur et au contrôle du monde occidental, des pays debout et fiers, défendant leur patrie au péril de leur existence : le Venezuela et Cuba, l’Equateur et la Bolivie, la Chine et la Russie, l’Iran et l’Erythrée, le Zimbabwe et beaucoup d’autres, sur tous les continents.
En tant qu’intervenant dont l’expérience est internationalement reconnue et qui est invité dans les plus prestigieuses universités du monde, pensez-vous que l’Occident est destiné à continuer sa politique d’incendier la planète ? Le fait-il, comme il l’affirme par exemple en Ukraine et au Venezuela, pour propager les valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme ou seulement pour ses propres intérêts économiques ?
Je n’ai absolument aucun doute que l’Occident est prêt, comme vous dites, à « incendier la planète » et à la réduire en cendres, si celle-ci résiste à ses plans de contrôle total et même si elle ne résiste pas. Le grand psychanalyste suisse Carl Gustav Young utilisait les termes « maladie » et « pathologie » pour décrire la culture occidentale. Elle a infligé des souffrances indicibles aux peuples du monde sur tous les continents. Les formes d’oppression varient, mais les résultats sont les mêmes : la peur, l’oppression, l’humiliation et un quasi-esclavage. Le christianisme a toujours été à l’avant-garde de la propagation de la terreur. En son nom, des centaines de millions, voire des milliards d’hommes, de femmes et d’enfants ont disparu, ont été violés et réduits en esclavage. Aucune autre religion ou idéologie que le christianisme n’a apporté de telles souffrances à la population de notre planète. Et si vous examinez de plus près, la terreur chrétienne – ses mécanismes de propagation de l’ignorance, le nihilisme, le pessimisme et la peur consécutive – est toujours mise en œuvre par les centres de pouvoir occidentaux, à travers la manière dont tant les USA que l’Union européenne gouvernent le monde. Les dogmes chrétiens ont causé de terribles dommages au monde : de l’obscurité de l’Inquisition catholique et du calvinisme protestant, où les prêtres et les prédicateurs sexuellement frustrés violaient et torturaient à mort toutes les femmes innocentes qu’ils désiraient, en les diabolisant pour les posséder (et les assassiner brutalement après, pour laver leur propre culpabilité... cette culpabilité chrétienne constante !), des Croisades menées pour piller et asservir le monde, jusqu’à aujourd’hui, avec cette propagande protestante qui est maintenant largement diffusée dans presque tous les médias de masse qui rayonnent dans et par l’Occident.
Dans votre livre coécrit avec Noam Chomsky, Sur le terrorisme occidental, vous décrivez une situation catastrophique. Pensez-vous que le terrorisme soit vital pour l’Occident ?
Oui, bien sûr qu’il l’est. Et il l’est depuis bien des siècles. C’est justement parce que l’Ouest a été si brutal et si militairement puissant qu’il a réussi à envahir et asservir presque toutes les parties de la planète pour ensuite écrire sa propre interprétation de l’histoire du monde, une histoire totalement tordue et qui présente la culture occidentale et le système politico-économique comme « démocratiques », « libres » et « humanistes ».
Pouvez-vous nous parler de votre article de presse « L’Occident fabrique des mouvements d’opposition » ? N’est-ce pas ce qui est en train de se passer au Venezuela, en Ukraine et auparavant en Syrie ?
Bien sûr que c’est ce qui se passe ! Je rentre juste d’Ukraine et j’ai travaillé à la frontière turco-syrienne, au Venezuela, au Bahreïn, à Cuba, au Zimbabwe, en Thaïlande, et presque partout où l’Occident sort de son chemin pour « fabriquer une opposition politique » contre les Etats et les régions du monde qui sont déterminés à défendre les intérêts de leur propre peuple. Tout cela parce que les pays en dehors de l’Europe, de l’Amérique du Nord ou encore l’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande s’attendent et sont en réalité conditionnés à se sacrifier pour les intérêts de ceux qui dirigent la planète. S’ils ne le font pas, ils sont battus, détruits, affaiblis, leurs rêves sont brisés et ils finissent dans quelque cachot physique ou psychologique. C’est comme un enfant élevé dans une famille très conservatrice et tyrannique pour « satisfaire » ses parents et les rendre « fiers ». Les parents peuvent être de quelconques personnages assoiffés d’argent, ayant subi un lavage de cerveau, de dangereux bandits et de faux prédicateurs, mais l’enfant est toujours prêt à mourir pour les servir. Si le père sourit, sa fille se sent fière, même si elle a sacrifié sa vie pour une totale idiotie, pour rien. C’est ce que les pays et les nations subordonnées sont censés ressentir. Ils sont traités comme des chiens, comme des esclaves, bien pire que ce que subissent les animaux à Londres ou à Paris – oui, bien pire –, mais ils acceptent pleinement leur sort et ne permettent même pas à une idée de rébellion de traverser leur esprit. Vous voyez, la « rébellion » dans des sociétés fascistes et d’oppression, est considérée comme « le mal ». Si l’enfant se rebelle dans une quelconque famille tyrannique, il reçoit une gifle. Si un pays se rebelle, il finit comme l’Indonésie après le coup d’Etat de 1965 parrainé par les Etats-Unis, ou comme la Syrie maintenant. Si l’enfant grandit à la fois dans une famille despotique et lobotomisée et dans un pays comme l’Indonésie, vous pouvez imaginer ce qu’il devient. Seul l’esclavage est accepté, considéré comme juste. C’est un système bien conçu qui répond uniquement aux besoins de ceux qui gouvernent le monde. C’est la raison pour laquelle ils soutiennent des régimes et des cultures despotiques. Cette façon maladive, folle, d’agencer le monde est heureusement en train de changer. Plusieurs nations se tiennent debout et gardent la tête haute en accusant leurs oppresseurs de terrorisme et en défendant les intérêts de leurs peuples. Cela se fait ouvertement. Hugo Chavez a critiqué le président Bush et la politique étrangère des Etats-Unis depuis la tribune de l’ONU. Beaucoup au Venezuela croient que l’Empire l’a assassiné. Pourtant, la révolution continue. Elle ne s’arrêtera pas. Nous ne permettrons pas qu’elle s’arrête ! En Ukraine, l’Occident a essayé de saisir les mines et les aciéries et a décidé de ne rien donner en retour. Le gouvernement centriste ukrainien a refusé de signer, ce qui a poussé l’Occident à déployer des fascistes, des extrémistes de droite et des voyous pour déstabiliser le pays, pour à la fin parrainer le coup d’Etat. La Crimée historiquement russe, et horrifiée de ce qui a été fait en Ukraine, a démocratiquement voté pour rejoindre la Russie, et la Russie l’a reprise tranquillement. Ensuite, la propagande occidentale a été déclenchée, et depuis lors le monde a été commandé pour discuter du « rapt de la Crimée par la Russie », pas du tout du putsch clair et évident exécuté par l’Occident ! Vous le voyez, seul ce qui convient à l’Occident est appelé démocratique. Même un référendum avec plus de 90% de la population qui exprime sa décision est illégitime, si Londres, Washington ou Paris le déclarent tel. Il en a été de même en Syrie. L’Occident a fabriqué la plupart de l’opposition locale. Heureusement, plusieurs d’entre nous ont tenu bon en présentant des faits clairs et l’opinion mondiale est en train de changer significativement. Bien sûr, nous avons travaillé jour et nuit pour avoir un impact. Espérons que cette fois, nous avons réussi, au moins dans une certaine mesure !
Edward Snowden a révélé les écoutes téléphoniques de la NSA à l’échelle mondiale. Pensez-vous que les Etats occidentaux peuvent encore prétendre être démocratiques et vouloir diffuser leur modèle autour du monde ?
Oui, Snowden, Assange, Perkins... Ils ont tous révélé ce qui est derrière la façade de la soi-disant démocratie occidentale. Malheureusement, la plupart des personnes vivant en Europe et en Amérique du Nord sont tellement lobotomisées, tellement endoctrinées, que même des faits évidents ne les incitent plus à bouger, du moins pas immédiatement. Pour les désintoxiquer, les désendoctriner, cela prendra du temps, ce sera un très long processus, bien que je croie que le processus a déjà commencé.
Vous avez travaillé dans plusieurs pays africains, notamment au Congo. Quel constat faites-vous du pillage qui sévit en Afrique ?
J’ai travaillé au Congo à plusieurs reprises, réalisant un film documentaire Rwanda Gambit (la Tactique du Rwanda, ndlr) qui montre comment l’Occident pille cette nation immense et potentiellement riche, laquelle est à présent dans le bas de l’échelle de toutes les statistiques internationales – y compris l’Index de Développement humain (HDI). La RDC a été détruite par deux nations africaines : le Rwanda et l’Ouganda – mais cela a été fait clairement et strictement pour le compte des intérêts géopolitiques et économiques occidentaux. Entre 6 et 10 millions de personnes sont mortes. Bien sûr le public européen et nord-américain ne sait rien, et il semble qu’il ne veuille rien savoir.
Notre pays, l’Algérie, est la cible potentielle de l’impérialisme et du néocolonialisme qui veulent s’approprier nos ressources naturelles, et dont certains de leurs agents sont déjà sur place. Comment pouvons-nous combattre l’ennemi intérieur, surtout s’il opte pour une politique d’entrisme déterminée qui touche toutes les sphères de décision ? Que pouvez-vous dire au peuple algérien dont la souveraineté territoriale est menacée avec ce qui se passe au Sahel et en Afrique en général ?
Je crois que pour combattre le néocolonialisme et l’impérialisme, il faut être bien conscient de ce qu’il apporte, quel est le danger qu’il représente. Il faut être capable de comparer, d’analyser. A Cuba et au Venezuela, les gens sont éduqués jour et nuit. Il y a des écoles et un enseignement gratuit, des livres subventionnés et des millions de livres gratuits, une radio et des chaînes de télévision éducatives, autant dans la culture générale que dans la culture engagée. La meilleure arme contre la propagande et l’obscurité est toujours la connaissance. La meilleure arme contre la haine ignorante est l’amour. On ne peut pas se battre pour son pays si on ne l’aime pas. On ne peut pas l’aimer si on ne le connaît pas et si on ne le comprend pas. On ne peut pas aimer efficacement notre planète et combattre pour la défendre, si l’on ne voit pas clairement où elle se dirige et comment elle tourne. En conséquence, aucun appareil d’Etat, aucune force de défense vigilante ne peuvent être efficaces, si la population elle-même n’est pas éduquée, enthousiaste et déterminée à construire une société meilleure, un monde meilleur. Seule une nation optimiste, de bonne volonté, décente et bien éduquée peut vaincre l’agression, le despotisme et le mal. Car en fin de compte, c’est toujours l’amour, la connaissance et la bonté, trois muses qui conduisent de grandes nations à ces batailles épiques pour une vie meilleure, pour des lendemains sans peur, et pour la survie de notre belle planète !
Interview réalisé par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Andre Vltchek ?
Né à Leningrad en 1963, Andre Vltchek est romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il a couvert des guerres et des conflits dans des dizaines de pays. Depuis les années 1980, il a travaillé comme correspondant de guerre et photographe dans une douzaine de zones de guerre : Bosnie, Pérou, Sri Lanka, RDC et Timor oriental, etc. Il est l’auteur d’un ouvrage coécrit avec Noam Chomsky On Western Terrorism, et son roman politique Point of No Return a été acclamé par la critique. Son livre Oceania traite de l’impérialisme occidental dans le Sud Pacifique. Il a aussi critiqué l’Indonésie post-Suharto et le modèle de marché fondamentaliste dans Indonesia - The Archipelago of Fear. En 2004, il a réalisé un long métrage sur les massacres indonésiens de 1965, intitulé Terlena : Breaking of The Nation. Il vient de terminer le documentaire Rwanda Gambit qui développe l’histoire du Rwanda et le pillage de la RDC. D’autres documentaires sont à son actif, comme Tumaini sur le sida au Kenya, One Fiew Over Dadaab, décrivant les camps de réfugiés somaliens dans le nord du Kenya, Chili Between Two Earthquakes. Il est aussi producteur indépendant de Telesur. Après avoir vécu plusieurs années en Amérique latine et en Océanie, Andre Vltchek réside et travaille à présent en Asie et en Afrique. Il tient un blog consultable sur ce lien : http://andrevltchek.weebly.com/