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La spirale de l’histoire et les rendez-vous manqués.

illustration : "Still Waiting", Mary Brooks-Mueller

La démocratie participative en Amérique Latine plonge ses racines dans la soif de dignité et d’égalité qui poussa des esclaves à rejoindre les armées émancipatrices de Bolivar, de Sucre, de Morazan. Ce n’est donc pas une mode postmoderne mais le retour de la modernité, ou si on préfère, de l’Histoire. Comment reprendre aujourd’hui les rêves de liberté, d’une seconde indépendance avortée lorsque l’empire espagnol fut relayé par des oligarchies locales alliées d’un autre Empire ? Ce besoin d’égalité politique des "pardos, morenos, negros..." dont Simon Rodriguez, le philosophe-professeur de Simon Bolivar, revendiquait déjà l’inclusion scolaire, devient une demande de participation et de droits économiques et sociaux.

Pourquoi un peuple hier désuni comme celui du Honduras s’est-il mis en mouvement après le notre, le bolivien, l’équatorien ? L’indigène hondurien que manipula au 19ème siècle un clergé terrien pour le lancer, comme chair à canon, contre le projet d’unité centramericaine incarnée par le libéral Morazan, est aujourd’hui entré en résistance au coup d’Etat, loin des pools journalistiques. Ce sont des gens pauvres qui dorment dans la rue, qui ont à peine de quoi se nourrir, qui se mobilisent pour recevoir "leur" président Zelaya, et revendiquer une nouvelle constitution. Le problème pour l’Empire est que même en assassinant Chavez, Correa, Morales ou Zelaya, le génie refuserait de rentrer dans sa bouteille. Quelle force dans ces mains nues ! Ce n’est pas par la médiation de la gauche, mais par ces mouvements à la fois sociaux et nationalistes qu’avance cette démocratie participative en Amérique Latine. Qu’on peut baptiser, comme l’a fait un jour Chavez, "démocratie révolutionnaire". Pourquoi ? Parce que les deux termes sont conséquence mutuelle. Les visages bruns qui ont envahi la rue, les mains brunes des électeurs, veulent remettre l’Etat sur ses pieds. Celui-ci à son tour réalise le besoin républicain d’une élévation du sens critique, de l’éducation et de la culture comme outils d’émancipation. Le remake tardif de la National Security (bases militaires US en Colombie, coup d’Etat au Honduras) renforce ce mouvement qu’elle prétend détruire. L’Opération Condor a presque anéanti une génération révolutionnaire. Il lui faudrait aujourd’hui liquider les peuples eux-mêmes.

Que sont deux siècles au regard de cette ascension collective initiée par Bolivar, et les résistances indigènes ou afroamericaines ? Un battement d’aile. Au Venezuela en 2009, la démocratie participative atteint son niveau idéal, celui de la commune, dépassant le localisme participatif des conseils communaux, débattant, élaborant des solutions en commun, à une échelle plus efficace. Alors que la plupart des gouvernements ont tablé sur l’austérité comme réponse à la crise mondiale du capitalisme, le gouvernement bolivarien au contraire multiplie les budgets sociaux pour concrétiser des projets conçus par les habitants. De nombreux problèmes nouveaux se posent : comment réaliser de nouvelles relations de pouvoir, en sachant que l’homme est mauvais par nature ? Qu’il aime le pouvoir, l’argent et qu’au Venezuela comme ailleurs reste largement dominante la culture capitaliste ? Une révolution qui ne se fixe pas comme stratégie la création de son imaginaire se condamne à perdre la bataille des idées et à se faire balayer par l’idéologie dominante.

Il y a dix ans la gauche altermondialiste vantait l’expérience du budget participatif de Porto Alegre (Bresil). Aujourd’hui au Venezuela ce sont des dizaines de milliers de Porto Alegre, ou la participation citoyenne déborde le simple examen du budget. C’est alors qu’en France, on "se méfie", on parle "d’autoritarisme". Alors que la démocratie a plus avancé ici que partout ailleurs. Alors que la population participe de plus en plus, la méfiance domine.

Il y a deux raisons à ce découplage, à cet abîme croissant. La première, c’est qu’une révolution sera fêtée et mise en images tant qu’elle restera locale, donc relativement inoffensive, et prolongera sans frais la liberté ontologique des pistes cyclables à Paris (voir la mode que fut le zapatisme). Que la révolution se réalise à l’échelle d’un pays, qu’elle transforme en profondeur les structures sociales, économiques, voici qu’aussitôt l’inconscient se réveille. "Attention danger". L’Occident sent, il n’a pas tout à fait tort d’ailleurs, que sa domination est menacée. La raison la plus progressiste cède doucement à l’instinct de conservation sous le couvert d’une critique "de gauche" qui permet de s’éloigner d’abord, puis de se retourner contre ces processus au nom de la liberté. L’autre raison tient, mais c’est la même chose au fond, au lavage de cerveau médiatique, qui s’appuie sur cette peur de l’autre. Les médias, acteurs de la globalisation, doivent à tout prix faire de ces révolutions des totalitarismes. Même et surtout a gauche la désinformation quotidienne de France-Inter, Libé, TF1, etc.. qui tètent au même pis (Reuters, AFP, AP..) a fini par sédimenter jusqu’au point de non-retour des catégories obligées ("pour ou contre Chavez", "dérive autoritaire ou pas", "base contre bureaucratie", "Chavez-Iran", etc...) entraînant une "critique pavlovienne" pétrie de bonnes intentions mais finalement non pertinente pour 90 % des vénézuéliens et des latinoamericains. Alors que la plupart des européens sont tombés dans le piége de la personnalisation médiatique sur Chavez, ce fou, ce clown, cet ex-putschiste, cet antisémite, cette menace militaire, ce populiste, ce fils de Castro, cet ami de Ahmadinejad, ce pouvoir éternel, etc..., les citoyens votent pour son programme socialiste (quinze suffrages validés par les observateurs internationaux) et les sondages privés confirment que sa popularité croît en fonction des avancées démocratiques et sociales. Comment une critique pertinente pourrait-elle s’opérer sérieusement à quinze mille kilomètres des millions d’acteurs populaires, qui n’écrivent pas sur Internet mais pensent différemment ? Que dirait-on d’un vénézuélien jugeant la société française à distance et par procuration médiatique ?

Ceci nous amène à parler de la relation entre démocratie participative et médias. Il est politiquement significatif que la gauche en Europe reste incapable de formuler un projet aussi essentiel pour la démocratie que la démocratisation de la communication, alors que plusieurs pays d’Amérique Latine - Venezuela, Equateur, Bolivie, Brésil, Uruguay, etc... légifèrent déjà en ce sens. Pourquoi la gauche européenne reste-t-elle muette face au problème du "latifundio" médiatique ? Au Venezuela, grâce à la révolution, ont déjà pu naître légalement 500 médias associatifs, gérés par les habitants, libres de leur parole. Le reste du continent emboîte le pas et avance peu à peu dans la démocratisation d’un spectre radioélectrique vendu hier par les gouvernements néolibéraux à des entreprises privées qu’on appelle "médias". On a dans le même temps assisté à la disparition des fréquences associatives en France, où les Bouygues entrent en force, grâce au numérique, dans le "local". Toute avancée démocratique en Amérique Latine est logiquement transmise par ces mêmes médias comme une atteinte à la liberté d’expression. Comment les grandes entreprises accepteraient-elles de partager les ondes avec le service public ou le tiers-secteur audiovisuel ? En France la population croit que Chavez a fermé RCTV, chaîne privée et pro-putschiste, alors que son public continue à la regarder sur le câble et par satellite. Il s’agissait en fait de la fin légale de ses vingt ans de concession publique et de la libération de sa fréquence en faveur d’une nouvelle chaîne de service public.

Une démocratie participative (et soit dit en passant l’existence d’une gauche digne de ce nom) a-t-elle un avenir en dehors de la démocratisation générale et radicale du droit de communiquer ? Comment expliquer qu’aucun parti ne le propose ? Comment parler de démocratie ou de république la ou (comme en France) le spectre radioélectrique reste monopolisé par de grands groupes économiques ? Comme l’eau, l’air ou la terre, les ondes hertziennes de la radio et de la télévision sont un patrimoine public et la constitution d’une démocratie participative en rupture avec la société de marché signifie évidemment l’octroi direct aux citoyen(ne)s des moyens concrets d’exercer une communication libre, critique, souveraine, la seule qui selon le mot de Sartre permettra "au peuple de communiquer avec le peuple". On pourra pendant mille ans, jour après jour, critiquer l’image grimaçante que les médias donnent des mouvements sociaux, des conflits du travail, des révolutions ou rebellions du Sud. Mais comment desserrer l’étau tant que les ondes resteront la propriété privée d’une élite transnationale ? Le déclin de la gauche en Europe et le refus de comprendre l’Amérique Latine sont donc les deux faces du même mouvement historique.

Thierry Deronne

Caracas, 29 juillet 2009

Vicepresidencia de Formación Integral
Televisión Publica VIVE , Biblioteca Nacional, Piso 4
Avenida Panteón , Caracas , República Bolivariana de Venezuela
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URL de cet article 8943
   
Eric Hazan. Changement de propriétaire. La guerre civile continue. Le Seuil, 2007
Bernard GENSANE
Très incisif et très complet livre du directeur des éditions La Fabrique (qui publie Rancière, Depardon, Benjamin etc.), ce texte n’est pas près de perdre de son actualité. Tout y est sur les conséquences extrêmement néfastes de l’élection de Sarkozy. Je me contenterai d’en citer le sombrement lucide incipit, et l’excipit qui force l’espoir. « Dimanche 6 mai 2007. Au bureau de vote, la cabine dont on tire les rideaux derrière soi pour mettre son bulletin dans l’enveloppe s’appelle un (…)
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"L’un des grands arguments de la guerre israélienne de l’information consiste à demander pourquoi le monde entier s’émeut davantage du sort des Palestiniens que de celui des Tchétchènes ou des Algériens - insinuant par-là que la raison en serait un fonds incurable d’antisémitisme. Au-delà de ce qu’il y a d’odieux dans cette manière de nous ordonner de regarder ailleurs, on peut assez facilement répondre à cette question. On s’en émeut davantage (et ce n’est qu’un supplément d’indignation très relatif, d’ailleurs) parce que, avant que les Etats-Unis n’envahissent l’Irak, c’était le dernier conflit colonial de la planète - même si ce colonisateur-là a pour caractéristique particulière d’avoir sa métropole à un jet de pierre des territoires occupés -, et qu’il y a quelque chose d’insupportable dans le fait de voir des êtres humains subir encore l’arrogance coloniale. Parce que la Palestine est le front principal de cette guerre que l’Occident désoeuvré a choisi de déclarer au monde musulman pour ne pas s’ennuyer quand les Rouges n’ont plus voulu jouer. Parce que l’impunité dont jouit depuis des décennies l’occupant israélien, l’instrumentalisation du génocide pour oblitérer inexorablement les spoliations et les injustices subies par les Palestiniens, l’impression persistante qu’ils en sont victimes en tant qu’Arabes, nourrit un sentiment minant d’injustice."

Mona Chollet

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