3 février 2007.
Depuis l’élection de Hugo Chávez à la présidence de la République en 1998, Reporters sans frontières (RSF) a multiplié les attaques contre le gouvernement vénézuelien, l’accusant notamment de porter atteinte à la liberté de la presse. Pourtant, depuis 1999, près de 500 nouveaux organes de presse locaux et nationaux (journaux, radios et chaînes de télévision) ont vu le jour au Venezuela. Dernièrement, l’organisation parisienne s’est offusquée de la décision des autorités de ne pas renouveler la licence au groupe audiovisuel privé Radio Caracas Televisión (RCVT), qui expirera le 28 mai 2007. RSF a transformé ce choix tout à fait légal, car le spectre des ondes hertziennes appartient à l’Etat, en une « atteinte à la pluralité éditoriale [1] ».
RSF confesse qu’elle n’ignore pas « l’attitude de RCTV durant le coup d’Etat d’avril 2002 » qui n’avait pas « caché [son] soutien » au renversement de l’ordre constitutionnel. Mais, selon l’entité française, le fait ne pas renouveler la licence d’une chaîne qui a ouvertement participé à un coup d’Etat - qui a coûté la vie à de nombreuses personnes - constitue une violation de la liberté de la presse. Le fait de ne pas renouveler la licence d’une chaîne qui a également pris part de manière active au sabotage pétrolier de décembre 2002, en lançant des appels au blocage général de l’entreprise PDVSA, - ce qui a failli conduire le pays à la banqueroute - n’est pas une décision légitime, sage et indispensable mais une « grave atteinte au pluralisme des médias » qui doit être condamnée [2].
Dans une situation similaire, n’importe quel autre gouvernement du monde aurait immédiatement pris des mesures draconiennes contre RCTV. Le président Chávez, lui, a préféré patienter jusqu’à l’échéance légale de la concession malgré la pression populaire. En effet, cette décision avait suscité la réprobation générale de la part de la majorité des citoyens vénézueliens qui ne comprenaient pas pourquoi une chaîne de télévision putschiste était encore autorisée à fonctionner. En outre, il ne s’agit nullement d’un cas de censure comme l’affirme RSF puisque RCTV pourra toujours continuer à fonctionner par câble et par satellite sans aucun problème. Elle n’utilisera pas simplement la fréquence qui appartient à l’Etat.
L’organisation parisienne feint d’ignorer la réalité médiatique du Venezuela. Elle ose parler de « pluralité éditoriale » alors que RCTV, Globovisión, Venevisión et Televen - qui contrôle près de 90% du marché télévisuel et disposent donc d’un monopole médiatique indéniable - sont, selon RSF, « clairement situés dans l’opposition au gouvernement ». Cette exclusivité médiatique n’a évidemment jamais été dénoncée par RSF. Elle omet également de signaler que depuis l’accession de Hugo Chávez à la présidence, la principale activité de RCVT a consisté à diffuser de fausses informations au sujet de la politique du gouvernement et à inciter à l’altération de l’ordre constitutionnel, en se faisant le porte-parole des militaires insurgés prônant un coup de force [3].
Dans une lettre ouverte destinée au président Chávez, Robert Ménard, secrétaire général de RSF depuis plus de vingt ans, fait semblant d’ignorer les activités subversives et malveillantes de RCTV, sans aucun respect pour la déontologie journalistique. Pour RSF, diffuser de fausses informations, dénigrer constamment l’action du gouvernement, inciter la population à la désobéissance et à la violence, inviter régulièrement des généraux putschistes à déverser leur haine contre le président de la République n’est en rien condamnable car il s’agit simplement du rôle de « contre-pouvoir des médias ». Après tout, « l’exercice de l’autorité dans une démocratie s’expose par nature à la critique des médias [4] ».
Parfois, RSF, tellement obsédée par le fait de présenter le gouvernement bolivarien comme une menace pour la liberté de la presse, tombe dans l’absurde ne sachant plus quoi inventer. L’attribution de la publicité officielle, qui est une prérogative de l’Etat, devrait être confiée prochainement au Ministère de la Communication et de l’Information (MINCI). L’organisation parisienne s’inquiète de cette décision car « cette manne représente un gage de survie important pour un certain nombre de médias ». Il est fort probable - et logique - que le gouvernement ne financera pas les médias hostiles à son égard en signant des contrats publicitaires avec eux. Mais pour RSF, si le gouvernement refuse de faire appel à la presse privée pour sa publicité, il « porte atteinte aux médias et à leur indépendance [5] ».
Le 15 novembre 2006, RSF accusait également Numa Rojas, le maire de Maturàn, de censurer « quatre médias critiques à son égard ». Rojas, membre du parti du président Chávez, dont la politique est constamment dénigrée par deux journaux et deux radios, a tout simplement décidé qu’il ne ferait plus appel à eux pour diffuser la publicité de la municipalité. Les quotidiens La Prensa et El Periódico de Monagas ainsi que les radios à“rbita et 93.5 La Gran FM, tous affiliés à l’opposition, mènent depuis un certain temps une campagne acharnée à son égard. Pour RSF, « sanctionner financièrement [ces médias] en les privant de ressources publicitaires relève purement et simplement de la censure [6] ».
Dans son rapport 2006 sur la « liberté d’expression » à travers le monde, RSF accumule les accusations contre le Venezuela. « La loi sur la responsabilité sociale des médias et la réforme du code pénal, très restrictives en matière de liberté d’expression, sont autant d’incitations à la censure », affirme l’organisation parisienne, même si elle reconnaît que le gouvernement n’y a pas recouru. La loi en question adoptée le 7 décembre 2004 autorise la Commission nationale des télécommunications à suspendre les stations de radio et les chaînes de télévision qui « promeuvent, font l’apologie ou incitent à la guerre, à l’altération de l’ordre public et au délit [7] ».
Ainsi, pour RSF, interdire aux médias de lancer des appels à la guerre civile, au soulèvement armé, à l’assassinat du président de la République et des hauts dirigeants politiques ou à la violence, comme cela est le cas dans n’importe quel pays du monde, est une « incitation à la censure » au Venezuela. RSF remarque avec regret que « la législation semble cependant avoir eu un effet dissuasif sur les médias, quitte à priver la presse de son rôle de contre-pouvoir ». Que suggère RSF ? Autoriser les médias à lancer des appels à la haine, à la violence, à la subversion et à l’assassinat de Hugo Chávez au nom de la liberté d’expression [8] ?
RSF fustige également l’article 297A du code pénal qui prévoit des peines de deux à cinq ans d’emprisonnement pour la diffusion de fausses informations de nature à « semer la panique » par voie de presse. Pour RSF, les médias vénézuéliens ont évidemment le droit de semer le trouble au sein du pays, cela faisant partie de la « liberté d’expression ». De la même manière, RSF dénonce l’article 444 qui punit d’un à trois ans d’emprisonnement les propos pouvant « exposer autrui au mépris ou à la haine publique ». Pour RSF, au Venezuela, la presse doit avoir le droit d’inciter à la haine [9].
Enfin, RSF a également condamné le fait que des fonctionnaires de la Conatel aient « saisi le matériel émetteur de la station [Radio Alternativa 94.9 FM de Caracas] au motif que celle-ci n’avait pas l’autorisation d’émettre ». RSF reconnaît pourtant que « la fréquence avait, en effet, été attribuée à une autre station en septembre 2004 ». Ainsi, selon RSF, le fait que les autorités vénézueliennes fassent respecter la loi, comme cela se fait dans n’importe quel pays du monde (en France, aucune radio ne peut émettre sans autorisation officielle), constitue une « violation de la liberté de la presse [10] ».
RSF affirme être une organisation apolitique uniquement intéressée par la défense de la liberté de la presse. Elle déclare que son rôle n’est pas de s’immiscer dans les affaires internes du Venezuela. Mais la réalité est bien différente. RSF n’a jamais condamné la participation des médias privés dans la rupture constitutionnelle de 2002, se bornant seulement à reconnaître que « certains patrons de presse sont allés jusqu’à cautionner le coup d’Etat [11] ».
En réalité, plus de 90% de la presse privée dont les quatre principales chaînes de télévision avaient ouvertement et activement soutenu la junte putschiste. Les principaux directeurs des médias privés s’étaient même réunis avec le dictateur de 47 heures, Pedro Carmona Estanga, le 13 avril 2002, pour recevoir les directives. Pour RSF, la participation au coup de force de la part des médias ne constituait pas un crime monstrueux. Il s’agit simplement d’« un manquement aux règles élémentaires de déontologie », rien de plus. Dans son rapport annuel de 2003, à aucun moment RSF ne condamne le rôle des médias dans le renversement du président Chávez [12].
Pis encore, le 12 avril 2002, RSF avait publié un article reprenant sans aucune réserve la version des putschistes et avait essayé de convaincre l’opinion publique internationale que Chávez avait démissionné :
« Reclus dans le palais présidentiel, Hugo Chávez a signé sa démission dans la nuit, sous la pression de l’armée. Il a ensuite été conduit au fort de Tiuna, la principale base militaire de Caracas, où il est détenu. Immédiatement après, Pedro Carmona, le président de Fedecámaras, a annoncé qu’il dirigerait un nouveau gouvernement de transition. Il a affirmé que son nom faisait l’objet d’un "consensus" de la société civile vénézuélienne et du commandement des forces armées [13] ».
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce communiqué n’a pas été émis par Washington, qui avait orchestré le coup d’Etat, mais par RSF.
« Les alters[mondialistes] ont toutes les indulgences pour l’ex-putschiste Hugo Chávez, ce caudillo d’opérette qui ruine son pays mais se contente - pour l’instant ? - de discours à la Castro sans trop de conséquences réelles pour les libertés de ses concitoyens ». Encore une fois, ces propos n’ont pas été tenus par le président George W. Bush. Ils ne sont pas non plus le fait des auteurs du sanglant coup d’Etat contre le président Chávez. Cette phrase n’est rien d’autre que l’ouvre de.Robert Ménard, le secrétaire général de RSF et a été publiée dans Médias, la revue officielle de l’organisation [14].
« Le gouvernement de Hugo Chávez est un échec, une catastrophe économique de promesses non tenues ». Ces propos ne viennent pas de l’oligarchie vénézuelienne, dont l’aversion à l’égard de celui qui vient de sortir victorieux de 12 processus électoraux consécutifs est sans limite, mais de. Robert Ménard encore une fois. Ils ont été prononcés à Miami (ville de Floride qui est devenue le fief des putschistes qui ont fuit la justice de leur pays) lors de la visite du secrétaire général de RSF à l’extrême droite cubaine et vénézuelienne en janvier 2004 [15].
Mais tout cela est-il étonnant quand l’on sait que la principale correspondante de RSF au Venezuela est la politologue Maràa Sol Pérez Schael, éminent membre de l’opposition qui avait soutenu le coup d’Etat. Dans le journal El Universal, elle avait exprimé son soutien aux militaires putschistes qui occupaient la Plaza Francia et les avait qualifiés « d’hommes dignes qui ont su dominer leurs impulsions [et d’hommes] vertueux qui envoient un message de civisme au pays et au continent ». Leur message « de civisme » consistait en fait à lancer des appels à la grève générale et au sabotage pour renverser Hugo Chávez [16].
Est-ce surprenant quand l’on sait que RSF est financé par la National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie-NED), une entité créée par Ronald Reagan et financée par le Congrès étasunien dans le but de promouvoir la politique étrangère des Etats-Unis à travers le monde ? Que reste-t-il de la crédibilité de RSF ? Qui peut encore croire que cette organisation ne défend pas un agenda politique bien précis [17] ?
En mars 1997, le New York Times notait à ce sujet : « La National Endowment for Democracy a été créée il y a 15 ans pour réaliser publiquement ce que la Central Intelligence Agency (CIA) a fait subrepticement durant des décennies. Elle dépense 30 millions de dollars par an pour appuyer des partis politiques, des syndicats, des mouvements dissidents et des médias d’information dans des dizaines de pays [18] ». En septembre 1991, Allen Weinstein, qui avait contribué à faire adopter la législation donnant naissance à la NED, déclarait au Washington Post : « Beaucoup de ce que nous faisons aujourd’hui a été fait par la CIA il y a 25 ans de manière clandestine ». RSF, financée par une officine écran de la CIA, selon Weinstein et le New York Times, pourra-t-elle encore tromper longtemps l’opinion publique [19] ?
RSF ne défend pas la liberté de la presse au Venezuela. Elle y défend les intérêts élitistes et mesquins des Etats-Unis et de l’oligarchie. Son traitement partisan et idéologique de la réalité vénézuelienne et le financement qu’elle reçoit de Washington ne laissent guère place au doute. Son objectif est de faire passer un gouvernement démocratique et populaire pour un prédateur de la liberté de presse à la conduite autoritaire, de le discréditer ainsi aux yeux de l’opinion publique internationale, pour justifier un éventuel coup d’Etat à son encontre ou une intervention militaire étasunienne.
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