Une tautologie absurde
23 janvier 2006.
L’année 2006 avait très mal commencé en ce qui concerne le traitement médiatique de la Révolution Bolivarienne par les media français. Souvenons nous qu’il y a un an, le journal Libération avait pris la tête en Europe d’une campagne internationale calomnieuse qui visait à faire du président Chavez un antisémite notoire.
On aurait pu s’imaginer que les media internationaux allaient en cette nouvelle année mettre un bémol dans leurs offensives médiatiques. En effet, l’année 2006 avait, en revanche, plutôt bien fini pour la gauche latino-américaine. Les victoires de Daniel Ortega et Rafael Correa au Nicaragua et en Equateur et le triomphe sans appel de Hugo Chavez au Venezuela consolidaient le processus de construction d’une autre Amérique Latine. Le choix des Peuples de ces pays ne fut entaché d’aucun soupçon de fraude. On pouvait alors s’attendre à un peu plus de respect de la volonté populaire en Amérique Latine de la part des entreprises de communication internationales.
Il n’en fut rien ; et l’année 2007 commence de la même manière que l’année 2006 : par un traitement mensonger de la réalité vénézuélienne.
Il ne s’agit cette fois pas d’une campagne ciblée mais de la création de deux matrices d’opinion que nous pouvons résumer comme telle : 1) La Nationalisation de la compagnie de télécommunication CANTV. 2) Le non renouvellement de la concession à la chaîne privée Radio Caracas Télévision (RCTV).
Le traitement partial dévalorisant volontairement, ou par omission (ce qui pour un journaliste revient au même), certains faits de la réalité vénézuélienne nous conduit à élaborer l’éclairage suivant afin que le lecteur français puisse se faire une opinion par lui même sur ces deux sujets.
1) La Nationalisation de CANTV.
La Compagnie Anonyme Nationale Téléphone du Venezuela (CANTV) a été fondée en 1930 par l’entrepreneur Felix Guerrero. En 1950, le gouvernement d’alors entreprend de la nationaliser. Chemin tortueux qui durera plus de 20 ans. En 1973, la CANTV devient une compagnie publique. 18 ans plus tard, le gouvernement corrompu de Carlos Andres Perez annonce sa privatisation, se maintenant ainsi dans la ligne du FMI et du Consensus de Washington, qui avaient été directement responsables, deux ans auparavant, du "Caracazo" et de sa terrible répression. [1] Il vend un paquet de 40% d’actions à Verizon Comunications (anciennement GTE).
En avril 2006, le magnat mexicain Carlos Slim [2], se montre intéressé pour racheter les actions de Verizon (28.7% du capital) et ainsi prendre le contrôle de la CANTV. Le 15 août 2006, le président Chavez annonce lors d’un discours la possibilité que le gouvernement nationalise la compagnie de télécoms. A Wall Street, l’impact de cette déclaration se fait sentir mais reste modéré. Dans le même temps, le gouvernement ne donne pas son aval pour la transaction Slim-Verizon.
En pleine campagne présidentielle, plusieurs manifestations de retraités et de salariés de la CANTV vont se dérouler en protestation contre le non paiement des retraites et de la cotisation à une police d’assurance de la part de l’entreprise de télécommunications. En effet, malgré le fait que le Tribunal Suprême de Justice ait ordonné en juillet 2005 à la CANTV de payer, la direction méprise le jugement. Les manifestants demandent alors au gouvernement de nationaliser la CANTV et se déclarent prêts à en assumer la cogestion, se référant ainsi aux diverses expériences déjà exercées dans ce domaine par le gouvernement bolivarien (Invepal, Inveval,...).
Le 9 janvier 2007, durant le discours de présentation de son nouveau gouvernement, Hugo Chavez annonce la re-nationalisation de la CANTV. La machine médiatique internationale s’affole au fur et à mesure que le cours de l’action de la CANTV chute.
Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une expropriation sans indemnisation. Le gouvernement étudie encore le moyen par lequel il va récupérer le contrôle de la compagnie. Vraisemblablement il ne s’agira pas non plus d’une expropriation avec indemnisation inscrite dans le cadre de la loi "d’expropriation pour cause d’utilité publique ou sociale". [3] Le plus probable est que le gouvernement rachètera au cours en vigueur, les actions des compagnies étrangères qui sont majoritaires dans l’entreprise. Cette mesure, très modérée, n’affectera pas les investisseurs et petits porteurs nationaux. Le nouveau ministre des Finances, Rodrigo Cabezas précise sur le devenir de la CANTV que le gouvernement "cherche à construire un modèle de participation avec les travailleurs, et CANTV en sera un point de départ." [4]
On est donc bien loin d’une confiscation par l’Etat des biens de compagnies étrangères, arme au poing et couteau entre les dents, comme le lecteur ou spectateur français pourrait se l’imaginer croyant de bonne foi les manipulations des entreprises de communication internationales.
Et pourtant, lorsque l’on se plonge dans les entrailles de la CANTV, on ne peut que s’étonner que le gouvernement bolivarien n’ait pas annoncé cette mesure avant.
Les véritables propriétaires de la CANTV.
La CANTV représente 70% des appels nationaux et 42% des appels internationaux par téléphonie fixe. A travers son actionnaire majoritaire, Verizon, la compagnie possède une des trois marques de téléphonie portable que compte le Venezuela. La compagnie de télécommunications représente 83% des connexions Internet du pays. D’autre part, la CANTV est l’entreprise chargée du transfert des données électorales au CNE lors des votes sur les machines électroniques. Pour l’élection présidentielle, l’Etat a du débourser 27 milliards de bolivar (10 millions d’euros) pour employer la CANTV à cette fin.
En dépit de l’importance capitale du secteur des télécommunications pour le développement et la sécurité nationale, l’actionnaire principal est basé aux Etats-Unis, un pays qui a tenté de renverser le gouvernement bolivarien par deux fois, et qui continue son offensive déstabilisatrice contre le Venezuela. Certes, le fait qu’une entreprise soit basée dans un pays n’implique pas forcement une collusion avec son gouvernement. Cependant, cette affirmation est mise en doute par la composition du conseil d’administration de cette grande multinationale étasunienne.
La littérature sur les va-et-vient entre l’administration publique et les conseils d’administration des grandes entreprises aux Etats-Unis est assez riche. Dans le cas de l’actionnaire majoritaire de la CANTV, l’exemple est éclairant. Prenons ainsi la direction et le conseil d’administration de Verizon en 2002 et aujourd’hui.
Au début des années 2000 [5], la présidence de Verizon était confiée à Charles R. Lee, entre autre, membre du conseil consultatif sur la Sécurité Nationale en matière de Télécoms du président Georges W. Bush.
Au conseil d’administration de l’actionnaire majoritaire de la CANTV siégeaient, parmi d’autres, Helene L. Kaplan et Walter Shipley, membres par ailleurs du conseil d’administration d’Exxon Mobil, la seule entreprise pétrolière à avoir refusé de former une entreprise mixte avec PDVSA. On y trouvait aussi Robert Daniel, administrateur de Shell, ainsi que John Snow, ancien Secrétaire au Trésor de George W. Bush. Le Département du Trésor est en lien avec tous les services de renseignement US pour condenser l’information liée à la politique économique étasunienne dans le monde.
Les chaises musicales ont depuis tourné. Plus récemment, au conseil d’administration se trouve toujours Walter Shipley (celui-ci étant devenu un des directeur d’Exxon Mobil) et John Snow, mais aussi Fran Keeth, vice-présidente de Shell [6], parmi d’autres dont les liens avec d’autres multinationales sont moins significatifs dans la relation avec le Venezuela.
La direction de l’entreprise nous révèle d’autres promiscuités inquiétantes pour la souveraineté du pays bolivarien. [7]
Le vice président exécutif n’est autre que William P. Barr, l’ancien Attorney General -procureur général - (1991-93) nommé par George H. W. Bush, le père de l’actuel président. Son passé dans l’administration publique n’a pas commencé avec sa carrière dans la justice puisqu’il fut conseiller du président Reagan (1982-83) pour la Politique intérieure.
Lowell C. McAdam, président de Verizon Wireless, une branche du groupe Verizon, est un ancien membre du Groupe d’ingénieurs de la US Navy.
Thomas J. Tauke, vice président chargé de la communication est un ancien élu républicain au Congrès des Etats-Unis (1979-91). Durant cette décennie passée au service explicite de la Nation étasunienne, Tauke fut tour à tour membre des comités du Congrès pour les Télécommunications, pour l’Education, pour le Travail, pour le Commerce et l’Energie. C’est dire s’il connaît le Venezuela, 3e exportateur de pétrole vers les Etats-Unis.
Doreen A. Toben, vice présidente exécutive chargée des finances a été élue le 14 avril 2004 au Conseil d’Administration du New York Times. Connu pour ses attaques contre le gouvernement bolivarien, le New York Times critiqua durement le choix du président á propos de la nationalisation de CANTV. [8]
Comme on peut le voir, une grande partie des hauts responsables de Verizon, actionnaire principal de la CANTV, entretien une relation plus qu’étroite avec les pouvoirs médiatiques, politiques ou énergétiques des Etats-Unis qui déterminent les choix stratégiques (ou les légitiment dans le cas des media) de la grande nation du nord. En bref, l’Empire étasunien occupait depuis 25 ans une place de choix dans une entreprise clé pour la souveraineté du Venezuela.
Récemment, Verizon (ainsi que AT&T et BellSouth) fut mis en cause aux Etats-Unis pour avoir espionné des millions de citoyens de ce pays pour le compte de la NSA dans le cadre du Patriot act lancé par le président George W. Bush après le 11 septembre. [9]
Il existe de forts soupçons pour que l’opérateur américain ait fait de même au Venezuela, servant ainsi les intérêts de la Maison Blanche mais aussi, et surtout, celui des multinationales pétrolières ou de celles appartenant au complexe militaro-industriel, en raison de leurs liens avec certains hauts responsables de Verizon. Le président Chavez s’est même fait l’écho de ces manipulations en suggérant que la CANTV espionnait jusque dans son propre bureau. [10]
Peu intéressé par le danger que représentait la CANTV pour une nation souveraine, l’ancien candidat à la présidence, Manuel Rosales a critiqué la nationalisation parce qu’elle "donnera [à Chavez] le contrôle d’Internet et de la transmission des données, surtout en période électorale". [11] Passons sur le fait que Chavez n’ait pas besoin de nationaliser CANTV pour triompher à un processus électoral. En revanche, la main mise d’une entreprise liée aux intérêts des Etats-Unis sur Internet, la transmission de données, le contrôle des communications au Venezuela ne semble pas inquiéter celui qui prétendait vouloir gouverner pour "26 millions de Vénézuéliens."
Souveraineté "télécommunicationnelle"
La nationalisation de CANTV coïncide avec la création d’un nouveau Ministère des Télécommunication, à la charge de l’ancien directeur de la Commission Nationale des Télécommunications-CONATEL (et ancien ministre de l’Intérieur), Jesse Chacon.
Le ministre a annoncé le retour à une souveraineté en matière de télécommunications, puisque le Conseil National des Technologies de l’Information, l’entreprise publique décentralisée CVG-Telecom, CONATEL fusionneront dans ce nouveau ministère, qui aura aussi la responsabilité du futur satellite vénézuélien construit en partenariat avec la Chine ; Jesse Chacon précisant que CONATEL gardera son caractère autonome.
La nationalisation de la CANTV permettra aussi d’étendre le réseau téléphonique à toutes les zones du pays, y compris les plus pauvres ou les plus éloignées des centres urbains, laissées dans un no man’s land communicationnel par les entreprises privées avides de rentabilité.
Alors que dans de nombreux endroits du pays, "passer un coup de fil" supposait le déplacement à la ville la plus proche, la nationalisation de ce secteur permettra enfin à ces nombreux citoyens de ne plus considérer l’appareil téléphonique ou Internet comme un privilège social.
Dans les rédactions des media de communication commerciaux, vénézuéliens et internationaux, on continue de s’inquiéter pour la chute vertigineuse de l’action CANTV à Wall Street.
2) Le non renouvellement de la concession à RCTV.
RCTV est une des propriétés de 1 Broadcasting Caracas (1BC), entreprise fondée en 1930 par William H. Phelps, homme d’affaire étasunien vivant à Caracas. En 1953, durant la dictature de Pérez Jimenez, naît la chaîne de télévision RCTV, qui a l’immense privilège historique d’avoir diffusé la première telenovela au Venezuela. 1BC est reprise par le gendre de Phelps, Marcel Granier, qui sut très bien manoeuvrer dans les coulisses de la démocratie corrompue de la IVe république pour faire progresser l’entreprise de son beau père. Tout allait pour le mieux lorsqu’en 1998, le Peuple vénézuélien, las du fossé existant entre son quotidien et les clichés idylliques des novelas, porta au pouvoir un président qui prônait la rupture avec le passé.
Lorsque le président Chavez, annonce le 28 décembre dernier, dans un discours à l’Académie Militaire, que la concession expirante de la chaîne privée RCTV ne sera pas renouvelée, le mot d’ordre médiatique est unanime. C’en est fini de la liberté d’expression au Venezuela. Tous les media privés vénézuéliens se solidarisent avec leur confrère. Ils peuvent compter sur des renforts attendus. La Société Interaméricaine de Presse (dont le conseil d’administration ne regroupe que des propriétaires d’entreprise de communication) connu pour avoir soutenu les media opposés à Salvador Allende, Reporters Sans Frontières l’association "non" gouvernementale financé par la Etats-Unis via la NED, et la Freedom House dont l’ancien directeur n’est autre que James Woolsey, ancien patron de la CIA (Patrick Ackerman qui a pris sa relève est un membre de l’Albert Einstein Institution spécialisée dans les coup d’Etat soft [12]) vont tour à tour voler au secours "de la "liberté de la presse", voire de la liberté tout court, désormais ouvertement menacée par le dictateur Chavez.
Les media français ne sont pas en reste. Les Echos parlent "de la suppression de la licence de la chaîne de radiotélévision d’opposition RCTV" [13] et Le Monde nous explique que "lors d’un discours prononcé le 28 décembre devant un auditoire militaire, le président Chavez, en uniforme, a annoncé que son gouvernement « ne tolérerait aucun média au service des putschistes, contre le peuple, contre la nation, contre la dignité de la République »." [14]
L’oligarchie vénézuélienne, leurs conseillers et financiers de Washington, et leurs relais médiatiques internationaux exultent. Après tout, n’avaient-t-ils tous pas annoncé depuis 8 ans la fin de la liberté d’expression au pays de Bolivar ?
Les liens de 1BC avec le pouvoir de la IVe République.
En 1987, le gouvernement du président d’alors Jaime Lusinchi (du parti Accion Democratica) décide de réguler le système d’obtention des concessions hertziennes pour les télévisons et radio nationales. Le nouveau règlement, paru dans la gazette officielle n°33.726 du 27 mai 1987, stipule dans son article 1 : "Les concessions pour la transmission et l’exploitation de chaînes de télévisions et fréquences de radio seront délivrées pour une période de 20 ans" et précise dans son article 4 :"Les concessions qui ont été délivrées avant la date du présent décret seront considérées valides par les termes établis dans l’article 1".
Comme on peut le voir, les 20 ans sont en passe de s’écouler. La concession délivrée à la chaîne RCTV par l’Etat prendra fin le 27 mai prochain. Le gouvernement vénézuélien ne supprime aucune licence ni ne ferme donc aucune chaîne de télévision, il exerce juste le pouvoir de ne pas renouveler la concession tel que l’établit la Loi. Les détracteurs du gouvernement bolivarien l’accusent de partialité dans son choix. Avant de démontrer que le choix du gouvernement n’est en rien une fermeture politique, il est bon de rappeler les connivences entre le groupe 1BC et le pouvoir d’alors quand à l’obtention des concessions.
Carlos Ball, alors directeur du journal ["El diario de Caracas", propriété de l’entreprise 1BC nous remémore comment RCTV a obtenu sa concession du gouvernement de Lusinchi : "En mai 1987, j’étais directeur du Diario de Caracas, entreprise du groupe 1BC, et le président Jaime Lusinchi a imposé mon renvoi comme condition à la rénovation de la licence de transmission de RCTV. J’ai été renvoyé et la licence fut renouvelée pour 20 ans. Deux jours après mon renvoi, j’ai été déféré en justice au motif d’accusations inventées par le gouvernement. Le juge pénal, Cristóbal Ramàrez Colmenares m’a dit au tribunal : "j’ai des instructions d’en haut". J’ai donc décidé d’émigrer. Le gouvernement ayant obtenu ce qu’il voulait, les chefs d’accusation furent levés." [15]
A cette époque, le journaliste du Diario de Caracas Rodolfo Schmidt fut incarcéré pour avoir écrit contre le gouvernement de Lusinchi. [16] Apres deux mois d’emprisonnement, le gouvernement négocia sa libération contre l’arrêt des publications critiques de trois journalistes de gauche : Federico à lvarez, Alfredo Tarre Murci et l’ancien vice président José Vicente Rangel. La décision d’autoriser la concession à RCTV fut à la fois un enjeu politique et le produit de la connivence de l’entreprise 1BC avec le pouvoir d’alors.
On pourrait penser que Carlos Ball est un fervent révolutionnaire, adepte des idées qui ont donné naissance à la Révolution bolivarienne. Il n’en est rien. Membre de la fondation Héritage, think tank étasunien ultra-conservateur, Carlos Ball est un des fondateurs du Centre pour la divulgation de la Connaissance Economique (CEDICE), qui fut crée à Caracas en 1984 avec l’argent du Centre International pour l’Entreprise Privée (CIPE), une des branches du Fonds National pour la Démocratie (NED). La directrice du CEDICE, Rocào Guijarro, a signé le Décret Carmona lors du coup d’Etat d’avril 2002. Admirateur de Friedrich von Hayek, Carlos Ball est membre du CATO institute, think tank ultralibéral. Il ne s’agit donc pas d’un révolutionnaire bolivarien, mais d’un penseur de droite, écoeuré par les us et coutumes de la IVe République vénézuélienne.
Une censure politique ?
Les entreprises de communication vénézuéliennes et internationales, et les organismes liés à l’administration US (RSF, Freedom House) laissent croire à une fermeture politique de la chaîne RCTV. Comme nous venons de le voir, il s’agit en fait d’un non-renouvellement de la concession. Les seules chaînes qui furent fermées au Venezuela durant la dernière décennie ont été la chaîne publique VTV durant le coup d’Etat, et la chaîne communautaire Catia TV fermée par l’ancien maire putschiste de l’agglomération de Caracas, Alfredo Peña.
Les concessions délivrées par Lusinchi arrivent à leur terme et les chaînes Venevision et Vale TV, ainsi que 400 fréquences de radio vont continuer à émettre. Seul RCTV est concernée par le non renouvellement. En parlant de "fermeture" ou de "censure", les media commerciaux laissent entendre que le gouvernement étouffe arbitrairement un media qu’il n’a pas à sa botte. Grosso modo, selon cette affirmation, rien n’aurait changé depuis Lusinchi, sinon que l’entreprise 1BC n’aurait plus les faveurs de Miraflores. Or cette décision n’est pas un caprice totalitaire de l’Exécutif. Elle se base sur les multiples infractions à la Constitution et aux lois vénézuéliennes commises par RCTV.
Dès le début des années 80, le système politique vénézuélien est en crise. Le Pacte de Punto Fijo, qui a eu pour conséquence le partage du pouvoir entre deux partis durant 40 ans, est sévèrement remis en cause. L’influence de COPEI et AD s’éteint peu à peu. L’élection de Rafael Caldera (membre de COPEI qui se présentait sur une liste d’union indépendante) en 1994 et surtout celle de Hugo Chavez en 1998 marquent la fin de l’agonie de l’hydre bicéphale qui régnait sur le Venezuela depuis un demi siècle. Mais le vide politique laissé par les partis traditionnels a peu à peu été comblé par les média. Laissant de coté leur tâche d’informer, les media commerciaux vénézuéliens se sont transformés en véritable acteur politique. Lorsque se dessinent les contours de la Révolution Bolivarienne et que l’oligarchie se rend compte que Chavez n’est pas Lucio Gutierez, les media-partis vont être le fer de lance d’une opposition politique éparpillée et discréditée. Comme le note Thierry Deronne dans un article récent, "RCTV n’a cessé d’attenter contre les institutions démocratiques en incitant à la haine, à la violence, en participant activement à la préparation et à la réalisation du coup d’État sanglant d’extrême-droite du 12 avril 2002 contre le président Chávez. Tandis que le dictateur Carmona dissout toutes les institutions démocratiques et fait réprimer les partisans de Chávez, le directeur de RCTV, Marcel Granier, accourt au palais pour le féliciter et, de là , impose le black-out de la chaîne sur la résistance populaire. Certains journalistes démissionnent, comme Andrés Izarra, directeur de l’information. (...) En décembre 2002, RCTV appelle de nouveau à renverser le président Chávez, et se fait porte-parole quotidienne des militaires putschistes de la Plaza Francia puis des organisateurs du putsch pétrolier (remake de la grève des camionneurs contre Salvador Allende) ." [17]
Les media-partis jouent un rôle politique. Le droit à une information "véridique et impartiale, sans censure, (...) ainsi que le droit de réponse et de rectification si [la personne] est touchée par des informations inexactes ou offensantes" définie par la Constitution [18] est systématiquement bafoué par les media commerciaux.
Nancy Snow, dans son livre Information War : American Propaganda, Free Speech and Opinion Control Since 9/11 qui analyse les stratégies de propagande mis en place depuis Reagan nous informe : "Le modèle fut inventé au début du gouvernement [de Reagan] : sélectionner de manière insidieuse une information macabre sur les ennemis étrangers, et imposer les gros titres. Si, après, des journalistes découvrent la supercherie, qu’est ce que ça change ? La vérité recevra bien moins d’attention que le mensonge originel, et de toute façon une autre vague de calomnies s’affichera déjà en une" [19] Les média-partis vénézuéliens, ont fait de cet enseignement leur leitmotiv.
Durant la campagne du referendum révocatoire lancée par l’opposition pour révoquer le président Chavez, le paravent de la CIA, le mal nommé Fonds National pour la Démocratie (NED), va financer la constitution d’un plan de gouvernement de transition. Des représentants des partis et organisations politiques participeront à sa rédaction. Le comité directeur de ce projet alternatif compte 3 membres de Fedecamaras (le Medef vénézuélien), trois membres d’organisations "non" gouvernementales, un membre du syndicat jaune CTV, un membre de l’Eglise catholique, trois membres du CEDICE (voir plus haut), ainsi que le journaliste William Echeverria en représentation de... RCTV, alors qu’aucun parti politique n’est représenté dans ce comité.
Après la victoire de Chavez au referendum du 15 août, deux des "quatre cavaliers de l’apocalypse" comme les appelait Chavez (Venevision et Televen), vont atténuer leur ligne éditoriale. Elles resteront très critiques par rapport au gouvernement mais respecteront la Loi et la Constitution. Seule RCTV et Globovision [20] se maintiendront dans leur rôle de parti extrémiste aux mépris de la législation.
RCTV a violé de nombreuses fois l’article 58 de la Constitution. En effet, celui-ci souligne que "les enfants et adolescents ont le droit de recevoir une information en adéquation avec leur développement intégral". Cet article qui trouve son application dans la Loi Organique pour la Protection des Enfants et des Adolescents (LOPNA) et dans la loi de REsponsabilité SOciale à la Radio et à la TElévision (RESORTE) n’est pas pris en compte par la chaîne privée.
Vu de France, on peine peut-être à s’imaginer la puissance des messages diffusés par RCTV. Pour se faire une idée écoutons le témoignage de Oscar, militant révolutionnaire : "durant le lock out pétrolier, mon fils [de 8 ans] se réveillait souvent. Une nuit, il m’a dit : "Papa, j’ai peur !" Je lui ait demandé de quoi avait-il peur. Il m’a répondu : "que les chavistes viennent me tuer." Je lui ai expliqué que j’étais chaviste comme sa mère et que la télé disait des mensonges.". Une majorité d’enfant du quartier était dans le même cas que le fils d’Oscar. Ce qui a conduit des groupes de parents à s’organiser et porter plainte devant les organismes de défense de l’enfance.
En décembre 2004, fut votée la loi RESORTE. Celle-ci indique dans son article 29 : "Les prestataires de services de radio et télévision seront sanctionnés par une suspension allant jusqu’à 72 heures lorsque les messages diffusés promeuvent, font l’apologie ou incitent à la guerre, aux troubles de l’ordre public, au délit, lorsque les messages sont discriminatoires ou portent atteinte à la sécurité de la Nation. (Art.29 §1)" (21)21) "Loi de Responsabilité Sociale à la Radio et à la Télévision", Gazette
officielle n°38.081, décembre 2004. [21]
A ce titre, les nombreux appels de RCTV à protester contre le gouvernement, à inciter les vénézuéliens à ne pas participer aux élections législatives du 4 décembre 2005 ou encore lorsque de nombreux journalistes ou invités de la chaîne parlaient ouvertement de fraude avant les élections présidentielles du 3 décembre 2006, et appelaient les vénézuéliens à défendre leur vote... toutes ces situations auraient pu faire l’objet d’une sanction de la part du gouvernement. Qui plus est, l’article 29 de la loi RESORTE dans son alinéa 2 précise que dans le cas de récidive malgré les sanctions prévues dans l’alinéa 1, la loi autorise CONATEL à révoquer l’habilitation à émettre ou à révoquer la concession. Il ne s’agit évidement pas d’une mesure dictatoriale visant á museler la presse. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel français (CSA) prévoit le même type de sanction pour des cas similaires. [22]
Les multiples entorses à la loi RESORTE auraient pu déboucher sur une fermeture de la chaîne RCTV. Et pourtant, CONATEL n’a jamais tranché en faveur de cette option légale. RCTV n’a jamais été fermée, ni inquiétée, durant le temps où sa concession lui permettait de déstabiliser le gouvernement et l’Etat vénézuélien.
La décision de ne pas renouveler la concession à RCTV n’est pas un choix arbitraire. Elle s’appuie sur les nombreuses violations de la Constitution et des lois vénézuéliennes. La décision souveraine de ne plus attribuer de concession à RCTV vient rappeler à ceux qui bénéficiaient d’un statut spécial de par leur proximité politique avec les hautes instances du Pouvoir de la IVe République, que ce temps là est révolu et qu’ils doivent réapprendre à obéir aux lois.
Les 90% du spectre médiatique vénézuélien, aux mains de groupes de communication privés, restent de fervents critiques de la Révolution bolivarienne. RCTV, quant à elle, pourra dès le 28 mai prochain, continuer à émettre son venin par le câble puisque les transmissions par satellite ne relèvent pas d’une attribution par l’Etat.
CANTV et RCTV : Une tautologie absurde.
Le lecteur ou spectateur qui ne connaît le Venezuela qu’au prisme déformant du Monde et de Libération se trouve face à une tautologie absurde. En effet, les media avaient inventé une supposée fin de la liberté d’expression et de la propriété privée au pays créole (1er mensonge). Les cas RCTV et CANTV, tels qu’ils sont traités (2e mensonge) viennent illustrer le premier mensonge. De la même manière, on peut déduire du 2e mensonge la fin des libertés au Venezuela. La boucle semble bouclée. Les montages médiatiques et mensonges par omission ont contribué à créer une distance entre les actions menées par le gouvernement vénézuéliens et le récepteur des informations tronquées des entreprises de communications internationales.
Un seul détail vient troubler cette propagande néfaste et briser le cercle vicieux : la Vérité, sans mensonge et sans omission.
Romain Migus
Nouvelle tempête de mensonges du Monde contre la révolution vénézuélienne, par Thierry Deronne.
Venezuela : Le Monde s’ouvre la voie de la désinformation à vie, par Romain Migus.
Chavez, antisémitisme et campagne de désinformation : à propos d’un article calomnieux de Libération, par Romain Migus.