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La défaite de la pensée : peut-on écrire sous contrainte ?

« La censure est la limitation arbitraire ou doctrinale de la liberté d’expression. »

« Je méditerai, tu m’éditeras. »

Cette délicieuse boutade de Voltaire explique mieux que mille discours la communauté de destin de l’éditeur et de l’auteur...

Eugene Fitch Ware dit qu’« Aucune structure créée par l’homme ne survit à un livre « Man Build no structure which outlives a book » ; Le Salon du livre (Sila) qui s’ouvre va drainer comme d’habitude, les foules des inconditionnels. On y trouve de tout. De ceux qui viennent voir sans acheter, de ceux qui viennent acheter sans voir, certaines fois en quantité et, naturellement, de ceux qui attendent qu’on leur offre le livre. Dans une contribution précédente, j’avais pointé du doigt la compétition inégale entre le livre papier et le livre du Web 2.0. S’il est vrai que les jeunes ont un engouement pour tout ce qui est connectique informatique et tous les « tics » en puissance, il n’en demeure pas moins que l’on ne sait pas s’il sont venus à la lecture électronique à partir de leur apprentissage de la lecture livre papier ou s’ils ont grillé toutes les étapes pour n’apprécier dans le livre virtuel que son aspect support et non son contenu. Dany Boone dans un célèbre sketch expliquait qu’on ne lui avait pas appris à lire un livre, ce qui fait qu’en présence d’un livre il ne suit pas la phrase en revenant à la ligne mais en continuant son autre page prenant ainsi le spectateur à témoin pour son désarroi suite à son incompréhension du sens du texte !!

Cette année 2013 a vu un événement lourd de signification après 50 ans d’indépendance algérienne. L’Etat pense que les citoyens ne sont pas mûrs pour défendre leur pays culturellement et qu’un dispositif de censure est là pour adouber ou censurer les oeuvres ou ce qu’il en restera après les différentes « retouches ». Il est vrai que la censure existe partout, mais pas à ce degré.

Qu’est-ce que la censure ?

L’Encyclopédie Wikipédia vient à notre secours et nous propose l’explication suivante : « La censure est la limitation arbitraire ou doctrinale de la liberté d’expression de chacun. Elle passe par l’examen du détenteur d’un pouvoir (étatique ou religieux) sur des livres, journaux, bulletins d’informations, pièces de théâtre et films, etc. - et ce - avant d’en permettre la diffusion au public. Par extension, la censure désigne différentes formes d’atteintes à la liberté d’expression, avant et/ou après leur diffusion (censure a priori et a posteriori). La censure politique (limitation par le gouvernement de la liberté d’expression) est différente de la censure indirecte, non officielle, mais sous forme de pression, en particulier une forme de censure économique (due notamment à la concentration des médias, etc.) ; les phénomènes d’autocensure peuvent également être ajoutés. L’origine du terme « censure » remonte au poste de censeur, créé à Rome en 443, dont le but était de maintenir les moeurs. En Chine, la première loi sur la censure fut instaurée en l’an 300. Le plus célèbre cas de censure antique est celui de Socrate, condamné à boire la ciguë pour avoir « incité les jeunes à la débauche ». Le combat pour la liberté d’expression remonte aussi loin, Euripide défendant déjà la liberté d’expression au ive siècle av. J.-C. (1)

Pour les religions monothéistes, la condamnation du blasphème est un thème central depuis l’un des premiers livres recueillis dans la Bible, le Lévitique : « Si un homme insulte son Dieu, il doit porter le poids de son péché ; ainsi celui qui blasphème le Nom du Seigneur sera mis à mort. » La naissance de l’Église orthodoxe, et son besoin de maintenir l’orthodoxie, développa largement la censure qui furèrent appliquée pour éradiquer les menaces hérétiques au dogme chrétien, comme par exemple au concile de Nicée. Avec l’arrivée de l’imprimerie, les autorités civiles et religieuses sentent le besoin de créer un cadre plus solide à la censure, et légifèrent sur la censure. Les autorités de l’Église catholique romaine nommaient des censores librorum chargés de s’assurer que rien de contraire à la foi ne puisse être publié (...) » (1)

Qu’en est-il de la censure dans les pays occidentaux ?

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 affirme solennellement : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » (article 10). La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. (...) Dans un sens plus large, la censure regroupe différentes formes d’atteinte à la liberté d’expression. (1)

Les opposants à toute censure affirment non seulement la liberté d’opinion, mais défendent le droit de chacun de « tout dire », y compris à leurs pires ennemis. C’est à ce titre, par exemple, que Noam Chomsky a pu défendre le droit des négationnistes à rendre public leur discours. Ainsi, le débat sur les lois restreignant les discours révisionnistes continue à agiter le monde contemporain, en opposant notamment les États-Unis et le monde anglo-saxon au continent européen qui, dans l’ensemble, réprime de tels propos. (1)

Actuellement, la censure préventive en France s’exerce essentiellement dans deux domaines : le cinéma, avec la Commission de classification des oeuvres cinématographiques ; et les publications pour la jeunesse, avec la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. Au milieu des années 1980, un livre de Jean-Bedel Bokassa mettant en cause l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing au sujet de l’affaire des diamants est pilonné. La loi Gayssot votée en 1990 crée un délit de contestation de crime contre l’humanité dans son article 9. En 2010,Vincent Reynouard a été condamné à un an de prison ferme pour contestation de crimes contre l’humanité. (1) En Grande-Bretagne Le Terrorism Act de 2006 censure les discours des Jihadistes contre la nation. En Chine Il existe un ministère de la Propagande qui garde la main sur les médias. Aux Etats-Unis, Le Fairness & Accuracy In Reporting (FAIR) est une organisation créée en 1986 pour combattre la censure dans les médias aux États-Unis. D’autres sociétés abordent également la censure comme Cointelpro et Google Earth. En 1915, la Cour suprême des États-Unis avait refusé de définir le cinéma comme un moyen d’expression à part entière, ne permettant pas ainsi la protection du 1er amendement sur la liberté d’expression, situation qui a duré jusqu’en 1952.

Lire, lire, lire, ce n’est pas ça l’important ? Avoir envie de feuilleter un livre, et le feuilleter. Entendre parler d’un auteur, et se mettre à lire le premier chapitre dans la foulée. Tant de désirs de lecture se perdent faute de trouver leur objet. Le livre va-t-il mourir ? « On nous dira qu’on peut, avec un livre numérique, « se balader avec une bibliothèque sur soi ». L’essentiel dans l’affaire, c’est qu’avoir une bibliothèque sur soi, ce n’est pas forcément « savoir lire ». Et « savoir lire », ce n’est pas seulement être alphabétisé. « Savoir lire », cela demande du silence, du calme et bien sûr du temps pour soi. On le comprend, défendre la librairie, les bibliothèques, la variété éditoriale, le livre papier, c’est le front le plus important contre l’aliénation.(2)

Ceux qui sont pour la mort du livre

Par nostalgie, par fidélité ou simplement par réalisme, je pense pour ma part que le support papier est bien loin de tomber en désuétude. Le livre relié quelle que soit sa matière première, a encore de beaux jours devant lui, quelles que soient les avancées technologiques. Les livres sont notre histoire, la preuve concrète de ce que nous sommes. On en reparlera dans 200 ou 300 ans, s’il reste quelque chose de cette planète, peut-être. Il est bien toujours là et moi je prédis la mort du gadget électronique bien plus rapidement. Le livre papier a trop d’avantages par rapport à ce gadget, c’est pas comme ça qu’il va disparaître. L’heure n’est pas à la reddition. L’écriture et la lecture dépasseront |- toujours - les accros au binaire. Les livres, on peut les prêter, on peut les laisser sur un banc public, on peut en offrir et en recevoir. Le livre, c’est du lien. C’est le dernier lien, il faut y tenir. L’hibouc, (l’e-book) c’est la solitude. « J’ai toujours imaginé que le paradis était une sorte de bibliothèque « disait Jorge Luis Borges. Je suis d’accord. (3)

Dans une contribution émouvante, l’éminent écrivain Kaddour M’Hamsadji nous parle de la fondation de l’Union des Ecrivains Algériens et du feu sacré qui l’animait. Nous l’écoutons : « Créée le lundi 28 octobre 1963, en pleine euphorie du premier anniversaire de l’Indépendance retrouvée, la Première Union des Écrivains Algériens a donc eu cinquante ans le lundi 28 octobre 2013. Hommage et joyeux vrai anniversaire aux écrivains algériens de tous les temps ! Le temps est passé et, sans doute, son ouvrage, quelle que soit sa qualité, reste là où il est, tel quel, historique, culturel, fondateur. Oui, la création de la Première Union des Écrivains Algériens était aussi une autre indépendance, celle de la culture nationale sous toutes ses formes d’expression, et par le Livre Algérien revivifié et enrichi sur son sol nourricier, ouvert sur le monde et admiré à l’étranger. « Oui, l’écrivain algérien est heureux ! » pouvait-on, répondre à la peu innocente question posée par un journaliste de l’Agence France Presse ».(4)

L’Union des écrivains algériens pionniers de la liberté d’expression

« Il n’est pas dans mon intention, poursuit l’éminent écrivain de reconstruire, ici, a priori, l’historique ni la marche suivie par la volonté des écrivains - qui n’étaient pas seulement auteurs - qui ont été unanimes, du moins un temps et à une époque bénie, pour fonder l’Union des Écrivains Algériens. Cependant, il ne faut pas l’oublier ni l’ignorer, ce serait se couper de ses racines bonnes et si tel n’est pas le cas, ce serait quand même renoncer à aller fièrement vers l’avenir (...Comment ne pas sentir la nostalgie d’une Union vraie, solennelle et, qui plus est, fraternelle ?...) C’était des rencontres sans rendez-vous. Le peuple des écrivains vivait jour et nuit dans une fébrilité bienfaisante, inventive, créatrice, - quelle joie ! J’ai bien dit « le peuple ». Mais combien de personnes faut-il réunir pour parler de « peuple » ? Combien d’écrivains algériens sont-ils sortis indemnes de la guerre d’Algérie ? Combien sont-ils rentrés d’exil ? Combien sont-ils descendus des maquis ? Combien ont-ils été libérés des prisons du système colonial ? Combien ont-ils tenu la plume aussi fulgurante que l’arme au poing dans des postes de responsabilité au service du FLN à Tunis, à Rabat, au Caire, à Paris, à Londres, à Genève, à Madrid, à Rome, à Moscou, à Washington, à Cuba, à Belgrade, à Sofia, à Pékin, à Hanoï,...? Combien, une fois dans le pays libéré, ont-ils pris du service dans l’administration de l’Algérie renaissante des premiers mois de l’indépendance ? L’enthousiasme de vivre dans l’Algérie enfin débarrassée du colonialisme et pleine de promesses, faisait soulever des montagnes de pensées créatives d’oeuvres nouvelles chez nos écrivains ! »

Kaddour M’Hamsadji explique ensuite les motifs et la feuille de route que s’est assignée l’Union des écrivains « (...) La littérature algérienne a franchi ces dernières années d’innombrables frontières. Cette situation, nous la devons d’abord à notre peuple dont la lutte a donné leur portée aux voix profondes et si diverses de l’Algérie indépendante. C’est le chant des martyrs, celui des ancêtres, mais surtout la jeune espérance qui passe à travers nous. Notre guerre fut aussi une Insurrection de l’Esprit. Notre victoire est celle des forces de progrès contre l’obscurantisme et toutes ses formes de servitude. L’Algérie devient aujourd’hui l’immense chantier de l’énergie populaire, un laboratoire pour les recherches de l’art, de la science, et pour l’épanouissement des consciences. À cette fin, nous nous engageons à : - exprimer dans nos oeuvres ce qu’il y a de meilleur dans nos traditions populaires ; - traduire dans toute leur complexité les aspects de la vie de notre peuple ; - contribuer à rénover, par tous les moyens à notre disposition, y compris les moyens audiovisuels, notre patrimoine culturel, c’est-à-dire ses valeurs les plus diverses depuis les siècles les plus lointains, [...] Ne jamais professer ni admettre qu’aucune discrimination puisse être faite entre les citoyens, à cause de leur origine, de leur naissance, de leur langue, de leur conviction ou de leur croyance, assurant ainsi pour tous la liberté de pensée et d’expression, et contribuer à donner à la République algérienne un contenu de plus en plus démocratique et populaire. [...] Au 18e Salon du Livre d’Alger qui s’ouvre aujourd’hui 31 octobre 2013 et à la veille du 59e anniversaire du 1er Novembre 1954, l’esprit pur du Livre algérien promis, intensément espéré chaque année, planera-t-il particulièrement haut dans le firmament de la Culture nationale ? Nous avons tant besoin de lire et de connaître tous nos écrivains, sans exclusive. » (4)

Par fidélité à ces géants de la pensée, ne censurons pas, faisons confiance, revoyons les textes de cette loi sur le livre que l’on dit liberticide - dans le sens d’une meilleure générosité d’une confiance d’une responsabilité partagée par tout un peuple et pas seulement ceux qui décident du destin du pays. C’est à bien des égards une régression vis-à-vis de l’espoir qui animait les fondateurs pionniers de l’Union des Ecrivains en Algérie. L’existence d’un code éthique non écrit donnera à chacun en toute liberté ses limites en tant que responsable de lui-même et responsable de la cohésion du peuple, d’une culture à laquelle il adhère. Il n’y a pas de mon point de vue de crainte pour la cohésion sociale. Vouloir maintenir la loi en état s’apparente à une défaite de la pensée qui nous informe en creux que tout est à faire, que le capital symbolique dont se prévalait l’expression est l’un des butins que nous avons perdu On adhère au vivre-ensemble en toute liberté pour une nation, qui préserve encourage et qui ne promet pas le goulag pour ceux et celles qui veulent s’exprimer, à ne rien craindre de ses citoyens, elle a tout à espérer.

Chems Eddine CHITOUR

1. La censure : Encycopédie wikipédia

2. http://www.humanite.fr/tribunes/ vers-la-mise-mort-du-livre-papier-des-metiers-du-livre%E2%80%A6-et-des-lecteurs-495065

3. http://www.lexpressiondz.com/ chroniques/analyses_du_professeur_chitour/161099-adieu-le-livre-papier.html

4. http://www.lexpressiondz.com/ culture/le_temps_de_lire/183538-souvenir-d-039-un-temps-litteraire-heureux.html

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