Dans un pays guidé par le grand panseur Retailleau - l’homme qui étrille, l’éradicateur ventre à chou – nous savons que tout cheveu trop frisé est maintenant coupé en quatre. Le parcours exemplaire d’une jeune émigrée, assez forte pour échapper aux pièges tendus par un pays dont la patron s’appelle Bruno, est donc exemplaire. Nous avons découvert cette vertu vivante capable d’un tel courage, de grimper son Everest à mains nues. Elle nous vient d’Oran, heureusement sans avoir eu à traverser la Méditerranée à la nage. Son nom est Aïcha Dahdouh-Daoud. Comme un bonheur ne voyage jamais seul, son mari, Kamel, vient d’obtenir le Prix Goncourt. Pour les égarés, précisons Prix de « littérature ». Et l’égérie du lauréat de chez Drouant vient d’obtenir en France le statut de « réfugiée politique ». Elle le mérite bien. Son dossier a été bouclé le temps de quelques claquements de doigt. Déjà, par une grâce tombée du ciel de Saint Honoré, patron de ceux qui roulent dans la farine, Kamel a obtenu la nationalité française le 28 janvier 2020. C’est ce qui est imprimé dans le Journal Officiel de la République. Le saint chrême qui l’a fait fils de gaulois coulant d’une fiole conservée dans le tabernacle de l’Elysée, la naturalisation s’annonçait peu difficile. Nous avions le « fait du prince », la République l’a transformé en « fait du Président ».
Revenons à Aïcha, assez brillante médecin psychiatre d’Oran pour avoir obtenu le Prix Maghrébin Bensmail, pour elle un Goncourt. A l’hôpital de la ville « radieuse », le docteur Dahdouh reçoit des patients comme Saâda Arbane, une rescapée de l’horrible temps où le GIA, géniteur de Daech et consorts était en guerre contre la République d’Algérie. Enfant, celle qui est aujourd’hui trentenaire, a « vu » et vraiment vu, sa famille être massacrée. Elle ? Le coup de sabre à la gorge l’a laissée vivante, mais privée de cordes vocales. Avec, soudé dans les méandres du cerveau, un « syndrome post traumatique » plus violent qu’un ouragan. Pour tenter de se défaire des idées noires nées dans ses années noires, Saâda Arbane avait un besoin vital de soins d’un psychiatre, ce fût ceux de madame Daoud.
Aujourd’hui, après la publication de Houris, roman goncourisé de naissance par la magie des fées penchées sur son berceau, une Arbane martyrisée, pleure la trahison qui lui est faite : elle affirme avoir retrouvé sa vie, celle contée douloureusement à sa psychiatre, encrée dans les pages du Goncourt ! Dès la sortie du livre, chez Gallimard, la jeune femme a été alertée par des amis répétant une même litanie « Mais c’est ton drame, ta vie, que décrit Daoud ! Tu t’es fait voler ton martyre par ta psy ! ».
Au début de l’année 2024, le docteur Dahdouh se fait rare à Oran. Aïcha prépare son transfert vers la France. Normal puisque son mari occupe maintenant une fonction de casque colonial, accroché au porte manteaux de la pensée néoconservatrice française. Sur le sentier de la gloire elle se devait de le suivre.
Mais comment faire pour mettre en accord le statut de l’épouse et la renommée de l’essayiste ? Elle doit, à Paris, retrouver un titre de psychiatre hospitalier... Et la chanceuse émigrée va réussir. Déclarée « réfugiée politique », elle entre dans une petite cohorte de médecins auxquels la loi rend plus facile l’accès à l’exercice. C’est une martyrisée de l’Etat Algérien qui atterrit donc dans un service de psychiatrie de l’hôpital Pompidou à Paris.
C’est vrai que Aïcha a de bonnes raisons de fuir Oran. La sécurité n’y est pas assurée quand on est femme. Un exemple, une dénommée Nadjat, ex-épouse du Prix Goncourt et mère de ses deux jeunes enfants, a été mise à la porte de chez elle, puis frappée par un homme violent équipé d’un bâton. Heureusement, le battant a été identifié et condamné. Son nom : Kamel Daoud. Futur Nobel.