Mai 2005
Les médias, au service de l’oligarchie mondiale, dénigrent l’expérience vénézuélienne. Celle-ci est en effet insupportable à plus d’un titre pour l’administration nord-américaine : ce pays exportateur de pétrole ose braver les USA en proposant à tous les pays d’Amérique latine de s’unir, de développer la coopération entre eux et de se rendre indépendants de la grande puissance du Nord. Malgré toutes leurs tentatives, les USA ne sont pas parvenus à détruire la révolution bolivarienne, qui est potentiellement de dimension continentale.
Des médias au dessus de tout soupçon ?
Il est sidérant de constater que le processus dans laquelle le peuple vénézuélien est engagé est tellement méconnu en France, alors qu’il est de nature à enthousiasmer de larges secteurs de l’opinion dans notre pays. Il est également sidérant de voir à quel point celui qui le dirige est décrié dans nos médias.
Le gouvernement vénézuélien distribue gratuitement un million d’exemplaires du Quichotte ? Le lecteur français apprend que Chavez est un mégalomane qui cherche à accaparer la gloire de Cervantès !
Le gouvernement de Chavez s’est soumis en six ans à huit consultations électorales qu’il a toutes remportées -de plus en plus largement- et s’est refusé à répondre par la répression à toutes les entreprises de sabotage du régime ? Le lecteur français apprend qu’il est un « gorille...apprenti dictateur » !
Pourquoi tant de haine, tant de mauvaise foi chez nos journalistes, tant d’acharnement contre un chef d’Etat dont la légitimité est incontestable et contre un peuple majoritairement engagé dans un processus de transformation radical ?
On ne le comprend que si on se souvient que toute guerre se prépare dans les médias, car il faut d’abord gagner l’opinion publique pour rendre acceptable une agression ultérieure, qui ne le serait pas sans cette préparation. Or il est de notoriété publique que l’administration Bush considère le gouvernement vénézuélien comme un gouvernement à abattre.
Considérons ce qu’est le Venezuela.
C’est un pays producteur de pétrole, qui détient les plus grandes réserves de gaz et de pétrole lourd de la planète et les Etats-Unis en sont pour l’instant tributaires pour leur approvisionnement. Cette seule raison a suffi pour envahir l’Irak.
C’est un pays qui déclare ouvertement aller vers le socialisme. Cette seule caractéristique a valu à Cuba un demi-siècle d’agression (blocus, tentative d’invasion, tentatives multiples d’assassinat du chef de l’Etat, campagnes médiatiques bien orchestrées qui ont atteint en Europe leur but de discréditer le régime cubain) et aux peuples d’Amérique centrale, qui ont eu dans les années 70 et 80 le mauvais goût de vouloir secouer le joug de l’oppression, de connaître des souffrances incommensurables (organisation de la Contra contre le Nicaragua sandiniste, soutien US aux armées salvadorienne et guatémaltèque. On se souvient de la « théorie des dominos » : l’administration nord-américaine entendait empêcher, à n’importe quel prix, l’un de ces peuples de sortir de la dépendance).
C’est un pays qui oeuvre à revitaliser l’OPEP, à diversifier ses échanges économiques de manière à se rendre indépendant des Etats-Unis (voir les récents marchés conclus avec la Chine) et surtout qui contribue à renforcer l’intégration latino-américaine. Pays associé au MERCOSUR, le Venezuela multiplie les ouvertures vers tous les autres pays du sous-continent. Il va plus loin : il leur propose une rupture avec l’hégémonisme nord-américain, dont le symbole est la décision de donner aux peuples d’Amérique latine une voix et une image propres, avec la prochaine mise en marche de ce premier projet médiatique qu’est la nouvelle télévision du Sud : TeleSur.
Il a contrecarré l’ALCA [1] ( en français ZLEA : Zone de libre-échange des Amériques), qui devait être l’extension à tout le continent de l’ALENA entrée en vigueur en 1994 pour le Mexique, le Canada et les USA, et que la résistance des peuples et de plusieurs gouvernements latino-américains a envoyé aux oubliettes. Face à l’ALCA, le Venezuela a proposé l’ALBA (sigle qui signifie « l’aube » !) : l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques, processus d’intégration visant au développement de « l’Etat social, non dans l’intérêt des élites mais dans l’intérêt des peuples ». Le message bolivarien, c’est le message de l’unité latino-américaine et de l’émancipation de toute tutelle, hier celle de l’Espagne coloniale, aujourd’hui celle des Etats-Unis.
L’ALBA prend tout son sens dans le contexte de la résistance croissante de l’Amérique latine toute entière au système néo-libéral et à la main-mise du géant du Nord : Tabaré Vasquez au pouvoir en Uruguay ; les pays andins en ébullition ; le probable réveil du Mexique après la gestion catastrophique de Fox qui, est parvenu à augmenter la popularité du maire de Mexico, Lopez Obrador, à force de manoeuvrer pour l’écarter de la scène politique ; il n’est pas jusqu’au Nicaragua qui ne donne des signes de vouloir rentrer à nouveau dans l’histoire. La récente élection du secrétaire général de l’OEA a montré que les pays d’Amérique latine n’étaient plus disposés à obéir aveuglement aux instructions de Washington. Dans cette conjoncture, l’ALBA est une proposition intolérable pour les Etats-Unis qui voient leur « arrière-cour » échapper à leur domination.
Le Venezuela enfin a rompu l’isolement de Cuba : il reçoit l’appui de ce pays pour les Missions, il vend à Cuba le pétrole vital pour cette île des Caraïbes, 70 accords commerciaux ont été signés le 1er mai entre les deux pays. C’est intolérable pour les Etats-Unis qui voient déjouer leur plan constant de détruire la révolution cubaine.
Bref, le Venezuela cumule quatre caractéristiques dont chacune suffirait pour en faire la cible de l’administration Bush.
On connaît les plans nord-américains pour renverser un régime :
- le coup d’Etat (type Chili, Guatemala d’Arbenz) : ce plan, mis en oeuvre le 11 avril 2002 au Venezuela, a échoué [2] ;
- le sabotage de l’économie, combiné à un mouvement de protestation et de grève devant mener à une guerre civile (comme au Chili : grève des camionneurs et mobilisation des médias opposés à Allende) : ce plan, mis en oeuvre à l’automne 2003, a également échoué ;
- l’organisation d’une guerre contre un pays voisin, qui affaiblirait les deux et permettrait une intervention, sous le prétexte de protéger les populations ou de rétablir la démocratie...et pour mettre la main sur la région pétrolière à cheval sur les deux pays : les Etats-Unis ont jusqu’à présent échoué à déclencher une guerre entre le Venezuela et la Colombie ;
- l’assassinat du chef de l’Etat : déjà tenté une vingtaine de fois, selon le vice-président Vicente Rangel et toujours d’actualité, au point qu’Hugo Chavez l’évoque fréquemment en déclarant sans ambages que G.W.Bush en porterait l’entière responsabilité ;
- l’invasion militaire, combinée à l’une des autres méthodes.
Fin avril, le Venezuela a suspendu l’accord militaire signé il y a 35 ans avec les USA, provoquant le départ des 4 instructeurs militaires nord-américains, le retour des 90 officiers vénézuéliens étudiant aux USA et la suspension illimitée des opérations conjointes.
Début mai, « Condolencia » Rice réalisait une tournée en Amérique latine qui l’amenait au Brésil, au Chili, en Colombie et au Salvador, tournée dont l’un des buts avoués était d’isoler le Venezuela et qui s’est sur ce point soldée par un échec.
En mars dernier, le premier ministre espagnol et les présidents du Brésil, de Colombie et du Venezuela, réunis à Ciudad Guayana, répondaient aux Etats-Unis qui critiquaient les achats d’armes effectués par le Venezuela. Tant Lula que Zapatero et même Uribe affirmèrent le droit du Venezuela de prendre ses décisions de manière souveraine.
Depuis lors, la défense de la souveraineté nationale constitue l’un des thèmes des discours du président Chavez. Insistant sur l’union entre le peuple et l’armée, il rappelle que le corps de réservistes est un moyen de prévention contre une invasion étrangère.
Le Venezuela a sans nul doute tiré les leçons de la fin tragique du président Allende : le peuple vénézuélien ne sera pas sans défense face à ceux qui voudraient le punir de vivre sa « revolucion bonita ». Il est fier de cette révolution et a l’intuition qu’elle est potentiellement de portée continentale.
Anne Cauwel, pour la revue Volcans.
– Source : Cercle Bolivarien de Paris
cbparis@ml.free.fr.
L’ALBA : une alternative réelle pour l’Amérique latine, par Marcelo Colussi.
A propos de la désinfomation sur le Vénézuéla, voir le dossier Médias et Vénézuéla sur RISAL.
– Lire aussi :
Vénézuéla : Le festin du savoir, par Romain Migus.
La révolution bolivarienne est en marche, par Anne Cauwel.
Vénézuéla : Une révolution baillonnée, par Ernesto Cardenal.
Le journal Le Monde fait la leçon à Chavez, par Pierre Broué.