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De quoi Cahuzac est-il le nom ?

Dessin de Pakman

Le scandale a fini par éclater au grand jour. Tantôt il surprend, du moins par son ampleur. Tantôt il confirme des doutes qui n’en étaient déjà plus depuis des mois. Le Ministre du Budget est coupable de fraude fiscale et de… parjure. Il a démissionné. Il a été mis en examen par la Justice. Il a été exclu du Parti Socialiste et renonce finalement à récupérer son siège de député.

Pourtant, la classe politique ne saurait en être quitte. Les tentatives de faire de l’affaire Cahuzac une simple péripétie due à la grande malhonnêteté d’un homme isolé vont restées vaines. L’affaire a son contexte. Et quand on se refuse à minimiser ce contexte la réalité s’impose : la vie politique est gangrenée. Pire, notre société dans son « ensemble » a dévoyé, au fil des trente dernières années, nombre de ses valeurs. Cahuzac n’est pas que le patronyme d’un homme. C’est le nom d’un mal profond, un mal qu’il sera difficile de guérir, surtout si seuls des remèdes artificiels sont prescrits.

Par son ampleur et la nature de son premier protagoniste, l’affaire est caricaturale. C’est précisément pour cette raison qu’elle ne peut être prise comme la banale défaillance d’un système qui resterait par ailleurs acceptable. Comme toute bonne caricature elle est le remarquable révélateur de divers avatars de notre époque troublée. Quel observateur suffisamment avisé du monde contemporain pouvait décemment s’interdire de prévoir que l’abandon de la régulation des marchés, l’explosion du pouvoir des lobbies et l’acceptation toujours plus forte des conflits d’intérêts, les transferts de la Haute Administration de l’Etat vers la Grande Industrie ou la Haute Finance, le cumul des mandats politiques ne finiraient pas par tous converger jusqu’à la déliquescence du sommet de la République ? L’exacerbation des tendances lourdes du néo-libéralisme économique ne pouvaient que favoriser la recherche du gain maximal de la moindre opération commerciale ou financière, la mise en concurrence de tous avec tous stimulant le chacun pour soi, la domination accrue du capital sur le travail, l’accroissement éhonté des inégalités de revenus et de patrimoines, le développement des communautarismes religieux ou catégoriels divers. A l’inverse, on assista dans le même temps à l’affaiblissement progressif du socle de la protection sociale, à la privatisation des services publics et à la marchandisation des biens communs, au dépérissement de l’intérêt général au profit de la satisfaction d’intérêts particuliers, à l’effondrement de l’engagement politique et syndical.

Le sommet de l’Etat fut en fait atteint bien avant l’actuel scandale. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy fut une période passablement débridée du point de vue des dérives susnommées auxquelles nous pouvons ajouter l’inimitable vulgarité du personnage et la morgue infinie de ses principaux lieutenants. Toutes les affaires du sarkozisme intéressent la Justice et seront, espérons-le, jugées un jour comme il se doit et interdisent par conséquent à la Droite de donner aujourd’hui des leçons de morale politique à la nouvelle majorité. Elles ont du reste une résonance particulière dans la tourmente qui menace le nouvel exécutif. Les électeurs du 6 mai 2012 n’ont pas oublié que le « Président ordinaire » s’était engagé à rendre irréprochable la République. Il savait probablement la tâche impossible - aurait-il pris sinon comme trésorier de campagne un autre affairiste fréquentant assidûment les paradis fiscaux ? - mais il l’a néanmoins promis avec force ce … grand nettoyage. C’est avec la même force que l’imprudente promesse lui revient comme un rappel à l’ordre ou une addition à payer. Tant qu’il y était François Hollande nous avait promis que le « capitalisme fou » deviendrait sage, que la spéculation serait muselée », la finance « encadrée », les banques « surveillées », les paradis fiscaux dénoncés. Une longue année après l’élection présidentielle, tout ce qui a fait la crise financière de 2008 est toujours en place. La montagne de promesses a accouché d’une souris franchement maigrichonne : la « Réforme bancaire » de mars dernier n’affectera les banques que de … 0.75 à 2% de leurs activités ! Les financiers et leurs lobbies ont agi en coulisses pour sortir pratiquement indemnes du chambardement qui leur avait été prédit devant la galerie. Ils ont cerné puis désarmé, un pouvoir politique qui prétendait les mettre sous contrôle. Que vaudra donc le « choc de moralisation » brandi à la face du peuple austérisé pour éteindre l’incendie Cahuzac ?

Désormais, la Gauche est nue ! Ayant appris à gérer l’économie en bons libéraux qu’ils sont devenus depuis beau temps les hommes et les femmes de la Gauche de gouvernement n’avaient plus que la morale pour se distinguer de l’adversaire. C’est fini ! Elle l’a jetée aux orties comme elle a jeté au fil des trente années de sa « modernisation » la plupart des principes qui fonda autrefois l’identité du mouvement socialiste. Ce changement fondamental d’identité s’est accompagné de l’amoindrissement progressif de la capacité de discernement du « personnel » politique. Nous avons peine à croire que personne ne connaissait les malversations de Jérôme Cahuzac. On le laissa prendre toute sa place au sein du PS, place dont il sut se servir dans sa « reconversion médicale. François Hollande a préféré la confiance professionnelle à la confiance politique et mis l’accent sur la compétence technique au détriment de la politique et de la morale. Cela coûte finalement très cher et dit beaucoup sur les travers d’une politique professionnalisée et d’une gauche qui fait primer le discours des experts au détriment du discours politique. Seule une révolution culturelle, restaurant tout à la fois le politique et la vertu, pourrait sauver la Gauche de cette pente fatale. Elle n’est, hélas, pas pour demain.

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