Ci-joint quelques réflexions très rapides et de premier jet que j’ai adressées hier à une amie cubaine, quelques heures après les deux événements (retour des 3 et annonce d’un dialogue pour reprise des relations diplomatiques),
Elsa
Voilà donc l’allocution d’Obama en anglais et en espagnol. Curieux ! Il fait un pas historique, mais avec les pieds toujours bien ancrés dans la boue du passé, ce qui est tout de même assez contradictoire. Car, comme tu le constateras, le ton n’a pas changé, et les visées restent bel et bien les mêmes : que Cuba change de cap pour rentrer dans le giron capitaliste. Et puisque la coercition ou le bâton n’a rien donné pendant cinquante-cinq ans, eh bien, utilisons donc la caresse, autrement dit la carotte. Ce dont les USA auraient pu se rendre compte depuis longtemps, d’ailleurs, s’ils savaient comprendre leurs interlocteurs. Mais ce serait trop leur demander. Quand Raúl prend la parole pour annoncer aux Cubains les deux grands événements : retour des 3 et reprise à terme des relations diplomatiques, il se contente de le dire sans se mêler des affaires intérieures des Etats-Unis. Quand Obama le fait, il déclare on ne peut plus clairement que Cuba doit changer sur tous les points qui l’intéressent : les droits de l’homme, la démocratie, la société civile, et tout le saint-frusquin ; il continue d’affirmer que son administration poursuivra ses ingérences, utilisera des fonds pour atteindre ses objectifs, etc. Bref, c’est toujours la même posture arrogante, le même discours "langue de bois", et surtout les mêmes visées qui n’ont rien à voir avec des négociations sur un pied d’égalité, comme la Révolution cubaine ne cesse de le demander depuis cinquante ans. Quand je te disais que j’avais assez vécu pour n’accorder aucune confiance aux administrations étasuniennes, c’est parce que j’étais convaincu, même sans avoir lu son allocution, qu’Obama continuerait de parler le langage outrecuidant du chef de l’Empire. La diplomatie cubaine va avoir du pain sur la planche et devra jouer fin pour faire comprendre à cette administration que la notion d’ "égalité souveraine des Etats" n’est pas qu’un vain mot, ou une notion creuse, mais qu’elle est la défense des petits face aux grands. Et si les USA ne parviennent pas à comprendre que la Révolution cubaine a de la dignité à revendre, alors ils n’ont rien compris.
Voilà, ce sont juste quelques réflexions qui me passent par l’esprit, et que j’avais envie de partager avec toi. Ceci dit, nous avons vécu aujourd’hui un moment bel et bien - j’emploie le mot, même s’il est tellement galvaudé - "historique". Quelque chose vient de se passer, qui marque un avant et un après. Ne serait-ce que le retour de ces trois derniers géants qui rendent toute sa dignité à l’espèce humaine. J’ai eu la chance d’avoir eu à traduire, voilà maintenant si longtemps, les cinq plaidoiries que les 5 ont prononcées après avoir été condamnés, et je suis resté absolument impressionné par l’immense qualité humaine qui s’en dégageait. Et la façon dont ils ont assumé leur long calvaire m’a conforté jour après jour dans ce sentiment. Les images de la rencontre avec leurs familles m’ont fait monter des larmes aux yeux et serré la gorge, je l’avoue sans la moindre honte. Et je me dis que, tant qu’elle sera capable d’engendrer de tels géants, la Révolution cubaine a de beaux jours devant elle et qu’il n’y a pas à en désespérer, comme certains, voire beaucoup, voudraient nous en faire accroire.