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Canal Z, l’aventure de l’appropriation populaire des médias au Venezuela

Après 40 ans de critique de médias passés sous contrôle de grands actionnaires privés ou imprégnés de logique commerciale, à quoi bon perdre encore le temps à tirer sur les “pianistes” – journalistes qui se déchainent contre un référendum en Grèce ou transforment en “dictatures” des démocraties d’Amérique Latine ? La solution n’est-elle pas plutôt de démocratiser la propriété des médias ? Après Tatuy TV, Lara TVe, nous poursuivons avec Canal Z notre enquête sur l’appropriation populaire de la communication au Venezuela. Expérience difficile… mais unique au monde.

Q – Comment est né Canal Z ?

R – Canal Z voit le jour en 2000. Ce fut au départ une revue née de la volonté de certains quartiers de populariser les expériences dans le domaine culturel. Ce sont les habitants du quartier Rafael Urdaneta de Maracaibo qui en sont les initiateurs et qui avaient également mis sur pied un réseau de distribution de l’eau. L’aide, elle est venue de professeurs, et d’étudiants (universités), de militants expérimentés. En 2000, la publication s’intitulait Letra Zurda. C’est de là que vient le »Z », qui identifie désormais cette station de télévision.

Sur le plan juridique, Canal Z existe depuis 2002, à la d’une rencontre organisée par des animateurs de médias communautaires, les camarades de Catia Tve. C’est à cette occasion, qu’enthousiasmés par cette expérience, les futurs fondateurs de Canal Z ont pris la décision. Aucune télévision communautaire n’émettait depuis Maracaïbo. À l’origine, on avait prévu de l’implanter dans le secteur ouest de la ville. Bien que cette partie concentre le plus grand nombre de quartiers, c’est aussi celle qui est la moins bien lotie. Donc en 2002, peu après le coup d’État contre Chavez co-organisé par les médias privés, que le projet prend corps, et qu’en mars de la même année, la station de télévision est légalisée. C’est à partir de la tenue de vidéos-débats, que la station a commencé à capter l’attention des gens dont nous espérions qu’ils nous rejoignent, et qu’ils participent à l’initiative. Ce sont ceux-là même, qui donneront corps à cette structure organique, de type horizontal, composeront les équipes de production audio-visuelle communautaires, en charge de l’organisation -dans tous les quartiers- des vidéos-rencontres. On y collectera ainsi, tout ce qui relève de l’histoire locale ; des questions locales, etc. En cette période de coup d’État, on s’est appuyés là-dessus, pour montrer ainsi, toutes les choses que les médias privés taisaient. Les manipulations allaient bon train, tant et plus. On a donc décidé de relayer les luttes en cours. Et on a rallié beaucoup de gens à notre projet.

Q.- Vous avez une expérience télévisuelle, hors du cadre communautaire ?

R – Sur le plan professionnel ?

Q – Vous avez été contacté par d’autres stations non communautaires ? Vous en avez visité les locaux ?

R : Oui. Des stations qui relèvent du secteur public. Je pense à Vive TV, avec laquelle les contacts ont été étroits durant toutes ces années de travail. Il y a aussi Catatumbo TV qui est proche de la mouvance privée. Avec eux, on a monté quelques coproductions,etc. Dans tous les cas, notre vision des choses et la leur, sont compatibles.

Q – Qu’est-ce qui différencie entre eux les secteurs communautaire, public et commercial ?

R – En connaissance de cause, nous pensons que les moyens de production sont entre les mains des grandes entreprises de diffusion audio-visuelle. Leur position dominante dans les domaines technique, en audience et sur le terrain technologique, leur permet de contrôler ce qui relève de la culture populaire, jusques et y compris les secteurs de la consommation et de la vente. Sans oublier les manœuvres visant à influer sur ce que l’on dit, ce que l’on pense, sur les conduites à suivre, et la mode.

On a décidé de construire quelque chose, le plus éloigné possible de ce système. On est bien conscients du fait qu’une station de télévision privée sert avant tout les intérêts de ceux qui la possèdent, des patrons d’entreprises qui la financent, et de certains acteurs de la scène politique. Et les intérêts en question peuvent se situer aussi hors des frontières de notre pays.

Il faudrait aller vers plus de démocratisation : en finir avec cette idée dépassée selon laquelle les médias seraient le domaine réservé des journalistes ou des experts. Pourquoi auraient-ils plus de qualités pour s’exprimer qu’un habitant de quartier ou qu’une association ? Celui qui a quelque chose à dire, peut le dire et il a tous les outils à sa disposition pour le faire. Tout cela donne de la crédibilité au message. C’est ce qui nous distingue des stations de télévision privées et publiques où il y aura toujours l’obligation de préserver ou de promouvoir quelque chose. Dans notre cas, notre souci principal consiste à ce que les choses se voient et se disent. Ce qui influe sur d’autres éléments : ce qui est montré, et comment c’est montré. En effet, le modèle esthétique dominant (NDLR : au Venezuela, les médias privés font, en 2015, 80% d’audience) exige que ceux qui apparaissent à l’écran obéissent à certaines caractéristiques physiques (blanc(he), blond(e), etc.. Sans oublier la forme commerciale à respecter. Nous rejetons ce travestissement de la réalité. Ce qui ne signifie pas que les choses à voir, soient laides ou mal faites. Il faut tout simplement coller à la réalité et laisser de côté toutes ces formes de camouflage et ces apparences que l’on nous habitue à voir à la télévision. La réalité, toujours différente, génère une forme différente.

Sur le plan technique, les stations de télévision communautaires sont sérieusement handicapées, du fait de leur dépendance technologique (NDLR : au Venezuela l’économie est à 80% aux mains du secteur privé). On est en effet obligés d’importer pratiquement tout ce dont nous avons besoin. Du câble au transmetteur. Mais aussi aux caméras. Toutes ces choses. Quand du matériel se dégrade, les pièces de rechange sont difficiles à obtenir. C’est coûteux. Le système économique dominant au Venezuela reste privé, lié au rentisme pétrolier : il est plus facile d’importer pour les privés que de produire chez nous. Par conséquent, les pratiques spéculatives sur ces équipements atteignent des proportions énormes.

Sans l’aide de l’État, il y a des technologies qui seraient inabordables pour nous, les télévisions communautaires. On ne pourrait pas les acheter, tant elles sont coûteuses. Non seulement il faut les renouveler fréquemment, mais elles demandent aussi, un gros effort de maintenance. Sinon, on est rattrapé par l’obsolescence des matériels. En plus de la dépendance technique, on rencontre également des difficultés à avancer sur le thème de l’autonomie financière. Nous sommes en train de rechercher les moyens nous le permettant, sans recourir au sponsoring ou à l’appui de l’État. Ce qui est sûr, c’est qu’en aucun cas, nous ne ferons appel à la publicité ou à des choses de ce genre.

Q – Vous bénéficiez de subventions ? Est-ce l’État vous paient pour réaliser des programmes ?

R : Non. Tout d’abord, on ne vend pas nos espaces. On ne procède pas comme ça. Si quelqu’un souhaite réaliser un programme, aborder une question quelconque, la première chose à faire, c’est de s’organiser, et de se former, de s’approprier les outils permettant de mener à bien le programme prévu. On ne vend pas nos espaces. On n’en tire pas profit, tout comme l’État ne nous rémunère pas. Je l’ai déjà dit. En tant que médias communautaires, nous sommes profondément engagés dans le processus révolutionnaire pour une raison simple : la démocratisation de la politique. Mais nous ne sommes pas »gouvernementaux », au sens où l’État nous entretiendrait. Nous ne sommes pas dans ce schéma. Le nôtre, c’est être partie prenante d’un processus en voie de consolidation.

Ceci dit, la question de l’auto-suffisance, est l’une des plus difficiles auxquelles nous sommes confrontés. Comment procéder pour surmonter cette dépendance vis-à-vis de l’État ? Cette dépendance économique et financière ? Il faut dire qu’on ne reçoit pas d’argent pour que la station de télévision existe en tant que telle. On peut recevoir un paiement à travers la diffusion de messages d’intérêt général. C’est précisément ce terrain que nous explorons à Canal Z. Je pense notamment aux projets de formation qui nous permettent d’assurer l’auto-suffisance de notre structure. Il y a aussi le thème de la participation, dont on perçoit quelques signes d’essoufflement. Je crois que c’est inhérent au processus cyclique que vit la révolution dans cette étape. Cela a poussé quelques compagnons à se détacher de ce type d’investissement. Au final, deux éléments se détachent en terme de difficulté : la dépendance sur le plan technologique et la dépendance économique.

Q – Quelles solutions pourrait-on apporter à tout cela ?

R : Continuer à inventer. Nous tentons de trouver la bonne formule qui nous permettrait de résoudre les problèmes des volets économique et technologique. La nationalisation de la production serait une solution.

Q – Et sur l’articulation organisation populaire/télévision communautaire ?

R : Il faut renforcer ces deux mouvements : aller vers les membres de la communauté, et sur ce que nous faisons. Mais il serait souhaitable que les membres de la communauté aillent également à nous. Car ce projet, ce n’est pas seulement celui de Keila, de Kenia, de Roxalide. C’est un projet qui appartient à tous. Nous sommes ce que notre slogan exprime bien : »la fenêtre populaire ». Donc, celui qui le veut, il vient. L’idée, c’est qu’il y ait le moins de dépendance possible par exemple s’il y a un transport disponible ou non pour aller jusqu’à Canal Z. L’idée, c’est de montrer les processus en cours, les luttes.

R – Moi, j’étais présente à l’inauguration de Canal Z. J’étais jeune. J’en étais également, lorsqu’il était question du programme Barrio Adentro (NDLR : programme de santé gratuite installé dans les quartiers populaires) et des luttes que nous avons menées et gagnées. Canal Z nous a aidés.

Q – Pourquoi le lien avec Canal Z ne s’est-il pas renforcé ?

R – Parce qu’on a perdu la liaison avec Canal Z.

Q – Tu aimerais participer ?

R – Évidemment ! On continue à voir nos têtes quand Canal Z nous apporte son soutien.

Q – Sous quel angle vois-tu l’expérience de Canal Z ?

R – C’est une expérience d’autant plus merveilleuse que j’étais là, à ses balbutiements. Cela faisait un bout de temps que je n’étais pas revenue ici. Le studio est vraiment bien. Il s’est beaucoup agrandi.

Q – Tu as conscience que c’est moins à Canal Z d’aller vers la communauté que l’inverse ?

R : Oui. En tant que communauté, nous nous devons d’investir Canal Z, parce que c’est l’unique média de ce genre. Et il nous apporte son soutien. Alors que les autres médias ne le font pas.

Q – Qu’en est-il de ta participation ? Ici même, au sein de cette communauté ? Quel est ton nom ?

R : Bonjour. Mon nom, c’est Édith Pirela. Je suis coordinatrice de quartier des Comités pour la Santé du programme Barrio Adentro. Pour répondre plus précisément, je voudrais dire d’abord que je suis fière de tout ce qui compose Barrio Adentro Santé. On avait affaire à de nombreuses communautés qui ne bénéficiaient d’aucun soutien en la matière. Il y avait des gens qui ne savaient même pas qu’existaient des moyens pouvant sauver des vies. Qui leur donne cette qualité de vie, dont nous avons besoin en tant qu’êtres humains. Personne ne nous tendait la main, à l’exception de Hugo Chavez. C’est lui qui nous a ouvert les yeux. Nous le répétons souvent. Nous sommes des êtres humains. On n’attend pas que l’on nous réponde : »Oh les pauvres ! ». Nous choisissons la lutte. Un groupe de personnes issues des communautés et des quartiers s’est lancé dans Barrio Adentro. Quelques collaboratrices, des mères de famille en fait. Et ces femmes au foyer comme on les appelait avant, eh bien ces femmes au foyer se sont rassemblées, et ont répondu à cet appel du président : »j’ai besoin de vous ». Aujourd’hui nous poursuivons la lutte.

Q – Et ton lien avec l’expérience de Canal Z ?

R – La persévérance nous a fait défaut. On n’a pas suffisamment appuyé Canal Z dans son travail. Parce qu’être présent en permanence, c’est difficile. Les membres de l’équipe en avaient conscience, et ils s’en sont préoccupés. Après l’inauguration, on aurait dû les assister, leur apporter notre appui. Dans ce domaine, on n’a pas été à la hauteur. On doit remédier à cela, c’est ce qui explique ma présence ici. Comme vous l’avez dit : ce n’est pas à Canal Z d’aller vers nous en permanence.

R – Bonjour. Je m’appelle Doris del Carmen Ortiz Baez. Je travaille en tant qu’éducatrice de santé au dispensaire El Membrillo, Quartier Francisco Eugenio Bustamente. Je me félicite de l’existence de Canal Z, parce qu’on n’a pas besoin de maquiller la réalité. On n’a pas besoin d’être des professionnels de la télé. On n’exige pas ce qui l’est dans le secteur privé. Du genre, si tu n’es pas un député, si tu ne sais pas t’exprimer correctement, si tu n’es pas ceci ou cela, on te dénie le droit de mettre les pieds dans la station. On te refuse l’entrée. Les médias communautaires, ils sont solidaires. Par conséquent, c’est bien que ce lien existe. Cela doit continuer. C’est l’existence même du canal qui en définit la mission. Pourquoi ? parce qu’il va vers les communautés et s’adresse à la personne qu’il faut. De la base. Il s’adresse à ceux qui savent comment naît une Mission.

R – Mon nom, c’est Morelia Herrera. Cela fait à peu près 3 ans que je suis partie prenante du collectif Canal Z. Appréhender la télévision communautaire comme un outil, ce n’est pas une fin en soi. Tout comme ne doit pas l’être le fait d’assumer des responsabilités au sein de la station, et de garder pour soi, les connaissances acquises. Il faut au contraire, être un élément démultiplicateur, et participer ainsi à la consolidation d’autres collectifs. Il est nécessaire d’assumer cette démarche et son caractère révolutionnaire bien compris. Ce n’est pas le fait d’entrer en relation avec des collectifs pourvus d’une station de télévision communautaire, qui prime. Ce qui compte, c’est le lien que l’on noue, la liaison que l’on établit avec toutes les expériences en cours. On peut partir d’expériences personnelles, et mettre en place une relation étroite avec d’autres.

Q – Comment la télévision communautaire, peut-elle aider à la construction du pouvoir citoyen ?

R – Si l’on part de ce qui vient d’être dit, c’est-à-dire du lien à établir, il faut dans un premier temps comprendre la situation. On devient complémentaires, à partir de la mise en visibilité des actions en cours. Y compris celles dont on s’occupe. Il ne s’agit pas seulement de l’action engagée par les télévisions communautaires. Cela englobe aussi les batailles d’autres collectifs, dont on relaie l’action soit par le biais des programmes de télévision ou de toutes autres formes de médias populaires. Par exemple, la radio. L’objectif : populariser et rendre visibles toutes ces initiatives. De cela, nous en sortons toujours plus forts. Plus solides. Cela provient de l’assimilation des expériences propres à d’autres collectifs. Y compris ceux qui n’ont pas à leur disposition un média communautaire. Quel sont les buts à atteindre ? où nous situons-nous par rapport aux autres ? Quelle est la nature de l’aide à envisager ? En tout état de cause, la leçon à tirer de tout cela, est la suivante : c’est avec le collectif que l’on peut avancer. Dans le contexte actuel, je crois que c’est l’une des plus grandes expériences dont on puisse faire mention en ce moment.

Q – Tu nous donnes ton avis sur le contenu de la programmation ?

R : L’un des aspects les plus séduisants, c’est la volonté toujours affichée, d’être présents, là où l’on se doit de l’être : aux côtés des luttes populaires. Comme Kelly le disait tout à l’heure, quand on fait la comparaison avec les médias privés, on parle beaucoup de professionnalisme, et on travestit la réalité. En ma qualité d’auteur-compositrice, j’ai expérimenté concrètement ce lien. C’est pour toute ces raisons que j’ai souhaité faire partie de cette expérience. Parce que d’une certaine manière, je connais le caractère monstrueux du secteur privé dans ce domaine. Je sais comment on formate un chanteur. Ce n’est pas le talent, ni le message ou le contenu du répertoire qui priment mais la dimension commerciale qui domine. A rebours, ici quelqu’un peut s’exprimer librement à travers la chanson. C’est mon cas. Voilà un autre thème susceptible d’étoffer les champs d’un média communautaire. Dans ce cas, c’est le message qui importe. Et le message principal qui transparaît à travers les batailles menées, mais aussi à partir du moment où tu franchis les portes de la station se résume en ces mots : solidarité, respect des principes, honnêteté.

Canal Z sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC1szr01op1-mexsm8h70_jQ

Entretien réalisé à Maracaïbo par Iris Castillo et Gladys Castillo, membres de la télévision communautaire Catia Tve (Ouest de Caracas)

Traduction : Jean-Marc del Percio

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