L’article de Marianne s’appelle "Hugo Chavez vire - vraiment - autocrate". Avec "Hugo Chavez" écrit en rouge. Une photo le montre brandissant un livre rouge. La légende confirme : "le président vénézuélien s’applique a bétonner son pouvoir personnel". On nous parle de violence, de blessés, d’arrestations, de fermeture de médias, d’un chaos qui "sent la mise au pas", et de mystérieuses lois sur mesure pour baillonner l’opposition. C’est signé Martine Gozlan (19 aout-4 septembre 2009).
Dans l’Express du 8 septembre Axel Gyldèn confirme : "le Venezuela est devenu, sous Chavez, une autocratie gérée comme une hacienda. La pauvreté n’a pas reculé. La criminalité a explosé. Les emprisonnements politiques arbitraires se multiplient. Les atteintes à la liberté d’informer sont devenues la norme. La guérilla "bolivarienne" des FARC (coupable de crimes odieux et d’enlèvements par centaines) compte sur l’appui déclaré du président "bolivarien".
Mais pourquoi le Venezuela excite-t-il à ce point la langue de bois du Parti de la Presse et de l’Argent ? Noam Chomsky, en visite à Caracas il y a quelques jours, expliquait au président vénézuelien : "La mafia des puissants ne vous pardonnera jamais tant que vous ne payez pas leur rançon. Si vous la payiez vous seriez traité comme "un remarquable homme d’État". Mais vous êtes devenu le dangereux microbe à exterminer." (1)
Deux sondages récents, celui de l’IVAD, agence publique et celui de Datanalisis, agence privée peu suspecte de sympathie pour Hugo Chavez, indiquent que la popularité du président continue de grimper. Près de 60 % d’opinions positives en aout 2009, conséquence logique des progrés économiques et sociaux, de la baisse continue de la pauvreté, de l’essor de la santé publique en milieu populaire, etc...
Samedi dernier opposants (minoritaires) et partisans (majoritaires) de la loi sur l’Éducation ont manifesté pacifiquement, sans heurts ni blessés. Les dirigeants de l’opposition sont dépassés par l’adhésion croissante de la population, dont une part de leur propre base, aux avancées sociales, à la democratie participative. Divisée, incapable de proposer une alternative sociale, l’opposition voit fondre ses voix au fil des scrutins. Et ce malgré son quasi monopole des ondes télévisées, radio (80 % du spectre hertzien) et de la presse écrite.
Cette perte d’influence pousse de temps à autre quelques casseurs de droite à fournir les "illusions nécessaires" aux photographes d’AFP et de Reuters. Mais ces gros plans en circuit fermé mondial ne trompent plus la majorité des vénézuéliens, béneficiaires d’une transformation pacifique menée depuis dix ans par la voie des urnes et des lois. Processus remarquable si on compare avec la violence des pays voisins, Colombie ou Mexique. Dans une societe composée à 80 % de secteurs populaires, qui - mis à part une minorité raciste, hantée par la haine de classe comme en Bolivie - s’opposerait sérieusement à une loi créant "l’éducation publique et sociale, obligatoire, gratuite, de qualité, de caractère laïque, intégral, permanent, socialement pertinente, créative, artistique, innovatrice, pluriculturelle, multiethnique, interculturelle et multilingue" ? (2)
"Chavez a fermé une trentaine de radios" s’indigne Martine Gozlan. C’est tout le contraire. En révoquant légalement des concessions périmées ou acquises frauduleusement, la CONATEL - le CSA vénézuelien - se montre plus démocrate que son homologue francais. Elle libère des fréquences que pourront occuper des médias associatifs. Elle tient compte de la revendication des citoyen(ne)s qui veulent s’exprimer en dehors du monopole commercial ou évangéliste. Faire passer, comme le fait Mme Gozlan, une démocratisation (timide) du spectre radioélectrique pour une atteinte a la liberté d’expression, était un classique des campagnes contre Salvador Allende. Le cinéaste Oliver Stone présentait hier son nouveau documentaire "South of the border" à la Mostra de Venise : "Le manque de liberté d’expression que dénoncent les médias et l’opposition vénézuélienne est un mensonge. Celui qui va au Venezuela se rend compte que 80, 90 % des médias sont contre Chavez. Ils disent des choses trés dures sur lui et il le tolère. Il ne punit pas ces personnes, elles sont toujours en place. Aux États- Unis cela ne se passerait pas ainsi." (3)
Mais "Chavez-est-le-grand-ami-du-tyrannique-Amadinejhad !" répète Martine Gozlan en début et en fin d’article pour mieux fixer l’adhésion du lecteur. Il est vrai que le president vénézuélien a reconnu (comme le Washington Post ou le Figaro) que le président iranien a été élu par la majorité et qu’il a précisé qu’une minorité ne peut remettre en cause le verdict des urnes. Le président Lula, qui n’est pas vraiment un intégriste, vient de critiquer vivement les occidentaux : "Les puissances occidentales se trompent dans leur politique vis-à -vis de l’Iran, en faisant pression sans dialoguer. Critiquer le processus électoral revient à s’immiscer dans les affaires intérieures. Je déplore le climat de sanctions que projette l’Occident sans nouer de relation directe avec Téhéran. Il est impératif de parler avec le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Cela vaut pour Barack Obama comme pour Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown." (4). Le coup de "l’axe du mal" Venezuela-Iran permet d’occulter que l’essentiel de la politique extérieure de Chavez, inspirée par l’esprit de Bandoeng et par la vision émancipatrice de Bolàvar, vise l’unité et l’indèpendance de l’Amérique Latine et des pays du Sud en général : Petrocaribe, Unasur, Banco del Sur, Moneda Común, ALBA, Sommet Latino-Africain... tant de chantiers dont on ne nous dira rien.
L’écrivain et historien pakistano-britannique Tariq Ali, auteur de "The Clash of Fundamentalisms : Crusades, Jihads and Modernity" (Verso 2002), est co-scénariste du film d’Oliver Stone. Pour lui, "Qualifier le président vénézuélien d’autocrate populiste est peu objectif ou mal informé. Les médias nord-américains et européens agissent contre l’Amérique du Sud et ses présidents. Nous avons fait ce film pour résister à ces campagnes. Oliver Stone s’est rendu sur place avec sa caméra et a interviewé 5 ou 6 présidents. Pour que le spectateur puisse se faire sa propre opinion. (..) Avant les pauvres étaient invisibles, personne ne se souciait d’eux. En Bolivie 85% de la population sont des indigènes mais on ne parlait jamais d’eux. Evo Morales les a rendus visibles. Au Venezuela les pauvres ne votaient pas parce qu’ils savaient que cela ne servait à rien, que cela ne ferait pas la différence. Aujourd’hui ils votent parce qu’ils savent qu’ils peuvent faire la différence et ils votent pour le président Chavez. Celui-ci a organisé plus d’élections que n’importe quel gouvernement d’Amérique Latine. Chaque fois qu’il l’a fait il avait 80% des médias contre lui et pourtant il a gagné. Plus démocratique que cela, impossible." (5).
Pourquoi Marianne ou l’Express embrassent-ils aveuglément la vulgate mondiale ? Un simple droit de suite démonterait facilement des années de mensonge. Ne nous annoncait-on pas, il y a deux ans, la militarisation du régime, le parti unique, le joug des lois spéciales, la "cubanisation" du Venezuela ? Or qu’en est-il aujourd’hui ? Le régime ne s’est pas militarisé, le parti n’est pas unique (on compte quarante partis de droite à gauche) et les lois spéciales (prévues dans la constitution antérieure à Chavez) ont simplement permis d’accélérer quelques grands projets au service de la justice sociale (nationalisations de secteurs-clefs comme l’électricité, la sidérurgie, les télécommunciations, le ciment pour la construction, , etc...). Les multiples scrutins ont tous été validés par les observateurs de l’UE, de l’OEA ou du Centre Carter comme "transparents, équitables, offrant les garanties nécessaires à l’opposition". Des milliers de conseils communaux pratiquent le budget participatif pour attaquer la corruption et continuer à faire baisser la pauvreté.
Martine Gozlan demande sans rire que Marianne dénonce enfin l’autocrate... "après avoir tant critiqué dans nos colonnes ceux qui l’attaquent". Certes transformer en "autocratie" une démocrate participative soutenue par les mouvements sociaux de tout le continent, présente quelque avantage au cas où les puissants de ce monde repassaient à l’action.
Thierry Deronne
Lic. en Communications Sociales, avec Laynel Fumero et Nelson Cova, politologues vénézuéliens, Caracas, le 8 septembre 2009.
(1) Noam Chomsky, Caracas, aout 2009, voir aussi
article sur sa conférence
(2) Sur la désinformation qui pèse sur la nouvelle loi de l’éducation, voir "Mr. Langelier prend un aller simple pour le pays des soviets".
(3) Oliver Stone, conférence de presse à la Mostra de Venise, 06-09-2009. Voir le trailer du film "South of the border" : http://www.youtube.com/watch?v=Hwhau48LUAA
(4) Président Lula, déclarations à TV5, RFI à la veille du voyage de Nicolas Sarkozy au Brésil.
(5) Tariq Ali, conférence de presse à la Mostra de Venise, 06-09-2009.