Quelques semaines de pandémie dévastatrice ont suffit pour que les États-Unis entrent dans la phase finale d’une crise qui s’éternise et qui pourrait bien se transformer en leur crise terminale. Bien que la pandémie soit toujours loin d’avoir atteint son pic, et qu’une confusion (prévisible et compréhensible) continue de régner dans la société étasunienne, terrorisée et prise au dépourvue, les premiers signes annonciateurs de cette crise terminale commencent déjà à être visibles : l’économie est dans le coma et les chômeurs se comptent déjà par dizaines de millions, tandis que Trump et ses partisans donnent l’impression de se préparer pour l’affrontement décisif dans la rue plutôt que dans les urnes.
C’est ainsi que Trump n’hésite pas à se mettre en dehors de toute légalité en prenant la tête d’une véritable croisade contre les gouverneurs des États fédéraux qui préfèrent le confinement de leurs concitoyens plutôt que leur retour -précoce et au prix de leurs vies- au travail. Et Trump ne se limite pas à contester aux gouverneurs leur droit bien constitutionnel d’être les seuls maîtres dans leurs états. Il passe aux actes en appelant publiquement ses partisans à « libérer » ces États fédéraux et en mobilisant dans les rues ses fidèles d’extrême droite, souvent armés jusqu’aux dents !
Simple extravagance et aberration d’un président cyclothymique, comme le prétendent généralement les médias et les chancelleries de par le monde, ou plutôt une initiative présidentielle bien calculée et terriblement redoutable ? Notre réponse est catégorique : indépendamment de l’issue finale de ce bras de fer de Trump avec les gouverneurs (démocrates mais aussi Républicains), on est ici devant un événement très grave et créé de toutes pièces pour servir un double objectif : évidemment, servir les intérêts d’un capitalisme étasunien cynique et sans scrupules qui se fiche éperdument des vies des salariés quand il s’agit de préserver ses profits. Mais aussi et peut être surtout, servir la marche de Trump et de ses acolytes vers un pouvoir toujours plus anti-démocratique et autoritaire sinon carrément dictatorial. (1) Et ce n’est pas du tout un hasard si plusieurs des amis et des admirateurs de Trump de par le monde (du brésilien Bolsonaro aux dirigeants de la très néonazie Aube Dorée grecque) déclarent en même temps que lui la guerre au confinement et vont jusqu’à prétendre que la pandémie n’est qu’une simple grippette...
Cependant, l’offensive de Trump contre les gouverneurs n’est pas sans comporter des risques. Tout d’abord, elle contraint tout ce monde agressé par Trump à serrer les rangs et à faire front car il en va potentiellement de sa survie, c’est a dire de la survie de l’État fédéral lui-même ! C’est d’ailleurs pourquoi ceux qui résistent à l’offensive de Trump ne sont plus seulement les gouverneurs démocrates, mais aussi quelques gouverneurs de son propre parti républicain, ce qui constitue une nouveauté absolue depuis le début de la présidence Trump. Mais, le pire serait encore à venir si Trump persistait dans ses incursions autoritaires dans les prérogatives constitutionnelles des gouverneurs, ce qui obligerait au moins quelques uns de ces derniers, pressés par la grande majorité de leurs concitoyens radicalement opposés à un Trump toujours plus anti-démocratique et autoritaire, à se « barricader » dans leurs états, et à chercher le salut dans le repli en marge ou même en dehors de l’État fédéral.
Qu’on s’empresse pas de dire qu’un tel scenario est de la pure science fiction. Et pas seulement parce que, par les temps qui courent, on en a vu d’innombrables scenarii « impensables » devenir réalité. La perspective de voir par exemple la cinquième économie mondiale, la Californie, scissionner des États-Unis pour devenir un état indépendant pourrait se réaliser si la crise, l’autoritarisme de Trump ou la menace d’une guerre civile généralisée rendaient intenable le maintien dans la Fédération de cet état fédéral, qui vote d’ailleurs très majoritairement contre Trump. Et ceci d’autant plus que la vieille tentation indépendantiste californienne se renforce dernièrement en même temps que des milliers de californiens républicains et conservateurs choisissent de vendre leurs maisons et d’aller habiter ailleurs (par exemple au Texas) dans les États-Unis.
C’est donc précisément à ce moment terriblement critique de l’histoire du pays, quand Trump et toute la réaction capitaliste et obscurantiste sont en train de lancer une offensive sans précédent contre ceux d’en bas, que Bernie Sanders jette l’éponge et déclare sa campagne terminée. Et comme si tout cela ne suffisait pas, il annonce son soutien au très imprésentable et néolibérale Joe Biden. Évidemment, Bernie Sanders ne pouvait pas faire autrement du moment qu’il avait promis – seul lui entre tous les candidats démocrates ! - depuis des mois de soutenir celui que le parti Démocrate allait présenter contre ce Trump qu’il a toujours décrit comme « le président le plus dangereux de l’histoire des États-Unis ». Mais, force est aussi de constater que cette fin sans gloire de sa campagne a semé le découragement chez nombre de ses jeunes supporters accentuant leur désorientation déjà perceptible depuis le début de cette pandémie qui bouleverse les règles de la confrontation politique. Et cela malgré le fait que Sanders continue de faire l’unanimité dans le camp progressiste et de gauche, que personne ne conteste sa contribution déterminante dans le réveil – tant attendu – de la classe ouvrière et surtout, dans la formation du plus grand et prometteur mouvement de masse anti-système dans l’histoire moderne des États-Unis. (2)
En somme, ce qui semble dominer actuellement dans la gauche et la jeunesse progressiste est la certitude que le puissant mouvement créé par Bernie Sanders n’a pas encore dit son dernier mot, une certitude mêlée à la perplexité angoissante (bien compréhensible) que provoquent tant les problèmes gigantesques et totalement inédits créés par la pandémie de coronavirus que l’absence actuelle d’un pole organisationnel indépendant et crédible. Un pole vers lequel pourraient se tourner tous ceux et toutes celles disposées non seulement à résister à Trump mais aussi à lutter pour ce monde radicalement différent esquissé par le programme politique de Bernie Sanders. En d’autres mots, ce qui fait maintenant cruellement défaut est le célèbre « troisième parti », le parti Socialiste américain de masse capable d’unifier, de coordonner et donner une perspective politique aux luttes (existantes) de mouvements sociaux (existants) qui regroupent déjà des millions de citoyens étasuniens !
Grâce à l’extraordinaire travail accompli par Bernie Sanders ces 4-5 derniers ans, et grâce au mouvement de masse qu’il a inspiré, il y a maintenant réunies toutes les préconditions nécessaires pour la création aux États-Unis d’un vrai parti socialiste crédible et classiste. Un parti socialiste capable d’ébranler sérieusement le bipartisme nord-américain, de garantir – enfin – l’indépendance de classe de ceux d’en bas, et surtout, en mesure d’unifier les résistances contre la terrible offensive anti-démocratique et anti-ouvrière de Trump...
Notes
1. Voir aussi notre précédent article États-Unis : “ La pandémie accélère la crise et dessine les contours de l’affrontement de classe qui se prépare ” : https://www.cadtm.org/Etats-Unis-La-pandemie-accelere-la-crise-et-dessine-les-contours-de-l
Des milliers de textes, vidéos et images de première main venant des États-Unis et concernant tout ce qui se passe au sommet mais surtout à la base de la société étasunienne, sont postés heure après heure sur le compte Facebook « Europeans for Bernie’s Mass Movement » que nous avons lancé il y a 4 ans et que nous conseillons vivement aux lecteurs de gauche :
https://www.facebook.com/EuropeansForBerniesMassMovement/
2. Ces quelques lignes ne constituent en aucune manière ni un bilan ni une « nécrologie » politique de Bernie Sanders, qui reste très actif et en “ réserve de la République”. Le bilan ainsi que l’évaluation de l’action et de l’apport capital de Bernie Sanders à la réhabilitation de la lutte de classe et du socialisme, la radicalisation de la jeunesse et le réveil de la classe ouvrière des États-Unis peuvent attendre...