Récemment, à peine un mois avant le jour du scrutin, le président Joe Biden a déclaré aux journalistes lors d’un briefing à la Maison Blanche que même s’il était convaincu que l’élection serait libre et équitable, « je ne sais pas si elle sera pacifique ».
Il a poursuivi ainsi : « Les choses que Trump a dites et les choses qu’il a dites la dernière fois quand il n’aimait pas le résultat de l’élection étaient très dangereuses. »
Pourtant, lorsqu’on lui a demandé de commenter les préparatifs de son gouvernement pour contrer un deuxième coup d’État violent visant à annuler une éventuelle défaite électorale de Trump, il a refusé de le faire, minimisant la menace qu’il venait d’évoquer en disant qu’il recevait constamment des renseignements sur la sécurité intérieure.
Les propos tenus vendredi dernier par Biden fut l’une des rares fois où lui, ou tout autre responsable démocrate (la vice-présidente Kamala Harris incluse, candidate du parti à la présidentielle) a évoqué l’intention claire de Trump et du Parti républicain de rejeter une victoire démocrate, si elle se produisait. Biden l’avait évoqué directement dans son discours à la Convention nationale démocrate en août, affirmant que la menace d’un autre coup d’État était « bien vivante », et ajoutant : « Ce crétin [Trump] le pense vraiment. Je ne plaisante pas. » Mais son avertissement a été complètement ignoré par la Convention et le reste du Parti démocrate, ainsi que par les médias.
La réalité est que la campagne de Trump, le Parti républicain et leurs donateurs milliardaires comme Elon Musk mènent une opération bien plus vaste de blocage de la certification d’une éventuelle victoire de Harris et d’annulation de l’élection que celle menée en 2020 et ayant conduit à la prise d’assaut du Capitole par une horde de pro-Trump le 6 janvier 2021.
Le complot, ourdi en grande partie au grand jour, comporte deux volets principaux. De nombreux groupes républicains inondent les tribunaux à l’approche du scrutin du 5 novembre de poursuites judiciaires. Celles-ci visent à purger les listes électorales de hordes fictives d’immigrés « illégaux » dans les États-clés, à restreindre le vote par correspondance, à donner aux fonctionnaires électoraux des États et localement le pouvoir de refuser de certifier les résultats des élections ou de retarder cette certification au-delà du délai légal, à faciliter la disqualification des bulletins de vote correctement déposés et à permettre aux soi-disant « observateurs électoraux » de harceler et de menacer les électeurs et les fonctionnaires électoraux dans les circonscriptions à tendance démocrate.
Cette campagne pseudo-juridique est conçue pour provoquer des retards et semer le chaos, même si les poursuites sans fondement sont initialement rejetées, tout en donnant une aura de légitimité juridique aux allégations de fraude électorale.
Près de 90 actions en justice ont été intentées à travers le pays depuis le début de l’année par des groupes républicains. Selon Democracy Docket, un groupe proche des démocrates, les républicains ont déjà déposé trois fois plus de poursuites qu’avant le jour du scrutin de 2020.
Le 1er août, Democracy Docket a écrit : « À moins de 100 jours des élections, les républicains construisent une machine de guerre de subversion électorale. » Le groupe a ajouté : « Mais cette élection est pire que les précédentes, car cette année, le Parti républicain est beaucoup plus organisé. Il a peut-être essayé de saboter les résultats dans quelques lieux en 2020 et 2022, mais cette année, il va essayer de les saboter tous, préparant ainsi le terrain pour ce qui arrivera en novembre. »
Jessica Marsden, avocate chez Protect Democracy, un groupe non partisan qui surveille les élections, a déclaré : « Beaucoup de ces cas renforcent des discours particuliers, notamment sur les immigrés et sur le vote. Présenter de fausses allégations sous la forme d’un procès est un moyen de les assainir et d’y ajouter de la légitimité. »
Suppression des électeurs et épuration des listes électorales
L’un des principaux arguments de l’offensive judiciaire des républicains est l’accusation que les listes électorales des circonscriptions démocrates sont remplies d’immigrés sans papiers et d’autres personnes qui n’ont pas le droit de voter. Des plaintes ont été déposées dans des États-clés pour préparer le terrain à des litiges post-électoraux sur le thème d’une élection « truquée ». Ces allégations spécieuses sont des variantes de la « théorie du grand remplacement », selon laquelle des juifs milliardaires libéraux comme George Soros inonderaient le pays de migrants « illégaux » afin de remplacer les Américains nés dans le pays.
En septembre, la Strong Communities Foundation of Arizona a déposé plainte devant un tribunal de l’État, affirmant que les listes électorales de l’Arizona étaient remplies de non-citoyens. L’argument était défendu par le cabinet America First Legal, dirigé par Stephen Miller, un conseiller politique de premier plan de la Maison Blanche de Trump dont la spécialité était les attaques violentes et racistes contre les immigrants.
Miller a été le principal promoteur du mur frontalier, des déportations massives et de l’interdiction de voyager pour les personnes originaires d’une demi-douzaine de pays à majorité musulmane. En 2021, il a créé America First Legal en tant que réponse de l’extrême droite à l’American Civil Liberties Union (Association pour la défense des libertés individulles).
En Caroline du Nord, le Comité national républicain et le Parti républicain de Caroline du Nord ont intenté à deux reprises un procès contre le Bureau des élections de l’État pour non-radiation présumée des non-citoyens des listes électorales. Les républicains demandent au Bureau des élections de rayer 225 000 personnes des listes électorales ou de les forcer à voter par anticipation en novembre.
Elon Musk, PDG de Tesla, copropriétaire du géant des réseaux sociaux X/Twitter et homme le plus riche du monde, a utilisé X pour promouvoir la théorie du Grand remplacement. Il y a relayé une affirmation que pas moins de deux millions de non-citoyens s’étaient inscrits pour voter dans trois États.
Un autre front de la campagne pour supprimer des suffrages est celui des efforts visant à restreindre le vote par correspondance. Le Comité National Républicain a intenté des procès visant à restreindre le vote par correspondance, notamment en Pennsylvanie, au Nevada, au Michigan et en Caroline du Nord.
Une procédure judiciaire est en cours dans le Mississippi, qui vise à rejeter tous les bulletins de vote par correspondance arrivés après la date limite, même s’ils ont été oblitérés le jour du scrutin et sont arrivés dans les cinq jours. Cette procédure devrait aboutir devant la Cour suprême des États-Unis, dont la décision pourrait avoir des répercussions sur d’autres États qui acceptent actuellement les bulletins de vote tardifs, notamment la Californie, le Nevada, New York et le Texas.
Un autre aspect des préparatifs du coup d’État républicain est la volonté de donner aux fonctionnaires électoraux pro-Trump, dont le mandat est limité par la loi à la tâche administrative d’enregistrement et de certification des résultats électoraux, le pouvoir de retarder ou de rejeter le scrutin-même. En Géorgie, la commission électorale de cinq membres, qui a une majorité MAGA [Make America Great Again, trumpiste], a récemment adopté une règle autorisant la commission à mener une « enquête raisonnable » sur l’intégrité du vote dans les districts critiques, ce qui pourrait retarder la certification des résultats de l’État, semant la confusion et le doute en cas de victoire de Harris.
Un autre angle d’attaque est la mobilisation et la « formation » de prétendus « observateurs électoraux » pour harceler, menacer et intimider physiquement les responsables et les travailleurs électoraux, ainsi que les électeurs, en particulier dans les circonscriptions démocrates. Les républicains ont déposé plusieurs plaintes contre les efforts visant à limiter le harcèlement des responsables électoraux ou des électeurs déposant leur bulletin de vote. L’un de ces procès a lieu en Arizona et a été porté devant la justice par l’America First Policy Institute de Stephen Miller.
Le mois dernier, le New York Times a publié un article sur ces efforts visant « l’intégrité des élections ». Le Times a obtenu un enregistrement du promoteur de Trump, Jack Posobiec, s’adressant à un groupe de bénévoles le 4 septembre sur la manière de « surveiller » les élections dans le Michigan. Posobiec, qui avait été invité par le RNC, a déclaré au groupe : « Peu importe qui vote. Ce qui compte, c’est qui les compte. » Il leur a également dit qu’ils constituaient la « dernière ligne de défense contre le marxisme envahissant ».
En tant que principal promoteur du mouvement « Stop the Steal » (Halte au vol), Posobiec a été employé de 2018 à 2021 par One America News Network (OANN), une chaîne câble d’extrême droite, comme correspondant politique et présentateur à l’antenne. Il a quitté OANN en 2021 pour commencer à animer une émission pour l’organisation étudiante Turning Point USA. Son récent livre, Unhumans : The Secret History of Communist Revolutions (and How to Crush Them), (Inhumains : l’Histoire secrète des révolutions communistes et comment les écraser) contient un texte de présentation enthousiaste du sénateur JD Vance, le colistier de Trump.
Toute cette attaque du droit de vote et les efforts visant à délégitimer un résultat défavorable à Trump sont menés sous la bannière cynique de « l’intégrité électorale ». Les républicains pro-Trump, dirigés par l’avocate Cleta Mitchell, ont formé l’Election Integrity Network, qui organise des « sommets » dans les États-clés du pays pour préparer les efforts post-électoraux visant à annuler une éventuelle victoire de Harris.
Mitchell a joué un rôle central dans les efforts de Trump pour nier sa défaite dans l’élection de 2020. Elle a participé au tristement célèbre appel téléphonique de Trump le 2 janvier 2021 avec le secrétaire d’État de Géorgie Brad Raffensperger, au cours duquel Trump a exigé que Raffensperger « trouve » les 11 779 voix supplémentaires dont il avait besoin pour inverser sa défaite face à Biden dans cet État. Aux côtés de sa « très chère amie » Virginia Thomas, épouse du juge de la Cour suprême Clarence Thomas, Mitchell s’efforça de convaincre les parlements des États républicains d’ignorer les listes des membres du collège électoral pro-Biden choisi par les électeurs et d’envoyer les listes pro-Trump au Congrès pour certification le 6 janvier.
La même bande de criminels
Outre Miller, Mitchell et Posobiec, il y a d’autres agents de Trump et vétérans de la première tentative de coup d’État – qui auraient tous dû être poursuivis, condamnés et emprisonnés depuis longtemps – directement impliqués dans les préparatifs du nouveau coup d’État de Trump. Parmi eux on trouve :
• Christina Bobb, conseillère juridique principale au sein de l’équipe d’intégrité électorale du RNC. Elle a été inculpée pénalement pour son rôle dans la campagne de contentieux post-électorale républicaine de 2020.
• Linda McMahon, l’une des responsables de l’équipe de transition de Trump, dirige l’American First Policy Institute. L’AFPI a déposé des plaintes électorales en Géorgie, en Arizona et au Texas. Dans le Wisconsin, elle défend la ville de Thornapple, qui a été poursuivie le mois dernier par le ministère de la Justice pour avoir interdit les machines à voter.
• Bruce Castor, ancien procureur de Pennsylvanie et avocat de la défense de Trump à son deuxième procès en destitution, a déposé des plaintes dans neuf États. L’association United Sovereign Americans de Castor a intenté des actions en justice dans neuf États.
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Le chaos, la confusion et les retards causés par un mélange de procès et de violence politique pourraient conduire à ce qu’un ou plusieurs États ne parviennent pas à respecter les délais de décembre pour la certification des membres des collèges électoraux, dont celui de la date limite du 25 décembre pour que les votes électoraux soient reçus par le président du Sénat américain (le vice-président américain).
Un long article de Wikipédia intitulé « Les efforts du Parti républicain pour perturber l’élection présidentielle américaine de 2024 » note :
« Si un État ne parvient pas à faire compter les votes de son collège électoral le 6 janvier, aucun des candidats à la présidentielle n’atteindra le minimum de 270 grands électeurs, ce qui entraînera le rejet de l’élection à la Chambre des représentants. Dans ce scénario, le résultat de l’élection serait déterminé par un décompte à la majorité simple des délégations des États ; les républicains détiennent la majorité dans 28 des 50 délégations du 118e Congrès des États-Unis. Le Guardian a confirmé que « les experts ont été particulièrement alarmés par les efforts visant à empêcher la certification au niveau local, ce qui pourrait provoquer des retards et le chaos après le vote présidentiel de novembre ».
Le résultat de l’élection, quel qu’il soit, pourrait être soumis à la Cour suprême des États-Unis, dont la décision sur l’une ou l’autre affaire judiciaire pourrait déterminer le vainqueur. Il s’agit d’une cour qui, dans la dernière législature, a accordé à Trump, par un vote de 6 contre 3, une immunité juridique substantielle pour les crimes commis pendant son mandat, et dont deux membres, les juges Thomas et Alito, sont impliqués dans la tentative de renverser l’élection de 2020.
Le fait même que quatre ans après la violente tentative de renverser l’élection de 2020 et d’imposer une dictature présidentielle Trump, les conspirateurs soient toujours en liberté et actifs dans une nouvelle tentative, à commencer par l’ex-président et candidat républicain lui-même, constitue une condamnation accablante de Biden, Harris et du Parti démocrate. Ils n’ont rien fait pour punir les conspirateurs pour leurs crimes ou pour assurer un transfert pacifique du pouvoir en 2024.
Au contraire, tout comme Biden a refusé d’appeler le peuple des EU à bloquer la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021, les démocrates et les grands médias refusent d’alerter la population sur l’immense danger d’un second coup d’État. Dans un contexte où les démocrates sont au pouvoir et, selon la Constitution, resteront au pouvoir pendant au moins deux mois et demi après les élections du 5 novembre, ils refusent de dire comment ils utiliseront les immenses pouvoirs dont ils disposent pour faire respecter la Constitution.
Au lieu de quoi ils soutiennent une répression style État-policier des manifestations étudiantes contre le génocide de Gaza sur les campus universitaires de tout le pays.
La classe dirigeante – les deux partis, toutes factions confondues – se préoccupe plus de bloquer un mouvement de masse d’en bas contre la dictature que de défendre les droits démocratiques. Elle ne veut pas alerter la population sur le fait que les élections se déroulent dans un contexte d’effondrement progressif de l’ensemble du système politique étasunien.
La menace de la guerre mondiale et du fascisme ne peut être évitée par le biais du Parti démocrate. Quelles que soient leurs différends, les deux partis sont des instruments de l’oligarchie capitaliste américaine et des ennemis de la classe ouvrière.
Repris du World Socialist Website