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« Si combattre la colonisation des terres palestiniennes c’est être antisioniste, alors, je suis antisioniste comme les juifs antisionistes de Bruxelles, de Paris, de Jérusalem qui ont témoigné dans mon film ».

De la chocolatine à l’antisionisme

Le Brésil se pare d’un gouvernement de droite dure qui estime que les Indiens font tache dans le pays ; le Venezuela est secoué par l’étrange gesticulation d’un homme, venu de nulle part, qui se présente comme le Président légitime, mais légitime en quoi précisément ?

Légitime, simplement parce que l’impérialisme étasunien l’aurait choisi ? En Algérie une majorité écrasante du peuple algérien dit non à Bouteflika, Président invisible et muet, en réclamant un changement radical et progressiste.

En France, on nous parle de cela, avec les gilets jaunes qui ont su bousculer la hiérarchie de la parole, mais nous discutons aussi d’une autre question sensible qui divise le pays : le choix entre la chocolatine et le pain au chocolat. D’apparence futile, ce débat linguistique pose une question qui pèse de nos jours, le choix des mots dont a si bien parlé le philosophe Clément Rosset. Certes, la presse s’amuse et agite des pourcentages qui pencheraient plutôt du côté du pain au chocolat mais pourquoi ces choix et où s’enracinent-ils ? Je me souviens, dans mon enfance, il y avait sur les étagères de mon boulanger les deux, d’une part le petit pain au chocolat, véritable petit pain issu de la même pâte que la baguette et d’autre part la chocolatine, héritière des viennoiseries autrichiennes, issue d’une pâte feuilletée. C’est vrai, chacun a ses raisons, mais il ne serait pas mauvais de réfléchir un peu à l’histoire des mots pour apaiser les tensions. Cette guerre picrocholine peut même entraîner des gestes extravagants comme celui de ce boulanger qui, lorsqu’on lui demandait un

pain au chocolat le faisait payer deux euros, alors qu’il n’en demandait qu’un seul dès qu’un client parlait de chocolatine. Dans ce cas précis, je n’irais pas jusqu’à écrire que lorsque les mots perdent leur sens, leur histoire, les hommes perdent leur liberté, mais je dirais tout simplement qu’il ne faut jamais les traiter à la légère, surtout lorsqu’ils pèsent le poids de l’antisémitisme.

Aujourd’hui, j’entends dire un peu partout, à la télévision, à la radio, et je lis aussi dans la presse que les choses ont bien changé et qu’il est difficile de parler du peuple palestinien comme avant. C’est vrai, le contexte n’est pas des plus clairs et des plus favorables, au point où beaucoup de choses font écran à la souffrance récurrente des Palestiniens, notamment le débat dévastateur autour de l’antisionisme. Cela me paraissait pourtant clair lorsque j’ai décidé de m’engager, au début des années soixante dix, avec quelques amis pour la réalisation du film « L’Olivier ». Oui ! je l’ai fait pour plusieurs raisons dont une majeure : l’injustice qui frappait ce peuple, victime d’une réelle conspiration du silence. Je ne sais pas toujours ce dont ont besoin mes amis, mes voisins, les autres ; moi, j’ai besoin d’amour, de solidarité, de vérité, soit-elle mortelle, et je hais l’injustice pour l’avoir endurée de très près, sous différents masques. Si combattre ce processus de colonisation des terres palestiniennes et les violences qui l’accompagnent c’est être antisioniste, alors, je suis antisioniste comme le furent les juifs antisionistes de Bruxelles, de Paris, de Jérusalem qui ont témoigné dans L’Olivier. Il ne fallait pas aller bien loin, juste dans la campagne voisine de Jérusalem, pour rencontrer toute une famille réunie sous un arbre, devant une maison en ruine qui ne cessait de répéter « nous n’avons plus de maison, les autorités nous l’ont détruite ; ils nous ont dit que nos fils étaient des Fedayin ». Et puis, l’autre moment décisif sera la rencontre avec Marius Shatner à Jérusalem, juif antisioniste, qui me dit sans détour : « Je suis antisioniste parce que j’ai été sioniste, sans jamais nier qu’il y a un problème juif ». Il a changé tout simplement en vivant en Israël où les traces nombreuses de la spoliation l’ont mis dans un état de refus total du sionisme qui n’est, ni plus ni moins, qu’une colonisation qui se sera emballée en 1948 avec l’exode de la population arabe palestinienne : une tragédie que les Palestiniens appellent la Nakba (la catastrophe). Au fond, tout s’est passé comme pour un nettoyage ethnique ou quelque chose d’approchant puisqu’il s’est agi là d’une politique et d’une pratique visant à faire disparaître d’un territoire un groupe en fonction de son identité ethnique et en utilisant la force ou l’intimidation.

Alors, je suis furieux, car marier l’antisionisme à l’antisémitisme n’est qu’une bien basse besogne pour créer de la confusion et noyer le poisson. Là c’est flagrant, les mots sont détournés de leur sens profond et les hommes peuvent y perdre beaucoup comme l’a écrit Albert Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ». Alors, la honte me gagne de voir le Président Emmanuel Macron choisir la confusion, une confusion amplifiée par Benjamin Netanyahou qui fait tout pour que la critique de sa politique soit qualifiée de geste antisémite. Lui qui a fait voter le 19 juillet 2018 à la Knesset une loi définissant Israël comme l’Etat nation des juifs qui, notamment, officialise les discrimination envers le « citoyen » arabe qui aura un statut spécial (non précisé dans le texte) et qui décide que le développement des implantations juives relève de l’intérêt national, fermez le ban.

Monsieur le Président, l’heure est grave, je vous en supplie, il vous faut ouvrir le débat, sans précipitation, pour éviter la mise en place du délit d’opinion, contraire au principe démocratique de la liberté d’expression, et parler sagement comme René Raindorf, juif antisioniste, survivant du camp d’Auschwitz, qui aimait rappeler qu’« un peuple qui a été martyrisé, il est vrai, n’a pas le droit d’en martyriser un autre ».

C’est ce que j’ai vivement ressenti avec le film de Mats Grorud Walid qui est sorti en France le 27 février 2019 et qui ressemble à un cadeau du destin car ce film d’animation, d’une rare finesse, se déroule dans le camp de Burj El Barajneh, près de Beyrouth, là où nous avons commencé le tournage de L’Olivier. Et Wardi a réveillé mes doutes et mes espérances, en donnant à ma propre expérience une dimension à laquelle je n’avais même pas songé. Pratiquement quarante ans après, Wardi prend le relais d’un combat afin que jamais ne s’installe l’oubli de la Nakba.

Guy Chapouillié

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