Un général de Tsahal (armée israélienne) a récemment admis que l’objectif était d’expulser les habitants et de ne leur laisser aucune possibilité de retour.
Les efforts déployés par Israël pour éliminer ou expulser les palestiniens de la bande de Gaza – efforts qui sont évidents depuis les tous premiers jours de l’assaut militaire israélien sur le territoire, qui dure depuis un an – sont en passe d’atteindre leur objectif dans la partie la plus septentrionale de la bande de Gaza.
Les responsables israéliens ont également laissé transparaître d’autres signes montrant que tel est bien leur objectif. La semaine dernière, un général de brigade des forces de défense israéliennes (FDI) a déclaré à des journalistes israéliens qu’en expulsant les habitants de cette zone, qui comprend la ville de Beit Lahiya et le camp de réfugiés de Jabaliya, Tsahal n’avait pas l’intention de les laisser revenir. Le général a ajouté qu’Israël n’autoriserait aucune aide humanitaire dans cette partie de la bande de Gaza car « il n’y a plus de civils ».
Un porte-parole des FDI a par la suite essayé de démentir les propos du général, et le gouvernement israélien, à plusieurs reprises, a nié avoir procédé à des expulsions forcées. Cependant, les rapports concernant ce qu’il se passe sur le terrain, en dépit des mesures prises par Israël pour empêcher la presse de couvrir la zone de conflit, confirment qu’il s’agit d’une campagne de nettoyage ethnique. Des journalistes du journal israélien Haaretz ont pu confirmer les expulsions forcées. D’autres articles ont confirmé que l’aide ne parvenait pas dans le nord de la bande de Gaza, avec pour conséquence la perspective d’une famine.
Les images les plus fréquentes quand il s’agit du nord de Gaza sont en partie celles qui nous sont devenues familières il y a un an : bâtiments réduits à l’état de ruines et photos d’habitants quittant leurs maisons avec le peu de biens qu’ils peuvent emporter. Ces images d’exode ressemblent à celles du précédent nettoyage ethnique israélien visant les Palestiniens, la Nakba de 1948.
Même si Israël le nie, ce qui se passe semble bien être une version du « plan des généraux », une proposition présentée au gouvernement de Benjamin Netanyahou en septembre et qui a ensuite fait l’objet d’une fuite. Celle-ci prévoit de couper l’approvisionnement de la partie de la bande de Gaza en question et de dire à tous ceux qui y vivent qu’ils doivent partir ou être considérés comme des « combattants » susceptibles d’être attaqués.
Les opérations israéliennes se concentrent actuellement sur le nord, mais la majeure partie des opérations menées par l’armée israélienne dans toute la bande de Gaza depuis un an s’apparente à un nettoyage ethnique. Les habitants qui n’ont pas été tués – et le nombre réel de morts dans les décombres est probablement bien plus élevé que le décompte officiel actuel qui s’élève à environ 43 000 – se retrouvent dans un terrain vague où il est impossible de vivre. L’attaque israélienne a détruit les équipements et les services de santé et d’éducation, les systèmes d’urgence et la plupart des autres infrastructures nécessaires à l’existence d’une communauté.
Les dirigeants du mouvement de colonisation juive en Cisjordanie ont hâte que les colonies gagnent la bande de Gaza. Le plan des généraux est davantage axé sur la sécurité, l’idée étant de transformer la partie de la bande à partir de laquelle le Hamas a lancé son attaque contre le sud d’Israël l’année dernière en une zone tampon contrôlée par les forces de défense israéliennes. Alors que le gouvernement Netanyahou fait toujours l’objet de critiques internes pour avoir laissé cette attaque se produire, un tel dispositif représenterait une « réussite » à faire valoir même si l’objectif déclaré de « destruction » du Hamas ne pourra jamais être atteint et même si cela ne fera rien ou pas grand-chose pour éviter que les Palestiniens ne commettent d’autres formes de violence à l’encontre d’Israël, sans reproduire l’attaque du Hamas du 7 octobre.
Les récentes évolutions politiques en Israël ont rendu le gouvernement de Netanyahou encore plus enclin à continuer le nettoyage ethnique à Gaza. Netanyahou a limogé le ministre de la défense, Yoav Gallant, qui était favorable à un cessez-le-feu prévoyant le retour des otages israéliens encore détenus et qui avait déclaré que l’armée israélienne n’avait « plus rien à faire » à Gaza. Netanyahou l’a remplacé par le ministre des affaires étrangères Israël Katz, communément considéré comme un béni-oui-oui sous la coupe de Netanyahou.
Les changements opérés par Netanyahou au sein de son cabinet prouvent qu’il se satisfait de dépendre non seulement des partis ultra-orthodoxes, qui sont favorables au maintien d’un projet de dérogation au service militaire auquel Gallant était opposé, mais également des extrémistes, tels que le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui ont explicitement appelé à la création d’une bande de Gaza peuplée de colons juifs et excluant toute présence palestinienne.
L’évolution politique aux États-Unis – le retour de Donald Trump au pouvoir – a également donné à Netanyahou une plus grande liberté de manœuvre pour poursuivre le nettoyage ethnique. Le bilan du premier mandat de Trump, qui a accordé au gouvernement Netanyahou presque tout ce qu’il voulait, a rendu sa victoire ce mois-ci très populaire en Israël. Ben-Gvir et son collègue extrémiste Bezalel Smotrich se sont montrés particulièrement enthousiastes face à sa victoire. Ben-Gvir a déclaré qu’avec le retour de Trump au pouvoir : « Voici venu le temps de la souveraineté, voici venu le temps de la victoire totale. »
Pour ceux qui cherchent à donner à la victoire de Trump une autre tournure, plus orientée vers la paix pour Gaza, et parmi eux on compte certains Arabes étasuniens du Michigan qui l’ont soutenu, l’espoir réside dans les affirmations répétées mais vagues de Trump affirmant qu’il mettra fin, d’une manière ou d’une autre, à la guerre actuelle au Moyen-Orient. Il ne fait aucun doute que Trump, comme tout autre président qui entre en fonction, aimerait que ce gâchis soit écarté de sa politique étrangère le plus tôt possible au cours de son mandat. Mais le fait de chercher à mettre fin, en tout ou en partie, à la guerre ne dit rien sur la manière dont elle se terminerait.
L’autre facette de la politique de Trump au cours de son premier mandat au Moyen-Orient, outre l’extrême déférence à l’égard de Netanyahou, a été une hostilité constante à l’encontre des Palestiniens, allant de la fermeture du bureau diplomatique palestinien à Washington à la suppression du financement de l’agence des Nations unies chargée de l’aide humanitaire aux Palestiniens. Pendant la campagne présidentielle, Trump a utilisé le terme « palestinien » comme une insulte pour désigner son adversaire de l’époque, Joe Biden.
Trump fera pression sur Netanyahou pour qu’il mette fin à l’assaut israélien contre Gaza (ainsi qu’à l’offensive au Liban) le plus tôt possible, mais il le fera tout en restant muet sur la situation des Palestiniens qui vivent dans cette région. Le souhait publiquement exprimé par Trump est qu’Israël « finisse le travail » à Gaza. Le nettoyage ethnique est une partie importante du « travail » auquel Israël se livre actuellement. Le finir signifie terminer le nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza, même si cela veut dire remettre à plus tard la réalisation des plans israéliens plus ambitieux visant à vider le reste de la bande de ses habitants palestiniens.
Outre les questions morales et juridiques évidentes qu’elle soulève, l’épuration ethnique pratiquée par Israël à Gaza a d’autres conséquences s’agissant de la stabilité régionale et des intérêts des États-Unis. La violence de la résistance palestinienne à Israël ne s’arrêtera pas, même si elle est menée en grande partie depuis l’exil. Les mesures israéliennes extrêmes ne feront qu’accroître la colère et le désir de riposter.
La soumission des Palestiniens par Israël ayant été la principale source d’instabilité et de violence au Moyen-Orient – comme le démontre une nouvelle fois la guerre actuelle au Liban et les échanges de tirs entre Israël et l’Iran découlant de la situation à Gaza – la forme extrême de soumission qu’est la purification ethnique alimentera cette plus grande instabilité.
Les agissements d’Israël s’éloignent de plus en plus de tout ce que l’on peut raisonnablement considérer comme une réponse juste et appropriée à l’attaque du Hamas de l’année dernière, et Israël en devient de plus en plus un paria sur le plan international. Dans la mesure où les États-Unis se sont associés à ces opérations, par la fourniture persistante d’armes et le maintien d’une couverture diplomatique, ils seront de plus en plus la cible de l’opprobre de la communauté internationale. Les conséquences possibles vont du boycott des entreprises étasuniennes au terrorisme contre les intérêts et les citoyens des EU.
*
Paul R. Pillar est chercheur principal non résident au Centre d’études de sécurité de l’université de Georgetown et chercheur non résident au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également membre associé du Geneva Center for Security Policy.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Paul R. Pillar, 11-11-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises