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C’est à ce prix

« C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » (Voltaire)

En approchant de la ville, ils rencontrèrent un pauvre hère étendu à terre, n’ayant plus sur le dos que la moitié d’un san-benito, cette casaque jaune des condamnés ; il manquait à ce pauvre bougre et l’œil gauche et la main droite.

  Eh, mon Dieu ! lui dit Candide, que fais-tu là, mon ami, dans l’horrible état où je te vois ?
 J’attends mon bon président, répondit le hère.
 Est-ce ce monsieur de chez Rothschild, dit Candide, qui t’a traité ainsi ?
 Oui, monsieur, dit le hère ; c’est l’usage, c’est ainsi que l’on maintient l’ordre. On nous laisse juste le minimum vital ; quand nous manifestons notre désapprobation et que nous n’obéissons pas à l’arbitraire, on nous vise avec des balles en caoutchouc pour nous faire taire ; quand nous voulons résister à cette violence aveugle, on nous envoie des bombes de toutes sortes ; je me suis trouvé dans ces deux cas, la première fois, j’y ai laissé un œil et la seconde une main ; c’est à ce prix que le statu quo est maintenu, c’est à ce prix que les riches s’enrichissent. Lorsque j’étais enfant, ma mère souvent me répétait : « Mon cher enfant, loue nos premiers de cordée, adore-les toujours, respecte leur talent, ils te feront vivre heureux ; tu as l’honneur d’être au service de l’élite et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. » Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne ; les chiens, les singes, les perroquets de compagnie sont mille fois moins malheureux que nous : les gourous qui m’ont converti, me disent encore tous les jours que nous sommes tous les enfants du Capital, que nous soyons riches ou pauvres, blancs ou noirs de peau, d’ici ou d’ailleurs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces experts disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains : or, vous avouerez qu’on ne peut user avec ses parents d’une manière plus horrible.
 Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ! 

Le philosophe semblait trop absorbé par ses pensées « philosophesques » (*) et indifférent à la réalité du monde. Candide restait interdit à la vue des stigmates de la violence institutionnelle, de cette violence dont il n’avait même pas eu conscience. Lui qui ne connaissait de la violence que les images des vitrines brisées et des voitures en feu, des images qui tournaient en boucle dans un maelström informationnel. Le pauvre hère qui n’avait de pauvre que sa condition sociale rompit le silence et reprit :

 Vous qui avez la mise impeccable, vous avez tout loisir de voyager, n’est-ce pas ?
 Euh ! oui, bredouilla Candide.
 Ouvrez les yeux sur le monde et vous verrez si vous voulez bien voir.
 Mais voir quoi ?
 Voir que derrière chaque bien marchand, il y a peut-être une santé entamée, un corps martyrisé, une vie brisée, une mutilation, une aliénation, un travail forcé, un territoire saccagé, une nature dénaturée, un avenir compromis, une humanité en danger. Alors vous pourrez dire comme moi : « c’est à ce prix que le coltan se retrouve dans les portables ; c’est à ce prix qu’il y a de la nourriture à profusion, qu’il y a des joujoux par millions, des vêtements à foison ; c’est à ce prix que la consommation est devenue le nouvel opium du peuple ; c’est à ce prix que le capitalisme prospère. » Ô capitalisme ! que de crimes on commet en ton honneur ! Combien faudra-t-il encore de Bhopal, combien de Rana Plaza, combien de Courrières ? Combien d’hécatombes silencieuses avec l’indifférence comme complice ?

Candide, perdu par tant de sincérité, épouvanté par tant de vérités, n’écoutait plus. Tremblant comme un philosophe, il se disait à lui-même : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, si c’est ici le pays des droits humains, que sont donc les autres ? ».

Et pleurant du pauvre hère, il entra à Paname.

Personne

D’après Candide, chapitre XIX, Voltaire.

(*) Philosophesque : « Terme de mépris. Qui appartient à une mauvaise philosophie », Le Littré.

« De là est venu ce bel adage de morale, si rebattu par la tourbe philosophesque, que les hommes sont partout les mêmes, qu’ayant les mêmes passions et les mêmes vices, il est assez inutile de chercher à caractériser les différents Peuples » (Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Notes)

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Si j’étais le président, je pourrais arrêter le terrorisme contre les Etats-Unis en quelques jours. Définitivement. D’abord je demanderais pardon - très publiquement et très sincèrement - à tous les veuves et orphelins, les victimes de tortures et les pauvres, et les millions et millions d’autres victimes de l’Impérialisme Américain. Puis j’annoncerais la fin des interventions des Etats-Unis à travers le monde et j’informerais Israël qu’il n’est plus le 51ème Etat de l’Union mais - bizarrement - un pays étranger. Je réduirais alors le budget militaire d’au moins 90% et consacrerais les économies réalisées à indemniser nos victimes et à réparer les dégâts provoqués par nos bombardements. Il y aurait suffisamment d’argent. Savez-vous à combien s’élève le budget militaire pour une année ? Une seule année. A plus de 20.000 dollars par heure depuis la naissance de Jésus Christ.

Voilà ce que je ferais au cours de mes trois premiers jours à la Maison Blanche.

Le quatrième jour, je serais assassiné.

William Blum

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