Quand Ils ont inventé cette histoire abracadabrantesque de « terre sans peuple pour un peuple sans terre », je n’ai rien dit, je ne me mêlais ni de l’existence, ni des droits des autres peuples, et en plus comme je n’ai pas lu l’Ancien Testament, je ne pouvais pas savoir s’il avait valeur de titre de propriété,
Quand Ils ont maintenu leur soutien inconditionnel à l’État sioniste, malgré sa loi fondamentale (2) qui légalise la colonisation et l’apartheid, je n’ai rien exprimé, je ne me souvenais pas que la colonisation et l’apartheid pouvaient être considérés comme des crimes contre l’Humanité,
Quand Ils ont paré la Tour Eiffel des couleurs de l’État sioniste, pour témoigner de leur compassion pour les quelque 1200 victimes Israéliennes du 7 octobre, et que, plus tard, Ils n’ont pas affiché la moindre compassion après les quelque 20 000 victimes Gazaouies, je n’ai rien conclu, j’étais un peu déboussolé par tous ces chiffres, et tétanisé par l’ampleur du massacre en cours,
Quand Ils ont interdit les manifestations de soutien au peuple Palestinien, et, en même temps, qu’Ils ont organisé leur propre manifestation de soutien inconditionnel à l’État sioniste au nom de la lutte contre l’antisémitisme, je n’ai rien manifesté, même si l’extrême droite semblait la bienvenue, à croire que j’étais vraiment ignorant de la raison d’État, et incapable d’y voir l’arbitraire,
Quand Ils ont affirmé que l’État sioniste avait le droit de se défendre, d’éradiquer le terrorisme et les terroristes jusqu’aux futures générations de terroristes, je suis resté mutique, j’avais oublié que dans l’histoire, ontologiquement, violente du sionisme, le Lehi (ou groupe Stern) se revendiquait comme terroriste, que certains terroristes sionistes devinrent même chefs d’État, et que l’État sioniste rime avec État terroriste, et, de surcroît, je n’avais pas envie de me faire taxer d’antisémite pour des pensées antisionistes,
Quand Ils ont continué à entretenir des liens privilégiés avec l’État sioniste, et que d’autres pays tout autant agresseur (voire moins) étaient ostracisés, subissaient des mesures de rétorsion, que toutes les victimes n’étaient pas, à l’évidence, sur un plan d’égalité, et que les « valeurs occidentales » étaient à géométrie variable, je n’ai rien pu en déduire, ces histoires de géopolitique, de ventes d’armes et d’accès aux hydrocarbures m’étaient étrangères, pourvu que mon niveau de vie en fût préservé,
Quand Ils ont bombardé, anéanti méthodiquement Gaza, ce petit territoire de 365 km², grâce à des logiciels d’optimisation, grâce à l’IA, j’étais dubitatif, intelligence artificielle me semblait être un oxymore qui déresponsabilise, et en plus, cela nous changeait des frappes dites chirurgicales qui faisaient fi des « dégâts collatéraux »,
Quand Ils ont nié jusqu’à l’existence de la Palestine, quand Ils ont enclenché le génocide des Palestiniens, comme solution finale moderne et proche-orientale, première étape vers l’œuvre finale du sionisme, vers l’établissement du Pays de Canaan, j’étais circonspect, il faut le reconnaître que j’étais, comme beaucoup, déjà en plein préparatifs des fêtes de fin d’année.
Et puis vient le lendemain des festivités.
Est-ce les excès de victuailles, de boissons ? Est-ce les mélanges déconseillés, voire inappropriés ? Est-ce les images formidables (au sens premier), terribles qui me reviennent de Gaza ? Est-ce ici le meilleur des mondes ? Est-ce les destructions, tous ces corps encore ensevelis, les morts et les blessés par dizaines de milliers, toutes ces vies supprimées avant qu’elles ne voient le jour ? Est-ce la vision de ces petits êtres qui étaient de chair et non de plastique ? Est-ce les bribes d’un sermon prononcé à Bethléem qui interrogeait notre humanité (1) ?
En tout cas, c’est une sacrée gueule de bois, je ne suis pas à mon avantage. Accroché au lavabo, je fais couler, abondamment, l’eau brûlante pour faire disparaître les traces de cette première nausée.
Et, planté comme une épave devant le miroir embué, je découvre comme une inscription en lettres de sang : « COMPLICE ».
(1) Sermon du révérend Dr. Munther Isaac :
https://ujfp.org/le-christ-dans-les-decombres-une-liturgie-de-la-lamentation/
(2) La loi Israël, État-nation du peuple juif, adoptée le 19 juillet 2018 par la Knesset :
« 1 Principes fondamentaux
Israël est la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été établi ;
L’État d’Israël est le foyer national du peuple juif dans lequel il satisfait son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination ;
Le droit à exercer l’auto-détermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif ;
[...]
7 Implantation juive
L’État voit le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale, encouragera et promouvra son développement et sa consolidation » .
https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Isra%C3%ABl,_%C3%89tat-nation_du_peuple_juif