En juin 2003, sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre espagnol, José Maràa Aznar, l’Union européenne décide d’imposer des sanctions politiques et diplomatiques à Cuba. Cette décision se justifie, officiellement, en raison de la « situation des droits de l’homme » et suite à l’arrestation de 75 personnes considérées comme des « agents au service d’une puissance étrangère » par la justice cubaine et comme des « dissidents » par Bruxelles.
Le seul pays du continent américain condamné par l’Union européenne et victime de telles sanctions est Cuba. De nombreux soupçons émergent quant aux réels motifs de cette stigmatisation. Pourquoi Cuba ? Et surtout, pourquoi seulement Cuba ? Viole-t-on les droits de l’homme uniquement à Cuba ? Qu’en est-il de la situation dans les autres pays du monde ?
Il existe un moyen relativement simple de se faire une idée de la situation des droits de l’homme à travers le monde. Amnesty International, une organisation de défense des droits de l’homme réputée pour son sérieux, publie chaque année un rapport sur ce sujet. Il suffit donc de consulter son rapport annuel pour connaître le degré de respect des droits fondamentaux dans les diverses nations de la planète. Le constat est édifiant et illustre la double morale dont fait preuve l’Union européenne.
Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme aux Editions Estrella, 135 pages, 10€.
Salim Lamrani est enseignant, écrivain et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il a notamment publié Washington contre Cuba (Pantin : Le Temps des Cerises, 2005), Cuba face à l’Empire (Genève : Timeli, 2006) et Fidel Castro, Cuba et les Etats-Unis (Pantin : Le Temps des Cerises, 2006).
Une logique cartésienne
Compte-rendu du livre de Salim LAMRANI Double morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme. Paris : Editions Estrella, 2008.
Ramón Chao*
Si vous voulez voir appliquée à la littérature la formule qu’avait Jean Vigo pour filmer ses documentaires : ("un point de vue documenté" , disait-il), lisez n’importe quel livre ou article de Salim Lamrani, un jeune de gauche engagé particulièrement avec Cuba et le Venezuela. Lamrani expose ses convictions avec un tel flot de références qu’il devient très difficile pour tout contradicteur de les réfuter. Donnez-lui un thème utilisé par la presse bourgeoise sur (ou presque toujours contre) les deux pays cités, et le fureteur Lamrani sort un arsenal d’analyses, de citations et de déclarations qui laisse l’autre sans voix.
Il avait déjà déployé son arsenal dialectique dans des ouvrages tels que Washington contre Cuba, Cuba face à l’Empire, entre autres.
Poursuivant les analyses sur cette lutte injuste, inégale et héroïque de la part de la petite île, il étudie à fond le rapport d’Amnesty International sur le respect des droits de l’homme dans le monde, et avec une logique cartésienne, il expose ses principales résolutions et principes, en particulier sur les sanctions diplomatiques imposées à Cuba par l’Union européenne entre 2003 et 2005 en raison de la « situation des droits de l’homme ».
Lamrani commence par faire l’éloge du sérieux et du prestige d’Amnesty International (« sans doute l’organisation de défense des droits de l’homme la plus prestigieuse au monde »), ce qui l’autorise par la suite à tirer certaines conclusions du rapport. Cuba est le pays qui viole le moins les droits de l’homme : 23 des 25 nations qui ont voté les sanctions politiques et diplomatiques contre ce pays présentent un panorama des droits de l’homme bien plus désastreux que celui de l’accusé. Par conséquent, elles ne sont pas autorisées à s’ériger en juges, et encore moins à imposer des sanctions.
Cette prémisse étant établie, Lamrani démarre toute une série de considérations. Amnesty ne signale aucun cas d’assassinat politique à Cuba contrairement à la Grande-Bretagne ; elle n’a découvert aucun cas de torture à Cuba (sauf les innombrables de Guantanamo !), alors qu’elle qualifie de traitement inhumain les agissements de la police en Belgique, en France, en Grèce, en Italie, etc. ; elle dénonce l’utilisation de la torture pour obtenir des preuves en Allemagne, des disparitions en Estonie, des séquestrations de personnes par les autorités en Italie, l’impunité pour les crimes commis par des agents de l’Etat en Autriche, en Espagne, en Grèce etc. ; la stérilisation forcée de femmes issues de minorités en République tchèque, et d’autres exemples qu’il conviendrait de détailler mais il faudrait citer tout le livre pour cela.
Si la comparaison entre Cuba et l’Union européenne est celle que nous venons de relater, que dire de la comparaison avec les pays d’Amérique latine ? On aura beau chercher, Amnesty n’a évoqué, pour Cuba, aucun cas d’assassinat ou d’exécution extrajudiciaire de la part des forces de l’ordre, comme c’est le cas aux Bahamas, au Brésil, au Canada, en Colombie, en République dominicaine, au Mexique (les femmes !) et j’arrête là . La liste est beaucoup, beaucoup plus longue. Cela semblerait incroyable si Lamrani n’examinait pas minutieusement les situations et les cas dans chacun des pays. Bien sûr, tout cela se sait de façon dispersée ; cela se sait, mais voir tout cela réuni est terrifiant. Oui, cela se sait, mais comme a dit Gide : « Dans le monde tout est dit, mais comme personne n’écoute, il faut répéter cent fois ».
Double morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme
Préface de Gianni Minà
Paris : Editions Estrella, 2008.
123 pages.
10€
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*Ancien rédacteur en chef du service Amérique latine de Radio France Internationale, Ramón Chao est écrivain et journaliste.