« Si vous voulez aller plus vite, allez seuls, mais si vous voulez aller plus loin, allez ensemble. » Proverbe chinois
Avec une cinétique toute impériale fruit d’un héritage quatre fois millénaire, le président Xi Jinping arrive enfin en Europe attendu comme un messie. Il n’est que de voir comment en France ce qu’il y a de plus raffiné, de plus sélect a été déroulé pour recevoir dignement le président chinois dans le cadre d’une visite d’Etat. La cavalerie et le château de Versailles ont constitué le must. Sauf peut-être le dîner à l’Elysée qui fut selon la ministre Nicole Bricq : « dégueulasse ». Il n’empêche que des dizaines de contrats ont été signés dont l’achat de 50 Airbus.
Petit rappel des relations sino-françaises
Pour l’histoire récente, on se souvient aussi des remous provoqués par la vente, le 25 février 2009, de deux statuettes chinoises en bronze de la collection Yves Saint-Laurent-Pierre Bergé. Deux têtes d´animaux en bronze, un rat et un lapin, provenant de l´ancien Palais d´été de Pékin, devraient être mises en vente par Christie´s. Comble de cynisme, Pierre Bergé « le réceleur », donne à la Chine des leçons de démocratie. « Je serais prêt à les offrir au gouvernement chinois s´il s´engageait en échange à respecter les droits de l´homme. » (1)
Sur la triste aventure du Palais d´Été, Hugo, répondait ceci, en 1861. « Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l´expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle. y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s´appelait le Palais d´été. (...) Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes, les mille et un rêves des Mille et Une Nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d´eau et d´écume, des cygnes, des ibis, des paons,.(...) Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d´été. L´un a pillé, l´autre a incendié. (...) L´un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l´autre a empli ses coffres ; et l´on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l´histoire des deux bandits. (...) Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l´histoire, l´un des deux bandits s´appellera la France, l´autre s´appellera l´Angleterre (...) » (2)
La puissance financière de la Chine
Suite au voyage du président Hollande, l’année dernière en Chine et qui n’a duré que 37 heures, François de Chevalerie pense que la France dilapide son capital de sympathie que lui vouait l’Empire du Milieu. Il écrit : « La France avait une avance sur les autres pays en termes de considération de la part de la Chine de Mao : le 27 janvier 1964, par la voie d’un bref communiqué, la France reconnaissait la République Populaire de Chine. A la surprise générale, elle bousculait l’ordre établi, levant sine die l’ostracisme diplomatique dans lequel les puissances occidentales tenaient alors ce pays. Ce geste symbolique présageait un compagnonnage fraternel et inédit entre deux vieilles nations. (…) A partir de l’année 1997, la France, avec à sa tête le président Jacques Chirac, et la Chine, dont le dirigeant est Jiang Zemin, décident d’établir un partenariat dont la stratégie principale va dans l’axe majeur d’une amélioration des relations dans les domaines culturel, économique et diplomatique. » (1) Dominique Moisi, conseiller spécial de l’Institut français des relations internationales, (Ifri) parle, lui, d’arrogance d’un autre âge, peut être celui de l’esprit de la mise à sac du Palais d’été chinois : il y a un vrai trait culturel propre à notre pays, C’est probablement relié à la « grande nation » qu’a pu être la France, qui suscite une forme d’arrogance et de superficialité. » (1)
Les Chinois sont devenus les plus grands créanciers de la Terre : une réserve de presque 3000 milliards de dollars en devises. Elle achète des obligations d’État mais aussi des entreprises privées, des hôtels, des cliniques, des monuments historiques, des tableaux, des châteaux, des infrastructures (aéroports, ports) etc. Fin octobre 2010, le Trésor américain a évalué à 907 milliards de dollars le stock de dettes publiques américaines détenues par la Chine. La Chine représente maintenant 15% de l’économie mondiale et a conquis la deuxième place devant le Japon. La Chine est déjà beaucoup plus présente en Afrique depuis quelques années que l’Europe en cinquante ans. L’Art de la guerre de Suntzuii enseigne ce que la Chine aujourd’hui pratique efficacement : « L’excellence ultime ne consiste pas à gagner une bataille mais à défaire l’ennemi sans livrer combat. ». (3) La Chine a annoncé, vendredi 10 janvier, être désormais la première puissance commerciale mondiale, en déclarant pour 2013 un volume d’échanges annuel pour la première fois supérieur à celui des Etats-Unis. Autre force de la Chine, si l’on fait cette fois la soustraction des importations par rapport aux exportations, deux tableaux apparaissent : un déficit commercial qui se creuse côté américain, un excédent qui résiste côté chinois. La Chine avait déjà détrôné l’Allemagne, deuxième exportateur mondial, quatre années auparavant. Reste qu’une puissance économique se définit davantage par rapport à la richesse qu’elle crée, c’est-à-dire sa croissance, déterminée par le produit intérieur brut (PIB). A cet égard, la Chine a doublé le Japon, en 2010, celui-ci ayant souffert de la stagnation de la consommation, qui contribue à 60% de la formation du PIB. Selon les experts de l’Ocde, le pays le plus peuplé de la planète devrait dépasser les Etats-Unis en 2016. (3)
La Chine en sauveur des finances de l’Europe
La Chine récupère toute la production mondiale, ou quasiment. Parallèlement, donc, des États comme la France s’appauvrissent ; chômage, précarité sociale, etc. si bien que les déficits publics croissent. En France, on doit en être à environ 30.000 euros par personne, y compris les bébés. Proche des 2000 milliards d’euros ! Chaque année, c’est l’équivalent de l’impôt sur le revenu. En gros (très gros), 200 milliards d’euros par an (...) Et encore, la France a été beaucoup aidée par l’euro fort. Elle n’a jamais eu des taux aussi bas pour emprunter que maintenant malgré la baisse de la note de solvabilité par les agences de notation. Mais en Grèce, en Irlande, au Portugal, ces taux sont montés car la confiance en ces États s’est effondrée. Bref, la situation est assez inquiétante.. L’objectif des 3% du PIB de déficit public ne sera probablement pas atteint à la fin du quinquennat alors que pendant la campagne, il était question de...0% ! » (4) « La Chine a proposé, la première semaine de janvier 2011, d’acheter une partie de la dette espagnole. Elle a déjà prévu d’acheter de la dette grecque et portugaise. En début 2011, elle contrôlerait 7,3% de la dette publique totale des pays de la zone euro. Ce qui fait qu’elle posséderait selon certains spécialistes autant d’emprunts d’État européens que d’obligations d’État américaines. Parlant d’indépendance et de souveraineté, l’économiste Antoine Brunet pose alors une bonne question : « Les Européens feraient bien de se demander quelle est la part de leur train de vie qui est financée par la Chine. » (4)
L’Union européenne, un acteur diplomatique secondaire pour la Chine
Sur le plan diplomatique l’Europe n’attire pas la Chine qui n’a pas avec elle d’affinité particulière au vu de l’histoire. Elle se sent plus proche des pays du Sud et ceux du Bric’s. Dans une contribution du Nouvel Observateur Sara Difallah écrit : « Après Paris, le président chinois poursuit sa tournée à Berlin et Bruxelles. Les relations avec l’UE ne sont qu’économiques. Les relations stratégiques sont inexistantes. Le président chinois Xi Jinping a entamé le 22 mars sa première visite officielle en Europe depuis sa prise de fonction, il y a un an. Il est forcément question de contrats commerciaux juteux, l’Union européenne étant le premier partenaire de la puissance asiatique. Sur le plan international, la Chine, seconde puissance économique et membre du Conseil de sécurité, est devenue incontournable en temps de crise. Jusqu’ici, Pékin est resté, comme à son habitude, très discret et en retrait sur de nombreux dossiers internationaux. La Chine n’a jamais vraiment considéré l’UE comme un partenaire politique de premier plan. Sur de nombreux dossiers, les tensions sont récurrentes et aucun d’entre eux n’a pu être réglé, ni même connaître une quelconque avancée : embargo sur les armes en 1989 après le massacre de Tian’anmen, mesures protectionnistes, évaluation du Yuan, propriété intellectuelle, question des droits de l’homme, du Tibet, de Taïwan, de l’Afrique... Ainsi, sur la Syrie, comme en Libye, elle n’a jamais soutenu l’opposition, comme si elle redoutait tout ce qui pourrait ressembler un jour à une ingérence dans ses propres affaires. »(5) Sarah Difallah conclut : « Que représente alors, pour Pékin, cette tournée européenne, dont certaines étapes, comme Bruxelles, constituent des symboles non sans importance ? En 2001, le vice-président d’alors, Hu Jintao, en visite à Paris affirmait que « dans la réalisation de la paix et du développement au XXIe siècle, l’Europe peut et doit jouer un rôle important ». « La Chine est très favorable à la construction européenne mais pas pour les raisons qu’on pense », ajoute Jean-Pierre Cabestan. « Si elle s’intéresse à l’Union européenne, c’est qu’elle espérait d’elle qu’elle joue le rôle de contrepoids face à l’influence américaine, tout comme elle espérait contrer en son temps l’Union soviétique jusqu’à la fin de la guerre froide (...) Aussi, l’incapacité des Etats européens à s’unir et à peser dans le jeu diplomatique, ne pousse pas la Chine à s’investir plus en avant. En revanche, elle s’est résolument tournée vers les Brics, dont elle estime faire encore partie. Avant l’Union européenne, le président chinois s’est rendu à Moscou, en Afrique, aux Etats-Unis et en Amérique latine. Et malgré sa rivalité avec les Etats-Unis, elle estime que Washington est le seul véritable interlocuteur sur la scène internationale. » (5)
Les relations diplomatiques de l’Algérie avec la Chine : état des lieux
La Chine est d’abord un continent :
9.677.009 km2. Avec plus de 1350 millions d’habitants en 2010. La Chine c’est ensuite le vivre-ensemble : la Chine est un État-nation composé de cinquante-six « nationalités » dont l’ensemble forme la « Nation chinoise ». L’égalité en devoirs et en droits de toutes ces nationalités est inscrite dans le droit constitutionnel chinois. Nous ne devons jamais oublier que la Chine avait reconnu le GPRA trois jours après la proclamation et l’Algérie combattante en lui fournissant les moyens de sa lutte. Les relations n’ont jamais connu de tension véritable tout au plus un ralentissement notamment pendant la décennie noire : « Nous étions bien seuls. » On se souvient pour la période récente que le président chinois Xi Jinping avait appelé à des relations plus fortes et plus complètes entre la Chine et l’Algérie. La Chine est le premier fournisseur de l’Algérie en textiles et prêt-à-porter, jouets, meubles et ustensiles de cuisine, papier, affaires scolaires... La liste est longue, tant la Chine, véritable atelier du monde, produit tout et l’Algérie, en revanche, importe presque tout. Sur le volet économique, l’ambassadeur chinois a indiqué que les échanges commerciaux entre son pays et l’Algérie étaient de l’ordre de 8 milliards de dollars en 2012. Elle a dépassé la France.
Quelques idées importantes pour atteindre un partenariat de qualité avec la Chine
« Au lieu de donner un poisson à quelqu’un apprend lui à pêcher » Mao Tsé Toung
Fort de cette citation, l’Algérie a tout à apprendre de la Chine. Pékin veut consolider sa place en Algérie. D’accord ! Mais pas en vendant uniquement. Il tient à sa position commerciale et économique dans un contexte de concurrence très dure avec des partenaires européens, Près de 45 000 Chinois travaillent en Algérie dans de nombreux projets. Ce n’est pas suffisant ! Car il n’y a pas transfert de technologie. La grande majorité des projets confiés à la Chine le sont dans le social ! Avec aussi à la clé la destruction de ce qui restait du tissu industriel incapable de supporter la concurrence chinoise. Sans faire dans la nostalgie, on savait faire beaucoup de choses dont nous avons perdu le savoir-faire au profit du consommer. Il est temps si la Chine veut aider réellement au décollage qu’elle nous aide à redémarrer sur un bon pied. Il y a deux sujets qui me paraissent importants.
Est-il possible d’imaginer la mise en place d’une université modèle – une Université de 50 ans d’amitié – conçue conjointement avec la Chine, où seraient enseignées en chinois et en anglais les technologies de demain ? Les vrais métiers pour lesquels un réel transfert sera réalisé. Dans ce cadre, c’est d’abord l’aide de la Chine dans la fabrication des équipements pédagogiques que nous importons actuellement en totalité. C’est au bas mot un milliard de dollars, une politique déterminée et rationnelle permettra graduellement d’intégrer un savoir-faire national irréversible et perfectible. Un deuxième volet important est l’aide à la mise en place d’une stratégie énergétique qui permet d’intégrer les énergies renouvelables au bouquet énergétique de l’Algérie. Le moment est venu de passer de l’ébriété énergétique actuelle par les énergies fossiles à la sobriété énergétique par des économies nécessaires et par la détermination à marche forcée vers le développement durable. La Chine est leader mondial dans le solaire photovoltaïque. Pourquoi importer des panneaux solaires tout faits, pourquoi ne pas les fabriquer en Algérie. Les atouts de l’Algérie sont immenses, un pays comme la Chine peut nous aider à faire le saut qualitatif. Nous pouvons penser à garantir un marché à la Chine dans lequel chaque calorie exportée correspond à une calorie renouvelable permettant à l’Algérie d’aller résolument vers le développement durable. On le voit, en définitive, les préoccupations de l’Occident sont ambivalentes. D’un côté on veut réduire l’influence et le développement de l’Afrique, en le combattant même en Afrique, de l’autre on se bouscule au portillon pour faire des affaires avec la Chine. De plus, on agite à l’intention de l’opinion publique interne les droits de l’homme, le Tibet. En réalité, rien de tout cela ! les affaires sont les affaires ! On parle de realpolitik. Les droits de l’homme, la protection des minorités sont des variables d’ajustement qui passent avant ou après, c’est selon la conjoncture. Cependant, cela ne désarme pas une certaine presse occidentale dans son sacerdoce de diaboliser la Chine, oubliant sciemment de faire le ménage chez elle.
Chems Eddine CHITOUR