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Le sens de notre Non, par Thibaud de La Hosseraye.


www.ineditspourlenon.com, Juin 2005.


Ce qui me paraît sûr, c’est que cette victoire du Non au projet de Constitution européenne n’est pas d’un parti contre un autre, c’est bien celle du peuple de France et de la liberté de la France contre toutes ses puissances d’établissement, qu’elles soient politiques ou médiatiques (...)


Mais il faut commencer par relever que, comme en attestent les sondages, ce Non français ne peut en aucun cas s’interpréter comme une frilosité nationale à l’égard de l’Europe.

On ne l’a pas assez dit : avec 70% d’intentions favorables en août dernier, la France était a priori favorable à l’adoption d’une constitution pour l’Europe comme à un événement véritablement fondateur qui donnerait son plein sens à la genèse de l’Union en même temps qu’elle en orienterait l’avenir en en définissant la spécificité relativement au reste du monde. Ce n’est qu’à partir du moment où les Français ont pris connaissance du texte, qu’ils l’ont lu, analysé et critiqué avec une rigueur et une minutie rarement égalées pour un texte politique, que la courbe des sondages s’est inversée.

C’est dire combien la déception des Français à l’égard de ce texte constitutionnel a été à l’exacte mesure de leur désir d’Europe. Par conséquent, ils demeurent plus que jamais déterminés à faire valoir la dynamique positive permise par leur vote.

(...) Car bien sûr que c’est un Non qui ouvre et non pas qui ferme, un Non qui libère l’avenir, ne serait-ce que parce qu’il remet en cause le présent, au lieu de nous lier constitutivement à un passé qui, pour sa part la plus décisive, s’est déterminé sans nous, un Non qui ne contredit nullement le premier Oui, celui qu’attestaient les premiers sondages, le Oui à l’Europe, à une Constitution pour l’Europe... Un Non qui, dans sa fraction la plus décisive, celle qui a renversé la majorité, ne se veut pas davantage exclusif du dernier Oui, Oui au « meilleur compromis », Oui dont il serait étonnant qu’il n’accepte plus désormais de compromis qu’avec les idéologues du néo-libéralisme pur qui vient d’être désavoué -non pas ce Oui qui comptait sur l’onction du peuple pour asseoir et introniser le mépris des peuples, mais le Oui au contraire qui n’a cessé de protester de l’authenticité de son socialisme, de son idéal d’une Europe sociale dont cette constitution n’eût été, à ses yeux, qu’une première étape, ce Oui qui ne pourrait plus aujourd’hui, sans se discréditer pour longtemps, refuser encore de nous rejoindre dans le combat des peuples pour une Europe, en effet, économiquement moins libérale, socialement plus volontaire, et politiquement plus démocratique, ouverte et libre.

Comment expliquer, dès lors, la puissance d’illusionnement du Oui là où il a paru, dès le début, le plus paradoxal, celui de gauche ? (...) Le comportement de la direction du parti socialiste, depuis le 29 mai, confirme au-delà de mes craintes l’explication que j’avais risquée de l’ardeur de son engagement pour le Oui : une stratégie purement politicienne de conquête du pouvoir sur le court et long terme que je me suis déjà efforcé de clarifier dans l’exposé de mes arguments Inédits pour le Non (17, 18 et 19) : contribuer à établir les conditions d’un libéralisme qui leur assure une fonction de correctif indispensable tout en les dédouanant des régressions sociales qui en résulteraient (l’analogue en Europe de la politique de Blair en Angleterre ; cf. « Le Monde selon Blair »).

En réalité, la confirmation de mon analyse, en tout cas sur le caractère exclusivement et médiocrement politicien du Oui de la direction du parti socialiste, m’avait été apportée, dès avant le 29 mai, par François Hollande en personne, le même qui n’a cessé de nous répéter qu’il ne fallait pas nous tromper d’enjeu, qu’il ne fallait pas sacrifier l’idéal européen à des visées de pure politique nationale : « Si Chirac avait mis en jeu son mandat, le PS aurait naturellement appelé à voter Non, comme pour de Gaulle en 69 », déclarait-il le 26 mai à midi sur France Culture...

(...) Bien sûr qu’il y a une vocation historique des socialistes à trahir que dénonçait déjà Péguy, puis à réécrire l’Histoire. (...) Mais le pire n’est pas dans cette compulsive propension du socialisme de parti à trahir d’abord le peuple dont il se réclame, comme il nous en offre, une fois de plus aujourd’hui, le sinistre spectacle : il est dans son renoncement au socialisme lui-même, et par là seulement, a fortiori, à la possibilité d’une véritable alternative politique sans laquelle aucune démocratie, c’est-à -dire aucun débat démocratique, c’est-à -dire aucune liberté de choix ne peut s’ouvrir à la souveraineté du peuple.

Et la situation inédite où nous sommes, c’est que ce renoncement (...), il se trouve que c’est en même temps, et au nom de l’Europe, un renoncement de la France à elle-même, un renoncement à la spécificité de la France dans l’Europe, à ce que la France peut et doit donc apporter de spécifique d’elle-même à l’Europe.

Je m’explique.

Personne, maintenant que la campagne est achevée, ne songe plus à nier l’évidence que le Non de la France au projet de constitution qui lui était proposé est en effet un Non au dogmatisme néo-libéral de ce projet (sur ce point, cf. mon commentaire d’un article récent de Maurice Allais).

(...) Ce qui se passe à présent, c’est que droite et gauche de gouvernement s’accordent à s’appuyer sur l’idéal de la construction européenne pour légitimer leur commun renoncement aux exigences de ce projet social spécifique de la France. Et le paradoxe est ici que c’est son anti-nationalisme qui incline le plus naturellement la gauche à sacrifier à l’Europe son opposition au libéralisme, tandis que c’est le nationalisme de droite qui est porté à s’opposer le plus naturellement à la dissolution de la spécificité française dans la mondialisation néo-libérale de l’Europe. (...)

Alors que nous nous trouvons, en France, dans une situation en droit insurrectionnelle avec un chef de l’Etat frappé d’illégitimité après avoir ouvertement pris le parti de l’affaiblissement de la France (en ayant rejeté, dès avant le résultat du référendum, toute perspective de renégociation si le peuple le contredisait) et explicitement violé l’article 8 de la Constitution dont il est le garant (en s’étant substitué au Premier Ministre pour nommer, dès le 30 juin, Nicolas Sarkozy au gouvernement), nous avons le devoir de nous préparer à toute éventualité.

Et je ne vois qu’une seule bonne raison pour laquelle, dès le soir du 29 mai, nous ne nous soyons pas tous précipités dans la rue (les Oui et les Non) en tonitruant d’une seule voix : « Chirac à la porte ! ». Cette raison, c’était simplement qu’il nous avait lui-même expliqué que si nous étions tentés par le Non, c’est que nous en avions assez de lui et de sa politique, que nous étions obnubilés par des préoccupations de politique intérieure. Cette raison, c’était donc simplement que nous ne voulions pas lui donner raison : l’objet de notre choix était et demeure le destin de l’Europe, il ne doit y avoir aucun doute là -dessus.


Ce qui se prépare et à quoi nous devons nous préparer


Oui, la Constitution est morte, quelle que soit l’issue des scrutins à venir. Mais c’est sur l’approfondissement de sa critique, justement, que pourra se développer l’argumentaire positif d’un plan B. C’est pourquoi il importe, dès maintenant, de ne cesser de travailler à mettre en lumière la fécondité de notre Non.


Dans ce long et patient travail de renégociation, il me paraîtrait incompréhensible que des partisans du Oui qui se prétendraient encore de gauche et qui auraient donc, avec tant de ferveur, accepté de sacrifier ce qu’ils ont sacrifié de leur idéal social à celui de l’Europe, refusent, maintenant que ce sacrifice leur a été révélé inutile, de prendre la part la plus active à la défense et à la promotion de ce projet, incomparablement plus conforme à ce qu’on peut présumer de leur philosophie politique, du sens de leur engagement.

Ce plan B, dont on nous assure qu’il n’est pas de mise, du moins dans un avenir prévisible, nous en tenons déjà les grandes lignes dans le dernier opuscule, magistral, de Jacques Généreux, « Sens et conséquences du "Non" français » (Seuil). Parmi les différentes options qui s’offrent à l’Europe de l’après 29 mai (qu’il énumère en autant de plans B, C, D, E), c’est ce qui correspond à son plan « E » (comme Europe !) qui représente, à mes yeux, mieux qu’un compromis acceptable, une première étape sur la voie d’une véritable réorientation de la construction européenne. Il faut absolument le LIRE et le faire lire : l’exposé même du plan tient en 17 pages, en parfaite cohérence avec ses critiques du TCE, telles que développées dans son « Manuel critique du parfait européen » dont cet opuscule constitue la suite logique.

Il y a longtemps, que nous savions que notre Non était empreint d’une puissance d’affirmation infiniment supérieure au Oui du consentement ou de la résignation. Et nous savions exactement ce que nous voulions, à la lumière de quoi, exclusivement, nous avons pu savoir aussi à quoi nous disions Non.

La différence est que d’ores et déjà , non seulement nous le savons, mais nous pouvons le faire savoir. Et plus rien ne nous arrêtera.

Pour les chefs d’Etat réunis à Bruxelles lors du sommet européen des 16 et 17 juin qui ont demandé à différer la tenue des référendums sur la Constitution européenne afin de repousser l’échéance de sa renégociation, il ne s’agit plus que de « sauver la face » dans une dernière bravade, mais ils connaissent notre puissance de mobilisation et ils n’ignorent pas que nous n’avons rien à craindre, bien au contraire, nous qui voulons une Europe des peuples, d’un débat démocratique prolongé, pourvu qu’il soit en effet démocratique -et c’est ce dont nous nous occuperons. Plus il le sera, mieux apparaîtra, sur cet enjeu décisif, le décalage entre le Oui précipité des Parlements, qui se seront prononcés sans mandat spécifique sur la question, et le Non patiemment réfléchi, et autrement résolu, des peuples auxquels on aura donné le temps d’aller à la rencontre les uns des autres et qui sauront opposer d’autant plus de défiance à la manipulation qu’elle se fera plus méthodique et subtile.

C’est là , pour moi, le grand intérêt de ce ralentissement d’un « processus de ratification » désormais dénué de toute pertinence juridique.

Mais un piège se prépare, dès à présent : on prévoit, à terme, de nous berner en nous présentant comme une concession de retirer de la Constitution cette fameuse partie III, puisque c’est clairement celle qui fait difficulté. Les Français seront supposés se réjouir de ce qu’on ait pris leur suffrage en compte, sans que nos gouvernants aient à se déjuger : ne nous l’avaient-ils pas bien dit, qu’en refusant ce projet, nous garderions précisément l’essentiel de ce que nous en aurions refusé, c’est-à -dire précisément cette partie III, « simple reprise et synthèse de l’ensemble des traités en vigueur » ?

La retirer du texte constitutionnel, ce n’est rien d’autre, en effet, que la soustraire (a posteriori et rétroactivement !) au suffrage des peuples auquel on regrette amèrement, déjà , de l’avoir soumise. Mais son rejet par la France et la Hollande n’en est pas moins une réalité désormais incontournable, en fait comme en droit : ce qui signifie que c’est bien l’ensemble des traités en vigueur dont la légitimité se trouve ainsi remise en cause par la procédure même qui visait à sa consécration -et qu’il faut donc l’intégrer, non pas certes exclusivement, mais prioritairement, dans l’inéludable nécessité d’une renégociation. (...)

Et ce qui est beaucoup plus important, et que personne encore, à ma connaissance, ne dit (toujours l’argument 9 et son explicitation dans ma page « Suites, V »), c’est qu’en refusant cette partie, nous avons aussi refusé ce qui nous était donné à entériner des traités en vigueur qu’elle synthétise. Nous avons donc aussi refusé ce qu’elle contenait du statu quo que définit le Traité de Nice ; nous avons aussi refusé le Traité de Nice auquel on prétend maintenant nous renvoyer, et ce refus est l’annulation, de droit, de l’unanimité qui le validait. (...)

Ce n’est pas nous qui avons choisi de remettre en cause le statu quo qui laisserait perdurer le Traité de Nice : c’est l’unanimité des représentants des Etats membres de l’Union en nous présentant ce projet de Constitution. (...)

Ce statu quo a d’ores et déjà cessé d’être fondé en droit, si ce n’est comme simple condition pratique d’une renégociation qui, désormais, s’impose pour réorienter la construction européenne.

Et nous ne demandons pas, comme on fait semblant de le croire, qu’elle soit, du jour au lendemain, orientée dans une autre direction, opposée à celle de l’actuel projet, mais simplement qu’elle s’abstienne de prédéterminer, à l’exclusion de toute autre, la direction politique, économique et sociale dans laquelle elle s’oriente, qu’elle ouvre au contraire un véritable espace de liberté, nécessaire à la vie démocratique des peuples qu’elle veut unir, et qu’elle satisfasse par conséquent, cette fois réellement, à la double exigence, qu’elle s’est donnée pour devise, de l’union dans le respect de la diversité.

Thibaud de La Hosseraye
thibaud.delahosseraye@wanadoo.fr.

- Source : www.ineditspourlenon.com


- Du même auteur :

Témoignage d’un revenu du Oui - arguments inédits en faveur du Non.


- Et aussi :

Un ami de François Hollande se lâche.

Le NON n’est pas un vote de gauche, c’est un vote de classe ... par Danielle Bleitrach.

François Hollande n’a strictement rien à faire de la Constitution Européenne ... 28 mai 2005.



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