L’actualité de ce mois d’octobre apporte chaque jour son lot de surprises qui remettent en cause beaucoup de certitudes qu’on pensait parties pour durer. Il en est d’abord du shuttdown (cessation de paiement de l’État fédéral) qui a fait comprendre au monde la vulnérabilité des États-Unis dont le plafond de la dette explose dans un contexte où les Républicains ne font pas de cadeaux à Obama. Le deuxième sujet qui milite en faveur de l’espoir est l’accord russo-étasunien pour des négociations à Genève en vue de résoudre la crise syrienne. Le troisième sujet est le bouleversement de la donne nucléaire de l’Iran qui déstabilise fondamentalement les velléités d’attaque de ce pays, l’ire et le désespoir d’Israël qui s’accroche à l’idée qu’il faille démolir l’Iran.
La vulnérabilité économique des États-Unis
On sait que les États-Unis ont été bloqués pendant près de trois semaines par un blocage, l’État Fédéral ne pouvant assurer la paye des 800.000 fonctionnaires. Ce bras de fer d’Obama qui s’est terminé par un sursis a laissé des traces : près de 24 milliards de dollars de perte et par-dessus tout, une vulnérabilité mise à nue.
Allons nous vers un monde sans les États-Unis dans le format de la guerre froide ?
« L’Empire américain, écrit Thierry Meyssan, est le reste hypertrophié d’un des deux joueurs de la Guerre froide. L’Union soviétique a disparu, mais les USA sont toujours là et ont profité de l’absence de compétiteur pour monopoliser le pouvoir mondial.(...)
En 1991, la logique eut voulu que Washington utilise ses ressources pour faire des affaires et développer sa prospérité. Mais, après diverses hésitations, le Congrès républicain imposa en 1995 au président Clinton son projet d’impérialisme global en votant le réarmement bien qu’il n’y ait plus d’adversaire.
Dix-huit ans plus tard, les États-Unis -qui ont consacré leurs ressources à une course en solitaire aux armements- sont à bout de souffle tandis que les Brics se posent en nouveaux compétiteurs. La 68e Assemblée générale de l’Onu a vu une révolte généralisée contre l’unipolarisme US. (...)
Le blocage du fonctionnement de l’État fédéral US n’est pas dû à une catastrophe, mais à un jeu politicien. (...)
Avant de s’effondrer, l’Union soviétique a tenté de se sauver en faisant des économies. Du jour au lendemain, Moscou a cessé le soutien économique qu’il apportait à ses alliés. D’abord, ceux du Tiers-monde, puis ceux du Pacte de Varsovie. (...)
La formidable puissance des États-Unis ne peut décroître sans à-coups, au risque de se briser. » [1]
Et la Chine ?
On rapporte que Pékin est très critique, ces dernières semaines, envers l’« égoïsme » des États-Unis. Les Chinois appellent à une « dés-américanisation » du monde.
« Il fallait que les Américains prennent leurs responsabilités », souligne Chen Dongxiao, président de l’Institut des relations internationales de Shanghaï, en référence à l’endettement du pays vis-à-vis du reste du monde.
Selon les données du gouvernement étasunien, la Chine est le plus important détenteur de bons du Trésor étasunien, avec environ un quart des avoirs (1280 millions de dollars, environ 940 milliards d’euros). Et Chen Dongxiao de critiquer une démocratie étasunienne dans laquelle« l’esprit de compromis a largement disparu », les élus étant soumis à « la pression d’électeurs de plus en plus radicalisés ».
Signe de l’exaspération des dirigeants chinois, l’agence officielle Xinhua avait appelé, dimanche, à une « dés-américanisation » du monde et appelé à créer une « nouvelle réserve de monnaie internationale pour remplacer le dollar américain dominant ».
« Un Washington égoïste a abusé de son statut de superpuissance et introduit encore plus de chaos dans le monde en déplaçant les risques financiers à l’étranger », avait-elle souligné.
« Alors que les deux principales puissances mondiales veulent pousser chacune leur projet de regroupement régional qui exclut l’autre, le président et le Premier ministre chinois en ont profité pour mener, ces deux dernières semaines, une grande offensive diplomatique dans cinq pays de l’Asie du Sud-Est. Le résultat le plus spectaculaire est à mettre au crédit du second, qui a obtenu à Hanoï la création d’un groupe de travail sur les différends en mer de Chine, qui empoisonnent les relations entre la Chine et le Vietnam. » [2]
La compétition sino-étasunienne est plus que jamais d’actualité. Cela a commencé au Sommet de l’Apec à Bali : les États-Unis ont poussé les feux en vue de la conclusion rapide d’une vaste zone de libre-échange, mardi au sommet de l’Asie-Pacifique, trouvant cependant sur leur chemin une Chine enhardie par l’absence du président Barack Obama.
La responsabilité de l’Occident dans le malheur du peuple syrien
L’Apec a réitéré son « engagement envers une libéralisation du commerce et des investissements d’ici à 2020 ». Mais cette ambition à long terme est concurrencée par deux autres projets de libre-échange. D’un côté, les États-Unis défendent un Partenariat trans-Pacifique (TPP), qui regrouperait 12 pays, à l’exception notable de la Chine. Pékin lui préfère un projet concurrent exclusivement asiatique, réunissant 16 pays, sans les États-Unis.
Cette initiative est défendue par l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) et sera au cœur des discussions lors de son sommet qui s’ouvrira à Brunei mercredi, juste avant celui de l’Asie de l’Est dans le même sultanat. Le TPP est « largement considéré comme un nouvel effort des États-Unis en vue de dominer l’économie de l’Asie-Pacifique », écrit le China Daily. (...) Le partenariat, qui veut regrouper 40% du PIB mondial, doit réunir l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, les États-Unis, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam.
Mais l’empressement étasunien a froissé l’Indonésie, pays hôte du sommet mais qui ne veut pas se joindre au TPP :
« Les efforts de Washington souffrent de l’absence de M. Obama, ce qui a semé le doute sur son aptitude à faire de l’Asie le « pivot » de sa politique étrangère, comme il l’a promis. » [3]
Cet été, nous avons assisté au summum des bruits de bottes. Les va-t-en guerre avec un sabre nain ont vite fait de s’abstenir quand les États-Unis ont décidé de ne pas attaquer la Syrie pour d’hypothétiques preuves d’utilisation de gaz sarin par l’armée syrienne. Nous avons vu même Laurent Fabius à la manière du secrétaire d’État étasunien brandir la fiole de la preuve. Les velléités de créer la zizanie entre chrétiens arabes et musulmans arabes a tourné court grâce notamment au travail de religieux et de religieuses comme Mère Marie Agnes Maryam qui ont constamment dénoncé les malversations.
On apprend par exemple que « Le patriarche maronite Béchara Raï s’est déchaîné contre l’Occident devant une délégation de 11 représentants européens chrétiens et musulmans, arrivés en Jordanie puis au Liban pour y visiter des familles réfugiées de Syrie, et leur apporter soutien et espoir. La délégation est conduite par l’évêque de Troyes, Marc Stinger ». S’adressant aux visiteurs, le patriarche a affirmé :
« Notre souci aujourd’hui, à part l’aide humanitaire nécessaire, est que la guerre s’arrête en Syrie et que les réfugiés puissent rentrer chez eux. Avec l’approche de la saison d’hiver, nous sommes à la veille d’une catastrophe humanitaire. Aucun effort international ne doit être épargné, et cet Occident qui, jusqu’à peu, appelait à l’envoi d’armes en Syrie doit élever la voix et demander aujourd’hui que la paix y soit rétablie. Nous savons que quelques pays ont décidé d’accueillir sur leur sol 10.000 déplacés chacun. Nous protestons énergiquement contre une telle décision. On est en train de déraciner un peuple, de détruire une civilisation islamo-chrétienne bâtie en commun le long de treize à quatorze siècles de coexistence. Voilà en fait l’objectif hypocrite de cette guerre : vider le Machrek de sa civilisation et le maintenir en état de guerre permanente à des fins politiques et économiques. Nous accordons beaucoup d’importance à la coexistence avec nos compatriotes musulmans. » [4]
Le programme nucléaire iranien
Autre signe, le revirement du Qatar qui sent que le vent est en train de tourner. L’agence de presse chiite Abna nous apprend que le cheikh Tamim bin Hamad al-Thani, nouvel émir du Qatar, a chargé Abbas Saki, membre du Fatah palestinien, de remettre au président Bachar al-Assad une lettre lui proposant de rétablir des liens entre leurs deux pays.
Abbas Saki a été reçu par le président syrien le 7 octobre dernier.
Pour rappel, l’émir-père aurait été destitué par Barack Obama qui lui reprocherait d’avoir « outrepassé son rôle en Syrie et dans son soutien au jihadisme ». De plus, la CIA aurait découvert dans la cache d’Oussama Ben Laden des « documents attestant que le financier du chef d’Al Qaîda serait un citoyen du Qatar, cousin du ministre de la Culture ». [5]
Un vent d’espoir est en train de souffler : la paix ! Les deux jours de négociations à Genève entre l’Iran et les grandes puissances sur son programme nucléaire controversé ont débouché sur la convocation rapide d’une nouvelle réunion et pour l’Iran sur un « espoir » d’une « nouvelle phase » dans ses relations internationales.
S’il n’y a pas eu d’avancée spectaculaire, la plupart des participants se sont félicités de la nouvelle atmosphère des discussions et l’Iran a fait plusieurs ouvertures au second jour de travaux qui étaient considérés comme un test de la réalité du changement de politique défendu par le nouveau président Hassan Rohani.
Le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, a qualifié d’ »utile » l’exposé de Téhéran sur son programme nucléaire et estimé qu’il avait traduit une approche « sérieuse et substantielle dont nous n’avions pas été les témoins dans le passé ».
Une prochaine réunion sur le programme nucléaire iranien se tiendra à Genève les 7 et 8 novembre, Mme Ashton a estimé que les discussions de Genève avaient été « substantielles et tournées vers l’avenir ».
« Ce fut une réunion très intense et importante », a-t-elle dit. Un haut responsable parlant sous couvert d’anonymat a affirmé « n’avoir jamais eu une conversation aussi directe et franche, aussi détaillée avec les membres de la délégation iranienne ». [6]
Dans cet ordre, sept anciens ministres, diplomates et hauts fonctionnaires de l’ONU et d’institutions internationales plaident pour une nouvelle diplomatie de l’Occident, seule à même de résoudre le conflit en Syrie et de réintégrer l’Iran dans le jeu international :
« (...) La paix ne se fait pas entre amis mais entre adversaires. Elle se fonde sur la reconnaissance de la réalité. Quand des pays ou des idéologies sont en conflit, il n’y a que deux solutions : la destruction totale d’un des côtés, comme Rome avec Carthage, ou la paix et les négociations. Comme l’a montré l’Histoire, dans le cas de la Chine, de l’Union soviétique et du Vietnam, la paix a été la condition qui a rendu possible l’évolution interne de ces pays. (...)
Il y a des indices que la situation est en train de changer. Les peuples américain et britannique, ainsi que leurs représentants, ont rejeté une nouvelle guerre avec la Syrie. La Russie, les États-Unis et la Syrie se sont mis d’accord sur les armes chimiques syriennes. Le président Obama fait des pas en direction de négociations honnêtes avec l’Iran. » [7]
« Tous ces développements naissants doivent être poursuivis avec énergie. La seconde conférence de Genève sur la Syrie doit inclure toutes les parties internes et externes au conflit. (...)
L’Occident doit comprendre qu’avant d’être baathiste ou islamiste, ou communiste dans le temps, les pays sont habités par des gens qui partagent notre humanité commune, avec le même droit à la vie, indépendamment de leur idéologie. L’Occident doit faire prévaloir le réalisme qui unit sur l’idéologie qui divise.
C’est seulement ainsi que nous réaliserons nos véritables intérêts, qui présupposent des relations pacifiques entre systèmes sociaux différents et le respect mutuel pour la souveraineté nationale. Ultimement, nos intérêts bien compris coïncident avec ceux du reste du genre humain. » [8]
Alors que s’est ouvert ce mardi un nouveau cycle de négociations sur le nucléaire iranien, le Premier ministre israélien n’exclut pas de mener des « frappes préventives » contre Téhéran. (..) « Une guerre préventive est une des décisions les plus difficiles qu’un gouvernement doive prendre car on ne pourra jamais prouver ce qui se serait passé si on n’avait pas agi », a-t-il ajouté.
Le 1er octobre devant l’Assemblée générale de l’ONU, Benyamin Netanyahu avait déjà affirmé qu’Israël agirait seul s’il le fallait. Israël, considéré comme la seule puissance nucléaire de la région, redoute qu’en réponse au ton modéré adopté par le nouveau président iranien Hassan Rohani, le groupe des 5+1 (États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Chine, Allemagne) accepte de desserrer l’étau du blocus économique et financier qui étrangle l’économie d’Iran. [9]
Que fait Israël ?
Israël, d’une façon obsessionnelle, imite le sénateur romain Caton l’Ancien en 150 avant J.-C. qui terminait chacun de ses discours sur des sujets divers par la fameuse formule « Delenda Carthago est : Il faut détruire Carthage ».
Je pense que le monde était au paroxysme du chaos en été quand la Syrie a failli être démolie, ce fut en fait le reflux des jacqueries arabes. Israël n’a pas compris que le monde est en train de changer à toute vitesse, les peuples sont harassés par les guerres.
Le conflit syrien verra un début de solution à la conférence de Genève en Novembre.
L’Iran débarrassé des sanctions pourra jouer son rôle dans une région qui a grand besoin de stabilité. Il ne tient qu’à Israël de rentrer dans la paix en libérant la Palestine dans les frontières de 1967, elle pourra alors sans vainqueur ni vaincu accepter la résolution du roi Fahd « la paix avec les Arabes contre les territoires ».
Son allié, en l’occurrence les États-Unis d’Amérique, ayant perdu son magistère moral est en train de se redéployer sur ses fondamentaux pour garder tout de même non plus un rôle hégémonique mais dans un nouveau concert des nations avec l’émergence des pays du Brics qui auront aussi un rôle de plus en plus important à jouer.
Il reste la « vieille Europe » qui vit sur une réputation surfaite avec les deux acolytes de toujours, la Grande-Bretagne et la France qui ont perdu une occasion de prendre le train de l’histoire arcboutés qu’ils sont sur des « certitudes d’un autre âge » qui leur « permettent toutes les audaces au point d’avoir des velléités de « punir » les autres, les faibles, comme au bon vieux temps des colonies...
Les musulmans et plus largement les peuples veulent la paix. C’est aux « grands dirigeants » d’y souscrire.
Chems Eddine CHITOUR