1.200 personnes sont à l’écoute lorsque, pour conclure le meeting, Carmelo Suarez, secrétaire général du PCPE, prend la parole. « Le temps de l’Histoire s’écoule parfois lentement, et parfois il se précipite en chute libre sans frein. C’est ce qui nous incombe à nous aujourd’hui, cette étape de chute libre et sans frein (...) Nous regardons cinq ou dix ans en arrière et nous ne reconnaissons pas ce pays » (1).
Parmi les nations les plus touchées par la crise économique et soumise à la cure d’austérité imposée par l’Union Européenne, l’Espagne dégringole. Manifestations et expressions populaires de colère émaillent l’actualité sociale et politique du pays depuis quelques années. Mouvement des « indignés », grève musclée des mineurs ou encore grèves générales à répétitions ont amené la péninsule ibérique à s’afficher de plus en plus à la une des journaux européens. Les « recortes » (découpes) dans les services publics impulsés par le gouvernement socialiste et ceux, actuels, de celui de droite laissent entrevoir l’alternance fumeuse que propose le système politique entre "bonnet blanc et blanc bonnet" . Comme le veut la logique c’est à la lumière des extrémités de l’échiquier politique que se dessine progressivement l’horizon. A l’instar de la Grèce, la social-démocratie espagnole s’essouffle et ouvre le champ politique à d’autres perspectives, hautement antagonistes. Celles visant à dépasser le système économique capitaliste, à savoir les forces révolutionnaires progressistes, et celles qui vont répondre à la crise par la guerre et la destruction, les politiques fascistes.
Le mouvement communiste européen s’inscrit, lui, comme une force politique transformatrice, et, comme le veut la séquence historique, c’est à lui qu’incombera à nouveau le devoir d’affronter le fascisme résurgent. Mais il est divisé. L’effondrement du régime soviétique et l’arrivée de "l’euro-communisme" dans les sphères idéologiques des partis communistes européens a scindé en deux le camp révolutionnaire marxiste : d’un côté les partisans de l’euro-communisme et de l’autre les "orthodoxes" ou marxistes-léninistes. Les premiers s’étant regroupés au sein du Parti de Gauche Européen défendent la possibilité de faire de l’Union Européenne une "Europe Sociale" . Les seconds considèrent tout changement au sein de l’UE impossible et militent pour le retrait des nations de ce qu’ils qualifient la « prison des peuples ».
Le samedi 15 décembre 2012 le Parti Communiste des Peuples d’Espagne organise un meeting internationaliste, à Madrid, où sont invités des représentants de regroupements communistes marxiste-léninistes d’Europe : le Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF) et l’Union des Révolutionnaires Communistes de France (URCF), le Comunista Sinistra Popolare-Partito Comunista (CSP-PC, Italie) et le puissant Kommunistiko Komma Elladas (KKE, Parti Communiste de Grèce). Un meeting avec pour slogan "Sortir de l’Euro, de l’UE et de l’OTAN" . 1.200 personnes sont venues. Jeunes, anciens, hommes et femmes. Au micro se succèdent Georges Gastaud (PRCF), Maurice Cukeirman (URCF), Marco Rizzo (CSP-PC), Giorgos Marinos (KKE), Juan Nogeira (Collectifs des Jeunes Communistes, CJC) et bien sûr Carmelo Suarez. Ce dernier entame un vigoureux discours après un défilé très discipliné de la jeunesse communiste, drapeaux rouges en main, qui ne sera pas passé inaperçu auprès de l’auditoire.
« Ce parti (le PCPE) est né de la résistance qu’il a du entreprendre, dans les années 90 lors de la victoire de la contre-révolution en URSS, quand alors tout n’était que discours contre nous, on nous disait "dissolvez-vous ! car votre projet politique a échoué !" et souvenez-vous, nous l’avons dit de nombreuses fois : nous avons creusé une énorme tranchée. Nous nous sommes abrités dans cette tranchée et nous avons promis que d’elle nous n’en sortirons que pour aller vers l’avant ! jamais en arrière ! ». Les applaudissements obligent le dirigeant à faire un pause. Puis Carmelo Suarez reprend : « Nous maintenons une position d’affrontement vis à vis du réformisme. Une position qui n’a rien à voir, camarades, rien à voir avec le sectarisme. Nous ne sommes pas une organisation sectaire. Nous autres nous sommes une organisation monolithique sur le plan idéologique qui se confrontent quotidiennement dans les centres de travail avec les positions réformistes, qui nous désarment face à la bourgeoisie. Et nous l’expliquons (...) le réformisme fait croire, dans ce pays, que l’Union Européenne n’est pas intrinsèquement mauvaise, mais qu’il ne lui manque que la "patte sociale" et que donc, qu’elle est cette absurdité de vouloir sortir de l’Union Européenne ?! (...) Mariano Rajoy était content de nous expliquer que nous avions reçu une aide monétaire sans contrepartie. Il ne s’est pas écoulé deux semaines que nous est parvenu les 32 conditions de ce prêt (...) Des conditions auxquelles doit obéir le gouvernement de Rajoy, qui proviennent d’où ? du mandat d’Angela Merkel ? Non, du capital monopoliste européen qui est celui qui commande ici !! (...) Il n’y a pas d’autres chemin dans le système capitaliste. Aucun. Ni même la possibilité atténuer quoi que ce soit (...) Nous nous dirigeons vers la dictature du capital (...) ce qui nous attend c’est la barbarie. Mais soyons optimistes (...) Nous travaillons pour accumuler des forces, et nous avançons ».
Peu de médias ont informé sur la tenue de ce meeting communiste, ni en Espagne ni ailleurs, à l’exception remarquable de la chaîne de télévision Telesur qui a envoyé sur place une équipe de journalistes2. En France les préparations du 36ème Congrès du PCF se déroulent en ce moment et la décision de la majorité des adhérents a été de continuer la construction du "Front de Gauche" sans remettre en question l’appartenance de la nation républicaine à l’Union Européenne. Pourtant, nombreux sont les secteurs de la gauche française (y compris au sein du PCF) qui relaient l’idée de quitter l’UE et de renouer avec le patriotisme souverain pour ne pas laisser ce cheval de bataille au seul Front National, d’extrême droite.
« 2013 sera pire que 2012 camarades » continue Carmelo Suarez « Ne donnons aucune espérance, ça serait une grave erreur. Les choses ne vont pas s’améliorer. La crise va être longue et brutale (...) ce qui nous attend ce sont des salaires de 300, 400 euros, et cela touchera les jeunes et surtout les femmes, camarades (...) ça va être dur ? Bien. Si ça va être dur alors la tragédie serait de ne pas avoir un parti communiste disposé à mener la lutte de la classe ouvrière (...) nous devons, nous les communistes, gagner le prestige, camarades. Nous devons montrer à la classe ouvrière que nous, nous sommes différents, face à ce discours du "tous pourris" qui mène à la dépolitisation des masses (...) Nous espérons que partout dans l’Union Européenne se réaliseront des événements comme celui-ci et que cette ligne de division qui est la sortie de l’Euro, de l’UE et de l’OTAN, éclaircisse le champ nitide entre les positions réformistes et les positions révolutionnaires ». Aux applaudissements de clôture succèdent le slogan "Que viva la lucha de la clase obrera" (Que vive la lutte de la classe ouvrière) et l’Internationale chantée le poing levé par la salle.
Loïc Ramirez