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Capitalisme productiviste : le travail et la consommation, l’émancipation et le socialisme.

Marx comme Arendt ont sévèrement critiqué le travail. Marx critique férocement le travail aliéné celui pris dans les rapports capital-travail et Arendt approuve Marx mais sa critique va aussi contre la survalorisation du travail (et ce faisant elle va contre l’église et le mouvement ouvrier d’alors) mais elle n’annonce pas la fin du travail. Sur ce point particulier, certains décroissants soulignent qu’aujourd’hui la fin du travail est non souhaitable pour une autre raison : cela risque de déboucher sur la seule liberté de consommer (du moins si le pouvoir d’achat occidental est maintenu). Annie Coll (2) écrit "Si le travail est incontournable, l’humanité doit veiller à produire plutôt de la permanence que de l’abondance". Voilà qui va à contresens de la production à obsolescence programmée qui caractérise le capitalisme. "Pris par le tourbillon de la dévoration des marchandises, nous oublions de construire un monde stable ou la valeur d’usage l’emporte sur la valeur d’échange". dit-elle encore (p54). Voilà un changement de perspective qui partant de la sphère de la consommation débouche sur le type de production nécessaire et qui ce faisant annonce tout simplement le socialisme, bien que le terme ne figure pas dans son ouvrage.

Après une critique du productivisme (première partie) en lien avec le travaillisme on passera à une critique du travaillisme comme vecteur de mal-vie individuelle (seconde partie). Deux versants différents sont abordés mais d’un côté ou de l’autre la boucle se referme sur la mal-vie.

I - Encore sur l’écosocialisme contre le productivisme.

Dans cette brève note, on ne trouvera pas une recherche sur les composantes de "l’économie plurielle" à savoir : l’économie de marché, le secteur public, l’économie sociale et solidaire et l’économie domestique car ces composantes peuvent très bien s’insérer dans une économie capitaliste ou socialiste selon la place centrale et dominante conservée ou non par l’économie des sociétés anonymes notamment de celles faisant appel public à l’épargne . L’économie sociale et solidaire - ESS - n’est pas une alternative à l’économie capitaliste ni même à l’économie marchande dans laquelle elle est insérée. (3) A la suite de Jean-Marie Harribey et Stéphanie Treillet, nous préférons distinguer simplement secteur marchand et secteur non marchand (lequel figure aussi dans le PIB). Par ailleurs comme l’indique Jacques Cossart (4), l’appropriation publique n’est que le début d’un processus qui a pour enjeux central l’intervention citoyenne dans le champ économique, dans et hors les entreprises.

A) La problématique opposition multiforme à la croissance et au productivisme.

Le productivisme reçoit comme première définition la recherche constante de croissance de la production. Le productivisme relève de l’obsession quantitativiste : il s’agit de produire pour produire et de produire toujours plus notamment grâce à la standardisation des produits. Le productivisme s’appuie sur le progrès constant de la technologie et sur une "organisation scientifique du travail" dont le stakhanovisme constituait la version stalinienne en réponse au taylorisme. En fait le productivisme s’appuie sur l’exploitation maximale de la force de travail, sur le travaillisme (travailler plus, plus vite, sans augmentation de salaire) tant dans le privé que dans le public.

En réponse à la "doxa travailliste"(5), les anti-productivistes exigeront très majoritairement une forte réduction du temps de travail. Mais en outre pour que le temps libéré ne soit pas un temps de consommation Elise LOWY (6) rappelle que "l’anti-productivisme prône une nécessaire autolimitation de la consommation pour rompre avec l’hybris et préserver la démocratie". Comme il ne suffit pas de le dire pour que ce soit effectif, la création d’un revenu mensuel maximal est préconisée pour amputer le pouvoir d’achat nuisible des riches (7). Lire ici Comment les riches détruisent la planète d’Herve Kempf (8). Autre chose encore : brider l’influence de la publicité comme appareil idéologique de production de "l’imaginaire capitaliste" et de son complément le surconsommateur avide de produits nouveaux est également nécessaire.

Dérive : On a entendu quelques "antiproductivistes de la sobriété" s’accommoder d’un travaillisme "occupationnel" (sic) afin d’empêcher que les travailleurs ne fréquentent les "temples de la consommation". De façon assez misérabiliste, ceux-là sont aussi contre les augmentations de salaire sauf pour les smicards et en-dessous. Riposte : Ici le fait de consommation est survalorisé dans l’analyse et la production oubliée. On pourrait ajouter que la "compulsion de consommation" (qui suppose de bons salaires) va de pair avec un abrutissement au travail alors qu’un travail sobre en durée et en intensité s’accommode plus aisément ensuite d’une activité "citoyenne" libre. Nous y reviendrons.

Bilan provisoire pour aller plus loin : Cette première définition large du productivisme acceptée par certains écologistes a l’avantage de permettre d’intégrer les modes de développements industriels non capitalistes du XX ème siècle ne suffit cependant pas à dire la vérité sur le productivisme. Elle oublie le rôle fondamental du profit y compris via la concurrence mondiale au XX ème siècle entre modèles de développement pour les économies ne fonctionnant pas à la logique du profit.

B) - Une distinction toujours nécessaire : Produire pour le marché et les profits ou satisfaire les besoins sociaux.

La critique du productivisme passe par celle de l’économie de marché et
la critique du capitalisme. En effet, ce n’est pas n’importe quelle
croissance de production de biens que le productivisme recherche. Il
cherche avant tout l’accumulation marchande. Il veut produire plus de
marchandises mais pas plus de biens et services non marchands, biens
publics ou biens communs. Pour le dire autrement, il cherche la
production de valeur d’échange pour la réalisation d’un profit ce qui
montre son inscription capitaliste et non la production de valeur
d’usage, ce qui le rapprocherait du socialisme.

Si le socialisme historique a pu être productiviste ce n’est pas sa
seule voie. Il peut, grâce à la démocratie socialiste et à une
planification repensée en vue du "développement durable" déployer un
mode de développement respectueux des équilibres écologiques. Ce mode
d’intervention citoyen sur les grands choix de production casse la
logique de profit pour viser la satisfaction des besoins sociaux. C’est
là une bifurcation structurelle agissante hors tout débat sur les vrais
ou faux besoins tel qu’initié par Marcuse (9) et d’autres. S’y rajoute
dans la délibération la possible prise en compte de l’environnement pour
produire des logements, des hôpitaux, des modes de transport, etc...

Si le socialisme est ouvert sur des modes variés d’allocation des
ressources il n’en va pas de même du capitalisme dominant. Le mode de
développement capitaliste ne saurait, lui, s’ouvrir une telle voie.
L’écologie de marché présuppose, non une logique tarifaire citoyenne,
mais une logique de prix (de marché) libre . Versus social-démocratie
une réglementation des prix est sans doute pensable pour venir borner le
champ d’action du marché . On a alors un marché certes "bridé" mais qui
néanmoins laisse agir pleinement "la main invisible" du marché .
Celui-ci reste libre de produire, vendre et consommer dans un univers
concurrentiel dont le profit est le moteur. Cette modalité du "marché
bridé mais toujours très efficace ne saurait convenir.

Si l’on accepte de conserver le marché et non de le supprimer mais d’en
amoindrir son efficacité , il importe alors - autre perspective - de le
circonscrire (10) nettement afin que son influence ne soit plus
dominante. Cela est possible par plus de services publics et surtout une
institution planificatrice nouvelle . Un anti-productivisme socialiste
mettra donc en avant, en plus de la lutte contre le travaillisme (RTT)
et du revenu mensuel maximal, la construction d’une économie planifiée,
non marchande par généralisation de l’intervention citoyenne au lieu et
place de la généralisation du marché.

Là ou est le marché c’est la logique de solvabilité et non la logique
politique et démocratique qui a le maître mot. On ne saurait faire comme
si "l’imaginaire capitaliste" dont l’industrie de a publicité est
l’aiguillon et le vecteur structurel ne pesait pas très lourdement
contre le discours vain du consommateur-acteur ou celui de la sobriété
ou de l’équilibration.

(les 5 paragraphes qui précédent ont été modifiés le 25/7 - Note Grand Soir)

II - Contre le travaillisme pour le bien vivre.

"Si on accepte de ne parler que d’emploi, on est d’emblée situé dans une problématique, dans une grille de lecture qui sont celles de l’économie politique" écrit Bernard VASSEUR (11) qui ajoute "Si vous dites "emploi", vous acceptez, que vous le vouliez ou non, qu’il y a des "employeurs" (des gens gens qui peuvent se dire "créateurs d’emplois"...), qu’il y a des "employés"... Pour parler de la qualité du travail il faut sortir de la question de l’emploi. Car bien vivre au travail c’est bien vivre tout court.

Ce qui est développé ici se résume par "Il faut pour bien vivre se situer dans un rare entre-deux au travail, ni au chômage ni dans le travaillisme." Ajoutons avec une production utile, avec ouverture à la culture plus qu’au divertissement.

A) La critique du travaillisme et sa portée.

La question du travail, de son sens, de son utilité, de sa valeur se pose d’abord en critiquant (pour le réduire et le neutraliser) le travaillisme (5) qui n’est pas seulement la critique des excès d’un certain management tant dans le privé que dans le public.- harcèlement, contrat d’objectifs, management par le stress, humiliations hiérarchiques répétées, etc... mais aussi critique de son inscription capitaliste et donc - pour aller à l’essentiel - de sa durée (plus de 35 heures hebdomadaires), de son intensification, de sa faible rémunération.

La critique du travaillisme ne se limite donc pas à la critique de certains travaux et de certaines catégories de salariés. Elle est relativement globale dans la mesure ou elle est critique du travail salarié mais pas du travail en soi. Elle ne débouche pas pour autant sur une apologie du travail indépendant instrumentalisé par l’idéologie entrepreneuriale .

En fait c’est le rapport social capital-travail qui doit être transformé fortement avant de disparaître pour accéder au travail libre, au travail émancipé . Cette transformation n’est réalisable que sous le socialisme. Le capitalisme se montre incapable de généraliser RTT, bons salaires, travail à cadence modérée.

La critique du travaillisme montre qu’il ne s’agit pas d’être "fainéant", de "ne rien faire" à une époque ou N. Sarkozy pose le modèle de la "France qui se lève tôt" mais qu’il s’agit positivement de travailler sobrement et sans excès. Vive les 30 heures pour tous et toutes.

Ce faisant, il s’agit de travailler de prendre sa part (mais pas plus) dans la production de l’existence sociale, celle à laquelle nul n’est exempt, sauf les jeunes et les retraités (du moins comme salarié). La critique du travail salarié invention du capitalisme n’est pas prétexte à ignorer la nécessité du travail producteur de valeur d’usage pour la société. Ce qui incite à une critique de ce qui est produit.

B) La critique d’une certaine production.

La critique du travaillisme est essentielle pour travailler mieux mais elle ne suffit pas. La critique du travaillisme et des modalités de la production doit se compléter d’une critique de ce qui est produit. Savoir que l’on produire des biens ou des services utiles à la population est essentiel à la bonne vie au travail.

Produire des biens nuisibles ou des biens qui ne sont accessibles qu’aux riches participent de l’aliénation au travail même si l’exploitation est réduite (30 heures par semaine avec un bon salaire ie qui laisse de l’épargne en fin de mois). Ainsi, participer à une fiscalité juste peut rendre heureux au travail si le travail n’est pas trop parcellisé et sous tension. Servir une fiscalité pour les riches participe de l’aliénation au travail. La critique de ce qui est produit constitue aussi un élément de la critique anti-productiviste. Mais c’est un autre débat (voir note1).

C) Travaillisme contre cerveau disponible pour la culture, l’agir collectif, la rencontre.

Le travaillisme, forme de despotisme au travail, crée son complément la société de loisir c’est à dire la distraction facile et généralisée par la consommation immédiate soit chez soi via la télévision soit à l’extérieur dans les "temples de la consommation". A l’opposé le travail modéré réel mais serein et limité facilite ensuite grâce à l’énergie restante et le temps libre restant l’accès à la culture qui vous place dans le temps long du construit et du collectif et non dans l’obsolescence de l’immédiat et de l’individuel. L’activité citoyenne ou politique participe aussi de cette activité inscrite dans le temps long et collectif . On pourrait ajouter que le travaillisme favorise l’isolement et le repli sur soi et bride la disponibilité à la rencontre amicale ou amoureuse. Le retour néolibéral du travaillisme est donc le despotisme de la vie complète tant dans le travail que hors travail.

D) Le mal travail produit de la mal vie (hors travail), pas l’inverse !

On ne saurait travailler "en apnée" pour mieux respirer hors travail (BV 12). La vérité c’est que le travail contraint (ou le mal au travail) produit de la mal-vie hors travail. Voilà le principe qui a évidemment ses exceptions. Mais la médecine du travail aux ordres du patronat tend à inverser les causalités : vous allez mal chez vous donc vous travaillez mal. La critique syndicale remet les choses à l’endroit. C’est un travail critique constant au temps du capitalisme néolibéral que de devoir sans cesse remettre les chose à l’endroit !

Christian Delarue
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1181

1) L’invention du travail. par Michel Freyssenet

2) in Le très "possible" communisme - Lecture croisée de Marx et Arendt par Annie COLL edition MLD

L’auteur, professeur de philosophie à Dinan, enrichie une lecture de Karl Marx par celle d’Hannah Arendt sur les six thèmes suivant : l’émancipation, la fin de l’exploitation, le travail, l’histoire, la liberté d’agir, la politique pour tous.

3) Vous critiquez l’Economie sociale et solidaire mais n’osez pas vous dire écosocialiste !

4) Productivisme et socialisme de Jacques Cossart

5) Contre la doxa travailliste en Europe vive la RTT et le partage du travail. C Delarue

6) Petite histoire du productivisme par Elise LOWY

7) Sobriété pour les très riches de tous les pays. C Delarue

8) Ecologie, productivisme, et post-capitalisme Un débat entre Philippe Corcuff et Hervé Kempf

9) Herbert Marcuse, les besoins et le socialisme

10) Vers un néosocialisme vert : Etendre le marché ou le circonscrire ? - C Delarue

11) in Note de la Fondation Gabriel Peri : "Le despotisme des modernes" par Bernard VASSEUR

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On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

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