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Argentine, 30 ans de démocratie et les vieux démons toujours en embuscade

La fête gâchée. La démocratie, visée. Alors que l’Argentine commémore 30 ans de démocratie. La grève des policiers –sur fond de revendications salariales- qui a d’abord touché la province de Cordoba, s’est curieusement répandue comme une trainée de poudre aux forces de police de plusieurs les provinces argentines, créant le chaos en laissant la porte grande ouverte à des pillages de supermarchés qui ont mal tourné. Le bilan est toujours trop lourd.

Mais surtout il est aussi lourd de sens, justement au moment ou le pays fête les 30 ans de son retour à la démocratie. Bien que les provinces jouissent d’une certaine autonomie, il s’agit bien d’un gouvernement fédéral- le chaos crée apparaît avec recul bien trop organisé pour être spontané. C’est bien la démocratie qu’on a voulu ainsi ébranler, menacer en ces jours de commémoration.

Personne n’est dupe. Les vieux démons s’agitent avec des relents golpistes. Les pillages n’ont rien à voir avec la faim et le pouvoir d’achat, ils ont été « autorisés » en quelque sorte par l’absence des forces de police, et même « orchestrés ». Une façon de prendre en otage le système démocratique en laissant volontairement le chaos s’installer.

A l’heure où l’Argentine est reconnue sur la scène internationale pour son parcours durant les dix dernières années, pour son courage dans ses décisions économiques, et son combat pour le devoir de mémoire, de justice et de vérité, qui donc a intérêt à semer le trouble dans le pays ?

Un trouble planifié, qui ne relève en rien du hasard. Alors en trente ans, malgré tous ces efforts de justice et de paix sociale, ce long chemin, d’aucuns se permettent de se mettre en marge de la démocratie, d’installer la peur, de jouer sur la corde de l’insécurité, toutes ces vieilles recettes toxiques, mais que certains politiques et médias entretiennent à feu lent jusqu’à espérer faire exploser la marmite.

Irresponsables apprentis sorciers, serait on tenté de dire, mais hélas ils ne sont pas des apprentis car ils ont déjà joué avec le feu sous la dictature. On connait trop bien les ressorts -tant intérieurs qu’extérieurs de ce type d’opérations (comme le montrera le colloque sur le Plan Condor qui se tient à Paris, au Sénat, vendredi 13), et la portée régionale qu’elle peut avoir.

Aux policiers de défendre la démocratie et les citoyens, et non de les mettre en péril. Mais aux gouverneurs de province aussi de prendre leur part de responsabilité, de faire le ménage quand les frontières sont trop poreuses entre le monde de la délinquance, de la drogue et celui de la police. Aux citoyens de sanctionner lors des élections les gouverneurs trop conciliants et clientélistes. Dans la Mani Pulite, si elle est la garantie de la démocratie, tout un chacun a une part de responsabilité.

Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo

El Correo, 12 décembre 2013

 http://www.elcorreo.eu.org/Argentine-30-ans-de-democratie-et-les-vieux-demons-toujours-en-embuscade
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COMMENTAIRES  

17/12/2013 20:02 par olivier

On pourra souligner, afin de mieux cerner certaines assertions à la fin de cet article (notamment celle qui parle des frontières trop poreuses entre le monde de la délinquance de la drogue et de la police) qu’ à la fin novembre, donc peu avant les pseudos grèves de la police, une affaire qui était arrivée aux oreilles des média avait éclaté démontrant clairement un niveau de collusion proprement hallucinant entre le monde du "narcotrafique" et la police... mais pas seulement, d’autres administrations étaient impliquées. Cela avait démarré à Cordoba mais les provinces de Santa Fe et de Buenos Aires étaient également montrées du doigt. La différence au niveau des répercussions a été que le gouverneur de Cordoba qui à priori était absent et au courant de rien, donc j’imagine injoignable, n’a pas fait appel au pouvoir national au moment où la police a décidé de faire grève. Ce que les gouvernements de Santa Fe et de Buenos Aires ont fait, il y a eu plusieurs déploiements de milliers de gendarmes qui ont permis d’éviter les débordements dans certaines provinces.
D’autre part, lorsque l’auteure parle d’orchestration, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas de "pillage" comme en ont souvent parlé les médias. Les gens qui ont attaqué les magasins venaient en groupe organisés avec des fourgonnettes et des motos, les personnes à moto vidaient les magasins et remplissaient les camionnettes. Les magasins alimentaires n’ont pas été touchés, seules les enseignes vendant du matériel vidéo/hi-fi/informatique ont été prises d’assaut. Mais pas toutes, certaines ont eut plusieurs magasins visés, d’autres pas du tout. Autant d’éléments qui ne plaident pas en faveur de l’acte spontané d’une population en état de "raz le bol".

Ensuite et pour ma part, je trouve que se limiter à pointer du doigt les gouverneurs en espérant un vote sanction aux prochaines élections c’est un peu léger. Le système représentatif montre ici ses limites. Les postes clefs sont attractifs parce que la personne y est pratiquement inamovible pendant tout son mandat (Le terme "mandat" se trouvant en soit dénaturé, la personne se trouvant élue non pour s’occuper d’une tâche que ses électeurs lui ont confié mais bien pour occuper un poste durant une période donnée). La personne ne va donner l’impression de travailler pour ses électeurs que dans la mesure où elle vise à être réélue. Si l’élu peut faire un coup de poker et gagner de quoi prendre sa retraite lors de son premier mandat, pourquoi s’embêter avec un deuxième (ceci sans prendre en considération la machine médiatique capable d’absoudre n’importe qui à grand coup de campagnes publicitaires) ?
Au niveau de la responsabilisation, si notre choix se limite à voter pour celui qui va penser notre système politique et social et non à le penser nous même, quel niveau d’implication cela peut-il engendrer ?
Si l’on souhaite obtenir des élus qu’ils travaillent pour le peuple et non pour leurs propres intérêts (de classe ou personnels) il faut établir un modèle participatif à tous les niveaux avec possibilité de révocation de l’élu mandaté à partir du moment où la population votante considère en majorité que la personne n’accomplit pas la tâche pour laquelle il a été mandaté. (A partir de là et grâce aux nombreux et systématiques débats générés, il y a fort à parier que le modèle capitaliste qui génère la plus grande partie des injustices que subit la plus grande partie de l’humanité aujourd’hui sera remis en question et démantelé rapidement. La problématique étant simple, si l’on admet admet que les ressources de notre environnement sont limitées et que le système capitaliste fait en sorte que les ressources soient accessibles par l’argent, comment justifier qu’une personne gagne 10/100/1000/10000 fois ce qu’une autre personne gagne ?).
Tant que l’on restera dans un cadre représentatif stricte il n’y a, à mon sens, aucun changement à espérer (Que ce soit en Argentine ou ailleurs).

Enfin, si l’on veut retranscrire fidèlement la situation, il est bon de rappeler qu’être policier en Argentine ce n’est pas comme être policier en France au niveau du salaire. Dans la majorité des provinces un policier de base ne gagne pas de quoi arriver jusqu’à la fin du mois si il vit seul (ailleurs que dans une "villa" -équivalent des favelas brésiliennes- où les mafieux vont recruter les "soldaditos", la chaire à canon du trafic de drogues) ce qui pour le coup, donne un énorme coup de pouce aux mafias diverses et variées, trop contentes de pouvoir, à moindre frais, "aider" ces "agents de la paix", passant par la même du statut de truand à celui de sponsor officieux aux yeux des forces de l’ordre qui en finissent par défendre un ordre... un peu particulier certes, mais qui favorise toujours les plus riches enfermés dans leurs "barrios privados" (quartiers privés), qui, dans ce modèle aux pratiques corruptrices admises pourront, à grand coup de liasses, tirer leur épingle du jeu légal et conserver un statut privilégié.

18/12/2013 03:14 par Gabriel

Dans les années soixante-dix l’ERP et les Montoneros croyaient que pour lutter pour le socialisme il fallait tuer des policiers. Non seulement les chefs de la Police mais aussi les surveillants qui marchaient dans la rue !
Ces idiots pensaient et faisaient cela avant même le coup d’État de 1976 et après le retour d’exil de Perón ( le Chavez argentin) en 1973 !
Pour cette raison et d’autres je ne partage pas les opinions de l’auteur car elles peuvent conduire à des erreurs tactiques tragiques que l’ont a déjà vues dans le passé.
En lisant l’article on serait porté à croire que les militaires et les policiers sont synonymes de dictature et que les civils sont synonymes de démocratie.
Quelle vue simpliste ! Quel tragique manque de profondeur !

Analysons la question, car en quoi consiste une dictature ?

Pour dire qu’il y a une dictature dans un pays suffit-t-il de voir si ce sont des militaires qui détiennent le pouvoir ?
Si tel était le cas la méthode échoue lorsqu’on se rappelle que Chavez, le défunt président du Venezuela, était un colonel de l’armée ! Et pourtant ce soldat a été l’un des plus courageux révolutionnaires de l’Amérique Latine !
Et il n’est pas une exception ni en Amérique Latine ni dans le monde.
Souvenons nous du général Lazaro Cardenas qui a nationalisé le pétrole mexicain qui était aux mains des anglais. Et que dire du colonel Nasser en Égypte ?

Quelles conclusions devons nous tirer de cela ?

Que les militaires sont des dictateurs lorsqu’ils défendent les intérêts des oligarchies contres les masses et qu’ils sont des révolutionnaires lorsqu’au contraire ils défendent les intérêts populaires contre les intérêts des oligarchies et de l’impérialisme.
Souvent Les révolutions se produisent lorsqu’une armée se divise et qu’une partie de celle-ci rejoint les forces populaires et révolutionnaires et neutralise la partie de l’armée qui est restée au service des forces réactionnaires.
Pour cette raison il est important que les organisations révolutionnaires aient une politique à l’égard de l’armée et qu’elles essaient de la gagner à leur cause.
Car une armée n’est pas imperméable aux antagonismes sociaux.
Une dictature consiste en ce qu’une classe sociale impose sa domination à une autre classe sociale et non à la présence de membres des forces armées ici et là.
L’habit ne fait pas le moine et l’uniforme ne fait pas le dictateur,pour considérer un policier ou un militaire comme étant un dictateur ou comme étant un révolutionnaire il ne faut pas regarder son uniforme mais plutôt les intérêts qu’il défend.
Être militaire ou policier est une profession, Émiliano Zapata était militaire de profession.
Ceci dit, pour les socialistes, il ne faut pas juger les policiers argentins d’après leur uniforme mais en examinant de près leurs revendications salariales et autres.
Si elles sont légitimes ils faut les appuyer, en faisant cela nous pourrons gagner la sympathie de bien de travailleurs en uniforme.
Si au contraire, au nom du socialisme et de la révolution nous ne défendons pas des revendications légitimes des travailleurs en uniforme, le jour où la bourgeoisie aura besoin de la police pour réprimer les travailleurs et qu’alors elle augmentera son salaire, aucun policier n’hésitera à matraquer ces gauchistes qui étaient contre lui dans le passé.
Donc si le capitalisme ne paye pas bien les policiers, profitons de l’occasion et encourageons les à rejoindre les rangs des autres travailleurs qui luttent contre ce même capitalisme.
Cela est tactiquement intelligent.

Pour le reste je dirai qu’il y a en Argentine 30 ans de démocratie coloniale, car depuis le coup d’État contrerévolutionnaire de 1976, tous les gouvernements militaires et civils qui se sont succédé n’ont fait que défendre le néolibéralisme. Le gouvernement de Cristina Kirchner est un gouvernement progressiste de classe moyenne qui résulte de la crise de décembre 2001, mais il n’est pas un gouvernement révolutionnaire. Hélas, l’opposition à Cristina l’est encore moins. Il faut construire une autre alternative politique.

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