Dans le long exposé qu’elle a fait au Sénat face au refus du tribunal qui la juge de lui donner la possibilité de se défendre, la vice-présidente a rendu publics d’innombrables messages entre José López et Nicky Caputo, l’homme d’affaires ami de toujours de Mauricio Macri. Elle a également montré comment fonctionne le système judiciaire
Cristina Fernández de Kirchner a fait ce que le tribunal qui la juge ne voulait pas qu’elle fasse : parler et dénoncer le fait qu’alors qu’ils cherchent à la condamner pour avoir prétendument favorisé l’homme d’affaires Lázaro Báez dans la concession de travaux publics dans la province de Santa Cruz, les juges et les procureurs enterrent les cent messages que le secrétaire des travaux publics José López – devenu célèbre pour avoir tenté de dissimuler des sacs contenant 9 millions de dollars dans un couvent de General Rodríguez – a échangés avec Nicolás « Nicky » Caputo, l’ami de toujours de l’ancien président Mauricio Macri. « La guerre juridique atteint ici des sommets – nous, les Argentins, sommes toujours allés un peu plus loin. Ainsi nous avons vécu la tragédie de la dictature génocidaire la plus sanglante de toutes », a déclaré Cristina Kirchner. « Dans la farce actuelle qu’est le lawfare en Amérique latine, quand il n’y a plus de partis militaires mais un parti judiciaire, ils vont plus loin. Ici, il ne s’agit pas de stigmatiser ou de confondre les gouvernements populaires avec des associations illicites, ils en arrivent maintenant à protèger ceux qui volent réellement le pays », a souligné Cristina Kirchner depuis son bureau. Dehors, devant le Congrès mais aussi devant son appartement, des centaines de manifestants l’attendaient. À la fin de son discours, Cristina Kirchner est sortie sur le balcon et a chanté avec eux la marche péroniste, tout en leur formant le « V » de victoire, les mains en l’air.
Ce n’aura pas été dans une salle d’audience du tribunal de Comodoro Py ou sur Zoom, où les juges, les procureurs et les avocats de la défense se connectent trois fois par semaine pour assister au procès « Vialidad ». C’est depuis son bureau au Sénat que Cristina Kirchner a assuré sa défense après que les procureurs Diego Luciani et Sergio Mola ont requis lundi douze ans de prison à son encontre et l’interdiction à vie d’exercer une fonction publique après l’avoir accusée d’avoir dirigé une association illicite pour frauder l’État. Lorsque le tribunal a rejeté sa demande de parole, Cristina Kirchner a dénoncé sur les réseaux sociaux qu’elle faisait face à un « peloton d’exécution médiatico-judiciaire », mais mardi, elle est allée plus loin en affirmant qu’elle n’était pas seule face aux fusils. « Ce n’est pas un procès contre Cristina. C’est un procès contre le péronisme », a-t-elle dénoncé, rappelant au passage aux dirigeants politiques qu’ils seront également dans le collimateur lorsque les secteurs judiciaire et médiatique alignés sur l’opposition le décideront.
« Douze ans, les douze années du meilleur gouvernement que l’Argentine a eu ces dernières décennies : celui de Néstor Kirchner et mes deux mandats », a répondu Cristina Kirchner depuis son bureau au Sénat. « Pourquoi requièrent-ils douze ans contre mois ? Je le dis avec des chiffres. Un pour la mémoire, un autre pour la vérité, un autre pour la justice, un autre pour le Fonds monétaire, un autre pour l’AFJP, un autre pour YPF et Vaca Muerta, un autre pour le non-endettement, un autre pour les salaires des travailleurs », a-t-elle énuméré. « Quand je suis partie, les travailleurs se partageaient 51,8 % du PIB et le reste allait aux patrons. Maintenant, il est inutile de dire où nous en sommes. C’est pour cela qu’ils vont me discréditer, qu’ils vont me condamner. Mais je peux vous assurer quelque chose : si je devais naître encore vingt fois, je le referais vingt fois », a déclaré la vice-présidente.
Pendant une heure et demie, Cristina Kirchner a parlé de son procès mais a également cité des noms pour expliquer pourquoi, selon elle, le système judiciaire fonctionne comme il le fait. Faisant référence aux procureurs Luciani et Mola : « Rien de ce qu’ils ont dit n’a été prouvé sinon que c’est exactement l’inverse qui a été prouvé », a déclaré Cristina Kirchner, évoquant une longue liste de communications entre López et Caputo curieusement omises par le duo de procureurs.
Cristina Kirchner a ensuite lu les messages que s’envoyaient López et Caputo. Il n’est pas nouveau que la vice-présidente ait une dent contre l’ancien fonctionnaire de son gouvernement. Pendant la campagne de 2017, elle avait admis avoir pleuré des larmes de rage en apprenant comment López avait cherché à cacher des millions de dollars dans un couvent qui, selon elle, provenaient de la main de Caputo et compagnie. « S’il y avait une affaire de corruption sur laquelle enquêter en Argentine, c’était bien celle-là », s’est plainte CFK en prévenant que l’enquête était entre les mains du juge Daniel Rafecas – candidat du président au poste de procureur général – et du procureur Federico Delgado. « Que devait-on faire du téléphone de López ? Comment ont-ils enquêté sur cette affaire ? Je l’ai découvert lorsque les procureurs Luciani et Mola ont introduit ceci comme preuve », a-t-il protesté.
Une mention spéciale a été décernée au président du tribunal, Rodrigo Giménez Uriburu, dont le père, le capitaine de frégate Héctor Giménez Uriburu, était chef du Protocole des dictateurs Leopoldo Fortunato Galtieri et Reynaldo Benito Bignone et dénigre activement Cristina Kirchner sur les réseaux sociaux. « Et vous pensez qu’ils ne vont pas me condamner ? » a demandé Cristina Kirchner. « Ils doivent être en train d’empoigner couteau et fourchette », a-t-elle répondu, laissant entendre qu’ils s’apprêtaient à engloutir un festin. Elle a également rappelé que Giménez Uriburu est marié à la petite-fille du colonel responsable du massacre de Margarita Belén. « Ils veulent se venger. Mais de de quoi ? Lorsqu’ils ont été jugés, ils ont eu des juges impartiaux comme jamais auparavant en Argentine », a-t-elle ajouté.
Cristina Kirchner s’est également intéressé au président de la Chambre fédérale de Buenos Aires, Mariano Llorens, arrivé à la cour d’appel de Comodoro Py sous le macrisme. « Il est prouvé que Mauricio Macri a suivi et espionné les proches de l’ARA San Juan, la pire tragédie de la marine argentine, et pourtant il l’acquitte ». C’est également Llorens qui a demandé au juge Sebastián Casanello d’avancer contre CFK dans l’affaire dite de la « Ruta del Dinero K » (route de l’argent K) et lui a confié la tâche de mettre la main sur tous les dossiers que Comodoro Py avait déposés contre la vice-présidente.
Elle a également épinglé les membres de la Chambre fédérale de cassation qui ont rencontré Macri pendant son gouvernement – Gustavo Hornos et Mariano Borinsky – et surtout Carlos Mahiques, ancien ministre de la Justice de María Eugenia Vidal transféré « en douce » à la plus haute juridiction pénale du pays. L’un de ses fils, Ignacio, est le procureur qui, avec Gerardo Pollicita, l’a accusée d’association illicite pour des travaux publics dans la province de Santa Cruz.
La Cour, à laquelle elle avait déjà consacré en juillet une longue vidéo sur sa décadence, s’est vu reprocher l’arrêt qui a rejeté les recours qu’elle et d’autres accusés avaient déposés, entre autres parce qu’ils ont été mis sur le banc des accusés sans que fut prouvé qu’il y avait eu des surfacturations ou des retards dans 51 travaux, ce qui auraient porté atteinte aux comptes publics. Le président de la plus haute juridiction, Horacio Rosatti, et son vice-président, Carlos Rosenkrantz, se sont vus rappeler qu’ils avaient accepté d’entrer à la Cour par la fenêtre – par un décret de Macri et en contournant l’approbation du Sénat.
Comme elle l’avait dit le 2 décembre 2019, lors de sa déposition à charge devant le Tribunal oral fédéral (TOF) 2 de Comodoro Py, Cristina Kirchner est convaincue que sa condamnation est déjà signée. Mais, a-t-elle averti les trois membres du TOF, un temps viendra où ce seront eux qui devront donner des réponses. Le temps passant, d’autres révélations sont apparues concernant les actions du gouvernement de Macri : elle a mentionné l’existence d’un système judiciaire interconnecté avec les services de renseignement et la mise en place d’une « Gestapo » pour engager des poursuites contre les dirigeants syndicaux. « Quand j’ai dit que la sentence était écrite, je ne suis pas allé assez loin », a-t-elle concédé.
Source : Pagina Traduction : Venesol
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