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La Chine préfère traiter avec un grand appareil bureaucratique plutôt qu’avec 27 appareils moins grands, mais aussi bureaucratiques

Un autre point de vue sur le Brexit

Après le Brexit décidé par référendum en Grande-Bretagne, j’ai été invité par plusieurs chaînes chinoises de télévision à participer au débat autour des raisons et des conséquences de l’événement. J’ai été très étonné de constater que la presse et les milieux universitaires chinois sont presque unanimement contre le Brexit et voient l’union comme une notion si attrayante.

Ils ne comprennent pas pourquoi l’idée a émergé au sein de l’Europe, et encore moins comment la majorité de l’opinion publique s’est prononcée pour une sortie de l’UE. Je me suis moqué de cette opinion à l’écran, en déclarant que l’« Europe a formé ses meilleurs adeptes » en Chine.

Selon beaucoup, les Chinois sont pro-étatsuniens. Mais selon mes conclusions, mes compatriotes sont encore davantage attachés à l’Europe. En 2011, 339 000 jeunes Chinois sont partis étudier à l’étranger. 23 % d’entre eux sont allés aux États-Unis, et 33 % ont opté pour l’Europe. Les Chinois éprouvent toujours un sentiment particulier envers l’Europe, parce que Zhou Enlai et Deng Xiaoping, deux grands dirigeants chinois, y ont fait leurs études. Le général de Gaulle a probablement été le plus important allié diplomatique du président Mao Zedong en Occident. Ce n’est pas par hasard que sous sa présidence, la France ait été le premier grand pays occidental à établir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Le président Mao Zedong a appelé le général de Gaulle son « ami lointain » (André Malraux a écrit dans ses Mémoires que Mao Zedong lui avait demandé de transmettre ses salutations à son ami lointain).

La Renaissance européenne a exercé une influence profonde sur plusieurs générations d’hommes de lettres chinois. Au cours de la construction de l’UE, les Chinois ont suivi avec autant d’intérêt que les Européens ses progrès, parce qu’ils attendaient beaucoup : une Europe belle et prospère, qui deviendrait l’un des pôles du monde multipolaire.

Le président Jiang Zemin et le président Jacques Chirac étaient d’accord sur un point : l’apparition d’un monde multipolaire dans lequel la Chine et l’Europe joueraient un rôle important. Cela laisse entendre que la domination du monde par un pays hégémonique comme les États-Unis doit prendre fin. Tout comme la Chine, l’Europe doit être un membre à part entière du futur monde multipolaire. Malgré l’opposition commune de la Chine et de la France à « l’unilatéralisme » des États-Unis sous l’administration de George W. Bush, Jiang Zemin et Chirac n’ont pas pu voir leur désir exaucé, parce que l’Europe n’a pas pu accélérer son intégration. L’Europe d’aujourd’hui ne préconise plus un monde « multipolaire ».
Au lieu de devenir un pôle d’un monde multipolaire, l’UE voit maintenant sa position, celle du plus important marché de la Chine, chanceler avec le Brexit. La Chine s’est réjouie de voir l’UE grandir en raison de l’importance du marché commun européen (marché, politiques commerciales et droits de douane unifiés) pour elle, sans parler de son aspiration à établir un monde multipolaire. Le Brexit apporte évidemment de nouvelles variantes.

Que serait l’Europe sans la Grande-Bretagne ? Pas de différence notable sur le plan des statistiques : l’Europe perdra une population de 64 millions de personnes (sur 500 millions dans l’UE), 3 000 milliards de dollars de PIB (sur un PIB européen de 18 000 milliards de dollars). La Grande-Bretagne n’est ni un pays de la zone euro, ni membre de Schengen et de son visa uniforme. Par conséquent, le Brexit ne saurait, semble-t-il, ébranler les fondations de l’UE.

Toutefois, le choc psychologique est considérable. Au moins un point est certain : la volonté politique de construire l’UE peut rester intacte dans l’élite, mais elle est cassée dans les classes moyennes et inférieures. Un regard sur les arguments pour le Brexit – contre l’immigration, pour une puissance britannique renforcée, pour un refus de l’appareil bureaucratique de Bruxelles et une amélioration de la compétitivité commerciale de la Grande-Bretagne – suffit pour comprendre que l’élite européenne n’a plus de langage commun avec le public au sujet de la construction de l’UE. Par conséquent, deux points inquiètent les Chinois à propos du Brexit. Premièrement, l’UE pourrait-elle se désagréger comme l’Union soviétique ?
Deuxièmement, la Chine sera-t-elle obligée de reconsidérer sa politique envers la Grande-Bretagne et l’Europe ?

La dissolution d’une union est due d’abord à la perte de ses attraits sur le public, sur le plan idéologique. Il y a cinquante ans, l’opinion publique soutenait presque unanimement, et même chaleureusement, la construction européenne. Aujourd’hui, presque la moitié des Européens se prononcent contre. Cela montre que l’UE a perdu son charme auprès des classes moyennes et populaires. Cela rappelle plus ou moins la situation antérieure à la dissolution de l’Union soviétique. Après le Brexit, certains ont immédiatement appelé au Frexit, ce qui deviendra probablement un thème clé de la campagne présidentielle de 2017. Cela prouvera la présence problématique de l’UE dans la politique intérieure des pays d’Europe.

Marine Le Pen, présidente du parti d’extrême-droite Front national, a appelé, immédiatement après le Brexit, à organiser un référendum similaire en France. Bien que le gouvernement de François Hollande ne veuille pas courir le risque entrepris par le premier ministre britannique David Cameron sans prévoyance politique, Marine Le Pen pourrait obtenir ainsi davantage de voix à l’élection présidentielle de 2017. Cela accroît les facteurs incertains qui entourent cette élection. Le gouvernement chinois a toujours observé le principe d’éviter tout contact avec les partis qui ne sont pas au pouvoir ou dans l’opposition. C’est pourquoi la Chine ne sait rien sur le
Front national, hormis les informations fournies par les principaux médias sur ce parti. Un tel état des choses est très défavorable à la Chine. C’est pour cette raison que le Brexit a fortement étonné les milieux académiques chinois.

Les organes dirigeants de l’UE sont accusés par le peuple d’être non seulement gigantesques, pléthoriques et peu efficaces, mais aussi d’obéir aux ordres des États-Unis, de la Banque mondiale et du FMI, au lieu de servir les intérêts de l’Europe. La nouvelle Loi Travail, que l’Assemblée nationale française a voulu adopter à tout prix, est très impopulaire, et on l’a accusée d’être imposée à la France « aux ordres du FMI ». La question des réfugiés qui concerne toute l’Europe prouve l’inefficacité des organes de l’UE, et accentue le mécontentement des Européens envers les bureaucrates de l’UE. Les journalistes chinois en sont conscients, mais les Chinois sont toujours d’avis que les choses sont plus simples à traiter avec un encombrant appareil bureaucratique, plutôt qu’avec 27 appareils moins grands, mais aussi bureaucratiques.

Pour la Chine, l’UE n’a pas toujours été, au cours de sa construction, une force positive en faveur du développement d’un monde multipolaire, exception faite de l’époque de Jacques Chirac. Elle s’est rangée de plus en plus aux côtés de Washington sur les plans politique, militaire, économique et commercial. On a peine à croire qu’elle obéit aux ordres des États-Unis en toute circonstance. Prenons pour exemple l’embargo sur les armes contre la Chine. C’est une décision datant d’un quart de siècle, mais que l’UE n’ose lever à cause de l’opposition américaine. Par conséquent, il faudra du temps pour juger si le Brexit est favorable ou défavorable à la Chine.

L’UE cheminera-t-elle vers sa désagrégation à cause du Brexit ? Il semblerait que non. Mais il y a un ou deux ans, qui aurait pu croire au Brexit ?

D’autre part, dans la politique européenne de la Chine, la Grande-Bretagne occupe une place privilégiée. Il est donc certain que le Brexit perturbe dans une large mesure les dispositions stratégiques de la Chine. Il est à peu près sûr que le Brexit perturbera le processus d’internationalisation de la monnaie chinoise. Londres étant l’un des centres financiers du monde, la Chine y a établi son deuxième grand centre de règlement offshore en yuans. La Chine est donc confrontée à un sérieux défi et devra envisager de transférer ce centre à Paris, au Luxembourg, à Francfort ou dans une autre ville européenne. Cela représentera certainement un certain coût. Enfin, la Chine a renforcé ses liens avec la Grande-Bretagne, dans l’espoir de faciliter l’entrée des produits chinois dans le marché européen. Cette idée est également mise en doute.

Par conséquent, la Chine a urgemment besoin de mener une évaluation stratégique du Brexit et d’adapter sa stratégie envers la Grande-Bretagne et l’Europe, afin de poursuivre une politique bénéfique et efficace face à un changement si important.
Cependant, j’ai l’intuition que le Brexit ne deviendra pas réalité dans les deux ans.

Ma prédiction n’est pas basée sur une enquête, mais sur mon expérience. Selon l’analyse des médias britanniques, les partisans du Brexit appartiennent généralement aux classes moyennes et populaires, et les opposants constituent l’élite de la société, une élite qui prend les rênes dans les domaines économique, politique, judiciaire, financier et médiatique.

L’élite britannique et européenne se laissera-t-elle conduire par « l’imbécile public » ? La France a rejeté en 2005 le projet de Constitution européenne par référendum. Mais trois ans plus tard, son Assemblée nationale a adopté le traité de Lisbonne, une version abrégée du projet de la Constitution. Le Danemark a organisé en juin 1992 un référendum sur l’entrée dans l’UE, et l’opposition l’a emporté… Mais quelques mois plus tard, par un nouveau référendum, le Danemark a adhéré à l’Union. De tels exemples sont légion. En Chine, on plaisante en disant que si le gouvernement est dans l’erreur, il n’y a qu’à le changer. Mais si le peuple est dans l’erreur, changeons-le aussi ! D’ailleurs, une campagne de signatures balaie la Grande-Bretagne pour l’organisation d’un nouveau référendum.

Contrairement à un référendum constitutionnel ou sur une question de politique intérieure, le référendum sur l’UE est moins contraignant pour le gouvernement. Au référendum de 2005, 55 % des électeurs s’étaient prononcés contre le projet de Constitution de l’UE, mais les élites de France et du reste de l’Europe ont exigé la poursuite de la construction européenne. On a alors mené des négociations et conclu le traité de Lisbonne, puis assuré l’adoption de ce traité par l’Assemblée nationale en France. Cela était une parodie de démocratie. 55 % des électeurs avaient voté contre le projet, mais quand il a pris le nom de traité de Lisbonne, il a été adopté par les élus.

En vertu de l’article 50 du traité de Lisbonne, si un membre de l’UE veut quitter l’Union, il doit, dans un délai de deux ans, négocier avec l’UE et l’accord entrera en vigueur par adoption parlementaire dans le pays en question et au Parlement européen. Si l’accord portant sur le départ est refusé, au bout de deux ans de négociations, par le Parlement du pays ou par le Parlement européen, que se passe-t-il ? Le traité de Lisbonne ne donne pas de réponse détaillée, et un gros point d’interrogation demeure.

Deux ans constituent une longue période, pendant laquelle personne ne peut prédire ce qu’il adviendra.

Mais je crois qu’une chose pourrait survenir : l’organisation d’un nouveau référendum sur le Brexit. Puisque le peuple était dans l’erreur, on le fera changer d’avis…

ZHENG Ruolin

﹡ZHENG Ruolin est un ancien correspondant en France du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai et l’auteur du livre Les Chinois sont des hommes comme les autres paru aux Éditions Denoel.
Article paru dans « Chine au présent » http://www.chinatoday.com.cn/french/index.htm

Ci-dessous, l’auteur dans les studios de CCTV à Pékin, devant l’image de la couverture d’un livre que les lecteurs du GS connaissent peut-être...

»» http://www.chinatoday.com.cn/french/index.htm
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