Bien que je ne puisse pas exclure totalement une autre possibilité : les deux parties font du cinéma, l’un pour gagner les élections de mi-mandat à la fin de l’année, l’autre pour faire semblant de « “résister à une attaque... bidon », un « bluff » de jeu de Poker lancé par la Maison Blanche... Mais il serait plus sérieux, me semble-il, d’envisager une guerre commerciale qui entrainera probablement un conflit total entre les Etats-Unis, un conflit entre la superpuissance en déclin (?) et son challenger potentiel, la Chine.
Après les six « durs » des Américains, du secrétaire américain au Trésor Steven T. Mnuchin, le secrétaire au Commerce Wilbur Ross jusqu’au représentant au Commerce Robert Lighthizer, le conseiller économique du président Larry Kudlow et celui pour le commerce Peter Navarro, précipités par Donald Trump à Pékin pour essayer de négocier, ou plus précisément pour donner un « ultimatum » aux Chinois, cette guerre est devenue de plus en plus concrète. La Chine est prête, je crois. Comme nous disent nos ancêtres, « Il faut prévoir le danger lorsqu’on est en toute sécurité, et si l’on y réfléchit et s’y est préparé, la prévoyance sera mère de sûreté. »
Il faut avouer qu’aucun des deux ne sortirait vainqueur de cette « guerre » absurde. Mais les stratèges chinois sont presque unanimes : la Chine doit relever le défi, car l’Histoire nous a déjà montré un exemple : le Japon, la capitulation du Japon en 1985 dans un conflit commercial entre Tokyo et Washington a entrainé vingt ans de récession du pays. Le Japon était à l’époque un « problème » des Etats-Unis avec un excédent commercial colossal envers les USA. Tout comme la Chine d’aujourd’hui. Les médias américains criaient que le Japon allait « conquérir pacifiquement le nouveau continent ». Alors les Américains, dirigés par justement Wilbur Ross et Robert Lighthizer, avec leurs alliés européens, ont forcé le Japon à signer le fameux « Plaza Accord ». L’un des négociateurs représentant la France s’appelait Pierre Bérégovoy. Le yen japonais était réévalué de près de 50% contre le dollar américain. Le résultat : 5 ans après la signature de « Plaza Accord », la bulle immobilière japonaise éclatait, et le pays a été plongé dans une récession pendant plus de vingt ans.
La Chine n’a pas l’intention de tomber dans le même piège.
Actuellement en Chine une partie de l’opinion publique estime que la Chine doit à tout prix éviter cette guerre commerciale, car ils sont pessimistes pour les conséquences désastreuses d’un affrontement entre les deux géants économiques. Une autre partie ne croit pas à ce bras de fer, car l’interdépendance de deux pays a déjà atteint un tel niveau que ni Washington, ni Pékin ne veulent réellement une « guerre » qui détruirait non seulement les relations commerciales bilatérales, mais aussi le commerce international. Donc ils pensent que la menace de la Maison blanche n’est qu’un chantage pour intimider la Chine dans le but d’obtenir plus de concessions de la part de Pékin. Les deux côtés trouveront un compromis pour justement que la guerre commerciale n’aura pas lieu. Mais la majorité de la population de la Chine est en pleine confiance, estimant que la Chine « va gagner” cette guerre. Certains ont même précipitamment qualifié cette bataille comme « une futur victoire épique”, qui marquerait l’histoire de l’émergence de la Chine.
Les autorités de Pékin sont beaucoup plus prudentes.
Le porte parole du gouvernement chinois Geng Shuang a effectivement déclaré que si les Etats-Unis nous imposent une guerre commerciale, nous allons « leur tenir compagnie jusqu’à la fin” pour « rire le dernier ». Mais en même temps, « la porte de négociation est toujours ouverte », a-t-il réaffirmé. Pour la Chine, les informations venues des Etats-Unis sont très confuses, quelquefois même contradictoires. Le président Trump lui même dit sur Twitter à la fois qu’il va imposer des taxes supplémentaires, de l’ordre de cent mille milliards de dollars, sur les produits importés de la Chine pour contrebalancer les déficits américains, mais il dit en même temps que les relations entre les deux pays sont « excellentes », que « Le président Xi et moi nous sommes toujours très bons amis », et « nos deux pays ont de très grands avenirs ! »
L’entourage du président américain aussi donne en permanence des signaux sens dessus-dessous. Le célèbre économiste américain, lauréat du prix Nobel d’économie, Paul R. Krugman écrit dans le « New York Times » un article critiquant les Trump et ses conseillers « qui ne savent absolument pas ce qu’ils veulent de la Chine »...
Les bourses des deux pays suivent très attentivement les déclarations de Trump, l’indice Dow-Jones flotte en permanence, tantôt elles grimpent, quand les investisseurs croient que les menaces du président américains sont du « cinéma” » tantôt elles plongent quand on est convaincu que Trump va effectivement mettre en exécution ses menace...
Tout montre que nous sommes obligés de subir une époque de Donald Trump, c’est-à-dire une époque d’incertitude. Tout peut arriver.
Pour beaucoup de Chinois, les accusations de Donald Trump, c’est-à-dire que les Chinois ont volé le travail des Américains, est tout simplement inacceptable. Pour beaucoup d’entre eux, la Chine est un ouvrier qui travaille dur, pour vendre ses produits, à un prix très bas, aux USA, grand financier qui ne fait rien d’autres qu’imprimer le dollar, dont la Chine a besoin pour acheter le pétrole et d’autres produits. Et quand les Chinois gagnent un peu plus de dollars, les Américains nous forcent à acheter les trésors publics américains, pour récupérer leurs dollars. Et la Chine est ainsi double perdant. Les Américains ne font rien et ils ont tous les produits made in China, bonne qualité et très bon marché. Et les Chinois, eux, ils bossent durement, et ils ont beaucoup de bons du trésor américains, de l’ordre de 3000 milliards... Et cette dette colossale ne sera probablement jamais remboursée ! Un sentiment d’injustice s’ancre profondément dans l’esprit des Chinois. C’est pour cette raison, que les Chinois incitent leur gouvernement à résister au président Trump, à aller « jusqu’au bout et à tout prix de cette guerre commerciale »...
Il faut savoir que l’histoire montre un fait ignoré par beaucoup d’Américains, surtout par Donald Trump. Chaque fois les Etats-Unis entament une sanction commerciale contre la Chine, au final ce serait toujours une pierre, élevée par les Américains, et tombée sur le pied des... Américains. En 2009, la « guerre des pneus » en est un exemple. Les Etats-Unis d’Obama ont décidé de taxer lourdement (plus de 35% en 3 ans) les pneus importés de la Chine pour sauver 1200 emplois dans le secteur. Mais l’augmentation du prix des pneus condamnait les consommateurs américains à une dépense supplémentaire de 1,1 milliards de dollars pour leurs voitures, équivalent de 90 milles dollars contre un poste sauvé. Et ce n’est pas tout : comme ces consommateurs étaient obligés de payer plus pour leurs pneus, ils consommaient donc moins d’autres produits, et les économistes américains estiment, trois ans après, en 2011, que cette « guerre de pneus » a coûté finalement aux Etats-Unis plus de 2500 postes de travail. Sans compter d’autres pertes dues aux rétorsions de taxes de représailles des Chinois sur des produits américains. Bien évidemment du côté chinois, il y avait aussi une perte de cent milles emplois dans le secteur pendant un certain temps. Mais finalement entre 2009 et 2011, les pneus chinois continuent à s’exporter. Le volume de productions, le nombre d’entreprises et d’emplois, l’exportation, le valeur de production et les bénéfices du secteur ne cessaient de s’accroître. Et ce fait désastreux est presque oublié par les politiciens américains.
Heureusement que Barack Obama n’a eu que deux mandats pour huit ans...
Pourtant, les Chinois sont apparemment assez lucides sur deux points.
Primo, la Chine doit continuer à se développer, elle doit continuer ses politiques d’ouvertures et de réformes pour que son économie ait plus de vivacité et de compétitivité. Depuis plus de quarante ans, l’Histoire a déjà prouvé que c’est une politique efficace à même de changer la Chine, d’apporter la prospérité dans le monde. La Chine n’a aucune raison de changer le cap. C’est justement dans cette direction de cette réflexion, que le président Xi a annoncé une série de mesures au Forum de Boao pour l’Asie, y compris davantage d’ouverture du marché chinois, le marché de voiture et de la finance par exemple, mais aussi l’abaissement, dès l’année 2018, des taxes de douane de certaines marchandises importées.
Apparemment les déclarations du président Xi ont été accueillies favorablement par les marchés financiers internationaux, même par les indices à Wall Street. Les bourses chutent quand le président américain déclare la guerre commerciale, et elles grimpent quand le président chinois annonce plus d’ouverture. Le monde approuve le libre échange et non le protectionnisme. Le temps et l’avenir jouent pour la Chine.
Deuxièmement, le conflit actuel nous apparaît inévitable et sans fin à cause de la nature même de l’économie américaine condamnée au déficit permanent. La Chine sait très bien qu’elle ne peut pas maintenir indéfiniment un commerce trop déséquilibré avec la première puissance économique. Elle souhaite importer plus en provenance des Etats-Unis, mais les Américains interdisent à leurs entreprises d’exporter vers la Chine toutes les hautes technologies, surtout celles à double usage, civil et militaire. Donc ce sont les USA qui ne veulent pas nous vendre plus.
D’autre part, ce déficit commercial n’est pas imputable à la Chine, il est causée par le système monétaire et l’hégémonie du dollar. Les Chinois connaissent très bien « Triffin Dilemma », en français : « Le dilemme de Triffin » ou « Le paradoxe de Triffin ».
Le professeur américain Robert Triffin a révélé dans son livre « L’Or et la Crise du dollar » qu’il existe un paradoxe issu du système de Bretton Woods : le dollar est à la fois une monnaie de paiement et de réserve internationale, et une monnaie nationale américaine. Donc la balance globale des USA est condamnée à être déficitaire, pour permettre aux autres pays de disposer de suffisamment d’instruments de paiement. Car si la balance du pays de la monnaie internationale est en excédent, il manquera au monde entier de liquidités internationales pour la croissance mondiale. Alors la situation actuelle de commerce américain avec la Chine est justement provoquée par la politique monétaire des Etats-Unis, non par la Chine. Il faut souligner que les Etats-Unis bénéficient d’un énorme avantage avec cette situation, qui s’appelle l’hégémonie du dollar. Avec Bretton Woods, et puis le système de Pétrodollar, c’est-à-dire tous les négoces pétroliers doivent être réglés par une seule monnaie : le dollar américain, alors une telle situation monétaire permet aux Américains d’imprimer le dollar pour que les autres lui fournissent leurs produits contre le dollar afin de pouvoir payer le pétrole dont ils ont besoin. C’est ainsi que la balance commerciale des Etats-Unis d’Amérique est toujours, que Trump veuille ou non, en déficit.
Alors il n’y a qu’un seul moyen pour résoudre ce problème : trouver une autre monnaie internationale. Donc cette guerre commerciale est au fond une guerre de monnaie. Monnaie de paiement international et monnaie de réserve internationale. Maintenant on comprend mieux pourquoi en pleine guerre commerciale, la Chine a lancé les premières transactions libellées en yuan, monnaie chinoise, sur le pétrole brut à la Bourse internationale de l’énergie de Shanghai le 26 mars 2018. C’est un petit pas du « Pétrole-yuan », mais ce petit pas montre que la Chine est déterminé à la libéralisation et à l’internalisation de sa monnaie pour qu’un jour le yuan devienne une nouvelle devise international de réserve afin de donner un choix plus grand au monde entier, tout comme certain pays de l’Union européenne le font déjà avec l’euro.
Depuis 2010, la valeur de la production industrielle de la Chine dépasse celle des USA pour devenir le premier pays de produit industriel ; et depuis 2014, en PPP, parité de pouvoir d’achat, la Chine dépasse aussi les Etats-Unis pour devenir la première puissance économique du monde. Pour le produit intérieur brut la Chine est en 2017 au deuxième juste derrière les Etats-Unis d’Amérique. Le PIB des USA : 19362,13 milliards de dollars, et le PIB de la Chine : 12242,77 milliards. Mais la Chine reste un pays en voie de développement. Beaucoup d’Européens ne comprennent pas cette situation aussi absurde que paradoxe. Pourtant c’est un fait incontestable. Le produit intérieur brut par tête de la Chine est loin derrière des pays industrialisés. Le PIB chinois de 2017 est au 70ème rang, de l’ordre de 9482 dollars par tête. Pour comparaison : la France : au 21ème, 39915 dollars, et les USA : 5ème rang pour 60015 dollars.
Pourtant, la Chine est elle-même un « monde » à part. Un monde tout entier. La Chine est le premier consommateur d’oeufs, de lait, de viande du porc, de légumes, de fruits, de voitures, de portables téléphoniques, d’électroménager, de vêtements, de chaussures, d’infrastructures, d’avions de ligne, de Trains à Haute Vitesse, etc., avec d’ailleurs 20000 milliards de yuans de réserves et plus de 3000 milliards de dollars de devises.La Chine n’a aucune raison d’avoir peur d’une « guerre commerciale”.
En réalité, les Américains ne visent pas seulement le déficit commercial avec la Chine, mais bien autre chose beaucoup plus importante et plus fondamentale. Dans leur viseur, le plan de 2025 de la Chine, élaboré par la Chine pour l’innovation dans les technologies de l’informatique, l’aérospatiale, les véhicules propres et l’Intelligence artificielle. Le conseiller au commerce de Donald Trump, chef du service de la politique commerciale et manufacturière de la Maison Blanche, Peter Navarro ne cache pas sa cible, il a déclaré à la télévision américaine, que les mesures de surtaxes visent à empêcher la Chine de prendre le pas sur ces industries naissantes. L’auteur de « The Coming China Wars : Where They Will Be Fought and How They Can Be Won », de « Death by China : Confronting the Dragon - A Global Call to Action », et de « Crouching Tiger : What China’s Militarism Means for the World » est l’un des faucons le plus durs de la Maison Blanche. Il sait très bien de quoi il parle, et ce qu’il vise. Il suffit de jeter un coup d’oeil à la liste des produits chinois surtaxés pour s’en convaincre.
Mais sur ce point, la Chine ne cédera pas un iota. La Chine pourrait importer plus de produits américains (surtout si les Américains levaient l’embargo de la haut technologie contre la Chine, un tiers, même la moitié de déficit américain aura disparu immédiatement) ; la Chine pourrait exporter moins vers les Etats-Unis ; la Chine pourrait ouvrir davantage son marché... mais la Chine continuera à se développer, à avancer vers son objectif : la renaissance de la Chine. Les Peter Navarro seraient déçus.
Dans cette “guerre” entre les deux rives du Pacifique, l’Europe pourrait jouer elle aussi un rôle important. La Chine ressemble à une carte de domino, la première carte. L’Europe pourrait être la suivante, ou la troisième. Le président américain ne s’arrêtera à la Chine. Certain pays européens, surtout l’Allemagne ont également un fort excédent commercial avec les USA. L’Europe aura donc trois possibilités : observer avant d’être attaquée à son tour, se ranger du côté des Américains sous prétexte que la Chine a entretenu une relation commerciale déséquilibrée avec l’Europe, ou dire « non » au protectionnisme et le nationalisme économique.
Ruolin ZHENG
Ancien correspondant à Paris du Wen Hui Bao, quotidien national de Shanghai, et du Wen Wei Po, quotidien publié à Hong Kong, Zheng Ruolin est également écrivain et traducteur.
Voir ici la recension de son livre publié en France : « Les chinois sont des hommes comme les autres ».