L’ancien ambassadeur britannique Craig Murray a publié hier un compte-rendu très inquiétant (version française) de la comparution de Julian Assange au tribunal, que je recommande de lire en entier. De nombreux rapports ont été publiés au sujet de cette audience, mais la combinaison de l’expérience antérieure de Murray avec les victimes de torture, sa familiarité avec les tribunaux britanniques, son amitié avec Assange et son manque de respect pour les structures de pouvoir occidentales lui ont permis d’avoir un aperçu des événements beaucoup plus pénétrant que quiconque jusqu’à présent.
En voici un petit extrait :
Avant d’en venir au manque flagrant d’équité du processus, la première chose que je dois noter, c’est l’état de Julian. J’ai été très choqué par la perte de poids de mon ami, par la vitesse à laquelle a perdu des cheveux et par l’apparition d’un vieillissement prématuré et largement accéléré. Il boite comme je ne l’ai jamais vu auparavant. Depuis son arrestation, il a perdu plus de 15 kg.
Mais son apparence physique n’était pas aussi choquante que sa détérioration mentale. Lorsqu’on lui a demandé de donner son nom et sa date de naissance, il a visiblement lutté pendant plusieurs secondes pour se les rappeler. Je reviendrai sur le contenu important de sa déclaration finale, mais la difficulté qu’il a eue pour s’exprimer était très évidente ; il a eu beaucoup de mal à articuler les mots et à se concentrer sur son raisonnement.
Jusqu’à hier, j’avais toujours été sceptique à l’égard de ceux qui affirmaient que le traitement de Julian était assimilable à de la torture - même de la part de Nils Melzer, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture - et sceptique à l’égard de ceux qui suggéraient qu’il pourrait être sujet à des traitements médicamenteux débilitants. Mais après avoir assisté aux procès en Ouzbékistan de plusieurs victimes de tortures extrêmes, et après avoir travaillé avec des survivants de Sierra Leone et d’ailleurs, je peux vous dire qu’hier, j’ai complètement changé d’avis et Julian a présenté exactement les symptômes d’une victime de torture qui plisse les yeux à la lumière, notamment en termes de désorientation, de confusion et de difficultés pour exprimer son libre arbitre à travers le brouillard de son impuissance.
Murray rapporte qu’il n’y avait pas moins de cinq représentants du gouvernement américain au tribunal de première instance de Westminster ce jour-là, et qu’ils étaient assis derrière les procureurs britanniques et leur donnaient essentiellement des ordres. La juge, Vanessa Baraitser, se serait comportée froidement en ricanant envers la défense, souriant et refusant leurs demandes sans explication, tout en se montrant chaleureuse et réceptive envers l’accusation. L’audience d’extradition d’Assange débutera sans délai en février de l’année prochaine, malgré la violation du traité d’extradition de 2003 entre les États-Unis et le Royaume-Uni, et malgré l’apparition de nouvelles preuves d’espionnage lié à la CIA contre Assange et ses avocats alors qu’il était à l’ambassade de l’Équateur. Elle commencera dans une minuscule salle d’audience à [la prison de haute sécurité de] Belmarsh où le public n’aura pratiquement pas de place pour y assister et sans que la défense d’Assange ait suffisamment de temps pour se préparer.
L’avocat d’Assange, Mark Summers, a déclaré à la Cour que l’affaire était "une tentative politique" des États-Unis "de montrer aux journalistes les conséquences de la publication d’informations". Il a raison, bien-sûr. Personne ne croit sincèrement que la peine de 175 ans qu’Assange risque s’il est extradé vers les États-Unis par l’administration Trump est une punition raisonnable pour avoir publié des activités que l’administration Obama avait auparavant refusé de poursuivre sur la base des mêmes preuves, invoquant la crainte des dommages que le précédent causerait aux libertés de la presse. Ces accusations n’ont rien à voir avec la justice, et elles ne sont pas censées être simplement punitives. Ils sont faites pour servir de dissuasion. Un moyen de dissuasion pour les journalistes du monde entier qui, autrement, pourraient juger bon de publier des faits gênants sur le gouvernement américain.
C’est une évidence. Il est évident que le gouvernement américain détruit Assange pour montrer aux journalistes les conséquences de la publication d’informations. Il est donc également évident que tout journaliste qui n’utilise pas le moyen de communication dont il dispose pour s’élever contre la persécution d’Assange n’a pas l’intention de publier quoi que ce soit que le gouvernement américain ne veut pas voir publié. Leur silence ou leur soutien à ce qui est fait à cet homme peut et doit être considéré comme un aveu qu’ils ne sont rien d’autre que des propagandistes d’État. Des propagandistes d’État, des flagorneurs et des lâches.
La lâcheté incite le public à soutenir la persécution d’Assange. Lâcheté et sadisme. Même si chaque faux témoignage et diffamation contre lui était vrai, qu’il s’agisse des mensonges sur les excréments sur les murs de l’ambassade ou de l’allégation toujours sans preuve de collusion entre Trump et la Russie, même si chacun de ces fantasmes ridicules était vrai, sa peine à ce jour serait plus que suffisante. Je veux dire, à quel point la torture est-elle justifiée juste parce que votre candidat préféré n’a pas été élu ? Il est bizarre qu’un sadisme aussi assumé ne soit pas remis en question. Continuer à en demander plus, c’est révéler un fétichisme malade, que ce soit chez l’une des personnes puissantes qu’il a énervées ou simplement un de ces perroquets sans cerveau qui s’exprime dans la section commentaires. Assez. Vous avez eu votre dose de souffrances.
Nous assistons au déroulement d’une grande tragédie à la manière d’une fractale, de la méta-tragédie d’un coup mortel porté à la liberté de la presse dans le monde, en passant par la tragédie individuel d’un coup mortel porté à un homme appelé Julian Assange. Son cerveau, autrefois encyclopédique, se souvient à peine de sa date de naissance. Je n’en reviens pas. Il n’y a pas d’autre esprit sur terre qui aient compris aussi bien que lui la dynamique du pouvoir de l’impérialisme invisible et les dangers orwelliens auxquels l’humanité est maintenant confrontée alors que nous nous précipitons vers un paysage de l’information dominé par l’IA (Intelligence Artificielle). Cet esprit a été délibérément détruit. Nous ne devons jamais oublier. Nous ne devons jamais pardonner.
La journée fut rude. Mon cœur me fit mal et mes soupirs furent longs. Le seul point positif que j’entrevois est le dilemme qui semble émerger pour ces ploutocrates apatrides qui tirent les ficelles. Plus ils obtiennent ce qu’ils veulent, plus leurs actions deviennent évidentes, parce que la chose qu’ils tentent de faire est totalement anormale. Les procédures judiciaires d’hier ont été une farce flagrante, depuis les curieuses décisions de justice jusqu’à l’étrange présence de conseillers américains s’ingérant dans une affaire britannique concernant un citoyen australien, en passant par le sourire dédaigneux sur le visage de la juge. Rien de tout cela n’est normal, et quand les choses ne sont pas normales, il y a un risque que les gens s’en rendent compte, et les choses ne feront qu’empirer au fur et à mesure qu’ils tentent de réussir leur coup.
La seule chose qui empêche les gens de vraiment voir ce qui se passe ici est une mince couche de gestion narrative, et la seule chose qui les empêche d’agir est le sentiment d’être seuls à le voir. Maintenez la pression, continuez à regarder et continuez à parler de ce que vous voyez à tous ceux qui vous écouteront. Cela pourrait très bien sauver la vie de Julian.
Caitlin Johnstone
Traduction "lâches, sadiques et quelque peu ordures aussi" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles