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Primaire

Il est un fait qui ne finit pas de nous étonner quand il ne nous agace pas profondément : le discours dominant des hommes et des femmes détenteurs du pouvoir politique ou économique est de plus en plus souvent primaire. Primaire dans le double sens où il est simpliste et manichéen. Cela contraste à l’évidence avec la réalité du monde à laquelle ces hommes et ces femmes sont confrontés quotidiennement, réalité qui a au contraire tendance à se complexifier. Alors qu’il conviendrait d’affronter la complexité du monde travaillé par de multiples crises, l’on préfère se réfugier dans le confort trompeur de vieux schémas de pensée et d’action ou caricaturer la réalité sociale pour en faire surgir des ennemis imaginaires sur lesquels il sera commode de rejeter la responsabilité des défaillances de toute une époque. Après trente ans de néolibéralisme le discours primaire se fait océan. C’est en effet peu dire qu’il nous submerge désormais. Mais s’il n’était qu’un discours on pourrait encore en rire. Et nous n’aurions pas à nous forcer beaucoup tant il est maintes fois risible. Cependant, il se traduit en actes aujourd’hui mortifères pour l’intérêt général comme pour l’intégrité physique et morale des individus, en particulier les plus fragiles d’entre eux. Voyageons en trois étapes sur l’étrange et dangereuse planètes du primaire exacerbé.

Primaire d’abord, la manière dont les sociétés dites modernes traitent le travail et, par voie de conséquence inéluctable, les travailleurs que l’on préfère le plus souvent nommer salariés. Alors que le travail, qu’il soit contraint par le respect d’un contrat du même nom ou librement consenti comme dans les sphères du bénévolat ou des activités domestiques, est la toute première des richesses des hommes vivant en société, le capitalisme néolibéral n’y voit qu’une source de profit financier immédiat. Il remet en cause petite à petit et dans une indifférence de plus en plus large les conquêtes sociales du passé qui étaient autant de protections des travailleurs contre les appétits « naturels » des patrons. L’emploi stable et à durée indéterminée se fait rare, le pouvoir d’achat du salaire s’érode pour la plupart des salariés, les conditions de travail se détériorent à mesure que progresse l’individualisation de « la gestion des postes et des carrières ». Cette dégringolade vertigineuse possède son alibi commode : la compétition internationale que « nous » sommes bien obligés de soutenir. L’alibi est tellement commode qu’il est utilisé pour « moderniser » l’organisation du travail d’entités en rien exposées à une quelconque concurrence étrangère - ou même intérieure - tels les services publics. Les critères de gestion et le vocabulaire de l’entreprise privée capitaliste envahissent l’administration et les lieux culturels. Ainsi, dans certaines bibliothèques publiques on parle à propos de la mise en valeur des livres de têtes de gondoles et de packaging. Désormais, le travail et les salariés sont bel et bien considérés comme les ennemis de la course prétendument légitime à la productivité. Pire, nous sommes tous mis dans le même sac, tous suspectés pareillement de chercher à entraver cette course quand nous ne sommes pas tout bonnement déclarés coupables d’une telle obstruction.

Primaire ensuite, le jugement porté sur la nébuleuse nommée mondialisation. Elle serait un phénomène inéluctable puisque provoqué par des mutations technologiques irréversibles, celles du porte-conteneurs et de l’Internet comme le martèle Pascal Lamy. Seule la "régulation" permettrait de maîtriser ses excès. Les décideurs politiques ne seraient donc pour rien dans cette évolution : elle n’est que fatale. Bien sûr, cette vision théologique du monde tourne le dos à la raison même de l’Homme. La fable est commode qui cache la réalité affreuse de la surconcentration des pouvoirs et les enjeux de la lutte des classes toujours si présentes derrière les écrans de fumée de la médiacratie. Les grands prêtres de « la mondialisation fatale mais heureuse » n’ont probablement pas lu Rawi Abdelal. Eux n’ont pas besoin de le lire ; il leur décrit le monde tel qu’ils l’ont façonné. Mais nous… Ce professeur à la Harvard Business School nous révèle dans « Capital Rules : The Construction of Global Finance » ce que le pékin moyen n’a pas à savoir pour survivre en ce bas monde. Il y apprendrait que les hommes influents qui ont fait basculer l’économie d’hier dans la cupidité triomphante d’aujourd’hui - selon le jugement avisé de Josef Stiglitz - sont souvent français et se disent de gauche : Jacques Delors, Pascal Lamy, Michel Camdessus. Après trente ans de libéralisation des marchés par les gourous du « consensus de Paris » les flux financiers tyrannisent l’économie et tétanisent les hommes politiques.

Primaire enfin, les Primaires. Comme elles portent bien leur nom ! En les affublant du qualificatif « à l’américaine » on ne fait évidemment que renforcer le sentiment que la classe politique ne fait plus de politique. Du moins si l’on continue de se faire une id ée noble de la chose politique, à savoir une émanation du peuple appréhendé dans ses aspirations profondes non instrumentalisées. Le nouveau mode de désignation du candidat d’un camp est essentiellement une affaire de Communication - un petit monde dans le grand qui a aussi ses gourous - et a quelque chose de pathétique mesuré à l’aune des terrifiants périls qui guettent nos sociétés. Quelles sont les priorités qui devraient tenailler tout postulant à la magistrature suprême ? La Santé, l’Education, la Justice et le Logement devraient assurément être les quatre points cardinaux d’un engagement politique véritable au service de l’intérêt général et de la justice sociale. Lors du récent débat ayant confronté les six candidats de la Primaire du Parti socialiste ces questions fondamentales n’ont été au mieux qu’évoquées. Voilà bien où mènent plusieurs décennies de détachement progressif d’un parti de gauche vis-à -vis de sa base naturelle. C’est tragique tant la réconciliation des moins favorisés avec la nécessité du politique semble être un pari impossible.

Yann Fiévet

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