"Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer"
Guillaume d’Orange
« Quarante ans déjà ! Quarante ans que l’Algérie a su trouver la méthode qui lui a permis - en évitant un scénario à la Mossadegh - de récupérer ses richesses pétrolières. C’était le prélude de l’augmentation des prix du pétrole. Nicolas Sarkis, expert pétrolier, rapporte que lors du passage du secrétaire américain à l’Énergie à Alger, en septembre 1973, il intervint dans la réunion des chefs d’État exportateurs de pétrole en disant qu’il s’attendait à ce que l’augmentation des prix du pétrole soit débattue. C’était un appel du pied des États-Unis à l’Opep pour aller vers des prix du pétrole qui décollent des 2,5$ d’alors. Pourquoi ? Deux raisons : les États-Unis étaient embourbés au Vietnam, une guerre qui coûte cher et qui a été financée par la planche à billets. De plus, les pays européens et le Japon en plein « Trente Glorieuses » se développaient et commençaient à rattraper les États-Unis.
Que faire pour les Etats-Unis ? La première mesure réalisée pour rendre compétitive l’économie américaine fut de tordre le coup aux accords de Bretton Woods conclus seize ans plus tôt en annonçant le décrochage de l’or par rapport au dollar. A partir du 15 juillet 1971, la parité or-dollar , fondement du système de Bretton Woods , disparaisssait au profit d’un taux de change flottant.
L’once d’or n’a cessé de prendre de la valeur. Ainsi, si on prend en compte seulement la dernière période de 2000 à 2009, les prix de l’or par rapport aux indices boursiers sont passés de 272 dollars à 1000 dollars Le 20 février 2010 et à 1400$ le 20 février 2011. Une première question qui vient à l’esprit s’agissant de l’Algérie : Pourquoi ne pas convertir une partie de nos réserves de change en or au lieu de s’effriter en consolidant les banques américaines avec un intérêt dérisoire et une inflation importante ?
Quel était le maillon faible des pays européens et du Japon ? le pétrole toujours le pétrole ! les Etats-Unis étaient dépendants à 25-30% de l’extérieur, contrairement à l’Europe et au Japon dont le taux de dépendance dépassait les 50%. La deuxième mesure concerne justement le prix du pétrole. La seule façon de les freiner est de leur faire payer un prix du baril de pétrole élevé, eux qui étaient très dépendants du pétrole, contrairement aux États-Unis qui l’étaient beaucoup moins. Il fallait pour cela s’appuyer sur l’Opep et rendre inéluctable l’augmentation des prix du pétrole qui traînait à moins de deux dollars, ce fut une interminable (Tripoli, Téhéran) série de négociations entre les compagnies pétrolières qui avaient l’habitude de verser des backchichs aux pays hôtes. Les Etats-Unis ayant compris qu’il fallait que les prix du pétrole augmentent et cela tombait bien, ceux qui allaient en souffrir seraient les Européens et les Japonais devenus très compétitifs.
On voit donc que l’Opep n’a pas une grande responsabilité dans l’augmentation des prix du pétrole. La crise financière de 2008, qui a perturbé les marchés, amène le président Bush à faire le déplacement en Arabie Saoudite pour demander au roi d’ouvrir les vannes du pétrole. Il y eut un nouveau contre-choc pétrolier, le prix commença à dégringoler pour atteindre 34 dollars fin décembre 2008, Depuis, tout le monde est rentré dans le rang et on peut dire sans se tromper que l’Opep sert depuis la guerre de 1991, en priorité, les intérêts des pays du Golfe, c’est-à -dire ceux des Américains. L’Opep a donc terminé sa mission historique depuis que l’Arabie Saoudite est dans le G20 et que les Américains contrôlent tout le pétrole du Moyen-Orient, exception faite du pétrole iranien. » (1)
« L’addiction au pétrole des Etats-Unis a commencé très tôt. Souvenons-nous que la formation de l’Aramco (Arabian American Oil Company) s’est faite au début des années trente. Ce qui marque l’entrée irréversible des Etats-Unis au Moyen-Orient « prenant la place » de la Grande-Bretagne. Mieux, voulant s’attacher exclusivement les réserves de l’Arabie Saoudite Franklin Delanoe Roosevelt s’entretient avec Ibn Saoud à bord du croiseur Quincy, sur le canal de Suez. L’Arabie Saoudite est devenue définitivement un Etat pétrolier américain.
Mieux encore, les royalties du pétrole aident une industrie américaine en panne. L’Arabie Saoudite et les Etats-Unis s’acheminent vers la conclusion d’un contrat, le plus important contrat d’armement de l’Histoire, de l"ordre de quatre-vingt-dix (90) milliards de dollars. Point d’orgue, l’Irak « démocratisé » par les bons soins de Bush subit une partition de fait, le nord kurde est pratiquement autonome et revendique Kirkouk, les sunnites au Centre et les chiites au Sud se disputent le pouvoir, en fait l’accès au pétrole. Il reste un « domino » qui ne peut pas tomber : l’Iran ! Pourra-t-il tenir longtemps ? Lui qui vient de réévaluer ses réserves à 150.000 milliards de barils (+40%). Rappelons que dans le GMO même l’Arabie Saoudite devait être dépecée entre la province pétrolière autour de Dahran qui serait « confiée » à des dirigeants « amis » et l’émirat sacré autour de La Mecque.
Il est vrai aussi que nous nous dirigeons inévitablement vers un épuisement des réserves d’énergies fossiles. D’après l’AIE, le peak oil aurait été dépassé en 2006, nous serions inéluctablement sur le déclin... Quelques éléments pourraient cependant provisoirement, changer le cours des choses et ralentir ce phénomène de déplétion. C’est, dit-on, le miracle des gaz non conventionnels Un Réseau asiatique pour la sécurité énergétique est actuellement en formation. Il s’articule essentiellement autour de la Chine et de la Russie ; l’Inde et la Corée du Sud vont vraisemblablement s’y joindre et peut-être le Japon. Ces pays aimeraient que l’Iran se joigne à eux. Cela serait un cauchemar pour les États-Unis.(2) »
Que feront les Etats-Unis pour garder leur suprématie ? Le journaliste David S. Broder, juif américain Jewish, titulaire du prix Pulitzer a la solution : Il demande au président d’attaquer l’Iran : « La guerre et la paix influencent l’économie. Regardez ce qu’a fait Franklin Delanoë Roosevelt, comment il a résolu la crise économique : La Seconde Guerre mondiale (...) Je ne suggère pas au président de faire la guerre pour être réélu…. ». Nous sommes avertis.(3)
Quelle est la situation actuelle du marché ?
L’offre mondiale de pétrole satisfait la demande et les capacités de production sont excédentaires. Ce qui inquiète vraiment les marchés, c’est la contagion de l’insurrection à l’Arabie Saoudite. « L’offre mondiale de pétrole est suffisante pour satisfaire la demande, explique Nicolas Sarkis, directeur de la revue Pétrole et Gaz arabes. Les capacités de production, en effet, sont excédentaires et les Etats-Unis disposent d’importants stocks de pétrole ». » « L’AIE prévoit une demande mondiale d’or noir en 2011 de 89,3 millions de barils par jour. La contagion pourrait bien gagner la province orientale du pays, où se trouve l’essentiel des richesses pétrolières. « La géopolitique est actuellement le principal facteur d’influence des cours du pétrole, explique Nicolas Sarkis. L’incertitude qui règne quant à la stratégie pétrolière des nouveaux régimes politiques augmente les tensions. Car il y a fort à parier que les nouveaux gouvernements auront une politique plus restrictive pour protéger leurs ressources en pétrole. La hausse des prix de l’or noir devrait donc se poursuivre. Les cours du pétrole ont atteint actuellement des niveaux inédits depuis 2008. A Londres, le baril de Brent de la mer du Nord a atteint un pic à 108,57 dollars. Le prix du panier de l’Opep a, quant à lui, franchi la barre des 100 dollars. Pour Nicolas Sarkis. un choc pétrolier n’est pas à exclure si les prix atteignent 200, voire 250 dollars. « La hausse serait alors trop forte et trop brusque », explique-t-il. En revanche, si les prix se stabilisent au niveau de 120 à 150 dollars le baril, « le marché s’y habituera. » (4)
L’exemple européen d’une politique cohérente en énergie renouvelable
Par ailleurs et pour diminuer l’addiction au pétrole tout en préservant la planète, en Europe les économies d’énergie pourraient permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici 2020. Elle a également promis de faire passer ce taux à 30% si d’autres Etats s’engageaient à faire de même. La feuille de route est principalement une analyse des coûts liés aux différentes étapes à mettre en place pour atteindre les objectifs de l’UE visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80-95% par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2050. Ce document établit des objectifs de réduction d’émissions pour 2020 (25%), 2030 (40%), 2040 (60%) et 2050 (80-95%).(5)
Quelle est la situation en Algérie ?
On dit souvent que le pétrole est une malédiction pour le peuple algérien. A plus d’un titre, nous allons montrer que ce n’est pas faux. En effet, depuis 1971, nous avons extrait du sous-sol environ 2 milliards de tep, qui ont été responsables à des degrés divers d’une pollution de 4 milliards de tonnes de CO2 qui stationneront dans l’atmosphère encore pendant 120 ans. Si on continue à ce rythme de production débridée de 1,5 million de barils/jour, nous aurons pour 8000 jours, soit une vingtaine d’années. De 1965 à 1978, l’Algérie a engrangé 25 milliards de dollars. Il y eut la création d’une trentaine d’entreprises d’envergure internationale dont la Sonatrach, la Sonelgaz et la Snvi ou ce qu’il en reste. L’essentiel de l’industrie date de cette époque. Nous sommes bien contents d’avoir une capacité de raffinage de 22 millions de tonnes. De 1979 à 1991, c’est près de 125 milliards de dollars de rente. Cette époque est marquée par le programme antipénurie- l’importation massive de biens de consommation donnait à l’Algérien l’illusion qu’il était riche et appartenait à un pays développé ; tragique erreur que la chute des prix du pétrole de 1986 est venue brutalement nous rappeler et le début de la démolition des pans entiers de l’industrie. De 1999 à 2010 c’est plus de 400 milliards de dollars. Au total, c’est près de 700 milliards de dollars en 40 ans ; qu’avons-nous fait ? Depuis 2008, nos dépenses ont été multipliées par deux d’une année sur l’autre pour une économie qui tend à se bazariser de plus en plus et nous incite à la paresse.
L’Algérien finance ainsi l’emploi des ouvriers chinois, turcs, les emplois de Renault qui ne veut pas construire autre chose que des showrooms. Même un ancien Premier ministre français dans la plus pure tradition paternaliste annonce qu’il vient donner de l’emploi aux Algériens, oubliant pudiquement que ce sont surtout des emplois pour les sociétés françaises qui ne sont pas, on l’aura compris, philanthropes... Sommes-nous, comme le dit l’adage populaire, des marchands et non des bâtisseurs ?
Nicolas Sarkis déclarait récemment : « L’Algérie va devenir un importateur de pétrole. » L’Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole. « L’Algérie est le pays qui détient le plus faible taux de production et de réserves à l’Opep... De plus, nous remarquons que du fait de l’augmentation des besoins énergétiques internes, l’Algérie ne pourra pas exporter dans un proche avenir des quantités importantes de pétrole », indique M.Sarkis. L’Algérie n’a pas joué la prudence dans l’exploitation de ses richesses : « Non seulement la dépendance aux hydrocarbures a augmenté de 70% dans les années 1970 à 98% aujourd’hui, la production actuelle, estimée à 1,4 million de barils/jour, demeure élevée. C’est une erreur que de penser à gagner beaucoup d’argent en un temps réduit en épuisant les réserves, notamment dans la conjoncture actuelle. Avec le maintien de sa dépendance aux hydrocarbures, l’Algérie peut se réveiller un jour sur une situation très douloureuse », note M.Sarkis.
Que doit faire alors l’Algérie ? Un nouveau 24 Février pour le développement durable
Imaginons que nous sommes en 2030. A ce rythme de gaspillage frénétique de nos ressources, l’Algérie a épuisé sans discernement ses ressources, véritables défenses immunitaires. Ce sera le chaos, nous ferons partie de ce qu’on appelle les zones grises, comme la Somalie actuelle.
Imaginons par contre, un gouvernement fasciné par l’avenir, la première chose à faire c’est de ré-étalonner les légitimités en misant sur l’intelligence et le savoir. Un pays sans ressources pétrolières comme l’Inde, exporte pour 25 milliards de dollars de logiciels. Chacun sait par exemple, que le modèle énergétique algérien prenant en compte les profondes mutations du marché énergétique mondial dans un contexte d’évaporation, est à inventer. En fait, rien ne peut remplacer un effort national pour la définition d’un modèle énergétique qui part de l’identification de l’ensemble des gisements de ressources qui ne peuvent être seulement matérielles (fossiles et renouvelables), des modes de consommation adossés. Il nous faut mettre rapidement en place des états généraux de l’énergie qui concerneront tous les départements ministériels et même la société civile qui devra être convaincue de la nécessité de changer de cap : passer de l’ébriété énergétique à la sobriété énergétique.
Le maître mot en tout, est l’autonomie, la production nationale qu’il faut encourager. En 2030, la population algérienne sera de 45 millions d’habitants Si on admet que le développement amènera une consommation à 2 tep/hab /an, il faudra à l’Algérie une consommation de près de 100 millions de tep/an. Nos gisements sont sur le déclin. Nous devrions alors importer cette énergie si on veut maintenir le niveau de consommation actuelle, mais avec quel argent ? puisque nous sommes monoexportateurs d’un produit qui va disparaître ! La stratégie à mettre en oeuvre consistera justement à un triple objectif : assurer une relève graduelle par les énergies renouvelables, modérer et dimensionner notre production en fonction des stricts besoins de l’Algérie en rompant une bonne fois pour toutes avec la culpabilité de « nos engagements ».
En fait, il faut passer de la situation où personne ne se sent concerné à une situation où tout le monde, à des degrés divers, se sent concerné. Faire la chasse au gaspillage qui représente un gisement perdu d’au moins 20%, selon l’Aprue. Tout le secret de la gouvernance est justement de mobiliser le plus grand nombre autour d’une utopie seule capable de sauver l’Algérie quand la rente ne sera plus là . J’ambitionne pour mon pays un nouveau 24 Février pour les énergies renouvelables de la dimension de celui du président Boumediene. Mutatis mutandis, les défis de ce XXIe siècle sont du même type. Rien ne doit s’opposer à une remobilisation de l’Université qui doit faire preuve d’imagination, qui doit former des créateurs de richesse et non des demandeurs d’emplois. Parmi les grands défis du pays, ceux de l’énergie, de l’eau, de l’environnement et de l’autosuffisance alimentaire devraient être des axes structurants de notre recherche.
Si l’Algérie décide de se battre scientifiquement pour un nouveau 24 février cette fois du développement durable bien compris et non en distribuant la rente en fonction de la capacité de nuisance, alors, la phrase de Boumediene lancé à la face du Monde un certain 24 février 1971 : « Kararna ta’emime el mahroukate », « Nous avons décidé de la nationalisation des hydrocarbures » n’aura pas été vaine.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
1. Chems Eddine Chitour. Quel avenir pour l’Opep ? Mondialisation.ca, 16/09/2010
2. Gilbert Achcar et Noam Chomsky. La poudrière du Moyen-Orient Écosociété, 2007
3. David S. Broder, Wahington Post 3 novembre 2010
4. Emilie Lévêque. Pourquoi la Libye fait flamber les prix. L’Expansion.com 22/02/2011
5. Une feuille de route prévoit de réduire de 25% les émissions à 2020. Euractiv 16/02/2011