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Pour 5% du budget militaire des États-Unis.

Le 23 Aout à Kiev, le sénateur Lyndsay Graham, retenons bien son nom pour la postérité, déclare , que "les États-Unis avaient dépensé moins de 3 % de leur budget militaire annuel pour aider l'Ukraine dans sa guerre contre la Russie". Puis il s'écrie "c'est le meilleur investissement jamais réalisé pour la sécurité américaine, l'Ukraine est un partenaire fantastique". Et le premier Octobre, dans un interview à CBS news, il parlera de 5% du budget militaire des États Unis consacré à la guerre en Ukraine et que tout cela s'est fait "sans perdre un seul soldat (américain)".

Ces déclarations font mouche dans la partie guerrière de l’opinion occidentale. Leur succès tient à ce qu’elles sont d’une simplicité sinistre. Elles paraissent tellement claires, concrètes et capables, aux yeux des partisans de la politique américaine actuelle, de "dédramatiser" le conflit en Ukraine et l’influence des Cassandres anti-guerre.

Voilà donc résumée, dans les propos du sénateur, la vision étasunienne de la guerre, celle du parti de la guerre rassemblé autour du président Biden et de ceux qu’on appelle les néoconservateurs ;

Cynique et faux

Sauf que ce qui est affirmé ainsi est faux. Cynique et faux.

Cynique d’abord. La guerre en Ukraine, est donc devenue un simple pourcentage du budget des États Unis. Telle est la vision humaniste des dirigeants des EU. Son coût humain n’a donc aucune importance. Il s’agit du "meilleur investissement".

Mais c’est faux aussi. Il ne faut pas comparer le coût de cette guerre au budget militaire des EU, ce qui est un tour de passe-passe fait pour tromper l’opinion. Il faut la comparer au coût des autres guerres menées par les États Unis.

Comparons-la à la guerre du Vietnam qui a été la plus chère des guerres
étasuniennes hormis la Deuxième Guerre mondiale. Les États Unis y ont dépensés 111 milliards de dollars courants soit 1440 milliards de dollars (valeur 2023) en dix ans (durée de la guerre de 1965 à 1975), soit donc 144 milliards de dollars par an.

Le congrès a alloué plus de 112 milliards de dollars pour la seule année 2022 de soutien à l’Ukraine (1), soit une somme comparable. Tout cela suivant les chiffres officiels qui peuvent être manipulés. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une guerre de l’Occident. Il faut donc prendre en compte aussi le soutien de l’Union européenne qui se montait au 22 février 2023, une année après le début de la guerre, à 67 milliards d’euros (2). On est déjà donc bien au-dessus, avec 177 milliards de dollars environ, du coût de la guerre du Vietnam. On trompe donc l’opinion avec des calculs simplistes. Il faudrait de plus ajouter, à ce coût, l’intervention de la Banque mondiale qui prévoyait, en avril 2022, de débloquer en 15 mois 170 milliards de dollars de soutien à l’Ukraine (3).

Le cynisme de l’approche des milieux belliqueux étasuniens s’accompagne donc d’une volonté délibérée d’ "enfumer" l’opinion à travers des indicateurs de pourcentage qui ne veulent rien dire.

Au coût direct de la guerre, il faudrait d’ailleurs aussi intégrer le coût des destructions en Ukraine, qu’on peut évaluer déjà à 750 milliards de dollars, puisque c’est le coût donné pour sa reconstruction, le cout du déminage du territoire, le coût des manques à gagner en production, en exportations, en hémorragie humaine, y compris celle de l’émigration des ukrainiens. Qu’on nous excuse tous ces chiffres et ces détails, mais ils ont pour but de montrer à quel point ce discours du parti de la guerre est monstrueux, et surtout qu’il est la preuve même qu’ils n’ont cure de l’Ukraine. Elle n’a d’intérêt pour eux que parce qu’elle est là, au bon endroit, et au bon moment pour servir à un affrontement par procuration avec la Russie, "avec seulement 5% du budget de défense américain et sans la mort d’un seul américain" précise le sénateur Lindsay Graham. Le pire, c’est quand le président Zelensky le reçoit chaleureusement à Kiev, l’applaudit des deux mains, puis déclare, dans un discours le 21 septembre à Washington, : "l’investissement américain dans la sécurité de l’Ukraine porte ses fruits à 100%, pour chaque centime".

En tout cas, on sait désormais ce que vaut la vie des Ukrainiens : 5% du budget militaire des EU.

Une remarque est nécessaire ici : il est impossible pour un petit pays de battre une grande puissance dans une guerre conventionnelle. D’où le recours à une guérilla de partisans comme cela a été le cas au Vietnam, en Algérie, en Afghanistan. Les États Unis prennent souvent le cas du Vietnam et du soutien en armements que lui ont apporté l’URSS et la Chine pour légitimer leur politique en Ukraine. Mais les États Unis n’avaient pas de frontière avec le Vietnam, et ils n’ont pas de frontière avec l’Ukraine comme l’a la Russie. Leur sécurité stratégique, leur existence n’ont jamais été menacées à l’époque par la guerre du Vietnam comme elles sont menacées pour les Russes par le dessein des EU de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN. C’est tout à fait diffèrent.

Cependant les États Unis ont l’obsession d’affaiblir la Russie à travers la guerre en Ukraine. C’est cet objectif stratégique, implicite en permanence, qui entre en contradiction avec les objectifs déclarés aux ukrainiens de soutien à leur volonté d’indépendance. Cet objectif explique la stratégie étasunienne de faire durer la guerre, à tel point que leurs alliés ukrainiens eux-mêmes les soupçonnent de plus en plus de moduler la livraison d’armements en fonction de ce but. Faire durer la guerre c’est faire durer le carnage des ukrainiens. Aujourd’hui, les chars, pourtant réclamés à cor et à cri, n’ont plus d’efficacité sur les défenses russes, et on convie les soldats ukrainiens à avancer à pied sur les mines, sous un déluge d’obus.

Les armes ne seront données qu’en fonction de cet objectif, faire durer la guerre, et tout escalade survient alors au moment où les Ukrainiens se trouvent en difficulté. Ceci explique la politique en dent de scie des États Unis dans ce conflit.

Mais les États Unis semblent négliger un point, pourtant crucial : s’ils veulent faire durer la guerre, les Russes, eux, n’y ont pas intérêt et veulent la gagner. C’est donc un jeu dangereux à l’extrême, qui met cette guerre chaque fois au bord d’une déflagration mondiale.

La ligne rouge}

Dans leur gestion de la guerre en Ukraine, les États Unis avaient fixé comme ligne rouge l’utilisation de leurs armes pour attaquer la Russie sur son sol. Enfin apparemment. En tout cas, ils ont fait beaucoup de bruit pour que cela se sache. Mais est-ce un subterfuge ? Car on voit apparaitre brusquement des drones et des missiles de longue portée qui auraient été produits par une industrie de guerre ukrainienne qui semble avoir surgi du jour au lendemain. On peut se demander même, si l’utilisation de "missiles ukrainiens" pour attaquer le territoire russe n’est en fait qu’une étape avant la livraison par les États Unis de missiles à longue portée et le feu vert donné pour s’en servir pour attaquer le sol russe. Déjà d’ailleurs des missiles d’une portée de 300 km, les missiles "Shadow" et "Scalp", ont été fournis par le Royaume Uni et la France.

Un élément qui ne devrait cesser d’ inquiéter l’opinion mondiale, c’est cette question des lignes rouges qui nous séparent d’une conflagration totale, même si la propagande occidentale semble leur donner pour destin d’être chaque fois franchies. Mais jusqu’à quand ? Les propagandistes expliquent que la Russie a reculé chaque fois qu’une ligne rouge a été franchie. Désastre de la logique comme si cela prouvait qu’elle reculera toujours chaque fois et qu’il n’y a pas un moment où on connaitra vraiment la vraie ligne rouge. Mais ce sera alors, par définition, trop tard.

Le rapprochement progressif de l’OTAN des frontières de la Russie avait été déjà, en fait, une escalade. Les États Unis poussent l’escalade, les lignes rouges toujours plus loin, graduellement. Mais tout indique qu’ils ont une appréciation mauvaise de l’adversaire, qu’ils le sous-estiment. Et rien n’est pire que cela, en temps de crise aigüe. Les États Unis semblent persuadés qu’une guerre entre puissances nucléaires peut rester conventionnelle. Une erreur qui risque d’être mortelle.

Ce qui est peut être encore plus inquiétant, et qui risque d’aboutir à la même terrible issue, ce serait l’idée qu’ils pourraient répéter la tactique qui avait été un succès et qui avait consisté à piéger la Russie, en la conduisant à envahir l’Ukraine par crainte que celle-ci n’entre dans l’OTAN. C’est-à-dire, pousser l’escalade à un point tel que la Russie n’aurait d’autre solution que d’agir en dehors du théâtre ukrainien. Les États Unis, et l’Occident, pourraient donc lui faire porter la responsabilité de l’aggravation majeure de la crise, vers une guerre mondiale.

Pour qui doute du danger extrême de guerre mondiale qui menace l’existence même de l’espèce humaine, il n’y a qu’à voir la simultanéité actuelle des crises de l’Ukraine et de Taiwan. Elles montrent bien que le conflit mondial latent est déjà international.

Tout ce qui se fait tant du côté étasunien et occidental, que du côté russo-chinois prend de plus en plus l’allure de préparatifs d’un conflit jugé inévitable. Déplacements de missiles nucléaires, exercices de préparation de la population à une guerre nucléaire, suspension des traités de limitation des armements nucléaires, rumeurs de projets d’essais nucléaires, manœuvres militaires incluant le danger nucléaire.

Un nouveau rapport de force mondial

Ce qui rend la situation encore plus dangereuse, plus incertaine, c’est une sorte d’inconscience de l’Occident sur le nouveau rapport de force mondial. Celui-ci devrait être examiné sous l’angle à la fois non seulement économique et militaire mais aussi démographique et spatial.

Il y a, en fait, une grande sous-estimation des États-Unis, et à leur suite de l’Occident tout entier, du changement qui s’est opéré dans le rapport de force économique et militaire. On entend ainsi souvent l’argument selon lequel la Russie est bien moins grande et bien moins forte que ne l’était l’URSS du temps de la guerre froide. Non. À l’époque l’URSS vivait en autarcie, et était totalement isolée économiquement. Ce n’est plus le cas de la Russie malgré les sanctions. Elle a aujourd’hui l’énorme possibilité de ses relations économiques et commerciales non seulement avec la Chine, mais aussi avec tous les pays du BRICS et le monde non occidental.

Au début des années 70, la Chine avait 750 millions d’habitants et un PIB égal à celui de la Belgique. De plus l’URSS et la Chine étaient en conflit. La puissance ajoutée de la Chine et de l’URSS sur les plans économique et militaires étaient alors donc toute relative. Aujourd’hui la Chine est la deuxième puissance économique mondiale, probablement la première, en tout cas certainement la première dans les toutes prochaines années. Son potentiel militaire croit à une vitesse vertigineuse. L’alliance de la puissance militaire russe et de la puissance économique chinoise, représente une force considérable, d’une dimension encore jamais connue. De plus, Chine et Russie bénéficient d’une continuité territoriale que les États Unis n’ont pas avec l’Europe. Il faut ajouter à ce tableau l’émergence de puissances économiques, militaires et technologiques comme l’Inde, le Brésil, l’Iran, la Turquie, l’Afrique du Sud et bien d’autres dans les années à venir.

Enfin, l’Occident semble ne pas réaliser, à sa juste mesure, qu’il a une faiblesse majeure, sa faiblesse démographique par rapport à l’énorme potentiel humain de la Chine, et sa vulnérabilité dans l’espace face à l’énorme étendue de la Russie. L’Occident est faible aussi démographiquement par rapport aux puissances émergentes, et toute guerre internationale, notamment sur le théâtre européen, serait désastreuse pour lui. On est en pleine aventure et face à une inconscience totale des nouvelles données de cet affrontement qui se développe devant les yeux impuissants des peuples.

Cette absence de lucidité sur les nouvelles réalités est très inquiétante car elle peut amener l’Occident à surestimer ses forces et le conduire à l’aventure. Le ton d’ailleurs prédominant sur les medias occidentaux, fait d’arrogance de mépris de l’adversaire, en est un symptôme significatif. Jusqu’à présent, il semble que c’est la Russie qui a le plus conscience du danger de la situation et du risque de conflagration nucléaire, comme l’indique ses multiples mises en garde. Les États-Unis, et l’Occident derrière eux, les interprètent comme des menaces, une volonté de faire peur à l’opinion publique occidentale et comme un moyen de chantage. N’est-ce pas là une cécité totale ?

Que Dieu protège l’Humanité.


(1) https://www.bbc.com/afrique/monde-64731586)
(2) https://europedirect-territoires.com/2023/02/24/1-an-de-soutien-de-lunion-europeenne-a-lukraine/
(3) https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/la-banque-mondiale-veut-debloquer-170-milliards-de-dollars-face-a-la-guerre-en-ukraine_AD-202204180322.html ;

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Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza.
Ramzy BAROUD
Comprenez, de l’intérieur de Gaza, comment le peuple palestinien a vécu la signature des Accords d’Oslo : les espoirs suscités et immédiatement déçus, la désillusion et la colère suscitée par l’occupation et la colonisation israéliennes qui continuent... La seconde Intifada, et la montée politique du Hamas... Né à Gaza en 1972, Ramzy BAROUD est un journaliste et écrivain américano-palestinien de renommée internationale. Rédacteur en chef de The Brunei Times (version papier et en ligne) et (…)
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« Je pense que l’un des grands défis des Occidentaux, c’est d’être capables de mettre le curseur sur des forces politiques que l’on va considérer comme fréquentables, ou dont on va accepter qu’elles font partie de ce lot de forces politiques parmi lesquelles les Syriennes et les Syriens choisiront, le jour venu. Et je pense que oui, l’ex-Front al-Nosra [Al-Qaeda en Syrie - NDR] devrait faire partie des forces politiques considérées comme fréquentables »

François Burgat sur RFI le 9 août 2016.

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