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Misère de la politique

illustration : jameslseward.com

« La délinquance ne procède que très rarement de la souffrance sociale.(...) L’idéologie dominante était fondée sur l’idée que la misère engendre naturellement la criminalité qui ne peut donc être traitée que par des mesures sociales. Je dis exactement le contraire : c’est la criminalité qui favorise la misère en aggravant l’exclusion, et la stigmatisation d’une partie de la société française » (1). Ainsi s’exprimait, en grand théoricien, Nicolas Sarkozy le 28 mai juste avant les élections européennes du 7 juin 2009. Et il poursuit « Une vingtaine de quartiers en région parisienne sont particulièrement victimes de la violence des bandes (...) Les agressions dirigées contre les policiers ou les gendarmes ne sont ni plus ni moins qu’un défi lancé à la République ». Ce discours plaît non seulement à l’extrême droite, à la droite, mais aussi à une partie de la gauche.

En France, pour gagner les élections, il faut « taper » sur les plus démunis, notamment les enfants et les petits enfants des travailleurs immigrés. Car c’est cette « racaille » là qui est responsable des millions de chômeurs, de la destruction des services publics, de la disparition des libertés individuelles et de tous les malheurs de la France. C’est le mal absolu ! Il faut les pourchasser partout ces voyous des cités populaires et « aucune rue, aucune cave, aucune cage d’escalier ne doit être abandonnée aux voyous. Je souhaite que se multiplient, immédiatement, les opérations "coup de poing" dans les cités » (1). Tous les moyens doivent être mobilisés : les grands médias, les experts en tout genre, tout l’appareil judiciaire, les unités mobiles, la police, la gendarmerie et peut-être aussi l’armée : « Je souhaite une mobilisation complète des forces de l’ordre sur cet impératif majeur » (1). Ce déploiement extraordinaire de la force contraste avec l’impunité et la complicité de ce même gouvernement envers les vrais responsables de la situation de crise dans laquelle se trouve la France aujourd’hui : les dirigeants d’entreprises et la classe au pouvoir. Plus de liberté et de tolérance pour les uns et plus de contrôle et de « tolérance zéro » pour les autres.

Mais la traque ne s’arrête pas là . Elle se poursuit à l’intérieur même de l’école. Préfets, recteurs, procureurs, chefs d’établissement, policiers à la retraite et autres personnes volontaires sont sommés de repérer ces collégiens et lycéens responsables de l’insécurité en France. Entre les trousses, les cahiers et les livres, des révolvers, des bombes et autres explosifs peuvent être dissimulés. Les cartables doivent être fouillés, les portiques de sécurité et la vidéo surveillance installés ; car c’est la sécurité de la république qui est en jeu . Il faut rappeler que l’on voulait même détecter la délinquance dès l’âge de 3 ans c’est-à -dire dès la crèche ou la première année de la maternelle en s’appuyant sur le rapport de l’ INSERM publié en 2005 (2). Misérable politique !

Voilà donc la tonalité de ce discours. Il s’agit de propos vides politiquement, mais chargés de démagogie et de calculs politiciens. Il s’adresse à une partie de la population imbibée d’idées rétrogrades et xénophobes. Cette frange de la population a été éduquée, élevée et habituée à ce genre de discours. A la veille de chaque élection on lui ressasse inlassablement les mêmes mots et les mêmes images : l’insécurité et l’immigration restent et demeurent le problème le plus grave de la France ! Apeurée, elle se jette dans les bras d’un pouvoir qu’elle croit protecteur notamment en période de crise économique. Ce type de discours démagogique arrive, grâce au matraquage méthodique et systématique des grands médias, à transformer l’insécurité sociale, bien réelle, en insécurité tout court ; c’est sa force. Le chômage, la déréglementation et la précarisation de l’emploi, des notions intimement liées au mode de production capitaliste, plongent l’individu dans l’incertitude et l’insécurité économique et sociale. Pour calmer son angoisse, il faut lui présenter, en chaire et en os, les responsables de cette situation. Le travailleur immigré, ses enfants , ses petits enfants etc. sont les parfaits boucs émissaires. On « ne peut accueillir toute la misère du monde » n’est-ce pas ? La désignation et la stigmatisation de l’étranger permettent également de créer un semblant de « cohésion nationale » sans cesse mise à mal par la mondialisation libérale.

Le drame, c’est qu’une partie de la gauche adopte la même position et utilise, elle aussi, à quelques nuances près le même discours. Elle est convaincue que le pouvoir est au bout du chemin tracé par la droite voire l’extrême droite. Il suffit donc de le suivre. Car comme le disait Manuel Valls « Une grande partie des idées de gauche se sont épuisées ». Alors il faut que les idées de gauche deviennent les idées de droite « Nous pouvons faire un bout de chemin avec la majorité(...)Je pense aux moyens qu’il faut donner à la justice, à la lutte contre la criminalité ou encore au dossier de l’immigration » (Le Figaro, 22 août 2007). Plus récemment, il récidive en s’adressant à Christian Gravel, son directeur de cabinet : « Belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques blancs, quelques whites, quelques blancos… » ! Encore et toujours l’insécurité et l’immigration. La politique est ainsi réduite à ces deux mots. Valls est non seulement dirigeant du PS, mais maire et député. Misérable politique !

Un autre député-maire André Gerin, lui, veut libérer la femme musulmane en décidant à sa place. Il lui choisira ses vêtements, ce qu’elle doit porter et surtout ce qu’elle ne doit pas porter comme le voile dit islamique ou la Burqa par exemple. Pour lui, la libération de la femme passe par les vêtements ! La marchandisation du corps de la femme par la publicité, l’insupportable inégalité de salaires pour le même diplôme, le même niveau de qualification entre homme et femme, la présence ridicule des femmes au sein du parlement et dans toutes les instances de décision, le chômage, la précarité et le temps partiel subi qui frappent davantage les femmes que les hommes etc. sont des vieilleries d’un autre âge pour lesquelles aucun combat digne de ce nom ne mérite d’être mené. Le véritable problème de la France c’est la Burqa ! A. Gerin, incapable d’affronter la bourgeoisie et le capitalisme qui rabaissent l’être humain ( hommes et femmes) à l’état de marchandise, préfère s’unir avec la droite pour mener un combat d’arrière garde en s’attaquant à la frange de la population la plus fragile, la femme musulmane. Mais les Valls et les Gerin ne sont que quelques arbres qui cachent une véritable forêt dans cette partie de la gauche à la dérive, toujours prête à vendre son âme pour plaire à la classe dominante.

Malheureusement les femmes (musulmanes ou non), les « sauvageons » comme disait Chevènement, ne sont pas les seuls à subir les foudres du pouvoir. Les lycéens, les étudiants et tous les jeunes qui contestent la politique de ce pouvoir omniprésent et omnipotent lui ont déjà payé un lourd tribut.

Face aux revendications légitimes des lycéens, le gouvernement oppose répression et brutalité. Combien d’adolescents et d’adolescentes ont été insultés, giflés, matraqués, gazés, humiliés et brutalisés par les CRS pour avoir tout simplement revendiqué dans la rue un enseignement de qualité ouvert à tous ? Que garderont ces enfants plus tard de cette société qui les méprise tant ?

Les étudiants de leur côté, ont mené un long et admirable combat, comme d’ailleurs leurs camarades grecs, espagnols, italiens etc, contre la transformation de l’université en entreprise et le savoir en vulgaire marchandise. La répression, le mensonge et la stigmatisation de la contestation à travers les grands médias tous entre les mains de la classe au pouvoir, sont utilisés comme moyens pour atteindre ces objectifs. La guerre est menée sans trêve contre toute contestation de cette pitoyable et misérable politique du gouvernement.

Pour empêcher la moindre résistance, pour intimider les citoyens les plus conscients politiquement, on invente de toute pièce des ennemis de l’Etat, auxquels on attribue des qualificatifs parfois surprenants : militants de l’ultra-gauche, terroristes, anarchos autonomes, anarchistes, néosituationnistes et même nihilistes nietzschéo-corézienne ! Pour faire peur à la population, on organise des opérations policières spectaculaires médiatisées à outrance. Ainsi le 11 novembre 2008, policiers et journalistes débarquent à Tarnac. Les premiers procèdent à des interpellations musclées (c’est un euphémisme), les seconds braquent leurs projecteurs et leurs caméras sur... des jeunes corréziens parmi lesquels le désormais célèbre Julien Coupat. Il s’agit pour la police comme pour les grands médias, d’un commando violent qui a saboté des lignes TGV : « Le commando avait fait de ce village en Corrèze son QG (...) Le groupe a décidé de rentrer en clandestinité et de s’installer en Corrèze. Plus de téléphone, plus d’Internet mais des actions comme celles commises sur les voies ferrées » affirmait sans aucune précaution dès le 11 novembre Audrey Goutard journaliste à France 2 (3). Puisque le dossier est vide, il faut absolument trouver quelque chose qui ressemble à « une preuve ».

Le vide sera comblé par... un livre ! Il s’agit de « l’insurrection qui vient ». La justice, la police et les grands médias se précipitent alors sur l’ouvrage comme la meute sur sa proie. On verse carrément un livre au dossier de l’instruction ! C’est un fait rarissime qui en dit long sur l’état des libertés aujourd’hui sous le régime de Sarkozy et de la démocratie bourgeoise. Mais l’opuscule est signé par un « comité invisible ». Eric Hazan auteur et éditeur (La Fabrique) de livres progressistes, antisioniste courageux fut entendu par la Police Judiciaire le 9 avril 2009 sans vraiment savoir pourquoi puisqu’il n’était pas témoin des faits qu’on lui reproche. Il est juste l’éditeur de « L’insurrection qui vient ». Mais le dossier reste désespérément vide. Julien Coupat, le dangereux terroriste, fut libéré le 28 mai 2009 après plus de six mois de détention pour rien. Michèle Alliot-Marie ne sachant comment justifier cette débandade politique, judiciaire et médiatique, déclarait que si Julien Coupat « demeure sous contrôle judiciaire, cela signifie quelque chose » (4). Mais justement que signifie sur le plan du Droit « cela signifie quelque chose » ? En fait cela ne signifie absolument rien, si ce n’est l’arbitraire.

Le 22 juin 2009, Sarkozy a réuni à Versailles ses courtisans dans un faste (au frais du contribuable) digne des monarques des siècles passés, humiliant ainsi un peu plus une république qui ne lui reste de démocratique que les apparences. Là encore le président a parlé, entre autres, de la Burqa. Emu, A Gerin ne pouvait que saluer « l’attitude positive et pondérée » de Sarkozy (5). Le comble pour un communiste !

En cette période de chômage de masse, l’insécurité, l’immigration, le terrorisme, la Burqa, bref des discours et des mots vides, voilà ce que la classe dominante, qui continue à s’enrichir et qui capte l’essentiel des ressources financières de l’Etat, offre à la population comme solution pour la soulager de ses souffrances sociales. Pitoyable politique !

Mohamed Belaali


(1) http://www.elysee.fr/download/?mode=press&

(2) http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble-conduites.html

(3) http://www.acrimed.org/article3152.html

(4) http://www.lejdd.fr/cmc/societe/200922/coupat-un-fiasco-selon-la-gauche_212914.html

(5) http://www.lemonde.fr/politique/son/2009/06/23/burqa-andre-gerin-salue-l-attitude-positive-et-ponderee-de-nicolas-sarkozy_1210532_823448.html#xt

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