The Electronic Intifada a obtenu une copie intégrale du film Lobby - USA, une enquête en quatre parties menée sous couverture par Al Jazeera sur la campagne secrète israélienne de lobbying aux Etats-Unis.
Nous diffusons aujourd’hui les deux premiers épisodes. Le site Orient XXI, basé à Paris, a diffusé les mêmes épisodes sous-titrés en français.
Le film, commencé par Al Jazeera en 2016, a été terminé en octobre 2017.
Mais il a été censuré suite aux intenses pressions du lobby israélien sur le Qatar, l’émirat du Golfe riche en gaz qui finance Al Jazeera.
Le directeur général d’Al Jazeera a affirmé le mois dernier que le film posait des problèmes juridiques mais il a été contredit par ses propres journalistes.
En mars, The Electronic Intifada a été le premier à révéler le contenu spécifique du film. Nous avons ensuite publié le premier extrait du film en août, et, peu après, Max Blumenthal du Grayzone Project en a publié d’autres.
Depuis, The Electronic Intifada a publié trois autres extraits, et plusieurs autres journalistes ont vu le film en entier et en ont parlé, dont Alain Gresh et Antony Loewenstein.
The Electronic Intifada a maintenant réussi à se procurer les quatre parties du film.
Vous pouvez voir les deux premières parties de la vidéo (sous-titrées en Français ici et ici, ndt).
Pour avoir un accès sans précédent aux rouages internes du lobby israélien, le journaliste sous couverture ’Tony’ s’est fait passer pour un volontaire pro-israélien à Washington.
Le film qui en résulte montre les efforts d’Israël et de ses lobbyistes pour espionner, salir et intimider les citoyens américains qui soutiennent les droits de l’homme palestiniens, en particulier le BDS - le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.
Il montre la collusion entre l’agence gouvernementale d’opérations plus ou moins clandestines d’Israël, le ministère des Affaires stratégiques, et un vaste réseau d’organisations basées aux États-Unis, notamment la Coalition Israël sur les campus, The Israel Projet et la Fondation pour la défense des démocraties.
Censuré par le Qatar
Le film n’a pas été diffusé à cause des pressions que le gouvernement du Qatar a subies de la part, ironiquement, du lobby même dont le film dénonce l’influence et les manœuvres.
Clayton Swisher, chef des enquêtes d’Al Jazeera, arévélé dans un article paru dans The Forward en mars qu’Al Jazeera avait envoyé plus de 70 lettres à des individus et des organisations qui apparaissent dans le film ou qui y sont mentionnés pour qu’ils puissent réagir.
Seulement trois l’ont fait. Au lieu de répondre, des groupes pro-israéliens ont essayé de faire interdire le film qui dévoile les activités du lobby.
En avril, la direction d’Al Jazeera a été obligée de réfuter l’affirmation de the Zionist Organization of America, une organisation d’extrême droite, selon laquelle la diffusion du film avait été absolument interdite.
En juin, The Electronic Intifada a appris qu’une source de haut niveau à Doha avait déclaré que le retard indéfini du film était dû à des préoccupations de ’sécurité nationale’ du gouvernement qatari.
Opérations secrètes
Comme l’a révélé un clip publié par l’Intifada électronique plus tôt cette semaine, dans le film on voit Julia Reifkind - alors employée d’une ambassade israélienne – expliquer que sa journée de travail consiste principalement à ’recueillir du renseignement, pour le compte d’Israël... en lien avec le ministère des Affaires étrangères et/ou le ministère des Affaires stratégiques’.
Elle dit que le gouvernement israélien ’apporte, dans les coulisses,son soutien’ aux groupes qui sont au front.
Reifkind admet également avoir utilisé de faux profils Facebook pour infiltrer les cercles de militants de la solidarité palestinienne sur le campus.
Le film révèle également que des groupes basés aux États-Unis coordonnent leurs efforts directement avec le gouvernement israélien, en particulier avec son ministère des Affaires stratégiques.
Dirigé par un ancien officier du renseignement militaire, le ministère est responsable de la campagne internationale secrète de sabotage du mouvement BDS menée par Israël.
Le film montre des images de cet ex-officier du renseignement militaire, Sima Vaknin-Gil, en train d’expliquer qu’elle a dressé la carte de l’activisme palestinien en faveur des droits de l’homme ’dans le monde entier. Pas seulement aux États-Unis, pas seulement dans les campus, mais dans les campus, l’intersectionnalité, les syndicats et les églises.’
Elle dit qu’elle va utiliser ces données pour mener des ’actions offensives’ contre les militants palestiniens.
On voit Jacob Baime, directeur exécutif de l’Israel on Campus Coalition, affirmer dans la vidéo cachée que son organisation utilise ’un excellent logiciel de surveillance des médias sociaux, du type de ceux utilisés dans les grandes entreprises’ pour repérer les événements liés à la Palestine organisés par les étudiants sur le campus, ’généralement dans les 30 secondes, parfois moins’ de leur publication en ligne.
Baime dit également devant la caméra cachée que son groupe se ’coordonne’ avec le ministère israélien des Affaires stratégiques.
Baime déclare que ses chercheurs ’envoient des alertes immédiates à nos partenaires’ – dont les ministères israéliens.
Le collègue de Baime, Ian Hersh, dit dans le film qu’il ajoute le ’ministère des Affaires stratégiques d’Israël à nos briefings sur les opérations et le renseignement’.
’Une guerre psychologique’
Baime décrit la manière dont son groupe utilise des sites Web anonymes pour cibler des militants.
’Avec les opposants à Israël, ce qui est le plus efficace, ainsi que nous l’avons constaté l’année dernière du moins, c’est de faire des recherches sur l’opposition, créer un site Web anonyme, puis y poster des publicités Facebook ciblées, explique Baime dans la troisième partie du film.
’Canary Mission en est un bon exemple, dit-il. ’C’est une guerre psychologique.’
Le film révèle que c’est Adam Milstein, le multimillionnaire condamné pour évasion fiscale, qui a financé et administré Canary Mission - un site de diffamation anonyme ciblant des étudiants activistes.
The Electronic Intifada l’avait déjà révélé dans un clip en août.
On voit aussi Eric Gallagher, alors directeur de la collecte de fonds pour The Israel Project, dire que ’Adam Milstein, c’est lui qui finance’ Canary Mission.
Milstein finance également The Israel Project, selon Gallagher.
Gallagher se vante dans le film d’avoir ’ échangé des courriels avec [Adam Milstein] pendant qu’il était en prison’, lorsque, lui, Gallagher travaillait pour l’AIPAC, le groupe de pression israélien le plus puissant de Washington.
Bien qu’il n’ait pas répondu à la demande de commentaires d’Al Jazeera, Milstein a nié que lui et sa fondation familiale ’aient financé Canary Mission’ le jour où The Electronic l’Intifada a publié le clip.
Depuis, Josh Nathan-Kazis de The Forward a identifié beaucoup d’autres groupes étasuniens qui financent Canary Mission.
L’interdiction du film
En mars, The Electronic Intifada a publié les premiers détails sur le film.
Nous avons dévoilé qu’on y voyait Sima Vaknin-Gil expliquer qu’elle avait réussi à faire travailler pour son ministère l’influent think tank néoconservateur, la Fondation for défense of démocraties working.
Sur le film en caméra cachée, on voit Vaknin-Gil affirmer : ’Nous avons FDD. Nous avons d’autres personnes qui travaillent’ sur des projets, ’incluant la collecte de données, l’analyse de l’information, le travail sur les organisations militantes et la piste financière. C’est quelque chose que seul un pays, avec ses ressources, peut faire.’
Comme cela est indiqué dans la première partie du documentaire, l’existence du film et l’identité du journaliste infiltré ont été révélées après la diffusion, début 2017, d’images qu’il avait tournées pour le film The Lobby d’Al Jazeera - sur la campagne d’influence clandestine d’Israël au Royaume-Uni.
Depuis, les lobbyistes israéliens exercent de fortes pressions sur le Qatar pour empêcher la diffusion du film réalisé aux Etats-Unis.
’Agent étranger’
Clayton Swisher, chef des enquêtes d’Al Jazeera, a confirmé pour la première fois en octobre 2017 que la chaîne avait, au même moment, un journaliste infiltré dans le lobby israélien américain et un autre au Royaume-Uni.
Swisher avait promis que le film sortirait ’très bientôt’, mais il n’est jamais sorti.
De nombreuses sources israéliennes ont déclaré au journal israélien Haaretz en février que des dirigeants qataris leur avaient assuré à la fin de l’année dernière que le documentaire ne serait pas diffusé.
Le Qatar l’a démenti, mais Swisher n’est pas revenu sur son annonce.
L’article de Swisher dans The Forward de mars dernier a été son premier commentaire public sur le sujet depuis qu’il avait annoncé le documentaire en 2017.
Il y réfute les allégations du lobby israélien sur le film et exprime sa frustration qu’Al Jazeera ne l’ait pas diffusé, apparemment à cause de pressions extérieures.
Plusieurs députés pro-israéliens à Washington ont multiplié les pressions sur le ministère de la Justice pour qu’il force Al Jazeera à s’enregistrer comme ’agent étranger’ en vertu d’une loi de contre-espionnage datant des années 1930.
Le lobby israélien se rend à Doha
Bien que la diffusion du film ait été repoussée, une vague de personnalités pro-israéliennes a déferlé sur le Qatar à l’invitation de son dirigeant, l’Emir Tamim bin Hamad Al Thani.
On y a vu certaines des figures les plus à droite et les plus extrémistes parmi les défenseurs d’Israël aux États-Unis, comme Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, et Morton Klein, directeur de l’Organisation sioniste d’Amérique.
Swisher a écrit dans The Forward qu’il a rencontré Dershowitz dans un restaurant de Doha lors d’une de ces visites, et a invité le professeur à une projection privée du film.
Swicher rapporte que Dershowitz lui a dit, aprèscoup : ’Je n’ai aucun problème avec les tournages en caméra cachée ; et ça ne me dérangerait pas que ce film soit diffusé sur PBS’ - la télévision publique étasunienne.
Pourtant, il semble bien que les efforts du lobby israélien pour interdire le film aient été couronnés de succès - jusqu’à présent.
The Electronic Intifada
Traduction : Dominique Muselet