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Lettre ouverte au Président de l’Algérie, M. Bouteflika.

Monsieur le Président,

Vous me permettrez de ne pas vous présenter mes félicitations pour votre élection. Ce serait de ma part une courtoisie de mauvais aloi, ou pire encore, un cynisme mal placé, en cette tragique circonstance.

Oui, monsieur le Président, tragique est bien le mot qui convient à cette mascarade électorale, à cette captation indue, et frauduleuse, de la volonté populaire de nos compatriotes, à laquelle vous vous êtes, très grossièrement, livré.

Quelques jours avant ces élections qui allaient vous porter, sans l’ombre d’un doute, à la magistrature suprême, votre Premier ministre, Ahmed Ouyahia, lors d’un meeting électoral devant un parterre de militants de son parti, le RND, déclarait ceci : « D’aucuns ont qualifié notre parti de machine électorale. Alors, nous leur disons ceci, sans complexe aucun : Oui, nous sommes une machine électorale, et nous allons le démontrer, encore une fois ! »

Monsieur Ouyahia avait omis, toutefois, de préciser que par « machine électorale », les Algériens entendaient machine à frauder et à bourrer les urnes.

Ce monsieur, chef du gouvernement à répétition, avant d’accéder à cette nouvelle charge de premier ministre, une nouvelle appellation qui prétend apporter des réaménagements à ce qui n’est rien d’autre qu’un poste de nervis chargé de coordonner les basses besognes d’autres nervis de rang subalterne, pour la seule pérennité d’un régime carnassier, ce monsieur s’était donc distingué pour avoir accompli la plus grande fraude électorale du pays, en 1997, lorsqu’il avait fait d’un parti sorti tout casqué du cerveau de la junte au pouvoir, le premier parti du pays, lors des deux élections législatives et municipales.

Il le fit de manière brutale et sans nuances.

Nous comprenons aujourd’hui, si tant est que nous ne l’avions pas déjà compris, pourquoi il a été rappelé et pourquoi il a lancé publiquement son tonitruant « Oui, nous sommes une machine électorale ! »

En 1997, lors de ces élections qui allaient consacrer le RND, j’étais en poste à Tébessa, où j’étais chef de bureau régional du Quotidien « Liberté ».

J’ai vu de mes yeux se perpétrer cette immense forfaiture, cette injure faite à tous ceux qui sont morts pour que les Algériens recouvrent leur dignité, et le droit de désigner librement leurs élus.

Je vous épargnerai les détails de cette fraude massive, puisque je ne vous apprendrai rien. Mais, par dessus tout ce que j’avais vu de la « machine électorale » de Monsieur Ouyahia, il m’est resté une histoire que je m’en vais vous conter.

Un chef de Daïra, contrairement à tous ses collègues des autres daïrates qui ont fait montre de beaucoup de zèle à bourrer les urnes, avait catégoriquement refusé de prêter son concours à cette honteuse pratique. Le RND ne remporta donc pas la mise dans cette daïra qui échut au FLN.

Dès le lendemain ce chef de Daïra fut suspendu, puis révoqué quelques jours plus tard par le Ministre de l’intérieur de l’époque, Monsieur Benmansour. Sans autre forme de procès !

J’ai su par la suite qu’il s’était fait copieusement insulter par le responsable du DRS local.
Voici en peu de mots ce qu’est la « machine électorale » de Monsieur Ouyahia, et voilà pourquoi il a été rappelé pour mener à bien celle qui vient de vous porter, encore une fois, et avec quelle efficacité, à la tête du pays.

Nous devons reconnaître qu’il s’est surpassé, et qu’il a battu son propre record.
Il peut être fier de lui !

Mais le mérite, mais si, mais si, ne revient pas à sa seule personne. Il faut reconnaître qu’il a été largement partagé.

Cette belle aventure, mais si, mais si, cette épopée héroïque, mais si, mais si, a commencé lorsqu’il fut décidé de vous faire rempiler une troisième fois.

Mais le problème se trouvait dans cet écueil de la Constitution qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels pour une même personne. Vous veniez de les faire, successivement, et vous ne pouviez donc pas vous représenter.
Il fut donc décidé de faire réaménager la Constitution.

Un point de détail.

Mais un problème, autrement plus ardu, se posait.

Lors des dernières élections législatives, celles de mai 2007, les électeurs s’étaient massivement abstenus. Le parlement ne fut élu que par 35% des voix. Le parlement le moins représentatif du monde. Un bien triste record ! Encore qu’il faut préciser que 10% des bulletins, selon vos propres chiffres, étaient des bulletins nuls. Ce parlement avait donc été élu à 25%. Il a été installé, malgré cela. C’est dire que rien ne répugne à ce régime.

Bien évidemment, il était venu à la connaissance de ce régime que vous présidez, et qui a une bonne connaissance de l’état d’esprit de la multitude que nous sommes, de ce ghachi que vous méprisez ostensiblement, que nous étions décidé à ne plus voter, à ne plus vous offrir des façades d’institutions pour nous opprimer, à ne plus vous donner le bâton pour nous battre.

Nous avions compris que le seul moyen de chasser de nos vies l’ogre qui se repaît de la chair vive de notre nation devait être une révolution pacifique, une abstention massive et systématique à toutes les mascarades d’élections.

Nous avions fini par comprendre que les Institutions de votre république n’était qu’ oripeaux d’opérette, patte enfarinée du loup, pour donner le change au reste du monde, et lui faire croire que ce pays qu’on nomme Algérie, était un Etat de droit, doté de toutes les institutions républicaines possibles et imaginables, et non pas une nation prise en otage par une association de malfaiteurs, une mafia qui saignait à blanc tout un peuple, qui avait perpétré contre lui d’affreux carnages, qui avait recouru contre lui à des crimes contre l’humanité d’une rare sauvagerie, à des exécutions sommaires, qui avait institué en règle d’interrogatoire et de terreur des pratiques de torture d’une bestialité inouïe, au motif de « sauver la république » de la barbarie islamiste.

Vous aviez vous même déclaré le chiffre de 200 000 morts quinze jours après que Monsieur Ouyahia ait reconnu officiellement… 35 000 morts, affirmant avec force et jurant ses grands dieux, que tout autre chiffre n’était qu’exagération. Il avait éclipsé d’une chiquenaude 165 000 morts.

La question s’était posée, alors, de savoir pourquoi il avait rapetissé le chiffre des victimes. Etait-ce parce que le vrai chiffre, de 200 000 morts aurait signifié que les seuls islamistes n’auraient pas pu commettre un tel carnage, et que cela aurait donc suggéré que les « services de sécurité » et les « forces armées » avaient donc mis la main à la pâte ?

Vous même, Monsieur le Président, alors que la junte qui disposait alors de la réalité du pouvoir, et que celle-ci avait décidé de ne pas bénir votre deuxième mandat, vous aviez réussi à convaincre ces généraux génocidaires de vous reconduire en échange du cadeau inespéré que vous alliez leur offrir sur un plateau : Une auto-amnistie qui ne disait pas son nom.

Sous le prétexte de ramener la paix au sein de la société, et en faisant mine de pardonner aux islamistes, vous aviez fait voter par le peuple algérien, en usant de la tromperie, du chantage et même de la menace, votre désormais fameuse « charte de la réconciliation nationale ». Vos généraux s’en tiraient à bon compte. Le peuple n’a pas eu le choix. La question qui lui a été posée, en ses vrais termes, était celle là  : « Choisissez vous de pardonner à vos tueurs ou préférez vous continuer à vous faire tuer ? » Un chantage odieux !

Les généraux génocidaires, et les islamistes qu’ils avaient réussi à manipuler, et qui, à leur insu ou en connaissance de cause, ont obéi à une monstrueuse cabale, ont donc été absous.

Voici la paix que vous croyez avoir ramené.

Le plus monstrueux de la situation est que les généraux génocidaires sont consacrés par votre charte comme étant les « agents honorables de l’Etat », les héros qui ont sauvé la nation.

Des « agents honorables de l’Etat » dont il est interdit, sous peine de lourdes peines de prison de faire la moindre allusion sur leur implication dans cette tragédie. Votre charte les protège au point où même un universitaire ne peut faire de recherches sur leur rôle, ni une famille de victimes porter plainte contre eux, même en présence de preuves irréfragables.

Nous savons tous, pourtant, que la violence qu’ils ont instrumentée, manipulée, et dirigée délibérément contre les populations civiles, n’a pas été inspirée par le souci de sauver la République du péril islamiste, mais par celui de garder le pouvoir et sauvegarder leurs honteux privilèges. Dire des généraux algériens de l’époque, des bandits galonnés, des voleurs invétérés, presque tous « déserteurs » de l’armée française, qui avaient été formés et passés officiers en catastrophe, pour pouvoir infiltrer l’ALN, qu’ils sont des sauveurs de la république, serait faire de renards, des chiens de garde de poulailler.

Ils avaient réussi à truffer les groupes islamistes de leurs agents, et de leurs émirs, ne se privant pas, au demeurant, de créer leurs propres Groupes Islamistes Armés, non pas pour infiltrer les islamistes, et pouvoir ainsi les neutraliser, mais pour les amener à massacrer les populations et les ressortissants étrangers, pour retourner les opinions contre cette mouvance qui menaçait leur pouvoir, et pouvoir ainsi vaquer, en toute impunité, à leurs grandes et petites affaires.

L’islamisme armé a été une véritable aubaine pour eux, au point où ils l’ont armé, au point où ils ont tout fait pour pousser de paisibles islamistes à monter au maquis, en ne leur laissant pas d’autre choix que de prendre les armes, où de se faire enlever par les « services de sécurité » et être exécuté sur le bord d’une route. Ils les ont fait regrouper dans des camps du sud pour leur suggérer de s’organiser en maquisards, ils ont fait violer leurs épouses, et même leurs enfants, sous leurs yeux, ils les ont fait chasser de leurs emplois, ont fait ruiner leurs commerces, dans le but de les contraindre à abandonner la politique pour l’action directe.

Ils ont fait tant et si bien, dans cette opération que l’un des leurs, le général Smail Lamari, surnommera cette subversion du nom de « terrorisme pédagogique », qu’ils ont créé une cellule pour l’élaboration des fetwas qui appelaient au meurtre collectif, une autre qui était chargée de programmer et de faire exécuter des intellectuels et des personnalités algériennes qui jouissaient de l’estime et de la popularité au sein de leurs concitoyens, et de faire passer leur assassinat au crédit des islamistes armés, et une autre, entre autres, pour aider les Evangélistes protestants à convertir des musulmans, notamment en Kabylie, pour couper cette région contestataire des autres régions d’Algérie, et la désigner ainsi à la vindicte populaire imbécile.

La décennie rouge a été pain béni pour ces généraux assassins de masse, ces crapules de bas quartier, ces crétins galonnés qui croyaient mener une action hautement stratégique là où il n’était question que de meurtre et de rapine.

La meilleure illustration, de leur nature, et de leurs ambitions, est qu’ils ont mis à profit cette décennie sanglante pour s’enrichir de façon prodigieuse. Avant la décennie rouge, ils étaient tous milliardaires en centimes. Aujourd’hui, ils ont côtés parmi les hommes les plus riches du continent, et même d’Europe. Ils sont passés du statut de « Monsieur Monopole », ou Monsieur 10% » à celui de magnats financiers. Puisque leurs affaires, et celles de leurs clientèles, se chiffrent aujourd’hui en centaines de millions de dollars. Puisqu’ils lorgnent désormais du côté de la production et des transactions en hydrocarbure.

Cette tragédie indicible, ce fleuve de sang, cette vallée de larmes, a été pour eux une période florissante, le jack-pot, le butin prodigieux, la dépouille miraculeuse et sanglante.
Mais les jeunes Algériens et Algériennes, plus de 70% de la population, tous ceux là qui n’ont pas voté pour vous Monsieur le Président, et qui ont juré de ne plus jamais voter pour ce régime qui les saigne et qui les dépouille de leurs richesses, tous ceux là ont éventé la vraie nature du régime.

Ils ont tiré leurs propres conclusions des scandales qui ont émaillé vos mandats précédents, l’affaire Khalifa, l’affaire BRC, celle des crédits des steppes, de l’installation en catimini d’un bureau de la CIA à Alger, d’un autre du FBI, de celle d’une base américaine secrète dans notre Sahara, des accointances de vos meilleurs ministres avec des trusts atlantiques, de l’implication de votre propre clan familial dans de sombres tractations financières, de cet immense hold-up dont personne n’a encore parlé, et qui consiste pour certains barons du régime, dont ceux de votre propre clan, à puiser directement dans les mécanismes de régulation et de gestion des réserves de change, et tant d’autres forfaitures dont une seule suffirait à jeter l’opprobre sur des commis de l’Etat moyennement honorables, dans n’importe quel pays moyennement honorable.

Ne Croyez pas que la chape de plomb que vous avez jeté sur ces pratiques odieuses et sur tant d’autres scandales dont nous ne savons encore rien, n’ait rien laissé transparaître.

Tout finit par se savoir, depuis votre insultante permissivité à l’endroit d’émirs du golfe qui viennent chasser du gibier protégé sur nos terres, jusqu’à la haute trahison qui a permis aux Américains d’installer une base dans notre pays.

Il est vrai que la complaisance d’une certaine presse à votre endroit, en échange de miettes que laissent tomber ses maîtres, contribue grandement à taire les vraies turpitudes du régime, il est vrai que dans la presse algérienne, qu’il y a plus de Habib Hamraoui que de journalistes intègres, mais le peu que nous parvenons à savoir, ajouté à la corruption débridée qui règne dans notre pays, à l’injustice institutionnalisée qui y règne, aux tourments dans lesquels se débattent les plus faibles d’entre nous, à l’état déplorable de nos cités, à l’anarchie qui y sévit, à l’exaspération généralisée de notre jeunesse dont le rêve ultime est de pouvoir fuir le pays, tout cela et bien plus encore de malheurs et d’oppression, nous a ouvert les yeux sur la réalité du régime que vous avez le piètre honneur de diriger. Excusez du peu !

C’est pour toutes ces raisons que votre entourage vous a dissuadé de ne pas recourir à un référendum populaire pour réaménager la Constitution.

Vos brillants conseillers, rompus à la manipulation des foules, experts en subversion de masse, piètres tribuns quoique pétris pétris de suffisance, avaient compris, mieux que vous, dont la vue était quelque peu brouillée par l’image que vous vous faisiez de vous même, et de l’opinion que vous croyiez être celle du peuple à votre endroit, que le peuple algérien allait bouder massivement ce suffrage. Cela crevait les yeux, en réalité !
Ils vous avaient convaincus que vous deviez faire procéder à ce réaménagement par le biais du Parlement, parce que le régime ne pourrait pas réaliser deux fraudes électorales successives. Celle de la Constitution et celle qui devait vous porter à la magistrature suprême.

Ils ont eu raison. Et vous n’avez pas eu le choix. Vous avez été contraint, en violation des propres dispositions de la même Constitution de la faire réaménager, où plutôt violer, devrais-je dire, par des députés dont vous aviez pris le soin de doubler le traitement avant qu’ils ne votent. Un vote à main levée, pour que nul ne s’abstienne. Mais même à bulletin secret, ces députés auraient voté votre réaménagement, parce qu’ils ne sont que des maquignons de la politique, les purs produits du système qui les a placés sur des sièges de dignité, et dont ils n’ont d’autre appréciation que celle vénale et opportuniste qui les fait se rengorger comme autant de dindons.

J’ai connu l’un de ces députés, et néanmoins ancien directeur de l’hôtel Es Safir, qui se vantait d’avoir eu plus de 100 lots de terrain, au niveau de tout le pays, lots de terrain qu’il a revendus pour une fortune.

Pourtant, Monsieur le Président, malgré la bonne grâce de ces députés marrons, malgré « la machine électorale », malgré la générosité de richissimes sponsors, sortis du chapeau, et qui ont eu la gratitude du ventre, puisque c’est vous qui les avez fait riches, malgré l’embrigadement, largement rétribué, des confréries religieuses, des imams, des chefs de tribus du pays profond, du syndicat maison, de toutes ces organisations de masse de pique assiettes patentés, malgré la contribution, plus ou moins naïve, de lièvres ad-hoc, malgré une propagande inouïe, malgré le travail de fourmi d’une armée de rabatteurs, malgré les centaines de milliards tirés de caisses secrètes, et déversés sans compter dans les poches de vendeurs de promesses, malgré le zèle criard des walis, des chefs de daïra, des responsables du DRS, de la gendarmerie, de la police, des élus locaux, des partis boulitiques, et y compris celui du parti islamique de service, malgré la multitude de chiyatines de tout accabit et de tout poil, le taux de participation à votre élection a été exactement celui des législatives de 2007.

Il n’y a pas eu plus de 30% de participants.

Le même que celui des émigrés en France !

La quasi totalité de la jeunesse n’a pas voté ! Presque tous les jeunes du pays, la force vive de la nation, la première force du pays, la vraie valeur de notre avenir, vous a massivement ignoré. Vous le savez, n’est-ce-pas ?

Ne croyez surtout pas que c’est un secret bien gardé.

Tous les Algériens le savent.

Pour la simple et bonne raison qu’ils l’ont vu de leurs yeux. Et pour la simple raison que ceux qui ont bourré les urnes ont été les premiers à aller le raconter aux autres.

Le malheur de cette fraude électorale, la plus grande fraude jamais observée dans ce pays, est qu’il existe des milliers de témoins qui ont en été les exécutants, et des millions d’Algériens qui ont assisté « en live » à ce spectacle honteux.
Je ne connais pas, Monsieur le Président, les ressorts secrets qui vous animent. Mais je sais, par contre, que vous êtes mal parti.

On ne peut pas être le Président d’un pays dont 70% de la population s’est volontairement abstenu de voter.

Ne laissez pas les flagorneurs, et surtout les profiteurs voraces qui vous entourent, vous mentir sur ce point, vous faire croire que vous êtes adulé, que vous êtes le père bien aimé de la Nation, le Mehdi attendu !

Ne tombez pas dans la risible prétention de croire que vous avez la baraka ! L’argent qui vous est tombé dans le giron, et qui vous a permis d’entreprendre les très relatifs travaux dont vous vous enorgueillissez, n’est pas dû à une quelconque baraka ! Les Marabouts qui vous l’ont affirmé ne savent rien de la conjoncture mondiale qui a provoqué la flambée des prix du baril. Ils ont tout faux !

Par contre, Monsieur le président, si tant est qu’il subsiste en vous une étincelle d’humanité, si réellement vous croyez en ce Dieu devant lequel vous vous prosternez publiquement, si vous gardez à l’esprit le moment inéluctable, ou si tout simplement vous ne voulez pas léguer à la postérité la flétrissure éternelle qui ne manquera pas de s’attacher à votre personne, si vous avez la plus petite pitié pour ce peuple, si vous ne voulez pas provoquer l’irréparable disparition de notre jeune nation, il est dans vos possibilités de vous amender, et de rendre justice à ce peuple, et à cette nation, dont vous avez si injustement dévié le destin.

Il est vrai que tout a été fait pour vous rassurer. Votre régime n’a laissé émerger aucune force politique qui puisse rallier derrière elle les Algériens qui veulent en découdre avec leurs oppresseurs. Les dirigeants des partis politiques qui font mine de s’agiter sur la scène ont été corrompus jusqu’à l’indigestion. Le FFS qui a su rester fidèle à ses idéaux et à son peuple a été confiné à une seule région du pays. Nous savons qu’une cellule spéciale a été créée depuis des années pour le saborder, pour le faire infiltrer par des agents à la solde du régime, et que même en Kabylie, une propagande insidieuse est menée contre lui, pour le représenter comme étant le « parti des arabes », alors que dans le reste du pays, vous le présentez comme étant le « parti des kabyles ».
Je ne suis pas un militant du FFS, mais je sais reconnaître la valeur des hommes vrais, à fortiori lorsqu’ils savent garder le cap dans une telle tourmente, et dans une telle nuisance.

Le FIS, qui a failli vous emporter tous, autant que vous êtes, et qui n’aurait jamais pu nous précipiter dans une tragédie pire que celle dans laquelle vous nous avez plongés, quel que soit le procès d’intention que nous pourrions lui faire, a eu le malheur, et l’immaturité politique, de tomber dans le piège grossier qui lui a été tendu par les généraux génocidaires.

Ses leaders, les vendeurs de poulets et les camelots, et non les universitaires et les politiciens qui avaient été éclipsés par les premiers, ont fait exactement tout ce que les putschistes voulait qu’ils fassent.

Les émirs des groupes islamistes armés, ignares et obtus, obnubilés par la longueur de barbe, l’origine du musc, et le port du hidjab, ont appliqué à la lettre les fetwas rédigées dans les locaux du DRS. Ils se sont acharnés contre les populations même qui ont voté pour leur parti.

L’un d’eux, que l’on nous présente comme un repenti, et qui se vante d’avoir égorgé de ses mains un jeune militaire qui appelait sa mère, ira jusqu’à faire un éloge funèbre appuyé au général Smaïl Lamari, le plus grand criminel contre l’humanité de la décennie rouge, et l’un des plus riches milliardaires du continent.

Le peuple algérien, totalement désorienté, et ne sachant plus derrière quels leaders se ranger, pour vous combattre et recouvrer sa dignité, n’a plus d’autre choix que de se livrer à des émeutes dévastatrices, de véritables jacqueries, des révoltes contre lui-même, contre son mobilier urbain, contre ses mairies, contre ses écoles, qu’il brûle et qu’il dévaste, ou contre ses propres compatriotes, dans des battailles rangées entre communautés, comme cela a été le cas entre les Ibadites et les Malékites à Berriane. Malgré cela, votre régime, qui a peur des Algériens, qui les hait, parce qu’il sait qu’ils le haïssent, a pris des dispositions pour parer à toute éventualité. A un remake d’octobre 88. Il a recruté plus de 200 000 policiers pour le corps de l’anti-émeute, des dizaines de milliers de gendarmes de la même spécialité. Il se sert de l’argent qui pourrait soulager la misère des Algériens, pour leur opposer leurs propres enfants, leurs propres frères, en cas de soulèvement. Des jeunes jetables et interchangeables, puisque, le chômage aidant, des dizaines de milliers de jeunes demandeurs sont inscrits sur des listes d’attente.

Des milliards de dollars ont été investis dans ces recrutements, et dans l’acquisition de matériel pour réprimer violemment tout sursaut populaire.

Les jeunes Algériens, qui ne savent plus à quel saint se vouer, dans ce pays qui n’est plus le leur, qui n’ont d’autre choix que de s’engager dans les services de repression ou de monter aux maquis « islamistes », dans un pays où règne un chômage endémique, plus de 50% de la population, quoi qu’en disent vos statistiques, se jettent par milliers dans la mer, à bord de fragiles esquifs, pour tenter de rejoindre les rives de l’Europe.
Des milliers périssent en mer, sans que cela vous émeuve. Vous vous en réjouiriez même, si ce n’était l’image catastrophique que donne de vous dans le monde entier le boat-people que nous sommes en train de devenir.

Parmi les milliers de jeunes qui se sont noyés, six cents dépouilles de nos jeunes compatriotes ont été identifiées dans la seule Espagne, et reposent, en ce moment même, dans les morgues de ce pays. Le gouvernement espagnol vous a officiellement saisi pour vous prier de faire rapatrier ces malheureux, en menaçant de les incinérer si vous tardiez à le faire.

Mais cette demande vous a paru inopportune en pleine campagne électorale.
Vous aviez eu peur que l’image de ces centaines de victimes de votre régime n’altère votre image, dans le pays comme à l’étranger.

Je me rappelle d’un discours que vous aviez fait sur tous ces jeunes qui veulent quitter leur malheureux pays. Vous avez raté l’occasion d’ exprimer vos regrets, votre sollicitude, ou du moins votre incompréhension, face à une telle catastrophe nationale. Vous avez choisi d’exprimer votre mépris pour cette jeunesse, de la même façon que vous le faites à chaque fois que vous parlez des Algériens, ces gens que vous méprisez, et que vous traitez, en aparté, de moutons de panurge..

Vous étiez devant un parterre de vos sympathisants, tous ventrus, fessus et moustachus, et de vos sympathisantes, telles que nous les connaissons désormais, hurleuses, youyouteuses, presque hystériques, devant l’idole des apparatchiks que vous êtes devenu.

Voici, reproduit fidèlement ce que vous leur aviez dit : « Un jour que j’avais reçu un chef d’Etat étranger, vous parliez du président Chirac, un jeune s’est mis à crier visa, visa, visa, alors moi, je l’ai bien regardé, et je lui ai dit, tu veux un visa ? Et bien ciao bello, ciao bello, ciao bello » Comme si l’Algérie était votre propriété privée, et que vous puissiez en chasser quiconque ose exprimer son mécontentement, dût-il se jeter à la mer.

Voilà tout ce que vous avez trouvé à dire à un jeune que le désespoir poussait à s’arracher à sa patrie, à sa famille, pour aller se jeter sur les routes amères de l’exil. Un désespoir dont vous et vos associés de votre régime êtes les seuls responsables, devant Dieu et devant les hommes. Le plus douloureux, et qui m’a arraché des larmes de rage, a été que votre auditoire d’apparatchiks, de crétins et de crétines décérébrés, dépourvus d’humanité, a éclaté de rire.

Mon ami Addi Lahouari, Professeur des Universités à Lyon, pense que vous n’êtes qu’un outil docile entre les mains des vrais décideurs, ceux du DRS.

Contrairement à lui, et quoique je ne lui donne pas tout à fait tort, je crois que la réalité est autrement plus nuancée. Je suis personnellement convaincu que depuis la deuxième moitié de votre mandat, et particulièrement depuis le décès du sanguinaire général Smail Lamari, vous avez réussi à récupérer de réelles prérogatives.

La situation est très complexe, mais il n’en demeure pas moins que je crois que vous êtes réellement devenu l’homme le plus puissant du système. Mais ceci n’est pas forcément flatteur puisque, d’une part, vous ne mettez pas à profit votre réelle puissance pour nettoyer les écuries d’Augias, et que, d’autre part, vous êtes rentré dans une logique de chef de clan, d’arbitre entre les puissants, de distributeur de la rente, plutôt que dans celle de leader tout puissant, de père de la Nation, et d’homme providentiel.

Je crois que votre puissance obéit à un consensus entre ceux qui vous ont fait et qui se sont eux mêmes reconvertis, du statut de chefs de guerre à celui de grands prédateurs financiers.

La reconversion du très sanguinaire Mohamed Lamari, le général le plus gradé de la junte, en capitaine d’industrie en est l’archétype. Il serait intéressant de savoir combien vous lui avez donné, sur votre cassette royale, cette caisse secrète que vous utilisez comme bon vous semble, pour le pousser à la retraite. Il est certain que le montant était consistant, puisque nous l’avons vu parmi les « personnalités » qui soutenaient votre campagne électorale.

Je crois donc que vous êtes devenu réellement le vrai chef du régime, mais un chef relatif. Vous ne pouvez le rester que si vous restez dans le rôle qui s’est tacitement reconduit, par la force des choses. Tant que vous restez dans les seules attributions qui consistent à distribuer le butin entre tous les forbans qui vous entourent, et qui constituent le noyau du régime, vous restez tout puissant, capable de limoger n’importe qui, de décider de n’importe quoi.

Mais cette puissance relève d’une logique mafieuse, car vous perdriez immédiatement le contrôle de la situation s’il vous venait à l’idée de débarrasser le pays de la vermine qui l’infeste. Vous ne seriez donc qu’un chef de bande, qui dispose de la toute puissance, mais dans le seul cadre qui lui a été imposé, et qui doit s’y tenir. Et c’est là où le Professeur Addi a raison.

Aujourd’hui, et j’espère que vous en êtes conscient, le pays tout entier repose sur une poudrière. Il est vrai que toutes les dispositions ont été prises, et que des poires pour la route ont été mises de côté, par tous les barons du régime, y compris ceux de votre propre clan, dans des comptes bancaires à l’étranger. En cas de « somalisation » du pays.
Nous savons que tous les barons du régime, y compris ceux de rangs subalternes, comme les Walis, les responsables sécuritaires locaux, et autres satrapes, ont des placements et des biens à l’étranger. Certains, comme votre ministre du pétrole, votre ministre de l’intérieur et tant d’autres, ont même pris la précaution d’installer leurs familles aux USA et dans d’autres pays.

Mais il faut que vous sachiez que si le pays explose, et tous les ingrédients sont réunis pour le faire exploser, y compris des discours séparatistes, ce serait une tragédie sans précédent. Trop de mal a été fait à ce peuple. Trop de rancune y a fermenté. Trop de nos compatriotes ont été nourris de haine et d’ignorance. Ce serait terrible. Et vous en porteriez la responsabilité, devant Dieu, devant les hommes , et devant l’Histoire.
Réfléchissez y, Monsieur le Président !

Aujourd’hui que les jeux sont faits, et que des circonstances favorables ont aidé à asseoir votre suprématie sur le régime, il est dans vos moyens, si tant est que vous vous armiez de courage, de forcer le carcan dans lequel vous avez été enfermé. Il est dans vos possibilités, même si cela n’est pas dans votre nature, de vous ranger du côté de votre peuple, de vous repentir de tout ce que vous avez contribué, un tant soit peu, à lui faire endurer, de chasser l’ogre qui se nourrit de la chair de nos enfants, et qui nous mène droit au désastre.

Le mal est fait ! Mais vous pouvez faire en sorte de le réparer.

- En rendant au peuple ce que votre régime lui a volé. Sa liberté, sa dignité, sa souveraineté.

- En chassant de sa vie les monstres odieux qui ont pris son pays et son destin en otage.

- En mettant fin au pillage honteux de ses richesses.

- En ne soutenant pas à bout de bras ces partis politiques qui se sustentent de notre chair, et qui contribuent au pillage de nos richesses.

- En mettant à la retraite d’office tous ceux qui se servent des prérogatives que leur confère la loi, et la nécessité, pour leurs sordides intérêts.

- En levant l’Etat d’urgence.

- En mettant en route une vraie politique d’amnistie générale, basée sur la reconnaissance publique des crimes, sur une enquête objective et approfondie des causes et des circonstances de la tragédie qui a suivi l’interruption du processus électoral.

- En ordonnant une enquête objective et approfondie sur les disparus, sur la pratique de la torture, sur l’instrumentalisation délibérée et criminelle de la violence.

- En renonçant à la construction de la plus grande mosquée du monde, car contrairement à ce que vous pourriez croire, ce projet ne vous fera pas entrer au paradis, et en utilisant le financement qui lui était destiné au lancement de dizaines de milliers d’entreprises, pour notre jeunesse. Des projets viables, et non des prétextes de pots de vin pour une faune de profiteurs.

-En procédant à la dissolution immédiate du Parlement, et en légiférant par ordonnance, en mettant en place un dispositif qui permette au peuple algérien de choisir ses représentants en toute démocratie, sans « machine électorale »

-En mettant en place un dispositif qui puisse permettre aux Algériens de désigner, en toute démocratie, une assemblée constituante.

-En procédant à la dissolution du DRS, et en le remplaçant par une structure dont les prérogatives consistent, non pas à terroriser la population, mais à défendre l’intégrité du pays.

- En interdisant à l’armée de s’immiscer dans les affaires politiques du pays, et à ne se consacrer qu’à son rôle de défense du pays contre toute menace extérieure.

- En rendant réel et effectif le principe qui consiste à ce que la loi soit au dessus de tous.

- En rendant le FLN à l’histoire collective de la nation et en le soustrayant à ceux qui ont en fait un outil au service des barons du régime.

- En permettant à l’UGTA, et aux syndicats autonomes de se consacrer librement à la pratique syndicale et de choisir librement leurs représentants.

- En donnant congé à tous ceux qui comme votre premier ministre, n’auraient aucune chance de figurer parmi les grands serviteurs de l’Etat, si ce n’était l’harmonie de leur vraie nature avec celle du régime prédateur qu’ils ont servi à nos détriments.

- En instituant un plan orsec d’aide aux plus necessiteux.

- En investissant dans l’agriculture et l’agroalimentaire, plutôt que dans l’acquisition de produits de consommation aussi inutiles que nuisibles, comme cet immense parc automobile qui nous a placé au triste record de 4eme pays mondial en termes de victimes d’accidents de la route, juste pour enrichir une dizaine de généraux et leurs associés.

- En mettant en place un système de scolarité fondé sur la modernité et l’universalité.

- En mettant en place un conseil de sages, de linguistes, et d’universitaires es-qualité, pour réfléchir au développement, à l’harmonisation et à l’officialisation de la langue berbère, pour que celle-ci sorte de son statut vernaculaire, et qu’elle puisse accéder au rang de langue véhiculaire, dont l’enseignement puisse être accessible, et utile, à tous nos enfants, qui pourront ainsi faire leur la langue de leurs propres compatriotes.

- En restaurant la Casbah et tout notre patrimoine historique qui tombe en ruines.

- En revivifiant les arts traditionnels de notre pays.

- En encourageant la recherche scientifique, la production artistique et intellectuelle.

- En ouvrant le champ médiatique aux professionnels de l’information, ceux là qui se feront un devoir de ne pas se laisser embrigader par des groupes de pression.

Je pourrais ainsi citer une infinité de mesures de salubrité publique qui seraient susceptibles de parer au plus pressé, et de remettre le pays sur le chemin du droit, de la démocratie, et de la justice.

Mais ce n’est là qu’un rêve éveillé, un exutoire du ras-le-bol que je ressens, car cette lettre que je vous fais n’est que l’opinion d’un simple citoyen algérien, qui ne s’exprime qu’en son nom personnel, et qui ne pourrait se substituer à la volonté populaire.
Mais il est dans vos possibilités de faire un bien d’un mal.

Je finirai cette lettre en vous disant, toutefois, que je ne crois pas que vous le souhaitiez, et encore moins que vous puissiez l’entreprendre.

Ce serait là l’oeuvre d’un géant, d’un héros et d’un sauveur.

Très sincèrement, je ne crois pas que vous en ayez l’étoffe.

Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude !

Djamaledine Benchenouf
Un citoyen algérien qui n’a jamais voté.

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