Le site canadien en ligne The Breach a publié une lettre de Nancy Waugh, responsable principale des normes journalistiques à la CBC, qui met parfaitement en évidence la relation psychologique bizarre que les Occidentaux entretiennent avec les bombes et les frappes aériennes dans les pays étrangers.
En réponse à de multiples plaintes d’un professeur retraité du Humber College concernant le langage extrêmement tendancieux utilisé par le radiodiffuseur public canadien pour décrire la guerre d’Israël contre Gaza, Mme Waugh a reconnu que la CBC utilisait régulièrement des mots tels que "meurtrier", "vicieux", "brutal", "massacre" et "tuerie" pour parler de l’attaque du Hamas du 7 octobre, alors qu’elle utilisait des mots beaucoup moins chargés d’émotion tels que "intensif", "implacable" et "punitif" pour décrire les actions d’Israël dans la bande de Gaza au cours des trois derniers mois.
M. Waugh a défendu cette divergence extrême en affirmant que les attaques d’Israël à Gaza diffèrent des attaques du Hamas contre les Israéliens en ce sens que les meurtres commis par Israël le sont "à distance".
"Des mots différents sont utilisés car, bien qu’ils entraînent tous deux des morts et des blessés, les événements qu’ils décrivent sont très différents", a écrit M. Waugh. "Le raid a vu des hommes armés du Hamas franchir la barrière frontalière et attaquer directement les Israéliens avec des armes à feu, des couteaux et des explosifs. Les hommes armés ont poursuivi des festivaliers, attaqué des kibboutzniks et leur ont tiré dessus, se sont battus au corps à corps et ont lancé des grenades. L’attaque a été brutale, souvent sauvage et certainement meurtrière".
"Les bombes larguées à des milliers de mètres et les obus d’artillerie lancés sur Gaza à des kilomètres de distance provoquent la mort et la destruction à grande échelle, mais ils sont exécutés à distance", poursuit M. Waugh. "Les résultats meurtriers sont invisibles pour ceux qui les ont provoqués et la source est invisible pour ceux qui souffrent et meurent".
J’ai écrit un certain nombre d’essais sur la façon irrationnelle et sans fondement dont les Occidentaux considèrent les explosifs militaires comme un moyen bien plus civilisé et humain de tuer des êtres humains que les balles ou les lames, mais je n’ai jamais rien écrit qui le résume aussi clairement que cet aveu franc du responsable principal des normes journalistiques de la Canadian Broadcasting Corporation.
Les explosifs militaires déchiquettent les corps humains. Ils brûlent les gens vivants. Ils les emprisonnent sous les décombres où ils meurent avec une lenteur atroce, de l’une des manières les plus horribles que l’on puisse imaginer. Ils laissent les gens sans membres. Ils démembrent et défigurent les enfants à vie. Nombre des morts les plus atroces de l’histoire de l’humanité ont été causées par des bombes.
Des milliers d’habitants de Gaza n’ont pas encore été comptés parmi les morts parce que leurs corps sont encore ensevelis sous les décombres des bâtiments détruits. Nombre d’entre eux ne seraient pas morts sur le coup. Certains sont encore en vie, attendant depuis des jours, dans un état de terreur et de douleur intense, des secours qui ne viendront jamais.
Selon un rapport de l’UNICEF publié le mois dernier, plus d’un millier d’enfants ont été amputés d’une jambe ou des deux depuis le 7 octobre à la suite des dommages causés par les frappes aériennes israéliennes soutenues par les États-Unis, un chiffre qui devrait être beaucoup plus élevé à l’heure actuelle. Nous savons que nombre de ces amputations ont eu lieu sans anesthésie, parce que la guerre de siège israélienne a coupé le système de santé de Gaza des fournitures nécessaires.
Si ce n’est pas vicieux, alors rien n’est vicieux. Si ce n’est pas brutal, alors rien n’est brutal. Si ce n’est pas meurtrier, alors rien n’est meurtrier. Mais la presse occidentale ne le qualifie pas comme tel, parce que cela se fait "à distance".
Croire que ces attaques devraient être considérées comme moins vicieuses et moins brutales parce qu’elles sont lancées à distance par des personnes qui n’en verront pas les effets est aussi immature psychologiquement qu’une petite fille qui croit qu’on ne peut pas la voir parce qu’elle s’est caché les yeux. Une attaque qui tue, mutile et torture ne cesse pas d’être brutale et vicieuse simplement parce qu’elle vous apparaît comme un point sur un écran. La souffrance humaine n’est pas rendue moins aiguë ou moins significative par le fait d’être loin.
Mais c’est ainsi que la plupart des Occidentaux voient l’utilisation d’explosifs militaires de nos jours. Nous sommes tellement habitués à entendre notre gouvernement et ses alliés déverser une pluie de bombes sur le Moyen-Orient et l’Afrique que nous avons développé une sorte d’immunité à l’impact psychologique de ce que cela signifie exactement dans la réalité. L’esprit occidental typique en est venu à considérer les bombardements davantage comme un phénomène météorologique qui se produit simplement dans ces régions, à l’instar des moussons dans les pays d’Asie du Sud.
En réalité, les bombardements ne sont pas moins sauvages que les attaques à l’arme à feu, à la grenade, au couteau ou à la machette. En fait, ils permettent une plus grande sauvagerie, parce qu’ils tuent beaucoup plus efficacement et parce que les troupes qui les utilisent peuvent continuer à tuer sans perdre le moral et sans accumuler les traumatismes mentaux dus aux horreurs qu’elles ont infligées à leurs semblables.
La mort est la mort. Le démembrement est le démembrement. La douleur est la douleur. L’angoisse est l’angoisse. L’hypothèse inconsidérée selon laquelle les méthodes préférées de l’empire occidental pour tuer sont moins brutales et meurtrières que celles d’un groupe militant démuni est un mécanisme de défense psychologique que nous avons mis en place pour nous protéger de la conscience de notre propre brutalité et de notre caractère meurtrier.
En vérité, si l’on considère la mort, la destruction, la souffrance et la douleur qu’Israël a infligées à Gaza depuis le 7 octobre, il ne fait aucun doute qu’Israël est bien plus vicieux, brutal et meurtrier que le Hamas ne l’a jamais été, tout comme le sont ses alliés qui soutiennent ses actions. La seule façon de croire le contraire serait de se cacher psychologiquement de la réalité de ce qui se passe, qui est aussi véridique et mature que l’enfant qui se met les mains sur les yeux en disant : "Maintenant, tu ne peux plus me voir !"
Caitlin Johnstone
Traduction "nous évoluons dans un boîte et la télé est la fenêtre" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles