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Le vent d’espoir souffle aussi sur le Maroc

« Celui qui m’obéit obéit à Dieu et celui qui me désobéit désobéit à Dieu » disait Hassan II en citant le prophète. Selon la constitution, le roi est « commandeur des croyants » et sa personne est « inviolable et sacrée ». Au Maroc, l’Islam est religion d’État. Le roi exerce le pouvoir par Dahirs (décrets royaux) qui ne sont susceptibles d’aucun recours. Autant dire que tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du chef de l’État. Les ministres et les députés ne sont que des figurants qui jouent le spectacle de la démocratie sur la scène politique marocaine. C’est contre cette constitution anachronique et pour un changement démocratique réel et profond que le peuple marocain est descendu dans la rue le 20 février 2011. Le vent de révolte et de changement qui secoue le monde arabe, souffle également sur le Maroc.

Face à la détermination des manifestants, Mohamed VI intervient le 9 mars 2011 à la télévision et annonce un ensemble de réformes constitutionnelles importantes comme le « renforcement du statut du Premier ministre en tant que chef d’un pouvoir exécutif effectif », la « consolidation du principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs », ou encore « l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives » etc. (1).

L’Union socialiste des forces populaires (USFP), le parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), l’Istiqlal (nationaliste) et bien d’autres partis politiques classiques plus ou moins liés au pouvoir, ont applaudi chaleureusement le discours royal, qu’ils qualifient d’historique. L’Administration américaine, l’OTAN, l’Union Européenne et le gouvernement français ont également salué ce discours. Il s’agit d’un discours « très courageux et même visionnaire » disait Alain Juppé (2) !

Par contre, le discours du roi non seulement n’a pas convaincu les jeunes du Mouvement du 20 février, soutenu par de larges couches du peuple, les syndicats, la gauche radicale, l’Association Justice et Bienfaisance (islamiste) etc. mais il les a déçus. Les jeunes du Mouvement pensent que ce discours ne répond pas aux attentes du peuple marocain. Pour certains d’entre eux comme Nizar Bennamate « La constitution actuelle n’est pas réformable parce qu’elle est féodale, totalitaire, rétrograde, religieuse » (3). Ils exigent une constitution démocratique reflétant et traduisant réellement la volonté du peuple. Elle doit être votée par une assemblée constituante elle-même élue démocratiquement. Au lieu de cela, le roi a nommé « une commission ad hoc pour la révision de la constitution ». Il s’agit donc d’une constitution octroyée par le Palais comme d’ailleurs les précédentes. Le Mouvement a appelé à poursuivre le combat en maintenant la manifestation du 20 mars et en appelant à une autre le 24 avril sans compter les sit-in, marches, rassemblements, débats, discussions directes avec les citoyens, communiqués et autres tracts distribués un peu partout au Maroc.

Une véritable effervescence s’est emparée du pays : les citoyens et les citoyennes parlent, discutent, débattent et échangent leur point de vue sur les prix des produits de première nécessité qui augmentent sans cesse, sur les salaires de misère, sur le chômage des jeunes et des moins jeunes, sur la corruption qui ronge comme un cancer l’ensemble du corps social, sur les fortunes colossales, injustement bâties, qui côtoient la misère la plus sordide, sur la constitution qu’il faut changer, sur les prisonniers politiques qu’il faut libérer etc. etc. Cette parole confisquée et réprimée depuis des décennies se libère progressivement non seulement sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les quartiers populaires, dans les cafés, dans les souks, chez les coiffeurs, dans les salles de conférence etc. Les médias indépendants et même l’audiovisuel public totalement contrôlé par le pouvoir, s’expriment aujourd’hui ne serait-ce que pour demander plus de liberté d’expression : « le contribuable finance ces médias publics, mais ces derniers sont au service du pouvoir officiel » disait Younès Moujahid secrétaire général du Syndicat de la presse marocaine (SNPM). Par deux fois au mois de mars, les journalistes sont descendus dans la rue pour exiger une presse libre et indépendante après avoir apporté leur soutien au Mouvement du 20 février (4).

Mais cette « liberté d’ expression » reste toute relative. La répression n’a pas disparu et la peur, bien que de plus en plus maîtrisée, est toujours présente. Il faut préciser que juste après le discours royal du 9 mars, une répression sauvage s’est abattue sur les manifestants à Casablanca, Khouribga, Youssoufia, Mohammadia etc. Mais cette violence exercée sur des manifestants pacifiques n’a fait que renforcer la détermination des jeunes du Mouvement du 20 février à continuer leur combat pacifique pour plus de liberté et plus de dignité. Ce qui est nouveau, par contre, c’est que les citoyens osent désormais exprimer leur immense espoir pour un Maroc démocratique débarrassé des politiques et des pratiques qui ne correspondent plus aux temps modernes. Au Maroc, plus qu’ailleurs peut-être, le présent et le passé s’imbriquent l’un dans l’autre ; on ne peut parler de l’un sans évoquer l’autre.

L’arrivée de Mohamed VI au pouvoir en 1999 après le décès de son père Hassan II avait suscité également un grand espoir de changement démocratique et de rupture avec le passé. Et effectivement, les premières années ont été marquées par des réalisations politiques, économiques et sociales importantes. De grands travaux d’infrastructures comme le Port Tanger Med, premier port d’ Afrique, les réseaux routiers, autoroutiers et ferroviaires ont été réalisés ou développés. Le développement du secteur agricole et touristique avec le Plan Maroc vert et Plan Azur traduisent également cette volonté du jeune roi à développer l’économie marocaine qui en avait réellement besoin. L’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) destinée à combattre la pauvreté, la promulgation du code du travail et celui de la famille(Moudawana) sont des avancées sociales incontestables. Le retour des exilés politiques dans leur pays et notamment le plus célèbre d’entre eux Abraham Serfaty, la levée de l’assignation à résidence du guide spirituel de Justice et Bienfaisance Abdesselam Yassine,constituent un acte symbolique fort. Le limogeage du tout puissant ministre de l’intérieur Driss Basri et la création de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) pour faire le bilan des violations des droits humains entre 1956 et 1999 ont renforcé ce sentiment de rupture avec le passé. Mais le régime est resté fidèle à lui-même. L’espoir est retombé.

Tous les pouvoirs sont, comme avant, entre les mains du roi, entouré de courtisans qui ne cherchent qu’à s’enrichir. Le gouvernement ne fait qu’exécuter les directives directement venues du Palais. Le parlement n’est qu’une chambre d’enregistrement de la volonté royale. Et ce n’est pas un hasard si à chaque manifestation, les marocains réclament la dissolution du parlement et la démission du gouvernement. Les collectivités territoriales sont strictement contrôlées par le ministère de l’intérieur, lui-même dépendant du Palais. Les résultats des élections sont déterminés d’avance et habilement répartis entre les partis politiques plus au moins soumis au pouvoir. Le jeu politique au Maroc est déterminé, organisé et contrôlé par le régime. La constitution de 1996 qui donne un pouvoir absolu au roi et consacre la sacralité de sa personne n’a pas été modifiée.

Les politiques économiques sont souvent décidées, comme par le passé, par les instances internationales comme la Banque mondiale et le FMI à Washington, loin des besoins et des préoccupations du peuple marocain. Ces politiques s’inscrivent dans une stratégie libérale globale : privatisation, vérité des prix, protection du capital privé local et étranger et extraversion poussée de l’économie marocaine basée sur des produits à faible valeur ajoutée. Il va sans dire que les effets traumatisants des plans d’ajustement structurel de ces mêmes institutions que le Maroc applique avec zèle sont supportés par les classes populaires. La paupérisation de l’immense majorité de la population reste la conséquence tangible de ces politiques. Déjà en juin 1981 et en janvier 1984, des révoltes populaires contre l’augmentation des prix des produits de base ( farine, pain, sucre, huile gaz etc.) ont secoué la plupart des villes marocaines faisant plusieurs centaines de morts et des milliers de blessés. Aujourd’hui le régime, pour éviter toute contagion de la révolution tunisienne et égyptienne au Maroc, a doublé en février 2011, le budget de la Caisse de compensation qui subventionne les produits de première nécessité.

L’échec de ces politiques économiques est aggravé par la généralisation de la corruption qui, à l’instar des métastases, se répand dans tout le corps social. Aucun secteur de la société n’est épargné. Elle est omniprésente. C’est une habitude que l’on accomplit au quotidien. Elle est érigée en véritable institution. Dans ce domaine comme dans d’autres, la classe dirigeante rafle l’essentiel du butin laissant aux petits fonctionnaires le soin de se courber pour ramasser quelques miettes pour compléter leurs salaires de misère (5). L’éradication de la corruption et la traduction devant la justice de celles et ceux qui ont rapidement bâti des fortunes colossales dans l’opacité la plus totale font partie des revendications essentielles du Mouvement du 20 février.

Le 24 avril 2011, des hommes et des femmes par centaines de milliers sont descendus dans la rue pour un Maroc nouveau, réellement démocratique, sans prisonniers politiques, sans torture, sans corruption et pour soulager tout le peuple du fardeau de la misère, de l’ignorance, de l’humiliation et de l’arbitraire qui entrave sa marche vers le progrès économique, social et politique.

Mohamed Belaali

belaali.over-blog.com

(1) Voir l’intégralité du discours : http://www.bladi.net/discours-du-roi-mohamed-vi-9-mars-2011.html

(2) http://www.ambafrance-ma.org/new3/spip.php?article9673

(3)http://www.rue89.com/2011/04/17/maroc-le-mouvement-du-20-fevrie

(4) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/03/25/des-centaines-de-journalistes

(5) Pour le classement et la note attribuée par pays voir Trancparency International http://www.transparence-france.org/e_upload/pdf/cpi2010_table_2010.pdf


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